La Prophétie de Ludendorff ou les secrets de la guerre la plus absurde de l'Histoire.


La Première Guerre Mondiale n'aurait jamais du avoir lieu. De sens, elle n'en a absolument aucun. Non seulement son début est absurde, mais sa fin l'est tout autant. Et pour ce qui est du milieu de cette guerre, je n'en ai pas trouvé une signification plus claire non plus. On sait avec certitude le bilan immédiat de cette guerre atroce, puisqu'elle a provoqué la mort de dix millions de personne, mais on connaît aussi son bilan à long terme : la montée des totalitarismes, la Seconde Guerre Mondiale, encore plus de morts et une situation géopolitique des plus odieuses. Mais il est très étrange que l'on en sache davantage sur les conséquences de cette guerre que sur ses causes profondes. De fait, il y a, dans l'absolu et observé à l'échelle macroscopique, aucune raison valable permettant de justifier une telle guerre. Ses causes sont sujettes à caution, son enclenchement reste un mystère plus ou moins opaque, sa longueur et sa cruauté ainsi que les millions d'hommes qui sont allés sans rechigner au front sont des mystères philosophiques tout aussi insondables. En fait, personne ne pouvait prédire une guerre pareille et pour cause, aucune Nation n'avait sur le long terme d'intérêt réel à combattre aussi longtemps et aussi intensément pour des intérêts qui n'en valaient sincèrement pas la peine. Mais, de manière plus intéressante encore, nous, les contemporains du XXIème siècle sommes à mille lieux de connaître cette période de l'histoire : à peine savons nous identifier quelques lieux communs comme les tranchées, les uniformes bleus, les mutineries et les baïonnettes ou pouvons nous citer certaines de ses batailles les plus épiques (Verdun, la Somme) et quelques grands noms de quelques grands généraux (Joffre, Foch, Pétain). Certains, plus téméraires, vous parleront sans doute des alliances et de son jeu pervers, des soi-disant "nationalismes" à l'œuvre ou même, s'ils ont l'esprit plus technique, de la révolution de l'artillerie et des chars d'assaut. Mais c'est à peu près tout. Pire encore, nous ne pouvons pas la comprendre intimement et dans notre chair : d'abord parce que tous les survivants de la Grande Guerre sont morts, et aussi parce que plus aucun citoyen n'irait se jeter dans un no man's land pour quelques centimètres de terre et une "Nation" dont nous savons aujourd'hui que ses intérêts ne sont pas toujours forcément les nôtres. 


Mais alors pourquoi ? Et c'est à cette question simple que je me posais qu'est venu répondre cet extraordinaire ouvrage de John Keegan, sobrement et logiquement intitulé La Première Guerre Mondiale.


Pourquoi la Grande Guerre n'aurait-elle dû jamais avoir eu lieu ?


Dans La Grande Illusion, Norman Angell explique qu'à l'aube du XXème siècle, la guerre est impossible. Comme Victor Hugo avant lui, ce philosophe pensait que des sociétés aussi interdépendantes que l'étaient les pays européens des années 1900 n'avaient aucun intérêt économique à se faire la guerre. Et pour cause, en 1914, la mondialisation est totale. Les sociétés capitalistes, toutes interconnectées par les échanges commerciaux et les divers investissements, n'ont jamais été aussi riches et propriétaristes. Les pays européens, sauf la France, ont tous vu leur population augmenter, en moyenne de 30% entre 1880 et 1914 pour devenir des marchés intérieurs de consommation conséquents. Tandis que la Grande-Bretagne et la France peuvent compter sur leurs immenses empires coloniaux pour leur rapporter par an environ trois milliards et 500 millions de francs, et réinvestir cet argent dans le monde entier (dans les chemins de fer de Russie, dans les mines d'or et de diamant d'Afrique du Sud, dans l'industrie textile indienne, en Afrique, en Indonésie, dans les fermes d'élevage d'Amérique et les champs de blé canadiens, ...), tous les pays européens s'industrialisent de manière rapide et conséquente. Les États-Unis, par exemple, représentent déjà le tiers de la production industrielle mondiale. Les banques centrales européennes, dont la plus puissante est la City de Londres, possèdent des fonds colossaux : la Grande Bretagne a 250 millions de francs de réserve, la France en a 950 millions (!), la Fed américaine 420 millions et la Reichsbank 406 millions. Pour appuyer cette incroyable richesse, il faut compter sur la révolution des transports, et notamment du transport ferroviaire. Tandis que les pays occidentaux possèdent déjà de chemins de fer vraiment performants, même la lointaine Russie parvient à construire la sienne. Sur les mers et dans les ports, les bateaux à vapeur accélèrent grandement les échanges. Loin d'être une mondialisation anarchique, les pays se sont dotés d'un droit des affaires et bancaire international, de tarifs douaniers contrôlés, d'un système de reconnaissance de brevets et de marque, y compris dans le cadre de la propriété intellectuelle. Ils ont aussi fondé une Union Agricole et les chambres professionnelles, dans tous les domaines, ont leurs propres organisations internationales d'entraide, y compris les actuaires, les comptables et les marins. Pour accompagner cette interconnexion économique, l'invention du télégraphe et de la poste permettent de communiquer plus rapidement. Là encore, des organisations internationales gèrent ces immenses champs de progrès comme l'Union Télégraphique Internationale, l'Union Postale Universelle, l'Organisation Météorologique Internationale et l'Union Radiotélégraphique Internationale. La concurrence entre Nations existe, bien entendu, mais paradoxalement leur profite car les innovations en sont la conséquence logique. Alors, on pourrait penser que cela ne veut rien dire, mais en 1914, l'Europe est à peu près autant connectée que nous, en 2021. L'argument de l'économie pour la paix n'est pas tout à fait un mauvais argument, surtout d'un point de vue de la rationalité, mais preuve est faite que cela n'est pas totalement suffisant.


En plus de cette argument économique, l'Europe est également connectée culturellement. Évidemment, elle est globalement et historiquement uniforme du point de vue de la religion. Outre l'immense Église catholique de Pie X, les églises protestantes (luthériennes, calvinistes, anabaptistes, ...) et orthodoxes diffusent une culture quasiment commune. Il ne faudrait pas non plus oublier l'enseignement global des même humanités aux élites de tous les pays européens, ainsi que la maîtrise pour toute personne éduquée d'au moins trois langues. Tandis que la Bourgeoisie est connectée, les peuples , eux aussi, ont leurs propres intérêts communs, et des liens internationaux qui en résultent. Les doctrines marxistes et libertaires sont internationalistes et travaillent ensemble, et ce depuis la Ière Internationale de Marx de 1864 et la IIe fondée à Paris en 1889. Elles permettent d'arracher à tous les pays européens des acquis sociaux : des impôts progressifs, l'abolition du travail des enfants, du repos et possèdent des Bureaux Internationaux partout en Europe. De la même façon, les sociétés européennes ont su plus ou moins s'allier pour lutter pour de grandes causes humanitaires : l'abolition de la traite et de l'esclavage notamment où les pays européens, menés par le Royaume Uni, ont su organiser des sanctions internationales et des expéditions punitives communes. Elles coopèrent contre la piraterie, contre la contrebande d'alcools et d'opium, concluent entre elles des conventions d'extradition, interviennent ensemble notamment pour aider la Grèce en 1827 ou le Liban en 1860 contre l'Empire Ottoman. En 1900, de manière incroyable, pendant la révolte des Boxers à Pékin, les Britanniques, les Français, les Italiens, les Allemands, les Russes, les Austro-Hongrois les Japonais et les Américains interviennent tous ensemble (!) pour calmer avec violence le désordre. En 1899, Nicolas II, le Tsar de Russie, propose même la création d'une Cour d'Arbitrage des conflits internationaux. Si son utilisation reste optionnelle, c'est tout de même pour un continent au bord de l'explosion une chose assez contradictoire. Il ne faut pas oublier non plus un facteur qui est loin d'être anodin : sauf pour la France et pour la Suisse, toutes les sociétés européennes sont des monarchies interconnectées par des liens matrimoniaux, à un point tel que les souverains sont quasiment tous cousins. Le réseau diplomatique, faits de consuls et d'Ambassadeurs qui réussissent à créer de véritable liens d'amitié entre les Nations, est aussi plus perfectionné que jamais. Vraiment, rien ne laissait présager que cela puisse voler en fumée. De plus, elles sont toutes bercées par les idées des Lumières, et ses modes de gouvernement.


Quelles sont les tensions à l'œuvre dans le monde européen en 1914 ?


L'Europe est évidemment touchée par des tensions nationalistes, comme cela a été le cas tout le long de son histoire, et ce qui a d'ailleurs fait sa force. Si la révolution industrielle a eu lieu en Europe et pas ailleurs, même dans des pays pourtant aussi riches intellectuellement (le monde asiatique et ottoman), c'est grâce à la concurrence entre les Nations. En effet, selon les théories économiques actuelles, l'innovation ne peut exister que dans une zone de concurrences, et compte tenu de la petite taille des pays européens, cette concurrence a été des plus fortes. En opposition à cela, l'immense Empire Chinois, pourtant tout aussi avancé que l'Europe, si ce n'est plus, dans toutes les sciences, n'a pas vu l'intérêt de passer à un système de type industriel. Le concept de Nation lui-même est le fruit de la Révolution Française et a été disséminé en Europe par les sourdes guerres napoléoniennes. Mais l'Europe a changé. La concurrence entre États Européens ne se situent plus vraiment sur le territoire de l'Europe. Les grandes puissances regardent ailleurs. La Grande Bretagne et la France ont des empires coloniaux colossaux, à l'instar d'autres pays qui ont des colonies moins importantes (Belgique, Italie, Portugal, ...). De plus, les Nations européennes sont également devenues des démocraties, même si les Empires Centraux n'en sont pas encore des parfaits exemples. Seule la Russie tsariste est une dictature réelle, assez tardive (elle n'a aboli le servage que très récemment) et c'est ce qui explique d'ailleurs ses guerres civiles et son ambiance prérévolutionnaire.


S'il y a tension, elle se situe évidemment à la date de la création de l'Empire Allemand qui fait sérieusement concurrence aux deux colosses que sont la France et la Grande Bretagne. En effet, l'Allemagne n'est plus la Prusse, qui n'était en fait qu'un État d'Allemands du Nord, mais un Empire qui regroupe tous les peuples allemands à l'exception des autrichiens. Cet État colossal tout neuf a la première population européenne, avec une conscience nationaliste marquée : une même langue et un même "sang". Cette nation "ethnique" s'oppose aux nations plus culturelles que sont le peuple français ou britannique. Puissant industriellement, il est aussi et surtout une puissance militaire terrestre plus que dominante. En 1866, l'Empire Allemand écrase l'Autriche-Hongrie. Plus grave, en 1871, elle humilie sa principale concurrente, la France, fait chuter le régime de Napoléon III et lui ravit l'Alsace-Moselle. C'est cela que la IIIème République Française ne pardonne pas à l'Allemagne. Le Kaiser, Guillaume II, ne se contente pas d'une suprématie sur terre et construit une flotte importante et surtout dernier cri. Cela irrite profondément la Grande Bretagne de George V qui possède la première flotte mondiale, la très puissante Royal Navy, et entend bien conserver sa suprématie sur les mers qu'elle maintient depuis plus d'un siècle. L'Allemagne est aussi devenue une puissance coloniale puissante : le Togo (entre la Côte d'or anglaise et le Dahomey français), le Cameroun, l'immense Namibie appelé le Sud-Ouest Allemand et surtout, et c'est sa prise la plus intéressante, la très riche Tanzanie, proche de la région des Grands Lacs et donc du Kenya anglais, du Congo Belge et du Mozambique Portugais. L'Allemagne est également présente dans le Pacifique où elle conquiert la Papouasie, les Îles Samoa, les Îles Salomon, les Îles Marianne et la région de Kiao-Tchéou. L'Allemagne tente même de ravir à la France le Maroc ce qui se soldera par un échec retentissant et par la conclusion de traités en 1905 et en 1911. C'est cette volonté de puissance que n'apprécient pas la Grande Bretagne et la France face à la puissance Nation Allemande qui aspire à beaucoup plus.


Cette impérialisme allemand, l'immense Empire Russe le craint aussi. Elle partage avec l'Allemagne une partie de la Pologne divisée en trois (une part pour l'Allemagne, une part pour l'Autriche Hongrie et une part pour la Russie). Ses possessions baltes et finlandaises sont truffées de propriétaires fonciers allemands et la Russie craint de perdre du terrain dans son propre Empire, d'autant qu'elle vient d'être écrasée par le Japon en 1905, et de subir cette même année une révolution avortée. D'ailleurs, la Russie tsariste de Nicolas II doit composer avec le puissant parti Social-Démocrate en son sein et avec un peuple remuant avide de droits démocratiques et sociaux. L'Allemagne lui fait donc diablement peur car elle peut être une puissance déstabilisatrice aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur.


Mais les principales tensions ne se situent pas ni dans l'Europe occidentale ni d'ailleurs en Russie, mais bien au cœur même de l'Europe dans la très fragile Autriche-Hongrie. Cet Empire colossal, fidèle de l'Allemagne, dirigé par le Kaiser François Joseph, compte plusieurs religions et de nombreuses ethnies dont les deux plus puissantes, et qui règnent sur les autres, sont les Allemands Autrichiens et les Magyars Hongrois. Les autres sont quasiment tous des Slaves : les Polonais, les Slovènes, les Slovaques, les Tchèques, les Bosniaques, les Croates et surtout les Serbes. Ces Slaves n'ont pas de pouvoir politique dans l'Empire contrairement aux Autrichiens et aux Hongrois. En effet, les Autrichiens et les Hongrois refusent de donner une place plus importante aux Slaves, terrorisés par un possible trialisme qui déstabiliserait selon eux l'équilibre de leur pouvoir. Pour autant, la majorité d'entre eux sont keisertreu, c'est-à-dire fidèles à l'Empereur. En fait, le problème vient du fait qu'à côté d'elle, tout au long du XIXème siècle, les puissances slaves balkaniques se sont battues contre l'Empire Ottoman. La Grèce parvient notamment à acquérir son indépendance en 1832 et est suivie par la Roumanie, la Bulgarie et finalement par la Serbie et l'Albanie. Forcément, face à ces nouvelles Nations fières d'avoir échappé au joug turc, les Austro-Hongrois ont craint que leurs propres minorités slaves se révoltent. De plus, il faut dire que ces puissances se sont battues entre elles. La Bulgarie, notamment, s'est vue privée d'une partie de son territoire à l'issue de la Deuxième Guerre Balkanique de 1913. La Serbie, le point le plus sensible des Balkans, est un pays de combattants claniques ultra-violent, n'hésitant pas à dépecer les cadavres de leurs familles royales et de leurs ennemis, se battant dans un pays sans route, en pleine forêt : elle constitue la bête noire de l'Empire austro-hongrois. Derrière ces Slaves libres et fiers, le fantôme d'une Russie panslaviste terrorise tout autant les Austro-Hongrois. Il y a aussi la toute nouvelle Italie, qui est une menace pour la Vénétie austro-hongroise.


Parlons d'ailleurs de l'Italie, car on s'en est beaucoup moqué. Versatile et incompétente : c'est à peu près ce que l'on a retenu de son passage dans la Première Guerre Mondiale. C'est un petit peu dur, d'autant que l'Italie a été une des régions où l'art militaire a été des plus brillants. Il faut là encore comprendre que l'Italie est un pays tout neuf uni sous le joug du Roi Victor-Emmanuel III. Il a fallu coaguler une partie de la péninsule absolument non-patriote, inexpérimentée et indisciplinée que sont les Italiens du Sud avec les riches italiens du Nord. Si les Savoyards, notamment, sont très bons, ils doivent encadrer une armée qui a tout à apprendre. En outre, les déboires de l'Italie en Libye contre l'armée ottomane a un peu vacciné le pays. Si l'Italie déteste l'Autriche Hongrie, notamment en rapport avec la Vénétie, elle n'est pas aussi nationaliste que les autres et son opinion publique semble curieusement être pacifiste.


Pour autant, malgré ces considérations nationalistes réelles, il faut mettre ces petites blessures en rapports avec les intérêts que les pays ont de ne pas entrer en guerre. Et si le rapport est fait bien justement, il est évident que tous les pays ont à perdre. Si les causes nationalistes existent, elles ne peuvent être considérées comme tout à fait satisfaisantes pour expliquer la boucherie qui va suivre.


Est ce que le concept du jeu des alliances peut expliquer la Grande Guerre ?


On a abusivement expliqué la Première Guerre Mondiale à une forme de jeu pervers d'alliances qui auraient fait tomber dans la guerre les pays les uns après les autres. Si ce n'est pas tout à fait faux, ce n'est pas non plus tout à fait juste. Ce que l'on a résumé caricaturalement à un affrontement entre la Triple Entente (Grande Bretagne-France-Russie) et la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) a au moins trois grands défauts majeurs.


1°) Ces alliances sont en fait loin d'être évidentes.


Si l'alliance entre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie est évidente pour des raisons autant ethniques que politiques, la fidélité de l'Italie à la Triple Alliance laisse beaucoup à désirer, notamment parce qu'elle n'a pas envie de faire la guerre, encore moins aux cotés de l'Autriche-Hongrie. Quand la guerre éclatera, elle se réfugiera derrière la clause du traité qui subordonne l'entrée de l'Italie en guerre à l'équipement de son armée pour ne pas guerroyer.


De la même façon, peut être un peu moins que pour les précédents, la France et la Russie ont un lien d'alliance indéfectible. Il n'est ici pas lié à des considérations d'appartenance commune ni à un amour particulier, bien que Poincaré et Nicolas II aient considérablement renforcé leurs liens diplomatiques, mais à un désamour commun : l'Allemagne. Les Français et les Russes savent que, seuls, ils ne peuvent pas faire face à la puissance allemande, ils ont donc besoin de l'attaquer sur deux fronts. Cette certitude explique pourquoi ces deux pays sont si liés. Mais quant à la fidélité de la Grande Bretagne, rien n'est moins sûr. Elle se gardera bien jusqu'en 1914 de donner un gage réel de solidarité ou de donner notamment la localisation exacte d'un éventuel débarquement, d'autant plus qu'elle est épuisée depuis la Guerre des Boers menée en Afrique du Sud. Il est d'ailleurs très probable que si l'Allemagne n'avait pas construit de flotte, la francophilie britannique aurait été nettement moins grande, d'autant plus que du point de vue colonial, la France est bien plus dangereuse que l'Allemagne.


2°) Ces alliances oublient de nombreux belligérants majeurs.


L'un des grands problèmes du concept de Triple Entente/Triple Alliance est qu'il oublie des belligérants majeurs.


Il oublie d'abord les pays du Commonwealth britannique (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) qui vont très vite entrer dans le conflit à la demande de George V, mais également, et surtout, les Etats Unis qui, s'ils entrent dans le conflit en fin 1917, ont déjà des concitoyens qui se sont engagés dans les armées britanniques et même dans la Légion Française.


Il oublie l'Empire Ottoman qui entrera dans le conflit dès la fin d'année 1914 au côté de la Triple Alliance et qui va particulièrement compter. En effet, l'Empire de Mehmed V a en horreur, comme l'Autriche Hongrie, les pays des Balkans qui lui ont infligé un sérieux revers pendant la Première Guerre Balkanique. L'Empire Ottoman a possédé pendant longtemps quasiment toute l'Europe des Balkans, et non sans grande violence d'ailleurs. Tout le XIXème siècle a été un magnifique combat des peuples des Balkans pour échapper au joug ottoman. Mais l'Empire Russe est également dans le viseur puisque la Turquie estime que le Caucase, possession russe, fait partie de son giron et que les peuples caucasiens sont ses frères. De la même manière, l'Empire Ottoman tient à garder le contrôle des détroits des Dardanelles et du Bosphore qui sont des détroits capitaux pour l'accès à la Mer Noire.


Il oublie précisément les Balkans. Si la participation de la Serbie est évidente, elle l'est moins pour les autres. La Bulgarie va entrer dans la guerre aux côtés des Puissances Centrales pour se venger de ses anciennes alliées des territoires qui lui ont été pris après la Seconde Guerre Balkanique, et que l'Allemagne a bien entendu promis de lui remettre. A l'inverse, la Roumanie et la Grèce seront tentées d'entrer en guerre avec la Triple Entente, mais nous en reparlerons. Seule l'Albanie conservera la neutralité.


Il ne faut pas oublier non plus l'entrée tardive de la Finlande et des Pays Baltes aux côtés de l'Allemagne, ni le Japon, qui en vertu d'un traité conclu avec la Grande Bretagne, entrera dans la Guerre du côté de l'Entente, ainsi que toutes les futures nations arabes anti-ottomanes, puis de l'Arménie, là encore du côté de l'Entente.


3°) Ils ne sont pas forcément opérants


Là où les deux systèmes d'alliances deviennent inopérants, c'est qu'ils donnent l'impression d'avoir un caractère d'automaticité. Or, rien n'indiquait que les pays allaient tenir leurs promesses. La défection de l'Italie, et les tergiversations de la Grande-Bretagne, en est bien l'exemple majeur.


Qu'est ce qui explique alors l'entrée dans la Première Guerre Mondiale ?


La réponse est peut-être beaucoup plus prosaïque, voire pragmatique, que l'on imagine. Il faut bien comprendre la structure militaire des Nations européennes qui, depuis Napoléon, fonctionne exactement de la même façon, notamment par sa constitution en divisions (environ 12 bataillons d'infanterie, 12 batteries d'artillerie, 12 000 fusils, 72 canons, 24 mitrailleuses et 1000 obus) et surtout par son étonnante imperméabilité entre le monde militaire formé dans certaines écoles et le monde politique ainsi que le monde diplomatique. Alors que jusqu'alors, et que même aujourd'hui, une opération militaire est forcément précédée, concomitante et suivie d'un âpre travail de diplomatie et de politique permettant de tout arrêter à tout moment, il n'en va absolument pas de même en 1914 si bien qu'il suffit que la guerre soit déclarée pour qu'elle soit inarrêtable, même si la diplomatie et les politiques en auraient décidé autrement, d'autant plus que les militaires prennent au moment de l'entrée en guerre les pleins pouvoirs.


Plus concrètement, il faut comprendre l'importance des plans militaires qui sont à la fois des stratégies théoriques mais surtout pratiques, destinées à une efficacité maximale et à une exploitation optimale des voies ferroviaires, et prévues des mois, voire des années, avant l'entrée en guerre. Les pays européens ont notamment appris depuis la guerre franco-prussienne que ce qui a tué la défense française face aux Allemands, c'est la mauvaise gestion de ses voies ferrés. Donc les militaires connaissent à l'avance, heure par heure, le fonctionnement des wagons, le nombre de soldats transférés à tel endroit à tel moment, et cette prévision extraordinaire ne permet pas de s'embarrasser de la diplomatie. Cela a conduit à ce que, alors que les pays ont déclaré la guerre plus par principe que par réelle envie de guerroyer, les plans militaires ont été mis en place avec une rapidité telle qu'elle était devenue inévitable, au grand dam des diplomates et politiques. La Grande Guerre a en fait dépassé les classes dirigeantes qui ont laissé aux militaires le pouvoir, et ce dans la grande positivité des conscrits qui sont entrés en guerre dans des scènes de liesse étonnantes. En fait, il y a de l'absurdité dans le départ de la guerre.


Le plan le plus intéressant est sans doute le Plan Schlieffen, du nom d'un militaire allemand qui a, bien avant la guerre, préparé l'hypothèse d'une guerre avec la France. Il ne verra jamais l'exécution de son plan puisqu'il mourra bien avant 1914. Ce plan est un exemple emblématique de ce qu'a pu être un plan militaire avant la Première Guerre Mondiale. Or, tout Plan est par nature défaillant et celui ci le sera comme les autres. Schlieffen part d'un constat simple : la France a une armée fragile mais est trop bien fortifiée. La Russie a une armée tout aussi fragile mais son territoire est trop grand ce qui ne permet pas de l'attaquer chez elle, mais a le mérite de rendre une attaque russe forcément tardive. La Grande Bretagne, elle, est insignifiante dans ce Plan. L'Autriche Hongrie est fragile mais alliée. Le Plan Schlieffen consiste à éviter le scénario cauchemar : à savoir se battre sur deux fronts. L'Allemagne doit donc envoyer 7/8e de son armée à toute force en France en évitant ses fortifications, c'est-à-dire en violant la neutralité de la Belgique. En la débordant par les Ardennes, l'armée allemande prendrait les Français à revers et prendrait Paris en 42 jours. Une fois la France vaincue, l'Allemagne renvoie ses troupes vers le front de l'Est où l'Autriche Hongrie affronte également les forces russes en Pologne. Les deux puissances pourront vaincre alors la Russie. Très minutieux, il est pourtant déjà défaillant, notamment par son manque de précision sur la guerre en France et parce qu'il ne prend pas en compte l'affluence sur les routes françaises. D'ailleurs, l'Autriche-Hongrie a beaucoup de mal avec ce Plan et Conrad Von Hötzendorf, le chef des armées austro-hongroises, va  plutôt prévoir de diriger deux tiers de ses troupes dans les Balkans, alors qu'un seul tiers irait combattre en Pologne. L'Allemagne réussira à la convaincre de suivre le Plan Schlieffen pour ensuite promettre de soutenir l'effort de guerre austro-hongrois au sud.


Côté français, Joffre a lui aussi envisagé un certain nombre de Plans. Les Français croient profondément impossible que les Allemands violent la neutralité de la Belgique. L'objectif est d'attaquer très serré et très rapidement en Lorraine vers l'Allemagne pour atteindre le sud de l'Allemagne. Ce qui est amusant et tragique, c'est que le Plan de Joffre est exactement le même que celui de Napoléon III. En effet, ce dernier, pendant la guerre franco-prussienne de 1871, avait envoyé ses troupes vers le sud de l'Allemagne pour tenter de convaincre les Bavarois et autres sudistes de se rebeller contre la Prusse. Mauvais calcul. Surtout, ce plan est un cadeau fait au Plan Schlieffen puisque si les Français attaquent la Lorraine, ils seront encore plus facilement encerclables. Pour autant, Joffre a le mérite de cultiver de très bons rapports avec les Britanniques. Et c'est sans doute ce qui fera son salut le jour de la guerre venue.


L'assassinat de François-Ferdinand : le jour où tout a basculé


Alors, il est donc évident que c'est en Autriche-Hongrie que la guerre commence. Empire contenant cinq religions et douze langues, il ne pouvait en être autrement. François-Ferdinand n'est pas seulement le neveu de l'Empereur, il est avant tout l'Inspecteur Général des Armées de l'Autriche Hongrie. Ce jour-là, le 28 juin 1914, le jour de l'anniversaire du Vidovdan, à savoir le jour de la défaite des Serbes face aux Turcs en 1389, François-Ferdinand est en Bosnie, occupée depuis 1878 et annexée à l'Empire en 1908 pour y commander des exercices militaires. Face a la magnifique Mer Adriatique, il se rend avec son épouse à Sarajevo, capital de la Bosnie, où l'attendent cinq hommes, quatre Serbes et un Bosniaque musulman, pour l'assassiner. Après un lancer de bombe ratée, Gavrilo Princip finit par tuer le couple à bord de leur véhicule. L'affaire fait évidemment grand bruit et cause un grand émoi en Autriche. Il aurait été établi, mais cela reste très sujet à caution, que les cinq terroristes pro-serbes faisaient partie de la Narodna Odbrana (Défense Nationale), liée à la Main Noire dont le chef Apis, serait en réalité Dragustin Dimitrijevic, le colonel commandant de la section renseignement de l'état major serbe. C'est précisément cela qui pousse Conrad Von Hötzendorf à envisager une expédition punitive vers la Serbie tant honnie. Mais cette volonté est battue en brèche par le refus de l'Empereur François Joseph et du Roi Hongrois Tisza qui craignent de fâcher les Serbes de l'Empire. Là où la grande erreur a été commise, et c'est sans doute celle ci qui déclenchera véritablement la guerre, c'est que pour appuyer son idée de guerre face aux récalcitrants et les prendre par devers eux, Conrad Von Hötzendorf va demander à l'Allemagne l'autorisation d'attaquer la Serbie. C'est exactement cette décision qui va mettre le feu au poudre. En effet, si l'Autriche-Hongrie s'était contentée de punir la Serbie localement, il eut été fort probable que la Russie n'intervienne pas, parce que cette dernière aurait bien perçu le caractère local, voire justifié, de la punition. Mais mettre l'Allemagne dans la course, c'est donner une envergure européenne au conflit.


Evidemment, le Kaiser Guillaume II donne son soutien inconditionnel (!) à l'Autriche-Hongrie. Le coup de force de Conrad est donc bien réussi. Tisza, toujours hostile à la vendetta, accepte l'idée d'une intervention à condition qu'un ultimatum soit d'abord soumis à la Serbie, et après que Poincaré soit rentré de Russie, pour éviter une réponse trop immédiate de l'Entente. Dès que Poincaré rentre en France, l'Autriche-Hongrie lance un ultimatum de 48 heures à la Serbie : elle devra punir les coupables et accepter que des austro-hongrois diligentent les enquêtes sur le sol serbe. Bien évidemment, cela est intolérable pour la Serbie. Pourtant, les services secrets britanniques et français, redoutant la guerre, poussent la Serbie à accepter l'ultimatum afin d'éviter que la poudrière des Balkans n'explose. Ainsi, tout aurait pu s'arrêter là si Nicolas II, le Tsar de Russie, n'avait pas tout à coup annoncé qu'il n'hésiterait pas à déclarer la guerre à l'Autriche-Hongrie si elle attaquait la Serbie. Cette dernière, qui allait accepter l'ultimatum, décide donc de dire non, au grand dam des Britanniques et des Français. A partir de là, une période de grande confusion et de grand emballement s'annonce. L'Autriche-Hongrie prépare la guerre de Serbie et des scènes de liesse ont lieu dans les Empires Centraux. Il semble un instant que la Russie s'apaise, puisque cette dernière veut engager des pourparlers avec la Serbie. De même, à Londres, Grey appelle à la mise en place d'une conférence pour régler la situation à l'amiable. Même l'Allemagne semble jouer double-jeu à ce moment très trouble. Mais le 28 juillet 1914, Berchtold et Conrad déclarent la guerre à la Serbie à cause de prétendus tirs aux frontières tandis que la Russie, forcément, déclare la mobilisation générale, avec l'assentiment assez curieux de l'Ambassade de France en Russie. En Allemagne, le Chancelier Bethmann-Hollweg et le Kaiser Guillaume II essaient de calmer le jeu mais le chef d'état major allemand, Moltke, déclare sans prévenir la mobilisation générale alors que les politiques voulaient apaiser les choses. Cette absurdité entraine la mobilisation générale de l'Autriche Hongrie. Le 31 juillet, l'Allemagne envoie un ultimatum à Saint Petersburg et à Paris : annoncez que vous ne ferez pas la guerre, ou nous vous estimerons en guerre. Joffre envoie alors une lettre au Ministre de la Guerre Messimy lui relatant toute son inquiétude. Pour une prétendue violation de l'espace aérien par la France, l'Allemagne déclare la guerre à la France et le 2 août, la France mobilise. Alors que personne n'y croit, ni le Tsar Nicolas II, ni Guillaume II, ni beaucoup de diplomates, les plans militaires sont lancés. L'Allemagne lance un ultimatum à la Belgique lui intimant l'autorisation d'entrer sur son territoire, ce que celle ci refuse au nom de sa neutralité. L'Allemagne lui déclare donc la guerre. C'est à ce moment là que la Grande-Bretagne envoie un corps expéditionnaire professionnel (la seule armée non conscrite) avec à sa tête sir John French en France pour honorer son serment, après quelques hésitations notables. Le monde est donc entré en guerre.. pour rien.


Plan Schlieffen et Plan Joffre : le début de la Grande Guerre


Le calvaire de la Belgique


La Belgique aussi, est un pays relativement "neuf" (1848). Créée à son corps défendant par un accord entre la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne, elle doit rester neutre et son territoire doit rester sans cesse inviolé. Et la Belgique, avec à sa tête le grand Roi Albert Ier, ne remettra jamais en cause son serment. Même quand la Grande-Bretagne lui demandera l'autorisation de rentrer sur son territoire pour prévenir la guerre, elle refusera. Mais le Plan Schlieffen est très clair : le territoire du plat pays doit être violé pour entrer en France rapidement. C'est Ludendorff, l'un des généraux allemands les plus talentueux, personnage récurrent de la guerre, qui sera chargé d'entrer en Belgique. Quand l'armée allemande rentre en Belgique, Albert Ier, plus que furieux, envoie son armée, certes faible mais vaillante, défendre le territoire. Trois forteresses sont levées à Anvers, Namur et Liège. Mais Ludendorff manœuvre bien et son artillerie fait très rapidement tomber Liège et Namur. Seule la ville d'Anvers tient le coup. Terrorisés par l'idée de francs tireurs belges, les Allemands vont commettre de nombreuses exactions en Belgique, assassinant femmes et enfants, notamment à Dinant. Louvain, qui est le lieu d'une des plus vieilles universités européennes, sera saccagée par l'armée allemande : 230 000 livres seront perdus. Mais Ludendorff est sans pitié et la première étape du Plan Schlieffen est un franc succès sous son commandement. Cette avancée rapide en Belgique démontre surtout que la défense par forteresse ne tient plus debout face aux artilleries et aux obus.


L'échec du Plan Joffre et la Bataille de la Sambre


Le Maréchal Joffre, soutenu par un Gouvernement d'Union Nationale (le Président est René Poincaré, le Premier Ministre est Viviani), dispose des pleins pouvoirs militaires. Il met donc tout de suite son plan en œuvre en attaquant la Lorraine dans laquelle il pense entrer facilement. Malheureusement, les VI et VII armées allemandes surprennent les Iere et IIe armées françaises et ces dernières doivent rapidement reculer. Seul Foch parviendra à tenir son avancée. Dans les Ardennes, la 3e division coloniale est massacrée par les Allemands. Ainsi, que ce soit en Alsace-Moselle et dans les Ardennes, les Français sont défaits, ce qui rappelle la rapidité de la victoire de la guerre franco-prussienne. Très vite, alors que les Français se replient devant la Sambre, les Allemands profitent de ponts déserts pour déborder les unités françaises et leur infligent une nouvelle raclée. Les choses sont donc très mal commencées pour Joffre.


La Bataille de Mons


Quand les Britanniques débarquent, ils sont bien meilleurs que les armées françaises et allemandes. D'abord, ils ont eu l'expérience de la guerre des Boers en Afrique du Sud et savent construire des tranchées profondes rapidement. De plus, ils ont un armement, le fusil Lee-Enfield qui est très efficace. En outre, c'est au départ une armée de métier expérimentée. Ainsi, contrairement aux Français qui échouent sur la Sambre, les Anglais menés par French remportent une belle victoire sur les armées allemandes à Mons. Pour 1500 morts Britanniques, il y en a 5000 Allemands. Mais cette victoire n'aura servi à rien : apprenant que Joffre a échoué sur la Sambre, les Anglais sont obligés d'opérer à une retraite à leur grande déception.


La Grande Retraite


La Grande Retraite des armées françaises et britanniques est un épisode assez affreux par son caractère humiliant, mais surtout parce qu'ils fatiguent les troupes qui marchent à pas rapide, au prix d'une douleur assez facilement imaginable (25 kilomètres par jour en moyenne avec de très lourds sacs sur le dos). De plus, French en veut beaucoup au commandement français de ne pas contre-attaquer plus rapidement, si bien que Lanzerac, l'un des commandants français, est limogé pour être remplacé par Franchet d'Esperey, plus énergique. Malgré quelques contre-attaques, les Allemands de Ludendorff avancent vite et bien. Paris est mise en état de siège et des explosifs sont même placés sur les ponts et la Tour Eiffel en cas d'entrée allemande : c'est dire l'optimisme.


L'échec du Plan Schlieffen


On est au 35e jour du Plan Schlieffen : Paris doit être prise au plus vite pour pouvoir retourner sur le front de l'est. La Iere armée de Von Kluck, la IIe de Von Bulow et la IIIe de Von Hausen ont un très net avantage et approchent dangereusement de la capitale. Mais les Français de Joffre et les Britanniques de French se ressaisissent. Les Taxis de la Marne sont réquisitionnés et les troupes retournent à la confrontation. C'est à ce moment là que le lieutenant colonel allemand Hentsch annonce que le Plan Schlieffen est intenable et qu'il faut se replier derrière la Meuse pour mieux appréhender la défense franco-britannique. Le chef de l'état major allemand Moltke ordonne donc que les Allemands, et notamment le génie civil, construisent des bonnes tranchées derrière la Marne et les rivières profondes de l'Aisne.


La course à la mer


Très vite, les franco-britanniques et les allemands cherchent à se déborder les uns les autres sans jamais y parvenir et ça, jusqu'à la Mer du Nord. Cet épisode, qui crée une ligne de front de 745 kilomètres entre la Mer du Nord et la Suisse, augure de la future guerre des Tranchées. A Ypres, les Britanniques attaquent les Allemands et leur infligent une douloureuse défaite tandis que les Belges sabotent les lieux pour inonder le champ de bataille. Cette bataille atroce qui fait s'affronter les Tommies anglais à de jeunes engagés allemands, bientôt appelés les Innocents d'Ypres en Allemagne, fait 24 000 victimes britanniques et 50 000 victimes allemandes.


Ce qui est frappant, c'est la similitude entre la guerre de 1870 et la première phase de la guerre de 1914. Sans les Britanniques, sans doute se serait elle terminée de la même manière, avec la prise de Paris. A ce stade, les plans Schlieffen et Joffre ont échoué. Le cauchemar des deux fronts devient réel pour les Allemands puisque comme prévu, au 40e jour, les Russes sont arrivés.



La Guerre sur le Front de l'Est


L'arrivée de l'armée russe et la victoire de Tannenberg


Les Russes arrivent donc au 40e jour en Pologne. Alors que toutes les armées allemandes sont encore à l'ouest, la VIIIe armée allemande de Max Von Prittwitz und Gaffrein voit arriver une armée russe extrêmement nombreuse avec un commandement très expérimenté suite à la guerre russo-japonaise de 1905. Mais les Russes ont aussi beaucoup de défauts : beaucoup trop de cavaliers et pas assez de fourrages, pas assez d'obus, un manque d'officiers formés et surtout une grande erreur tactique.


En effet, les deux commandants de l'armée russe, Rennenkampf et Samsonov, ont pour objectif de se séparer et d'attaquer l'armée allemande sur deux fronts. Mais alors qu'elles sont censées attaquer en même temps, elles vont se décaler si bien que l'armée de Samsonov arrivera bien trop en retard. Hindenburg, un commandant allemand très réputé et le très efficace Ludendorff, sont dépêchés sur place et vont former un réel duo de choc. A Tannenberg, l'armée de Samsonov est détruite par encerclement si bien que ce dernier se suicide. Rennenkampf, lui, résiste à la Bataille des Lacs Masure, mais autant dire que les Allemands ont mis une énorme claque à l'armée russe avec pourtant moins d'hommes.


Hindenburg et Ludendorff seront moins chanceux à la Bataille de Varsovie, mais qu'importe, psychologiquement, la victoire semble être de leur côté.


Une Autriche-Hongrie en grande difficulté


En revanche, pour l'Autriche-Hongrie, les choses se passent nettement moins bien. Divisée en trois armées, deux sont utilisées par Conrad von Hötzendorf pour punir la Serbie ce qui est une grande bêtise, non seulement parce que les Serbes combattent avec l'énergie du désespoir, mais parce qu'il faut aller combattre les Russes, et que pour ça, une armée, ce n'est pas du tout suffisant.


Cela n'est donc pas étonnant si à la Bataille de Lemberg, les Austro-Hongrois subissent une énorme défaite et sont obligés d'opérer à un gros repli face à l'armée russe. C'est d'autant plus problématique que l'armée austro hongroise est composée de Slaves qui sont certes dans leur immense majorité keisertreu, mais qui le sont moins que d'autres. Certains combattants serbes, tchèques et italiens qui sont nettement plus traînards ont tendance à obscurcir le tableau.


Lors de la Bataille de Limanova-Lapanow, l'Autriche-Hongrie lance une vaste contre-attaque contre la Russie et obtient une victoire. Mais l'armée austro-hongroise est déjà plus qu'entamée et ne remportera plus jamais une victoire sans l'aide de l'armée allemande et sans méfiance envers ses soldats slaves.


Le front de l'est s'étend donc lui aussi sur une très large zone, allant de Memel sur la Baltique à Czernowitz dans les Carpates.


1915 : l'année du désespoir.


La situation à l'Ouest


En 1915, les armées se retrouvent donc coincées dans des hypothèses auxquelles elles ne s'attendaient pas. Le nouveau chef d'Etat Major allemand, ayant remplacé Moltke, est Falkenhayn. Engagé sur deux fronts, alors que les Allemands ne voulaient surtout pas l'être, il décide de jouer défensif à l'est et offensif à l'ouest. Il sait que son allié, l'Autriche-Hongrie est déjà épuisée, et laisse ses ennemis politiques, Hindenburg et Ludendorff, gérer le front oriental. A l'ouest, les Français de Joffre ne remportent aucune victoire en Champagne. Les Britanniques de French, qui occupent désormais la moitié de la ligne de front au nord, croient réussir à surprendre les Allemands à Neuve-Capelle mais à cause d'une mauvaise communication et d'une contre-attaque allemande, ne parviennent pas à briser la ligne de front. La IIe Bataille d'Ypres est particulièrement crapuleuse car les Allemands utilisent du chlore qui empoisonnent des combattants algériens et zouaves. En effet, les Allemands rentabilisent leurs industries chimiques. Il n'empêche que l'année 1915 cause beaucoup de morts pour bien peu de résultats. Le Front de l'Ouest reste increvable.


Les guerres dans les colonies allemandes


Si les Allemands résistent bien sur le continent, ses colonies ne vont pas faire long feu. Les Japonais attaquent ses possessions dans le Pacifique et prennent Kiao-Tchéou. La Nouvelle-Zélande et l'Australie lui prennent la Papouasie. Le Togo est repris par les tirailleurs sénégalais venant du Dahomey Français (le Bénin actuel) et par les West African Rifles de la Côte d'or Britannique (le Ghana actuel). Les Britanniques, les Français et les Belges réussissent non sans mal à également faire tomber le Cameroun. En Namibie, dans le sud-ouest allemand, les Britanniques s'engagent mais doivent faire face à une révolte des Boers. Windhoek tombe néanmoins le 9 juillet 1915. Toutefois, en Tanzanie, alors que le Gouverneur Allemand cherchait à rester neutre, le brillant Lettow-Vorbeck, colonel allemand très talentueux, parvient à défendre son territoire et réussit même à envahir une partie du Kenya Britannique, tandis que les Indiens détachés meurent en masse à cause des épidémies. Seule cette colonie allemande parviendra à tenir le choc. Mais ces pertes ne sont guère étonnantes compte tenu des nombreuses possessions coloniales de la France et de la Grande-Bretagne.


La Guerre des croiseurs


La Guerre va également avoir lieu sur la mer. Alors que la Marine Impériale Allemande est concentrée sur la Mer du Nord en attente d'un affrontement avec la Royal Navy, 8 croiseurs hautement armés vont beaucoup faire peur aux Britanniques qui ont plus de bateaux, mais soit moins rapides, soit moins armés. Seuls les dreadnoughts peuvent rivaliser, mais ils sont peu nombreux à être mis en circulation. Circulant avec des charbonniers et des corsaires, ces croiseurs allemands vont brillamment se battre en haute mer. Le Emden, notamment, dirigé par Karl Von Müller fait énormément de dégâts dans le Pacifique et est coulé par un navire australien. Mais Müller, héros romantique dans son genre, va s'emparer d'une goélette, rejoindre l'Inde, atteindre le Yemen et prendre le train pour Constantinople. Von Spee, lui, dirige le Leipzig, le Dresden et le Nürnberg et attaquent les possessions françaises (les Îles Marquises) et infligent leur première défaite navale depuis un siècle à Cradock, l'amiral britannique, à Coronel. Von Spee va même pousser le bouchon jusqu'à aller attaquer les Îles Malouines, colonies britanniques, mais y rencontrera Sturdee qui fera couler sa flotte. Cette bataille navale, appelée la Victoire des Malouines, clôt la passionnante guerre des croiseurs au profit de l'Entente.


La Turquie et la Bataille de Gallipoli


Comme on le sait, l'Empire Ottoman va entrer en guerre avec les Puissances de l'Alliance. Mehmed V va même lancer un appel à la guerre sainte, demandant à tous les musulmans du monde de venir rejoindre son appel, ce qui ne fonctionne absolument pas, sauf peut être pour les Cipayes en Inde, preuve que le coup de la croisade, ça ne marche pas à tous les coups. Très vite, la flotte turque attaque Odessa, Sebastopol, Novossorik et Féodosia : des ports russes. L'armée turque se rend par ailleurs dans le Caucase pour contrer la Russie qui se voit donc obliger de combattre sur trois fronts. Les Britanniques vont pas mal œuvrer pour tenter de saboter l'action ottomane : d'abord via la Perse dont elle exploite le pétrole, puis via le Bahreïn et le Koweit pour atteindre la Mésopotamie avec succès. La Grande Bretagne va également pousser les Arabes à se révolter contre le dominateur turc, que ce soit en Egypte, en Palestine et en Jordanie : c'est la fameuse épopée de Lawrence d'Arabie. En Egypte, les Britanniques cherchent surtout à garder le contrôle du Canal de Suez et ce en rétablissant le protectorat sur le pays des pyramides, ce qui n'est pas réellement apprécié par le peuple égyptien. Là où les Turcs vont gagner une victoire décisive, c'est à Gallipoli, où va notamment s'illustrer le jeune Mustafa Kemal. En effet, le détroit des Dardanelles est stratégique, mais complexe d'accès : il mesure 50 km de long et à son niveau le plus étroit, 1 km de large. Très bien miné, les Turcs le gardent jalousement. Alors qu'Aristide Briand, le Ministère de la Justice Français et que Churchill, le chef de l'Amirauté britannique, rêvent de passer le cap, French et Joffre refusent, ne voulant se battre que sur le front de l'Ouest. Pour autant, des vieux cuirassiers britanniques, français, néo-zélandais et australiens vont tenter l'aventure, et notamment le croiseur Queen Elizabeth.


Comme on le sait, la Bataille va beaucoup faire espérer et est très bien préparée par Churchill. La Grèce offre même des troupes, et la Bulgarie, encore en pleine négociation avec l'Allemagne, les cesse en attente du résultat de l'aventure guerrière. Le 18 mars, 12 navires de guerre britanniques et 4 navires de guerre français, dont le Queen Elizabeth et l'Inflexible, ainsi que des croiseurs et des dragueurs de mines s'apprêtent à forcer les Dardanelles. Mais très vite, l'opération tourne à la catastrophe. Le cuirassé français Bouvet explose à cause de mines non détectées, si bien qu'un tiers de la flotte devient inutilisable. Comme si cela ne suffisait pas, des débarquements sont autorisés mais ils sont faits au mauvais endroit et par trop petit effectif. Les troupes turques massacrent alors les troupes australiennes (2/3 y sont restées). Cette défaite est une des plus rudes portées à l'Entente. Ses conséquences sont tout aussi catastrophiques : la Grèce ne s'engage plus, la Bulgarie reprend contact avec l'Allemagne et finit par accepter, contre rétrocession de territoires macédoniens, d'attaquer la Serbie. La Bulgarie bascule du côté des Puissances Centrales et ça, ce n'est pas bon du tout. Néanmoins, il ne faudrait pas exagérer la portée de la victoire turque. En effet, leur attitude envers les Arméniens et les Arabes, notamment des exécutions sommaires, leur apporte aussi des ennemis qui vont alors basculer petit à petit du côté de l'Entente. De plus, en attaquant le Caucase en plein hiver à -20°C, avec une seule voie ferroviaire et des routes enneigées, ils échouent à nuire aux troupes russes.


L'entrée en guerre de l'Italie


On le sait, l'Italie est à la base du côté de l'Allemagne et de l'Autriche Hongrie. Au dernier moment, elle refuse d'entrer dans la bataille. Tandis que l'Allemagne continue de promettre monts et merveilles à l'Italie, les puissances de l'Entente semblent plus convaincantes, surtout quand elles proposent des terres autrichiennes et turques, ses pires ennemis. Le Premier Ministre Salandra, le Ministre des Affaires Etrangères Sonnino et le Roi Victor Emmanuel III y voient en outre un moyen de moderniser l'Italie, alors même que l'opinion publique est la plus pacifiste d'Europe. Il n'empêche que par le Traité de Londres du 26 avril conclu avec la France et la Grande Bretagne, et contre le don des îles du Dodécanèse et le territoire autrichien tant rêvé, l'Italie accepte d'entrer au service de l'Entente. Le 23 mai, elle déclare la guerre à l'Autriche Hongrie. Si la flotte italienne vient donner aux franco-britanniques la possession pleine et entière de la Méditerranée, le problème militaire italien est toujours le même : des militaires ni formés ni motivés, sans équipement moderne, sans conscience nationale et devant obéir aux Savoyards. Mais la nomination de Luigi Cardona, le plus brutal de tous les chefs d'état major européens, n'hésitant pas à faire exécuter à la moindre lâcheté, et pourvu de droits constitutionnels majeurs, va aider l'armée italienne à mener ni plus ni moins que 12 Batailles sur l'Isonzo, et sur un terrain compliqué et escarpé, proche du Tyrol et des Alpes Juliennes. Mais l'Italie intervient au mauvais moment, l'Autriche Hongrie résiste assez facilement à ses attaques, et Cardonna limoge et exécute à tour de bras, épuisant ses propres troupes.



La Bataille décisive de Gorlice-Tarnow


Si les Austro-hongrois sont si à l'aise sur le front italien, c'est parce qu'avec les Allemands, ils ont infligé une très méchante défaite à l'armée russe. Et ce plan est sorti de la tête toute fraîche du chef d'Etat Major Falkenhayn qui, contre l'avis d'Hindenburg et de Ludendorff, préférant les bons vieux encerclements, a chargé Mackensen d'une mission : pénétrer profondément dans une enclave située entre la ville de Garlice et celle de Tarnow, de manière très rapide sur l'infanterie et avec une exploitation non moins rapide de l'artillerie. Cette technique nouvelle fait ses preuves et inflige une défaite terrible aux Russes qui ont déjà perdu 1 million d'hommes. Cette défaite force Nicolas II et Alexeiev à prendre le contrôle des opérations et à augmenter leur production d'artillerie.


Le désastre des Balkans.


Alors que la Bulgarie est tombée du côté des Puissances Centrales, que les Austro-Hongrois ont vaincu avec les Allemands l'armée Russe à Garlice-Tarnow et que les Turcs ont mis une méchante fessée aux puissances de l'entente à Gallipoli, la Serbie est dans une merde noire. Mais, désobéissant au Roi Constantin exigeant la neutralité, le Premier Ministre Grec Vénizélos, surnommé le Lion de Crète, accepte de rejoindre le camp de l'Entente si 150 000 hommes veulent venir à Salonique. Mais Constantin refusera encore et forcera Venizelos à reculer. Pour autant, Salonique est investi. Si Joffre, nommé Généralissime par le nouveau Premier Ministre Français, Aristide Briand, qui a renversé Viviani, n'était pas chaud pour envoyer des troupes en Grèce, le Premier Ministre l'y incite fortement sous la poussée des radicaux. Mais les troupes franco-britanniques à Salonique sont ravagés par une épidémie. Très vite, la Bulgarie, l'Allemagne et l'Autriche Hongrie font tomber Belgrade et 140 000 soldats serbes fuient dans les forêts pour arriver en Albanie, pays neutre, et prendre la mer. L'Autriche Hongrie s'empare dans la foulée du Monténégro. Autant dire que dans les Balkans aussi, l'Entente perd du terrain.


1915 est donc une année en demi teinte sur tous les fronts qui ne permettent absolument pas encore de préjuger de l'issue finale de la Grande Guerre.


1916 : La Grande Boucherie


Les stratégies guerrières


En 1916, les industries militaires ont énormément augmenté leurs productions en armes et en artillerie dans tous les pays. Les deux pays les plus productifs sont alors la Russie, qui avait fortement besoin d'obus, mais également la France, qui a mis ses femmes au travail plus que n'importe où en Europe. De la même manière, la conscription et la réserve militaire permettent d'agrandir les effectifs, notamment en Allemagne, en Russie et en France qui a, par exemple, augmenté son effectif d'un quart. Mais là où les choses changent aussi radicalement, c'est en Grande-Bretagne qui fournit également un nombre d'hommes bien plus importants.


Ainsi, si Joffre, qui mange deux heures chaque midi dans des beaux châteaux en arrière du front, reste en poste malgré une stratégie franchement mitigée, John French est limogé. Les autorités britanniques lui reprochaient une certaine compassion pour ses troupes et également une réelle incompétence. C'est le chef Douglas Haig qui prend sa suite. L'homme est particulièrement étrange en l'occurrence. Passionné de sciences occultes, prétendant suivre la voix de Dieu et avoir communiqué avec Napoléon via un medium, il sera particulièrement insensible au sort de ses soldats. De plus, alors que Joffre et French s'entendaient très bien, les relations avec Haig seront plus compliquées. Néanmoins, l'armée britannique occupe désormais la moitié de la ligne de front et son effectif est colossal. Joffre et Haig décident d'envisager une attaque sur la Somme.


Pendant ce temps là, côté allemand, Falkenhayn est toujours le chef d'état major malgré ses mauvaises relations avec les puissants Hindenburg et Ludendorff. Très visionnaire, il sent que la Russie ne va pas se maintenir longtemps dans la guerre. Son objectif est de déstabiliser la Grande Bretagne par l'envoi de sous-marins, les U-Boots, et de détruire systématiquement tout ravitaillement afin d'affamer l'île. Et pour encore mieux épuiser moralement les Britanniques, il prévoit de détruire la France par une offensive qui la videra de beaucoup de ses forces à Verdun : l'Opération Jugement. Son homologue austro-hongrois, avec qui Falkenhayn s'entend très mal, Conrad Von Hötzendorf, est obsédé par l'Italie de Cardona qui harcèle ses troupes sur l'Isonzo. Toujours occupé sur des fronts qui n'arrangent pas l'Empire Allemand, soit dans les Balkans, soit en Italie, Falkenhayn tente d'instrumentaliser au mieux une armée austro-hongroise assez fatiguée.


La Bataille de Verdun


La Bataille de Verdun, ou l'Opération Jugement, très tristement connu pour avoir été la plus grande boucherie jamais égalée de la Grande Guerre, pourrait se résumer par une stratégie simple : épuiser la défense française, la saigner à blanc et la massacrer à chaque contre-attaque. Falkenhayn, presque dans un jeu d'échec, impose un dilemme à l'armée française : ou perdre Verdun, ou perdre l'entièreté de l'armée. Il ne croit pas une seule seconde que Verdun puisse résister à l'assaut allemand qui est le lieu idéal pour forcer la ligne de front sur 12 kilomètres de large. Mais Falkenhayn est très mal tombé, car les deux chefs de la Bataille, Castelnau et Pétain, vont être absolument sans pitié avec l'armée française. On pourrait penser qu'ils tombent dans le piège de Falkenhayn, vu la boucherie qui dérangera même Joffre et Nivelle qui ont pensé à abandonner Verdun, mais pour autant, la défense française ne va pas plier. 20 millions d'obus sont tirés et 200 000 morts et blessés plus tard, l'Opération Jugement est totalement ratée. Falkenhayn se voit reprocher cet échec et cette boucherie inutile et ses ennemis allemands vont même jusqu'à lui reprocher des erreurs qui ne sont pas les siennes, mais celles de son prédécesseur Moltke, notamment l'échec du Plan Schlieffen. Face à Tannenberg et à Garlice-Tarlow d'Hindenburg et de Ludendorff, Falkenhayn ne fera plus long feu.


La Bataille de la Somme


Le cerveau de la Somme, bien que Joffre l'ait accepté, est une invention de Douglas Haig. Son plan est effroyablement simpliste : forcer la ligne ennemie coûte que coûte, et ce malgré une infanterie peu expérimentée et une artillerie peu précise. Son objectif est d'atteindre Bapaume, objectif absolument irréalisable et que ses propres hommes relativiseront. Après un très gros bombardement, 19 divisions britanniques et 4 divisions françaises fondent sur les tranchées allemandes. Mais la position allemande est plus que solide, leurs tranchées abris sont intactes suite à un bombardement raté, les barbelés n'ont pas été détruits et tout ça à cause d'une artillerie très mal coordonnée qui ne suit pas bien les avancées des soldats. Donc face à des soldats et à des barbelés en bon état, et surtout face à des mitrailleuses de haut vol, la boucherie est totale. Sur 100 000 hommes, 20 000 sont morts et 40 000 sont blessés. Il s'agit de la plus lourde défaite britannique de son Histoire. Cependant, s'il y a quelque chose à retenir de positif de la Bataille de la Somme, c'est l'utilisation de chars d'assaut, notamment Little Willie et Mother : ils n'auront malheureusement pas un grand impact.


Batailles navales et sous-marines


La stratégie de Falkenhayn est également de détruire en sous main les bateaux britanniques, français et italiens qui opèrent à un blocus sur la Manche, et ce grâce à des sous marins. Cela entraînera d'ailleurs le tragique épisode du Lusitania, un an auparavant, qui va traumatiser l'opinion publique américaine. Mais outre ses sous marins, l'Allemagne a une flotte neuve qu'elle ne peut pas encore utiliser. Elle a évidemment très bien exploité les progrès de la radio mais néanmoins, son code de déchiffrage a été craqué par les Anglais, ce qui ne va pas aider à manœuvrer intelligemment. De plus, elle souffre d'un territoire aux accès à la mer complexes, contrairement à la Grande Bretagne. Les Allemands ne cachent pas leur ambition maritime : ils veulent imposer un protectorat à la Norvège et installer des bases navales au Danemark et même en France une fois celle ci vaincue. La Grande Bataille Navale de Jutland, l'une des plus grandes batailles de tous les temps, commence par le déchiffrage par les Britanniques d'une manœuvre allemande au large de Jutland. Très vite, la Royal Navy engage un combat titanesque avec la Marine Impériale Allemande. Si les Britanniques gagnent clairement cette victoire, ils n'anéantissent pas pour autant l'ensemble de la flotte allemande ce qui fait dire au Kaiser que cette défaite n'est pas si grave. Pour autant, suite à Jutland, la flotte ne va plus tenter aucune bataille et les Allemands se focaliseront davantage sur ses batailles sous-marines.


Les victoires allemandes et turques dans les colonies


Après de lourdes défaites en 1915, l'Allemagne réussit à sauver l'honneur en conservant toujours la Tanzanie avec la brillante guerilla de Lettow-Vorbeck. Alors que Jan Smuts, ancien Boer reconverti à la Britannitude, lance avec deux colonnes indo-britanniques, une colonne belge et une colonne portugaise, comportant pas moins de 40 000 hommes une attaque face à une armée coloniale allemande de 16 000 hommes : le désastre est totale. Les Allemands pratiquent la guerilla, détruisent avec une grande habileté les ponts et surtout les épidémies ravagent les forces de l'Entente. L'Afrique Orientale Allemande n'est donc pas prise.


Les Turcs, quant à eux, ne parviennent pas à prendre le Canal de Suez et le Caucase. Pourtant, galvanisés par la Bataille de Gallipoli, ils battent les Britanniques et les Indiens à Toursend, faisant 10 000 prisonniers, ce qui est une grande défaite coloniale et une petite humiliation.


Le revirement de stratégie allemand et la chute de la Roumanie


Après les échecs de Falkenhayn, Hindenburg est nommé chef d'Etat Major des armées allemandes. Le duo qu'il a formé avec Ludendorff a été clairement plus efficace et il faut dire que les deux hommes vont faire prendre un tournant stratégique majeur qui menace clairement de faire prendre à la Grande Guerre une tournure bien plus désagréable. D'abord, malgré une victoire du Russe Broussilov sur la IV armée autrichienne, Ludendorff exploite le fait que des Allemands se trouvent dans les Pays Baltes et en Pologne, ce que les Russes n'arrivent pas à endiguer. Et surtout Hindenburg va brillamment manœuvrer pour faire tomber la Roumanie et s'assurer d'une victoire totale dans les Balkans.


La Roumanie était au départ de la guerre un pays neutre. Néanmoins, il est beaucoup plus proche, comme la Grèce, des puissances de l'Entente, notamment par sa proximité avec la Russie et son animosité avec la Bulgarie. Manipulée assez bêtement par les Français et les Britanniques qui lui promettent de lui remettre la Transylvanie, ce qu'ils n'ont pas l'intention de faire (en témoigne une clause secrète conclue entre eux), la Roumanie se lance dans la guerre alors qu'elle est tout bonnement encerclée, et que ni les Franco-Britanniques de Salonique, ni la Serbie vaincue, ni la Russie n'ont envie d'aller l'aider. Les choses sont encore plus catastrophiques quand la Roumanie fait le choix stratégique incroyable de ne pas attaquer la Bulgarie, mais la Hongrie! Très clairement, les Allemands, les Austro-Hongrois et les Bulgares atomisent la Roumanie en quelques jours, lui infligeant la terrible perte de 310 000 hommes, dont la moitié est prisonnière. La prise de Bucarest et surtout le vol par Hindenburg des ressources roumaines permettent à l'Allemagne de prolonger son effort de guerre jusqu'en 1918 : il s'agit donc là d'un réel coup de génie de Hindenburg, et d'une bêtise monumentale de la Triple Entente.




1917 : l'année du rabattage des cartes


Les nouvelles stratégies


En 1917, les choses changent radicalement dans tous les pays. On l'a vu, Hindenburg, est le nouveau chef des états majors allemands et a déjà particulièrement bien exploité sa place. La France, elle, remplace Joffre par Nivelle, ce qui est très mal compensé par un titre de simple remerciement. La Russie a un nouveau chef en la personne de Broussilov, seul commandant à avoir vaincu l'Autriche Hongrie et à tenir bon sur le front de l'Est. En Grande Bretagne, si Haig conserve son poste, le Ministère de la Guerre change. La stratégie de Nivelle et de Haig est toute nouvelle : une attaque coordonnée des Français sur le Chemin des Dames et une attaque des Britanniques/Canadiens à Vimy, près d'Arras. Quant à Hindenburg, il préfère ne pas jouer à l'offensive sur le front de l'ouest pour se concentrer sur les très bons résultats obtenus à l'Est. Sa nouvelle doctrine est celle du "Eingrief" : à savoir une défense minimale et un usage immodéré des mitrailleuses. De la même façon, il force les troupes allemandes à se retirer très légèrement derrière la Ligne Hindenburg, point supposé plus stratégique pour se défendre. En Autriche-Hongrie, François Joseph est mort en 1916 et est remplacé par Charles Ier. Cet Empereur irrite beaucoup les Allemands par sa tentative de négocier une paix avec les Français, mais les Allemands et Conrad Von Hötzendorf le rappellent rapidement à la réalité de la guerre.


Les Batailles de Vimy et du Chemin des Dames


Douglas Haig, lors de la Iere Bataille d'Arras, triomphe avec l'aide des Canadiens des Allemands et s'empare de la crète de Vimy et donc du Bassin de Douai. Si la contre-attaque va être particulièrement désagréable pour les Britanniques et les Canadiens, notamment en terme de vies humaines, la victoire est réellement une bonne chose. En revanche, sur le Chemin des Dames, les services secrets allemands sont parfaitement au courant de l'offensive de Nivelle, et dans le plus grand secret, 15 divisions allemandes attendent avec impatience l'assaut français. Von Lossberg utilise la méthode de la défense en profondeur : à savoir laisser les Français s'enfoncer facilement et leur infliger le coup fatal. La stratégie ne manque pas : les pertes françaises vont être énormes. Nivelle est immédiatement sanctionné pour son échec et est remplacé par Philippe Pétain.


Le mécontentement des armées et la grève militaire


Après ces dures et longues années de bataille, les militaires commencent à particulièrement en avoir assez, et ce partout, sauf peut être en Allemagne à ce stade. En France, 17% des mobilisés sont morts, presque 1 soldat sur 5, 33% des soldats venant des zones rurales sont morts et on compte 630 000 veuves de guerre en France. Si des allocations militaires sont versées aux familles endeuillées pour maintenir la paix sociale, le moral des troupe est au plus bas. Beaucoup commencent à refuser de retourner dans les tranchées. Ils réclament plus de nourriture, plus de repos (il n'en ont que 4 après 4 jours de bataille et 4 jours de réserve), plus de permissions et surtout une plus grande égalité sociale : l'engraissement de certains civils leur semble profondément insupportable. On a beaucoup utiliser le terme de mutineries, sauf que c'est proprement faux puisque la mutinerie induit une forme de prise de pouvoir. Or, jamais les soldats n'ont exercé de violence quelconque sur leurs officiers. On parle plus de grèves militaires. Pour autant, 3427 personnes seront traduites en justice dont 554 seront condamnés à mort. A côté de cela, Pétain, qui connaît l'épuisement de ses soldats par la censure militaire, va assouplir grandement le système des permissions, diminuer les assauts (ce que les Allemands, en mode défensif, ne remarquent même pas) et fait le choix de l'apaisement. Très vite, les Français et les Allemands vont rester tous dans une forme de défense en profondeur, en vivant et en laissant vivre, par pure lassitude. Pétain va même beaucoup agacer les Anglais qui commencent à comprendre que les Français jouent la montre et attaquent moins. Mais il en allait de la santé psychologique des soldats. En fait, il faut bien comprendre que les armées peuvent s'effondrer psychologiquement : ce sera le cas de la Russie et de l'Italie.


La sortie de la Russie de la guerre


S'il y a un exemple d'épuisement psychologique d'une armée qui s'effondre, c'est bien celui de la Russie. Cette énorme fatigue de soldats qui en ont assez de mourir pour rien est décuplée par le fait que Nicolas II démobilise les ouvriers qualifiés pour les remettre dans les usines, ce que les paysans ne comprennent pas. Très vite, on le sait, la Grande Guerre va provoquer en autre la Révolution Russe de 1917, et j'ai sur cette question déjà rédigé une critique à propos de la biographie de Staline. Il n'empêche que dans l'absolu, Kerenski, le chef du Gouvernement Provisoire bourgeois après l'abdication de Nicolas II et le refus de son frère Michel de monter sur le trône, mettant fin à l'Empire Russe, continue un temps la guerre. Il charge notamment Kornilov, un cosaque sibérien, de l'état Major. Mais quand, le 26 octobre, Lénine prend le pouvoir, il préfère afin de garder ses forces pour la guerre civile à venir demander un armistice à l'Allemagne, qui l'a d'ailleurs spécialement dépêché en Russie. Le Traité de Brest-Litovsk, conclu entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Bulgarie, la Turquie et la Russie cède à l'Allemagne un territoire énorme de 750 000 km carrés avec un quart de la population russe et un tiers des terres agricoles. Ce traité permet également à la Finlande, à l'Ukraine et aux Pays Baltes de se libérer du joug russe et de devenir indépendants. Ce nouveau coup de maître du duo Hindenburg-Ludendorff fait sortir la Russie de la guerre et permet un grand renversement des cartes, surtout qu'après la Russie, c'est l'Italie qui s'effondre psychologiquement.


La chute de l'Italie et la Bataille de Caporetto


Après 11 Batailles acharnées sur l'Isonzo, des bombardements d'obus particulièrement meurtriers et l'intraitabilité du chef de l'Etat Major Italien Cardona, l'Allemagne et l'Autriche Hongrie fondent sur l'Italie affaiblie. Dans l'armée allemande, Rommel participera et témoignera plus tard de ce qui s'y passe. Le coup est tellement fort, et l'épuisement psychologique est tel que des armées entières, notamment la 1ere Brigade de Salerne, se débandent et se rendent. 275 000 Italiens vont se porter prisonniers ce qui permet aux Puissances Centrales de prendre Venise. Cardona, furieux, fera exécuter tous les trainards soupçonnés de près ou de loin d'avoir participé aux désertions. Il sera finalement remplacé par un homme plus doux, Armando Diaz, et lors de la Conférence de Rapallo, les Français, les Britanniques et les Italiens se rendent compte que la situation est en train de dangereusement tourner en leur défaveur. Ce qui viendra sauver l'Entente, désormais sans la Russie, c'est la reprise de la guerre à l'Est, l'entrée en guerre des Etats-Unis et surtout l'utilisation des chars d'assaut.


La reprise des combats à l'Est


Alors que les Allemands ont pu transféré 50 divisions à l'Ouest, l'URSS joue à un jeu dangereux. Tandis que Lénine, qui a signé le Traité avec l'Allemagne, fait mine de laisser aux Pays Baltes et à la Finlande toute liberté pour prendre leur indépendance, les Soviétiques pilotent en sous main des forces de gauche radicale afin de susciter la révolution dans ces zones. En même temps, Ludendorff continue son effort de germanisation dans les Pays Baltes en s'appuyant sur la droite, particulièrement pro-allemande parce que composée de propriétaires fonciers allemands. Très vite, dans ces pays, des guerres civiles vont éclater. Dans les pays baltes, les révolutions de gauche sont écrasées par les forces allemandes. En Finlande, les choses s'avèrent plus complexes. Très heureux d'enfin accéder à l'indépendance, ils déchantent vite quand des Rouges opèrent à un coup d'Etat à Helsinki. Gustav Mannerheim, finlandais d'origine allemande, se replie au Nord avec 40 000 hommes. Les Rouges, eux, en ont 90 000. Pour autant, les Baltes pro-allemands, commandés par Von Der Goltz, viennent prêter main forte à Mannerheim et écrasent ensemble les Rouges. Le nouveau chef de Gouvernement Finlandais Svinhufrud accepte un traité de libre échange avec l'Allemagne sans condition et accepte que le Grand-Duché finlandais soit occupé par un Prince Allemand.


A partir de là, les bolcheviques vont commencer à se poser des questions. Paniqués, les Français et les Britanniques vont se rendre en Russie pour tenter de convaincre les Russes de reprendre l'effort de guerre. Léon Trotski, le chef de l'Armée Rouge, qui entend parler de certains mouvements de révolte en Allemagne face à la Guerre, veut pousser l'Allemagne à la reprise de la guerre pour ainsi forcer les ouvriers à opérer à une Révolution sur le sol allemand. A ce moment là, Hindenburg, paniqué, envoie une opération rapide et coup de poing qui détruit avec une facilité déconcertante les rares forces bolcheviques laissés aux frontières. Les Bolcheviques se rendent bien vite compte qu'ils ont d'autres chats à fouetter : la guerre civile qui va durer jusqu'en 1921, et qui va voir s'affronter l'URSS aux Britanniques, aux Français et aux Polonais, est sur le point de commencer, d'autant plus que l'Arménie et l'Azerbaïdjan viennent de former, comme l'Ukraine et la Moldavie, des Etats indépendants. Très vite, les Bolcheviques se rangent derrière le Traité de Brest-Litovsk et les Allemands les laissent tranquilles, ce que ne leur pardonneront jamais les forces de l'Entente qui participeront à la guerre civile aux côtés des Blancs, des tsaristes, des bourgeois et des mencheviks, avec l'échec qu'on connaît en bout de course. Mais cette période ambiguë a fait une belle peur à Hindenburg et à Ludendorff qui gardent pourtant un avantage stratégique.


La fin de la Grande Guerre et le grand retournement


L'entrée des États-Unis dans la guerre


Personne ne croyait à l'entrée des Etats-Unis dans la guerre. Ni les Républicains, ni les Démocrates n'y sont favorables et le Président Wilson avait dit lui même que la guerre n'était pas assez noble pour son beau pays. De plus, il croyait à une issue diplomatique pour la Grande Guerre, chose qui de fait n'a pas eu lieu. Mais plusieurs évènements viennent contrarier Wilson. D'abord, il y a ce fameux télégramme Zimmerman envoyé au Mexique et intercepté par les Américains. Ce télégramme proposait au Mexique le Texas, l'Arizona et le Nouveau Mexique si les Mexicains acceptaient d'attaquer les Etats Unis si ces derniers entraient en guerre dans l'Entente. A partir de là, ça commençait déjà très mal. Mais surtout, les sous-marins allemands coulent les bateaux commerciaux dans le cadre du blocus de la Grande Bretagne pour asphyxier le pays en cinq mois. Henning Von Höltendorff est le champion de ce genre d'exploits sous-marins. Mais quand les Allemands coulent le Laconia, dans lequel meurent deux Américaines, Wilson réagit immédiatement et demande au Congrès d'estimer que l'Allemagne vient de déclarer la guerre aux Etats-Unis. L'Allemagne, l'Autriche Hongrie, la Turquie et la Bulgarie sont considérés comme des belligérants. Le 18 mai 1917, la conscription militaire sélective est établie. Non seulement les Etats-Unis ont la deuxième flotte mondiale, mais environ 2 millions d'hommes à envoyer sur le front. Même si l'armée américaine terrestre n'est que la 17e armée du monde, avec des soldats assez mauvais sur le front (mais très enthousiastes) et un corps de Marines de 15 000 hommes seul vraiment efficace, l'apport de sang neuf est un apport stratégique.


Mais les Allemands n'y croient pas. Ils ne viendront même pas parce que nos sous-marins vont les couler. L'Amérique ne signifie rien, rien du tout, rien de rien disait l'Amiral Capelle, Secrétaire d'Etat Allemand a la Marine. Les Allemands viennent en plus de battre les Anglais à la terrible Bataille de Passchendaele, la 3e Bataille d'Ypres, et Haig a du mal à convaincre son Premier Ministre Lloyd George et Pétain de continuer le combat qui préfèrent ménager leurs troupes. Quand Haig autorise la tenue de la Bataille de Cambrai, c'est là aussi un échec et malgré des chars de très haute qualité, crées par Byng, Elles et Tudor, près de 300 n'ont pas vaincu les forces allemandes. Sans le savoir, ce sont ces chars d'assaut qui permettront la victoire finale, et les Allemands, qui ont construit les leurs, ont des chars d'une qualité bien inférieure. Malgré ces victoires, Hindenburg et Ludendorff ne sont pas naïfs. Ils savent que leur troupe est comme toutes les autres armées au bord de l'implosion psychologique, comme les troubles sociaux et les postures politiques de certains le laissent présager, mais ils savent aussi que l'apport de forces américaines est très dangereux. Le moment est crucial pour les Allemands : débarrassé du front de l'est, ils doivent attaquer non pas avec force, mais avec rapidité. Frapper très vite, ce qui annonce la future Blietzkrieg de la Seconde Guerre Mondiale, avec beaucoup d'hommes et avancer le plus possible avant que les Américains n'arrivent : voilà le plan de Hindenburg et de Ludendorff.


L'incroyable percée allemande ou le triomphe Ludendorff


A la Conférence de Mons, les choses sont claires. Il faut frapper vite, loin et avant que les Américains n'arrivent ou que les troubles sociaux et politiques ne s'aggravent. Les Allemands viennent de fermer le front de l'Est, ils ont une armée encore puissante, ils ont anéanti les forces italiennes et balkaniques. Perdre du temps, c'est perdre la guerre et l'avantage évident qu'ils détiennent. Plusieurs idées s'offrent aux belligérants. Certains généraux proposent de retourner à Verdun comme Wetzell et Von Der Schulenberg. Mais Ludendorff refuse : l'armée française est trop reposée, pas l'armée britannique. Il propose une autre alternative qui s'avèrera payante : attaquer par la Ligne Hindenburg vers Saint Quentin en plein sur les Britanniques. Cette opération est appelée l'Opération Michael. En plus, la Somme est défendue par l'un des plus mauvais commandants britanniques, le dénommé Gough, et Haig ne pourra pas réagir à temps. Ludendorff veut faire subir à Haig ce qu'il a fait subir à Cardona : un effondrement psychologique de l'armée britannique. Le 21 mars 1918, les Allemands frappent fort et percent avec succès et triomphe la ligne britannique. La 5e armée britannique est décimée. Ludendorff continue sa manoeuvre d'encerclement des troupes britanniques paniquées et petit à petit, le spectre du scénario catastrophe apparait : les armées britanniques et françaises commencent à se séparer, laissant Paris non défendue. Le rêve pour les Allemands.


Très vite, une conférence entre alliés présidée par le Président Poincaré et le Premier Ministre Clemenceau est tenue à Doullens. Y sont invités Pétain, Haig et Foch. La chose est claire, la guerre est en train d'être perdue. Tout le monde est au bord de la crise de nerfs. Pétain veut opérer à une retraite vers Amiens. Haig a la peur bleue de l'effondrement psychologique de son armée. On commence à s'insulter et les Alliés se disputent. C'est Foch qui sauve la situation en hurlant qu'il ne faut pas s'arrêter et ne pas reculer d'un kilomètre. Dans la foulée, il devient le Chef des Armées Françaises. Parallèlement à cela, les Américains sont très proches d'arriver. Un corps expéditionnaire est d'ailleurs déjà là. Il ne faut rien lâcher : voilà le mot d'ordre envoyé aux Armées. Haig enverra notamment son fameux ordre du dos au mur : on ne recule pas, on meurt plutôt de reculer. A côté de cela, Ludendorff est très satisfait de son effet. Le 5 avril, les Allemands sont à 7 kilomètres d'Amiens et exultent. Ils pillent les villages et perdent du temps. Ils sont en plus ralentis par d'anciennes tranchées et avancent doucement. Les Britanniques et les Français commencent à résister et Ludendorff doit s'arrêter et choisir une stratégie.


Le grand retournement


Ludendorff a deux choix qui s'offrent à lui. Soit continuer à pousser les Britanniques vers les Ports de la Manche et s'assurer une victoire définitive. Soit attaquer Paris. Alors qu'il aurait du s'en tenir à son plan initial, il fait l'erreur majeur d'aller chercher la capitale française. La 3e offensive du Chemin des Dames vers Soissons et Château-Thierry commence à peine que les Français et les Britanniques reviennent, revigorés et résistent. Ludendorff s'arrête et sent son armée faiblir. Il lance une 4e offensive mais échoue de nouveau. Pendant ce temps, l'épidémie de grippe espagnole, venant d'Afrique du Sud, ravage les populations civiles, et manque de chance, ravage une partie de l'armée de Ludendorff qui est au bord de l'effondrement psychologique. Mais Ludendorff ne veut pas abandonner car il sait que si la victoire n'arrive pas maintenant, elle n'arrivera plus jamais. Il est tellement sur de ça qu'il force des convalescents à retourner à l'armée pour servir le Kaiser. La 5e offensive est lancée sur la Marne, c'est la 2e Bataille de la Marne. Mais les services secrets français sont au courant et Mangin réussit à arrêter net la percée allemande. Ils doivent même reculer. A bout, Ludendorff doit en plus faire face à une contestation d'une partie de son armée qui lui demande de reculer, de démissionner, voire même de négocier. Dans les partis politiques, chez les civils et dans une partie de l'Etat Major, on commence à parler de négocier une paix. Ludendorff, hors de lui, comme Hindenburg, démissionne théâtralement. Mais c'est plus fort que lui, il y retourne avec des hommes épuisés, malades ou démoralisés.


Mais c'est trop tard. Les américains sont là et les chars aussi. Foch, Haig et Pershing lancent une offensive terrible qui force les Allemands à se replier derrière la Ligne Hindenburg. La percée de Ludendorff est inutile et les soldats allemands le remarquent bien. Lossberg supplie Ludendorff de se replier à 70 kilomètres en arrière : il refuse. John Pershing, avec ses sammies, attaque quant à lui Verdun. C'est là encore une victoire. Quand les Allemands découvrent ces nouveaux effectifs, nombreux et pleins d'énergie qui se battent comme eux quatre ans auparavant, c'en est terminé. Puis vient la percée du front d'Amiens par les armées françaises, britanniques et belges, "le jour noir de l'armée allemande". Ludendorff rentre dans une colère noire. Mais résigné, il va voir Hindenburg. Il constate que le front de l'ouest ne peut plus être tenu, que l'armée est épuisée, que l'armée ne veut plus se battre, que les civils ont perdu la foi et que les politiciens veulent la paix. Il faut se rendre à l'évidence : il faut demander l'armistice. Ils apprennent en outre que l'Autriche-Hongrie et la Bulgarie ont déjà commencé à négocier en secret. Le Kaiser prend acte de cela. Pour base de négociation, Guillaume II se fonde sur les 14 points du Président Wilson, dont l'un demande la démocratisation de l'Allemagne et l'arrêt de la Monarchie. Le Kaiser espère bien négocier une paix correcte et nomme Max De Bade, un ennemi personnel de Ludendorff, un homme modéré, voulant la paix négociée depuis longtemps et une grande figure de la Croix Rouge. Mais Ludendorff, en rage, voit que l'armée allemande résiste, qu'elle reprend du poil de la bête, et y croit de nouveau encore. Il fait la manche à tous les partis politiques, les exhorte de ne pas se soumettre à l'Entente et même publie un appel à la résistance des armées. De Bade, furieux, obtient du Kaiser qu'il force Ludendorff à la démission. Quand Hindenburg et Ludendorff sortent du bureau, Ludendorff ne rentre pas dans la voiture du chef des états majors et ne lui serre pas la main. Il dira, abattu dans sa chambre d'hôtel : D'ici 15 jours, nous n'aurons plus ni Empereur, ni Empire : vous verrez!.


La prophétie de Ludendorff et le triomphe de l'Entente


Ludendorff, héros romantique, avait raison sur toute la ligne. D'ailleurs, l'idée d'un coup de poignard dans le dos des politiciens et des lâches sera l'une des rhétoriques du nazisme. Personne n'arrive bien à croire, en Allemagne, que les armées ont perdu. Et il faut dire qu'elles ont quand même bien combattu. Pourtant, l'Empire Ottoman disparait : laissant apparaitre une Turquie, une Arménie, et autres pays arabes, y compris la Palestine, la Syrie et le Liban. L'Empire Austro-Hongrois est disloqué. L'Autriche devient un Etat Indépendant ainsi que la Hongrie. Les Tchèques et les Slovaques, après avoir trahi l'Autriche-Hongrie, obtiennent leur propre Etat : la Tchécoslovaquie. Les Polonais, eux, fiers, fondent leur Etat : la Pologne, et ils la défendront contre l'URSS aux côtés des Britanniques et des Français. Les Slaves de l'ancienne Autriche-Hongrie (Croates, Bosniaques, Serbes et Slovènes) fondent l'Etat des Slaves du Sud, la Yougoslavie. L'Italie, elle, récupère ses terres tant attendues.


Mais la défaite est la plus terrible pour le fier Empire Allemand. De Bade est renversé par un socialiste modéré, Friedrich Ebert. Dans les rues de Berlin, Karl Lieknecht et Rosa Luxemburg poussent les ouvriers à la Révolution. Le Kaiser quitte Berlin pour Spa. Le Kaiser est obligé d'abdiquer. A Rethondes, dans la forêt de Compiègne, les Allemands sont forcés d'admettre plusieurs choses impardonnables : l'évacuation de l'Alsace-Moselle, la démilitarisation de la Rive Gauche du Rhin, de Mayence, de Coblence et de Cologne. Elle doit abandonner toute armée, tout équipement militaire et toute sa flotte, qui est d'ailleurs sabordée par des marins révolutionnaires. Le Traité de Brest-Litovsk doit être renié, l'Allemagne est maintenue sous blocus et doit payer des dommages de guerres. Bientôt, le Traité de Versailles sera pire encore et amputera l'Allemagne de la plupart de son territoire. Humiliée, forcée à payer un tribut énorme qui la conduira dans la crise et dans la dictature nazie, le coup de poignard dans le dos ne sera jamais oublié et deviendra un cancer pour la toute nouvelle République de Weimar, déjà entachée d'un prétexte pour le coup d'Etat d'Hitler, dix-huit ans plus tard. Alors une guerre pour ça, une guerre pour rien. Des morts à n'en plus compter qui n'auront rien provoqué d'autre qu'une suite de siècle aussi calamiteuse que ses débuts. Bientôt, l'Occident s'embrasera pour une seconde fois. La France ne tiendra même pas un an.


   Critique librement inspirée du merveilleux livre de John Keegan, La Première Guerre Mondiale.

    Paul Staes.

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