De l'homosexualité dans l'Histoire de l'Occident.

 

L'homosexualité n'existe que depuis 1890, et il s'agit non là d'une quelconque forme de provocation, mais bien d'une dissociation très nette entre le concept d'homosexualité et les relations sexuelles, affectives et amoureuses entre personnes de même sexe. Si ces dernières semblent être de tous les points de vue, de tous les horizons géographiques et de toutes les époques présentes en l'Humanité comme elles sont présentes dans tout le règne animal, le terme d'homosexualité, qui provient des écrits de Charles Gilbert Chaddock qui traduisait alors Krafft-Ebing, est utilisé comme la définition d'une paraphilie, autrement dit si ce n'est une maladie, du moins un trouble de la sexualité, une forme de stigmate d'anormalité, en dehors de ce qui doit être en matière de sexe. La chose est complexe, et si, avant l'invention de ce terme, d'autres, tout aussi problématiques, comme la sodomie ou l'inversion sexuelle, étaient utilisés, notre société se fonde toujours sur le mot "homosexualité" en lui donnant un sens bien différent. L'homosexuel aujourd'hui est celui qui aime les personnes de son sexe, ou de son genre, souvent de manière exclusive, et l'homosexualité un fait social complètement dénué de signification morale (encore qu'il ne faudrait pas ignorer ses utilisations négatives) et est utilisé, dans une forme d'inversion du stigmate, comme un mot de ralliement politique, voire communautaire, permettant d'acquérir un certain nombre de droits. En somme, l'homosexualité a révolutionné son sens qui, d'ailleurs, tend à être dépassé par une multitude de catégories nouvelles (la bisexualité, le genre, la pansexualité, l'asexualité, etc ...) qui cherchent à mieux cerner la complexité de la sexualité humaine, parfois non sans une certaine forme de ridicule attendrissant. Si le terme homosexualité signifie réellement quelque chose, en partant du principe qu'il existe une véritable communauté homosexuelle cohérente ce qui est infiniment discutable tant il n'y a aucun point commun classiste et politique au sens marxiste entre un homosexuel riche et un homosexuel pauvre, ou encore que la sexualité puisse être catégorisée de manière aussi peu dynamique, si tenté que l'homosexualité soit une catégorie valide dans la science des idées, on peut distinguer cinq formes de sociétés vis-à-vis des rapports amoureux et sexuels entre personnes de même sexe :

1°) Les sociétés ignorantes ou neutres. Ces sociétés ne connaissent pas la catégorie de l'homosexualité, ne donnent aux rapports homosexuels aucune signification morale quelconque et si toutefois elles les identifient, elles n'en tirent aucune conséquence, tendant même parfois à une forme de bisexualité générale admise. Quantitativement, d'un point de vue historique, elles semblent clairement être les plus nombreuses. Que ce soit l'Asie Antique et Médiévale dans son entièreté (Chine, Inde et Japon), la Mésopotamie ou encore les sociétés celtes et barbares du Bas Moyen Âge, voire (et on en reparlera) de certaines sociétés dites primitives insulaires, l'homosexualité y est soit un impensé, soit un fait banal apolitique et amoral.

2°) Les sociétés régulatrices. Ces sociétés connaissent les rapports homosexuels et les identifient. Elles ne les interdisent pas mais les subordonnent à un certain nombre de conditions juridiques et morales précises. On peut citer notamment l'Egypte Antique, la Grèce Antique ou encore la Rome Antique jusque l'Empire. Souvent, notamment dans ces deux derniers cas, l'homosexualité est admise si elle est le fait d'un dominant actif sur une personne de rang inférieur (un disciple en Grèce, un esclave à Rome). La bisexualité y est une normalité. Pour autant, Rome se distingue de la Grèce par sa stigmatisation progressive de l'homme passif, d'autant plus quand il est âgé ou d'un rang supérieur élevé. Pour autant, l'homosexualité n'est globalement pas identifiée comme un concept valide et les rapports homosexuels ne sont pas réellement stigmatisés.

3°) Les sociétés prohibitionnistes. Ces sociétés identifient l'homosexualité, notamment la sodomie qui est un terme bien plus large que l'homosexualité puisqu'on y regroupe globalement au départ toute sexualité non procréatrice (masturbation, rapports buccaux, etc). La première société largement homophobe semble avoir été la société juive d'Israël. Ces sociétés du tabou l'interdisent de manière plus ou moins effective, les sociétés du Haut Moyen Âge étant plus tolérantes que celles de l'après XIIème siècle et encore plus que les sociétés de l'ère moderne (XV-XVIIème siècle). Ces sociétés existent encore largement dans certains pays musulmans en Asie du Sud-Est et en Afrique, dus à la pensée islamique ou à la colonisation britannique. Certains pays occidentaux, notamment anglo-saxons, ont tardé à sortir de ce statut par rapport à leurs voisins catholiques (France). Elles restent aujourd'hui majoritaires.

4°) Les sociétés dépénalisées. Dans ces sociétés, l'homosexualité est un concept valable porteur de droit et de morale. Mais pour des raisons philosophiques plus ou moins favorables aux rapports homosexuels d'ailleurs, souvent de nature plus opportunistes que réellement tolérantes, elle n'y est plus considérée comme devant faire l'objet d'une peine. C'est le cas notamment de la Russie actuelle, du Gabon de 2019 et historiquement, de la France de 1792. Pour autant, il ne s'agit certainement pas de donner des droits aux couples de même sexe et parfois, l'âge de minorité sexuel ou encore le traitement de la "propagande" homosexuelle démontrent une certaine hostilité. Le couple homosexuel n'y est globalement pas reconnu et est au pire une déviance médicale, au mieux une marginalité amusante.

5°) Les sociétés favorables. Dans ces sociétés, l'homosexualité est un concept valable qui tend à être dépassé. Globalement favorables à l'idée des rapports homosexuels, elles octroient des droits de manière plus ou moins large aux homosexuels seuls et aux formes de couples. Elles permettent même l'adoption et la parentalité homosexuelle. Plus une maladie, ni un stigmate négatif ou positif, elles peuvent tendre indirectement à rejoindre dans les cas les plus favorables (Suède, Belgique, Pays-Bas) les sociétés neutres. Elles sont aujourd'hui surtout représentées dans l'Occident et dans quelques pays d'Amérique Latine.

La problématique d'une telle classification est évidemment qu'elle se fonde uniquement sur une logique juridique : le comportement est-il autorisé et si oui, l'homosexuel a-t-il des droits? Or, il ne tient pas compte de la société, de sa structure sociale, géographique, religieuse, ethnique et de ses complexités toutes bien particulières. Des pays peuvent être violemment prohibitionnistes et de fait, comme souvent, presque ne jamais pratiquer de condamnations et avoir en leur sein des communautés homosexuelles actives et plus ou moins visibles. De la même façon, dans les pays dits favorables, il peut exister de larges pans de populations violemment homophobes, voire le droit peut très bien ne pas être appliqué. Ainsi, quand on a dit cela, on n'a un peu rien dit, d'autant plus que ces sociétés peuvent évoluer et régresser. Il ne faudrait surtout pas croire que chaque société est passée de neutre, à régulée, à prohibitionniste puis dépénalisée et favorable : la chose a été souvent bien plus nuancée et riche historiquement. Si le droit reste le critère le plus objectif et peut-être le plus révélateur d'une tendance, il ne faut pas oublier la vision religieuse, civilisationnelle, philosophique et sociale qui a conditionné la répression ou le laxisme vis-à-vis de l'homosexualité. Plus encore, l'énorme problème de cette classification, est justement l'apposition d'un concept du XIXème siècle, l'homosexualité, à des sociétés qui ne la pensaient soit pas en ces termes, soit ne la pensaient pas du tout. Face à tout cela, le livre de Colin Spencer peut nous aider cependant à déceler un certain nombre de faits et de tendances permettant de mieux comprendre le phénomène de l'homosexualité et surtout de l'homophobie qui en est le miroir déformant.

Des apports de l'ethnologie et de l'anthropologie

La question est ici de répondre à cette question : les rapports affectifs, amoureux et sexuels entre personnes de même sexe ont-ils vraiment toujours existé et sont-ils un phénomène réellement naturel ou seulement culturel ? Bien loin des clichés qui feraient dire que l'homosexualité est une forme de perversion des sociétés en bout de course, surpeuplées et où le "parc féminin" serait le plus sélectif, l'observation de la vie des animaux démontre que l'homosexualité est pratiquée par des espèces diverses, et que l'être humain, aussi moral soit-il, n'est pas le fruit de la création divine mais bien de l'évolution du règne animal. Ainsi, il est constant que les "oeufs mâles" sont plus importants en nombre que les "oeufs femelles", et que dans un système où les rapports entre animaux sont sélectifs et ponctuels, il doit forcément y avoir une déperdition des oeufs mâles dans des pratiques sexuelles non reproductives. De la même façon, comme la sexualité est reliée à la sensation de plaisir, la sexualité homosexuelle a toute sa place dans un panel très large d'espèces très proches de l'espèce humaine (les bonobos mais aussi les dauphins d'ailleurs) et de pratiques non procréatives. Ainsi, l'idée que l'homosexualité ne soit pas naturelle est une aberration : la sexualité non reproductive est non seulement le fruit de caractéristiques physiologiques naturelles, mais plus encore, elle est nécessaire afin de garder constant le flux d'œufs mâles. Et pour ceux que ces arguments ne convaincraient pas, les faits parlent d'eux mêmes : les rapports entre animaux de même sexe existent et ont toujours été observés. De ce fait, l'être humain étant un animal comme un autre, il est sujet à des inclinations tout aussi naturelles que les autres, et ses pratiques sexuelles non reproductives ne sont certainement pas anormales ou, pire encore, une forme de choix. Si la reconnaissance ou le traitement des rapports homosexuels sont une variable culturelle, les rapports homosexuels, eux, ne le sont pas du tout.

L'observation des tribus, que l'on appelle abusivement primitives, et qui pourraient avoir des liens avec les sociétés préhistoriques dans leur caractère nomade, démontre également que les relations homosexuelles peuvent être ignorées, voire valorisées. Par exemple, chez les Marind et les Kimans, l'oncle paternel sodomise l'impubère afin, selon la croyance de ces peuples, de stimuler la création du sperme. Dans le rite de Sosom, le Géant mythologique castré, les hommes de la tribu se réunissent chaque année pour sodomiser allègrement d'autres hommes plus jeunes et ce dans une certaine crainte, et un certain respect, des femmes qui auraient castré le Géant. Chez les Grands Namba de l'Île de Malekula, la société était violemment patriarcale, les femmes étant considéré comme de simples objets. Le grand chef Namba, porteur du pouvoir absolu, masqué, se nourrissait de chair humaine et ne pouvait croiser le regard de ses subalternes. La tête et le gland étaient vénérés et lors du rituel du renforcement du gland, le grand chef sodomisait les "adolescents" de la tribu. Chez les Sambia de Papouasie Nouvelle-Guinée encore, le sperme était vénéré, régulièrement consommé, admiré dans sa qualité et dans sa quantité, et des fellations étaient organisées comme rite initiatique pour les jeunes garçons. Dans d'autres tribus, comme les Wogeo ou les Orokaivas, la frontière entre les sexes n'existe tout simplement pas. Dans 113 Tribus d'Amérique du Nord observées, le phénomène du berdache est une constante : un homme pouvait prendre le rôle social et l'aspect physique de la femme et coucher avec d'autres hommes, voire se marier avec eux, et pouvaient repasser dans l'autre sexe quand bon lui semblait. Chez les Tchouktchis et les Aléoutes, un homme pouvait devenir une femme en se tressant les cheveux puis, petit à petit, en incarnant leur rôle social. De manière très surprenante, chez les Thongas transportés dans les mines d'esclaves du Mozambique, les hommes préféraient avoir des rapports sexuels avec des hommes déguisés en femme de leurs tribus plutôt que de gouter aux charmes de femmes d'autres ethnies. En bref, la nature humaine et la richesse anthropologique du monde démontrent bien que l'homosexualité, en plus d'être un concept réducteur, est une donnée plus ou moins ritualisée et organisée, plus ou moins traversée par des enjeux de pouvoir et de séduction. L'être humain est surprenant sur ce point comme sur tous les autres.

L'Antiquité : l'âge d'or de l'homosexualité ?

Le stéréotype est très ancré : la Grèce Antique serait le paradis de l'homosexualité. Pour certains, elle est l'exemple d'une réussite de tolérance et pour d'autres, la preuve d'une prétendue décadence. Mais la chose mérite quand même d'être réexaminée : après l'avènement d'une Mésopotamie qui divinisait la figure phallique et qui estimait que la sodomie d'hommes puissants rendait puissant, après l'évènement d'une Egypte Antique qui semblait peut être moins tolérante, en témoigne le rite du viol d'Horus par Seth, malgré certaines pratiques guerrières, la Grèce aurait été un pays d'hommes bisexuels, voire principalement homosexuels. De fait, ce qui est très frappant, bien davantage que la bisexualité des Grecs anciens, c'est leur haine des femmes. Absolument cloitrées, réifiées, Platon disait d'elles : nous avons des courtisanes pour nos plaisirs, des concubines pour les services personnels quotidiens et des épouses pour nous donner des enfants et gérer fidèlement notre foyer. Sophocle fait également dire à une de ses protagonistes J'ai souvent remarqué que tel est le sort des femmes, nous ne sommes purement et simplement rien. Et à part la poésie lesbienne de Sappho, il faut dire qu'on ne parle que très peu de cette figure de l'humanité dont le plaisir est rarement évoqué, et qui semble être l'apanage des sociétés sédentaires . Ce mépris profond de certaines cités grecques de la femme trouvait son pendant dans l'admiration sans faille de la beauté juvénile du corps masculin. S'il était de bon ton, à 25 ans, de se tourner vers sa famille, les hommes batifolaient d'abord allègrement dans une forme de relation de maître à élève fréquente et hédoniste. En Crète, Ephore raconte que les garçons courageux et intelligents, dans une sorte de rite initiatique, étaient ravis pendant deux mois à leur famille pour être amenés dans la forêt où ils sont formés aux arts de la nature, tout en faisant l'objet d'assauts sexuels tout à fait acceptés par la famille des ravis. Après ce rite initiatique, le jeune garçon recevait un bœuf sacrifié à Zeus, une panoplie de guerrier et une coupe. Cela rappelle bien entendu le mythe de Zeus et Ganymède selon lequel le Dieu des Dieux avait ravi un jeune homme par amour. Cette bisexualité du Panthéon grec et de certaines cités grecques se trouvaient justifiées par une certaine doctrine de l'amour (l'amour céleste de Pausanias), l'amour de l'hédonisme mais aussi la passivité des jeunes hommes et des esclaves. Il faut bien comprendre que les relations égalitaires, si elles existaient, restaient rares face au modèle d'un homme âgé actif et d'une jeune homme entre 12 et 18 ans, essentiellement passif. Pour autant, et sans en faire une généralité, l'amour grec n'est pas une légende : la bisexualité y était vu comme la norme, bien que les attitudes exclusives étaient tout à fait acceptées.

La Rome Antique reprend une partie de la pensée grecque tout en la renouvelant. Si la bisexualité y était sans aucun doute la norme, en témoigne les frasques sexuelles des Empereurs Romains (et notamment la bisexualité de Jules César) et une certaine bienveillance pour les amours homosexuelles (il suffit de lire le Satiricon de Pétrone pour s'en convaincre ainsi que de constater que le prix d'un prostitué mâle était deux fois supérieur à celui d'une prostituée femme), le Romain est plus pudique que le Grec et surtout plus violent. La puissance sexuelle du pater familias se traduisait par une certaine loi du viol : le puissant copulait avec le faible sans que ce dernier ait son mot à dire. Ainsi, il était tout à fait normal pour un chef de famille romain de sodomiser ses esclaves, alors que l'inverse aurait été un crime d'une extraordinaire gravité. Ainsi, la Lex Scatina interdisait la sodomie d'un homme libre sous peine d'amende, et la gentillesse de la peine s'expliquait par la fréquence des désobéissances. Là où Rome diffère de la Grèce, c'est d'abord que la femme y est davantage considérée et dispose de plus de pouvoirs. Pour autant, l'adultère y est un crime très grave et si le père de famille surprenait sa femme en pleine acte, il disposait du pouvoir de faire violer et exécuter son rival par ses esclaves, même s'il était libre. Pour autant, rien n'indique que les relations lesbiennes étaient vraiment critiquées, puisqu'elles ne risquaient pas de rendre le sang moins pur. Le IIème siècle avant Jésus Christ semble avoir été l'âge d'or de l'homosexualité à la romaine et ce jusqu'en l'an 0 : on pense notamment à la tristesse d'Hadrien après la mort de son amant Antinous à qui il dédie des villes (Antinopolis) ou encore aux frasques de Jules César. Néanmoins, et sensiblement, la passivité, le fait d'être pénétré, est de moins en moins considéré, notamment quand il s'agit d'être un homme libre et petit à petit, la société romaine va sévir. Le stoïcisme plébeien d'abord, le christianisme ensuite, vont mener à un durcissement très élevé des peines (qui ne seront pas souvent appliquées). En 342, Constant et Constance punissent du bûcher l'homosexuel passif. En 438, cela est étendu aux homosexuels actifs, même si la prostitution des hommes reste taxée et autorisée. En 533, Justinien punit l'homosexualité de castration et du bûcher, mais l'incrimination semble avoir été davantage utilisée à des fins politiques que morales. Pour autant, cette homophobie de l'Empire Romain ne peut être comprise qu'à l'aune de l'homophobie du christianisme.

Les Juifs et les Chrétiens : pourquoi tant de haine ?

La société hébraïque est d'abord une société du petit nombre qui, face à des voisins dangereux, a eu besoin d'une augmentation sensible de sa démographie. En ce sens, gâcher de la semence n'était pas bien vu. De la même façon, Babylone, le grand ennemi des Hébreux, pays de prostitution d'hommes et de femmes, devait constituer un contre-exemple. L'autre grand ennemi, l'Egypte, fournira aux Juifs la pratique de la circoncision et du prélèvement des pénis sur les corps des guerriers tombés au combat. Il y avait donc une volonté hébraïque d'avoir une démographie réelle. La femme y était bien mieux considéré qu'en Grèce et même qu'à Rome puisque cette dernière était un modèle de vertu ayant un rôle dans le rituel. Si la polygamie est possible jusqu'au XIème siècle dans la religion juive, c'est aussi pour avoir une natalité élevée. Ainsi, que ce soit la masturbation (même le fait de tenir son sexe en urinant!), le coït interruptus, les pollutions nocturnes et autres déperditions : tout cela est souillure. Le sperme était considéré, comme les règles des femmes (la règle des 7 jours et la mikvah) comme terriblement impur. Les femmes ne pouvaient avoir ni esclaves ni chiens pour éviter toute tentation, c'est dire. Ce n'est donc pas une surprise si l'homosexualité est mal perçu et interdit. Le Deutéronome est donc bien clair : Il n'y aura pas de courtisanes sacrées parmi les filles d'Israël, il n'y aura pas de sodomie pour les fils d'Israël. Il faut cependant nuancer : le terme de sodomie ne désigne pas seulement l'homosexualité, mais en général, tout ce qui est impur, c'est-à-dire à peu près tout. Donc quand le Lévitique dispose que la sodomie est une abomination, ou encore quand Sodome et Gomorrhe est détruit (plus pour des raisons de non hospitalité que d'homosexualité en fait), il ne s'agit pas que d'une condamnation de l'homosexualité, en témoigne l'interprétation d'Origène.

Pour les premiers chrétiens, qui n'auront pas avant longtemps une vraie doctrine, puisque chaque évêché et chaque courant fera clairement un peu ce qu'il veut au départ, la condamnation de l'homosexualité n'était pas au départ une évidence. Les gnostiques, comme les tantriques hindous, estiment que la grâce divine s'atteint en jouissant et en buvant le sperme de ses amis dans une coupe. Saint-Augustin lui-même, pourtant grand pourfendeur de l'homosexualité, avoue en avoir été quand il été manichéen. Le culte de Mani était également favorable au culte de la semence et préférait une sexualité non fertile, estimant que le monde était trop imparfait pour être transmis. La chrétienté prendra un tour homophobe quand le courant paulinien, du nom de Saint Paul, deviendra majoritaire. Ce dernier, atteint d'une écharde dans la chair prônera une abstinence totale et si cette dernière était impossible, une sexualité uniquement dans le mariage. Pour ces chrétiens, l'homme viril est celui qui conserve sa semence en lui même. Les acètes chrétiens et l'essor de la vie monastique ultra homophobe (il s'agit d'éviter que les moines ne se trouvent dans la même pièce trop longtemps, dixit Basile de Nysse) participeront au durcissement des règles impériales romaines. Pour autant, il ne faudrait pas croire que les moeurs de la majorité des Romains change : l'homosexualité est très présente, et les histoires d'amour homosexuelles côtoient les premières persécutions, en témoigne l'amour entre Ausone et Saint Paulin, et même, tenez vous bien, la célébration de mariages homosexuels en plein Bas Empire! Et même pendant le Moyen Âge Barbare, malgré la mainmise de l'Eglise sur les consciences, l'homosexualité, bien que condamné et puni de mort, reste très peu de fait persécutée, et se répand aussi bien dans la société laïque que dans la vie des clercs eux-mêmes! Malgré l'existence d'une société de prohibition, l'hypocrisie était de mise, et rien n'a vraiment changé, jusqu'au XIIème siècle.

Le XIIème siècle : le tournant homophobe, puis la Renaissance Humaniste.

Le XIIème siècle est un siècle qui voit l'autorité royale gagner en puissance ainsi surtout que celui d'une Eglise réformée. La théocratie est peut-être plus forte à cette époque si bien que la sodomie ne constitue plus seulement un écart aux lois laïques, mais bien à la Loi de Dieu, à l'image de la sorcellerie et du satanisme. Dans une atmosphère antisémite, de lutte de pouvoir permanente, d'hérésies parfois pratiquantes de l'homosexualité (catharisme) et y compris d'anticléricalisme (pour les classes populaires, les homosexuels étaient surtout des prêtres) et puis après le choc mystique de la peste noire et surtout son choc démographique, la répression contre la sodomie prend en puissance. On se souvient bien sûr du règne de Philippe Le Bel, de sa haine de son gendre homosexuel Edouard II d'Angleterre et du procès des Templiers, en partie dissous à cause de prétendues pratiques sodomites (une sorte de bizutage plus ou moins fantasmé). En pratique, seuls les violeurs et les ennemis politiques des souverains étaient exécutés pour sodomie, mais l'arsenal répressif est clairement plus fort. Surtout, petit à petit, la bisexualité n'est plus vécu comme la norme et on perçoit le début d'un clivage entre la norme hétérosexuelle, et la marge homosexuelle. L'autre, le sataniste, le clerc, l'hérétique, l'ennemi politique : c'est le sodomite! Mais l'étude de ce siècle est passionnant demanderait trop de temps pour en comprendre bien le suc, il faut simplement retenir que quelque chose change à partir de ce moment là notamment dans l'opinion publique.

La Renaissance vient sans doute atténuer tout ça, notamment la redécouverte de l'art et des écrits grecs. L'Italie, surtout, est sans doute le lieu où la sodomie n'est punie que d'une simple peine d'amende, notamment à Florence. Montaigne atteste même avoir été témoin de mariages homosexuels dans des Eglises de Florence. En Angleterre, Jacques Ier, ouvertement bisexuel avec son amant Steenie, constate l'existence au sein des gentries de relations homosexuelles entre maîtres et domestiques. La littérature de Marlowe, de Bacon et même les Sonnets de Shakespeare témoignent d'une ouverture d'esprit plus humaniste. Surtout, les grandes découvertes permettent la redécouverte de sexualités non chrétiennes et donc un certain relativisme. De manière assez surprenante, l'amour à la grec démontre surtout des unions non égalitaires, interclasses. Petit à petit, en revanche, les détracteurs de l'homosexualité commencent à parler de l'homme inverti, du sodomite, comme d'un être efféminé. C'est surtout dans l'aristocratie cultivée et dans le clergé que se trouvent la majorité des relations homosexuelles, et cela explique peut être pourquoi l'homosexualité y est plus interclasse qu'ailleurs, l'union égalitaire n'y étant certainement pas la norme. On pourrait palabrer pendant des heures des amours de Léonard de Vinci ou de Michel Ange pour témoigner du vice italien, mais pour autant, les arsenaux répressifs non-italiens restent très sévères. Que ce soit dans le continent ou en Angleterre, dans laquelle Henri VIII punit de pendaison la sodomie (en volant la compétence cléricale par la même occasion), il y a une schizophrénie incroyable entre la loi et la pratique.

La Réforme et l'Homophobie

Les réformes protestantes sont peut-être les plus responsables de l'homophobie accrue de l'ère moderne, si bien par leur doctrine que par la société capitaliste qu'elles accompagnent. Si l'on n'oublie pas la dictature de Savonarole qui rétablit la peine de mort pour sodomie à Florence en rébellion ouverte contre les mœurs réputées dégénérées de la ville, la pensée de Calvin, Luther et Zwingli qui réclame une réforme morale, entre autre, des institutions cléricales n'est pas innocente à cette montée de l'homophobie. En lutte avec le peuple et les classes moyennes plus homophobes contre les clercs catholiques et aristocrates, corps dans lesquels la sodomie semble plus fréquente, ou disons plus visible, les congrégations protestantes luttent davantage contre ces pêchés. A Genève, quand Calvin impose une théocratie en fermant les tavernes, interdisant les jeux de carte, le théâtre et la danse, 30 sodomites sont exécutés. En Angleterre, pendant l'Interrègne (1649-1660), les protestants (quakers, presbytériens, congrégationnistes, calvinistes) vont également faire régner la terreur puis immigrer dans le nouveau monde après la restauration de Charles II, emportant avec eux l'homophobie protestante. Si la France échappe en théorie à cela, tant on sait que la cour de Louis XIV regorgeait de sodomites, en premier lieu duquel le propre frère du Roi "Monsieur", elle reste légalement très dure à cet égard. Mais le changement dans la structure économique des pays, plus capitalistes, font que l'homosexualité perd de la dimension interclasse pour devenir plus égalitaire. En Angleterre fleurissent les Molly Houses, lieu de rencontre des homosexuels du peuple et dans lesquels les autorités organisent des vastes opérations d'arrestations. Grande nouveauté également : les femmes s'affirment et on voit apparaître des femmes qui, se faisant passer pour des hommes, à l'image d'Henry d'Estiennes ou de Mademoiselle de Maupin, s'unissent à des femmes en cachette. Le monde moderne est en train d'apparaître avec ses propres perceptions de l'homosexualité. Ce qui est frappant est que c'est dans cette période que se marginalise encore plus la figure de l'homosexuel et où la bisexualité n'est quasiment plus visible, sauf dans les corps aristocrates. Cela est peut-être à mettre en rapport avec le fait que le mariage d'amour, l'explosion du recours à la prostitution féminine, le changement sociétal rend peut-être la chose moins "utile" pour le corps social et peut être moins supportable, par son ancien aspect classiste. Il n'empêche que le monde moderne n'a jamais autant permis la naissance de l'homophobie contemporaine, bien plus que le monde médiéval finalement.

Les Lumières et le monde moderne

Les Lumières, nourries de la redécouverte de la nature et d'une sexualité déchristianisée, estiment bientôt que le moteur de l'homme, dans la physiocratie, est la recherche du bonheur. Le matérialisme de Diderot, de La Mettrie ou de D'Holbach permettent de jeter un oeil nouveau sur les pratiques sexuelles interdites et sur lesquelles la chrétienté idéaliste avait jeté un voile pudique. L'hédonisme est redécouvert. Pourtant, les Philosophes ne s'illustrèrent guère par leur courage sur le sujet de l'homosexualité considéré par beaucoup comme contre-nature. Seul Jeremy Bentham et son formidable Essai sur la pédérastie ou encore Diderot estimeront que l'homosexualité, ne faisant de mal à personne et apportant du bonheur sans contrariété pour la société à ceux qui s'y adonnent, ne pouvaient être interdits par la Loi. Ce rejet des interdits moraux verra l'abolition du crime de sodomie ainsi que de la sorcellerie, du sacrilège et du blasphème en 1791 en France par la Révolution Française qui exportera par les guerres napoléoniennes sa vision libérale et amorale des choses. Pourtant, malgré cela, le monde anglo-saxon restera violemment homophobe tout le long du XIXème siècle malgré la montée du romantisme (Lord Byron, Oscar Wilde, etc) et la montée en puissance de l'Etat de Droit, si bien que l'abolition du délit d'homosexualité par les anglo-saxons resteront très tardifs aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, bien plus marqués par la vision protestante du monde. Bientôt, l'homophobie occidentale deviendra médicale, encore plus renforcée par l'épidémie du SIDA, et l'idée de la perversion sera peut-être le dernier avatar, dans la pensée freudienne et universitaire, de l'homophobie. Les années 2000 ont constitué le tournant de la lutte contre l'homophobie faisant de l'Occident la région la plus tolérante sur le sujet, et ce grâce à la révolution libertaire des années 60, aux mouvements LGBT, au Front de Libération Gay et aux luttes dans les pays anglo-saxons pour la dépénalisation. Il ne faut pas oublier la source franco-belgo-hispano-néerlandaise de la lutte contre l'homophobie, bien plus en pointe que ses voisins américains, anglais, italiens et allemands sur le sujet. Il est possible de se mettre à rêver d'un monde où le concept de sexualité binaire retombera dans l'oubli pour renouer avec son époque classique : mais peut-être est ce encore un mirage comme il y en a beaucoup eu sur la question, surtout face au monde musulman violemment homophobe et au monde colonial africain marqué par la dureté des lois britanniques.


Texte librement inspiré du très brillant livre de Colin Spencer. 

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