La Commune et les Communards : 72 jours pour des siècles de lutte.

 

La Commune n'a duré que 72 jours. A peine plus de deux mois. Pourtant, elle a inspiré tout le XXème siècle et il est évident qu'elle inspire encore beaucoup aujourd'hui, bien que de manière un peu plus marginale. La Commune, ou plutôt la République Autonome de Paris, a été lue et interprétée de toutes les manières possibles et elle démontre aussi, peut-être avant tous les évènements de la IIIème République la cassure profonde entre les deux gauches françaises : l'institutionnelle, garante de l'ordre établie, libérale, versaillaise et bourgeoise face à la révolutionnaire, populaire, socialiste, marxiste et libertaire. Evidemment, il ne faudrait pas simplifier à l'extrême ce qu'a été la Commune et il est certain que les deux camps ne sont pas homogènes et que la frontière entre ces deux gauches n'est pas toujours évidente. Pourtant, il faut bien dire que la Commune traduit une réalité qui ressemble de manière troublante à notre paysage politique actuel, peut-être plus que celui du XXème siècle. Malgré tout, la Commune divise profondément. La droite et le centre bourgeois y voient un magma informe de brigands de toute sorte, presque une insurrection criminelle, opposée à ce qui fait les piliers de leurs valeurs : la propriété, la religion et l'Etat. La droite fasciste y voit un proto-poujadisme voire même une révolte fasciste, ce qui est tout de même assez osé, sous prétexte que certains blanquistes (mais nous y reviendrons) ont rejoint Boulanger lors de son épopée populiste. La gauche marxiste y voit la première expérience du communisme tandis que la gauche libertaire et anarchiste proudhonienne y voit une des rares aventures anarchistes de tous les temps. Pour la gauche jacobine et montagnarde, enfin, aujourd'hui défendue par la France Insoumise, elle est une continuité de la Révolution de 1792. Paradoxalement, et c'est assez rare pour l'Histoire, personne n'a tout à fait tort, y compris ses plus acharnés détracteurs. Jacques Rougerie revient sur un épisode passionnant de l'Histoire Française, qui obsèdera jusqu'à Lénine lui-même, en relisant et en réétudiant les procès des insurgés.

La Commune : une réaction à la capitulation ?

Le 2 septembre 1870, la Bataille de Sedan abat définitivement le Second Empire. 

Dans une France nouvellement industrielle envahie par les troupes prussiennes, la République est déclarée. Un Gouvernement Provisoire de défense nationale dirigé par le Général Trochu et composé de douze députés Républicains s'installe à Paris et cette dernière doit supporter 138 jours de siège. 150 000 Soldats et Marins et 300 000 Gardes Nationaux défendent comme ils peuvent la capitale qui est bombardée par les troupes teutoniques. 

A ce moment, Paris n'est pas tout à fait une ville neutre. Extrêmement républicaine et surtout farouchement anti-cléricale, admiratrice de Hébert, le révolutionnaire déchristianisateur de 1793, elle est également remplie de Révolutionnaires qui se réunissent notamment à la Corderie, un Comité Central des 20 arrondissements de Paris et également par le nouveau mouvement ouvrier et travailliste, représenté par l'Association Internationale des Travailleurs et qui propagent les théories marxistes et proudhoniennes dans la France de la fin du XIXème siècle, propageant grèves et groupes syndicaux.

Alors que la France capitule, ces radicaux d'extrême gauche font propager le mécontentement dans la population populaire parisienne, notamment dans les Quartiers Rouges de Belleville, de la Roquette, de la Villette, de Popincourt, du XIIème, du XIXème et du XXème arrondissements. Pas question de capituler! 

Après les élections, Adolphe Thiers, surnommé à Paris "Foutriquet" et "Thiers Ier des capitulards", triomphe avec un mouvement politique clairement monarchiste, pacifiste et bourgeois. Pour le Peuple Parisien, il n'est pas question d'accepter ni la capitulation, considérée comme une lâcheté intolérable, et surtout pas le retour à une monarchie. Thiers, quant à lui, à Bordeaux puis bientôt à Paris puis Versailles, n'essaie certainement d'arranger les choses et enchaine les provocations. 

Bientôt, à Paris qui a envoyé à l'Assemblée 36 Républicains et qui méprise la France monarchiste rurale, le Garde Nationale Parisienne s'organise au sein d'assemblées et de comités de légion pour accoucher d'une assemblée centrale et d'un comité central, regroupant les deux tiers des effectifs de la Garde. Cette Fédération de la Garde Nationale, bien décidée à ne pas capituler et à ne pas accepter que le suffrage universel puisse remettre en cause l'idée républicaine, est bientôt rejoint par le Comité d'extrême gauche des 20 arrondissements et par la Première Internationale. 

Furieusement opposée à la politique d'Adolphe Thiers, le Comité Central n'accepte pas la venue des troupes républicaines légales et quand, le 18 mars, ces dernières tentent de récupérer les canons de la Capitale, les choses dégénèrent et des barricades sont élevées. Lecomte et Clément-Thomas, des gradés de l'Armée légale, sont exécutés. Les choses se tendent donc considérablement sans qu'il n'y ait d'ailleurs au départ une quelconque préméditation. 

Le 26 mars, des élections municipales sont initiées et le comité central est très à gauche : une majorité de jacobins nostalgiques de 1792 et une minorité de socialistes révolutionnaires internationalistes. Ces 80 élus (sauf Blanqui, un socialiste incarcéré et qui dispose de troupes fidèles) déclarent très vite la commune le 28 mars 1871. On choisit ce nom afin de faire référence à la Municipalité de Paris, bien entendu, mais surtout pour rendre hommage à la Commune Révolutionnaire du 10 août 1792 de Hébert, Marat et Chaumette et aux chartes communales médiévales, premières sources de droit pour les anciens serfs. 

Des émissaires sont envoyés dans toutes les grandes villes afin que l'autonomie communale se propage dans la France entière tandis que des Républicains modérés, comme Clémenceau, tentent au sein de la Ligue d'Union républicaine pour la défense des droits de Paris, d'intercéder avec le Gouvernement d'Adolphe Thiers pour obtenir le respect des libertés communales et de déclarer officiellement la République, mais rien n'y fait. L'affrontement est en route. 

Ni la Commune de Paris, ni le Gouvernement Légal de Thiers n'ont envie de céder du terrain.


La Commune : une politique révolutionnaire

Il est très difficile de produire un jugement de valeur sur une politique qui n'a duré que 72 jours, d'autant plus quand elle a été, et ce n'est pas méprisant que de la constater, faite par des amateurs en politique et une minorité agissante : les communards étaient des petits ouvriers, artisans, employés et les cadres y étaient exceptionnellement sous-représentés. 

La Commune de Paris est la synthèse parfaite entre l'idéal jacobin et l'idéal proudhonien : à la fois partisane d'une République une et indivisible dans laquelle les droits de l'Homme sont unanimement respectés, mais également une Fédération de communes autonomes, disposant de leurs propres assemblées délibératives, de leurs propres gardes nationales et de leurs propres lois. Paris se veut être la Washington des communes autonomes de la République Française. 

Son drapeau rouge, qui signifie l'égalité et non le sang, se veut le signe de ralliement pour les communes de Lyon, de Bordeaux, de Nantes, de Marseille et de Limoges qui ont bien failli rejoindre l'idée révolutionnaire mais qui ont fini par se ranger sous la houlette de la légalité défendue par Adolphe Thiers. Paris est donc toute seule à incarner un modèle de société absolument nouveau qui a à cœur de défendre non seulement l'idée républicaine, l'idée athée mais également l'idée socialiste. 

Des jacobins montagnards hébertistes (Beslay, Delescluze, ...), des blanquistes (Eudes, Grander, Rochefort) et des socialistes (Vaillant, Camelinat, Malon, etc) se côtoient et même si les deux premiers groupes dominent en nombre le dernier, il n'en demeure pas moins que la Commune initie une politique de gauche. 

La Déclaration au Peuple Français, écrit par un robespierriste (Delescluze) et un proudhonien (Pierre Denis), main dans la main, démontre l'ambition unificatrice. Très vite, dix commissions sont crées et pour chapeauter le tout, un comité de salut public est mis en place (une référence très nette à 1792, d'ailleurs très contestée par la minorité socialiste qui préférait le terme de Comité exécutif). 

Bien sûr, la désorganisation est réelle et la politique concrète du quotidien est largement laissée aux comités d'arrondissement autonomes. Pour autant, des règles de droit sont mises en place. Le Fonctionnaire ne peut pas avoir un traitement supérieur à 6000 francs, le mandat politique est impératif et révocable et contraste avec une Bureaucratie parfois lourde. 

Le Ministre de la Justice, Protot, abolit les serments professionnels, tente une réforme du code civil, impose l'élection des magistrats et proclame la gratuité de la justice, de la défense et même des actes de notaire et d'huissier. 

Edouard Vaillant, Ministre de l'Education Nationale, retire le droit d'enseigner aux congrégations religieuses et assure la gratuité et la laïcité de l'Education, en avance, et impose d'ailleurs une égalité de traitement entre les hommes et les femmes enseignants. 

Raoul Rigault, un athée invétéré de 24 ans, prend la tête de la police, arrête les notables et tente de moraliser la vie de Paris en interdisant les jeux de hasard, en fermant les maisons closes et en arrêtant les ivrognes sur la voie publique (ce qui démontre un certain puritanisme). 

La Commission du Travail, dirigé par Frankel, interdit les amendes et les retenues sur salaires, interdit le travail de nuit et réorganise promptement les ateliers d'ouvriers afin, et il ne s'agit pas ici d'expropriation, de mutualiser les forces de production pour faire concurrence aux grandes fortunes privées. 

Le Comité de Salut Public, à plusieurs reprises, autorise le report du paiement des loyers, interdit l'expulsion et empêche de mettre en gage des biens trop peu chers afin de lutter contre la pauvreté. 

Une Fédération d'Artistes, notamment dirigé par Gustave Courbet, déclare la libre expression de l'art. Très vite, la Commune ouvre tous les bâtiments publics de la ville et fait tomber la Colonne du Peuple de Bonaparte. 

Malgré tout, une certaine incompétence et aussi le manque de temps empêchent la réforme des banques, notamment du Mont de Piété, et la Commune continue à emprunter à la Banque de France qui, tandis qu'elle prête 20 millions de franc à la Commune, en prête 257 millions à Versailles. 

Economiquement, la Commune est donc un échec malgré la production de 2,4 millions de pièces de 5 francs, notamment dû au fait que les trois quarts des recettes sont envoyées à la Garde Nationale qui remplace l'Armée légale, interdite d'entrer dans Paris. 

Partout, les Eglises sont soit fermées, soit reconverties en des lieux populaires de débat et de fête, mais le culte continue et n'est pas arrêté pour autant. Les personnages les plus importants, comme l'Archevêque de Paris, sont arrêtés, même si, de l'autre côté, tous les anciens prisonniers politiques sont libérés. 

L'ennemi de la Commune ? Le Versaillais, le Bourgeois, l'Agriculteur conservateur, le parasite, le Chouan, le Clerc. 

La liberté de la presse est en outre proclamée et le Cri du Peuple de Vallès côtoie le Père Duchêne, ressuscité et hommage au journal d'Hébert. 

Les femmes se mêlent à la foule parisienne, libres, en habits de soldats et animent parfois des réunions, même si on est encore loin de l'égalité. 

La politique menée par la Commune laisse donc rêveur et l'on peut imaginer ce que cela aurait donné exercé plus de deux mois.

La Semaine Sanglante

Malgré des tentatives réelles d'apaiser les choses par des Républicains Modérés, Adolphe Thiers ne décolère pas contre cette Commune de Paris, considérée par les Bourgeois terrorisés comme des assassins en puissance et des apôtres du désordre. Le Décret des Otages, qui consiste à exécuter trois prisonniers si un communard était tué, n'arrange pas les choses non plus. 

Très vite, les Versaillais mettent sur pied une armée de 40 000 hommes dominés par des Bonapartistes et Monarchistes ayant organisé des excursions militaires au Mexique et en Afrique, ainsi que 6000 Volontaires de la Seine, prêts à toutes les atrocités. Face à eux, Paris ne dispose que de 40 000 hommes qui ne seront en réalité que 10 000 au sommet des combats. 

Dès le 2 avril, les combats commencent et les quartiers parisiens tombent les uns après les autres. Seules résistent les enclaves barricadées des quartiers rouges. Des martyrs se font comme Emile Duval ou Gustave Flourens. Louise Michel, la grande révolutionnaire, déclame dans son grand désespoir "Oui, je le jure, Paris sera à nous ou n'existera plus". 

Les communards utilisent l'incendie afin d'empêcher les troupes versaillaises d'avancer et c'est ainsi que le Palais des Tuileries, l'Hôtel de Ville et le Palais de Justice de Paris tombent en cendres. 

L'armée Versaillaise met en place des abattoirs et passe à la "moulinette à café" (la mitrailleuse) les individus suspectés d'insurrection. On parle au bas mot de 20 000 révolutionnaires tombés au combat : un bain de sang. Paris est bientôt libéré de l'emprise des communards. Le Gouvernement Légal d'Adolphe Thiers est sauvé.

La commune : et après ?

Le Gouvernement de Thiers, puis de Mac-Mahon, mettent sur place 24 conseils de guerre destinés à produire 50 000 décision de justice. 

Si 3500 communards marxistes se sont enfuis à Londres, 2500 sont partis en Belgique tandis que 1000 sont en Suisse (ils sont plutôt anarchistes) : il reste 34 952 hommes, 819 femmes et 538 enfants à juger. 

De nombreux hommes et femmes sont déportés en Nouvelle-Calédonie, notamment sur l'Île de Nou, quand ils survivent au transport. D'autres encore sont exécutés ou envoyés en prison. 

Quand, après Jules Grévy, la République l'emporte définitivement sur les Monarchistes, les Républicains hésitent d'abord un peu à amnistier les Communards de peur de faire fuir leur nouvel électorat rural, mais en 1880, grâce à Gambetta, ils sont amnistiés et certains des plus illustres, comme Louise Michel, reviennent à Paris.

 Tandis que certains se tournent vers le socialisme comme Benoit Malon qui fonde la Revue Socialiste ou Vaillant qui fonde avec Jaurès la SFIO, ou Camélinat le Parti Communiste, créant la gauche moderne, d'autres, plus rares, que sont les anciens blanquistes, des socialistes ayant mal tourné, suivront le Général Boulanger. D'autres encore, comme Rossel, rejoindront le camp bourgeois avant d'être exécuté en estimant que la Commune n'aura été qu'un ramassis d'incapables. 

La gauche internationaliste, elle, depuis 1872, est divisée désormais entre marxistes et proudhoniens, devenant alors irréconciliables. Si la gauche s'est longtemps recueillie devant le Mur des Communards exécutés, la mémoire semble s'être peu à peu détaché de cet évènement qui, alors qu'a frémit le Mouvement des Gilets Jaunes, est encore un astre qui illumine de sa grande audace les luttes à venir.


Texte inspiré par La Commune et les Communards, de Jacques Rougerie. 

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