Comprendre le pouvoir de Benito Mussolini

 

Et si Nietzsche avait su. S'il avait su que vingt ans durant, sa philosophie vitaliste et amorale règnerait en maître dans des pays de civilisation dite "avancée", s'il avait su qu'un conflit sanguinaire et terrifiant libèrerait les chaînes d'une violence brute qui n'est pas sans rappeler sa "volonté de puissance" et qui, après son réveil, connaîtrait un brusque avènement à peine contrôlé et pourtant diablement esthétisé, s'il avait su enfin que son Surhomme verrait quelques instants le jour pour finalement se noyer lamentablement dans les torrents de son propre sang en Afrique du Nord ou à Stalingrad, je ne sais pas ce qu'il en aurait pensé. Peut-être en aurait-il joui, d'un orgasme passager qui ne s'embarrasse pas des conséquences, comme souvent celui des penseurs irresponsables. Cette force surgissant de l'Histoire est appelée le fascisme. Et si le fascisme était une religion, Mussolini en aurait été son primordial prophète! Brute épaisse autant qu'esthète sophistiqué, de gauche comme de droite, anticlérical et confessionnel, pacifiste et belliqueux, austère et passionné : ce monstre de contradictions est à l'image de son mouvement dont il est l'allégorie, informe et terriblement palpable par sa brutalité autant archaïque que futuriste. Benito Mussolini est donc le premier. A bien des égard, il est même le tout premier. A ce titre, il m'intriguait, peut-être encore davantage que Hitler ou Staline, et pour des tas de raisons, parfois contradictoires. Un jour, une amie d'origine italienne m'avait confié qu'après avoir visité sa famille au pays, elle s'était rendue compte que trônait dans la demeure un portrait du Duce. L'impression que j'en avais était que si l'Allemagne s'était franchement dénazifiée, et repentie jusqu'à la moelle, il n'en était pas de même pour l'Italie. D'ailleurs, dans les consciences collectives, c'est Hitler qui est le visage du fascisme, pas Mussolini, que l'on a à mon sens tort d'oublier un peu vite. Alors, les différences entre les deux hommes sont, il est vrai, nombreuses et la biographie de Pierre Milza démontre que, contrairement à Staline, Hitler et même à Franco, Benito Mussolini avait un sens plus aigu de la compassion. Contrairement à ses compères, il semble avoir donné à la vie humaine une certaine valeur, surtout au début de son règne. Sa vie sentimentale et sexuelle, proche du Vaudeville permanent, a beaucoup participé à l'humaniser, phénomène d'autant plus renforcé par les sources qui ne manquent pas. Mussolini et ses proches ont beaucoup écrit. Ses opposants, aussi. Les archives italiennes sont largement plus prolixes que les archives nazies et russes, et la propagande fasciste (et antifasciste) n'a pas manqué de bombarder le Peuple italien de biographies et de correspondances plus ou moins autorisées. Loin de moi l'idée de relativiser ce qui n'est pas relativisable, à savoir la barbarie, mais Mussolini n'est pas Hitler : il faudra d'ailleurs revenir sur ces différences réelles qui sont à mon sens essentielles. En pensant à Mussolini, je me souvenais aussi de cette mystérieuse fin et de la manière dont son corps, ainsi que celui de sa maîtresse Claretta Petacci, a été supplicié, violenté et exposé par les Milanais révolutionnaires, dans une sorte d'exutoire macabre. Je comprenais mieux le choix d'Hitler de se suicider tout en veillant bien à ce que son corps et celui d'Eva Braun soient carbonisés avant l'arrivée des troupes soviétiques dans le Bunker berlinois. Et finalement, je me souvenais d'un Mussolini piètre chef de guerre, voire d'un guignol tragique, celui qui, en s'enterrant dans le bourbier grec, a fait perdre à Hitler les précieuses semaines dont il avait besoin pour mener à bien son invasion de l'URSS. Alors, entre le Premier Maréchal d'Empire, Duce du Fascisme et le César d'opérette à l'armée contestable, voire parfois ridicule, lequel choisir ? Ma curiosité s'en trouvait d'autant plus piquée au vif. La question qui m'obsédait, celle que je n'arrivais pas à m'enlever de la tête, était celle-ci : le fascisme mussolinien était-il vraiment un totalitarisme comparable à l'Allemagne Nazie ou à l'URSS stalinienne ? S'il est évident que pour des raisons d'abord pragmatiques, l'Italie a beaucoup moins tué que l'URSS ou l'Allemagne, la question se fait ressentir : y-a-t-il une différence de nature entre ces régimes ou une simple différence de degré ? La question est en fait de taille. Elle est même essentielle pour tenter de comprendre le traitement étrangement clément de la mémoire fasciste. 

Mais avant toute chose, et pour bien comprendre de quoi il est question, quelle est la différence entre une dictature et un totalitarisme ? Centrés sur l'Entre-Deux-Guerres, les historiens ont mis au point un modèle théorique et abstrait de "dictature ++" qui ne s'appliquerait qu'aux trois régimes stalinien, hitlérien et mussolinien. Tandis que la simple dictature se contente de détruire l'Etat de droit et la démocratie en persécutant l'opposition, en réduisant les libertés publiques et en concentrant entre les mains d'un seul les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, la société totalitaire a cela de particulier, qu'en plus de tout ceci, elle a une portée civilisationnelle : il s'agit pour elle de pénétrer les consciences et les esprits afin de les reformater, de les remodeler et d'accoucher ainsi une société nouvelle, au-delà du droit, de la morale et de l'individualisme, avec une nouvelle épistème (un autre référentiel culturel). Le totalitarisme cherche à recréer le monde à son image, par la force s'il le faut et au mépris de tout droit naturel ou de tout réalisme, car l'Homme doit être changé dans son intimité même, et ce sans égard pour tout contrepouvoir quel qu'il soit. La définition est nébuleuse. Les historiens ont donc dégagé des critères pour décrire ces régimes particuliers, critères qui doivent être cumulés obligatoirement. Le totalitarisme doit abolir la frontière entre la sphère publique et la sphère privée, subordonne l'économie à l'Etat, adhère à un suprématisme absolu de l'Etat sur les individus, organise un culte de la personnalité rationnel et irrationnel autour de son dirigeant, se dote d'une police politique puissante, encadre sa jeunesse, organise une religion laïque autour de cérémonies régulières, se dote de zones de non-droit destinées à concentrer ses opposants et ennemis, a un parti unique qui tend à dévorer l'Etat puis utilise la terreur comme moyen régulier de pouvoir. Tous ces moyens sont mis au service de la création d'un homme nouveau dans une société nouvelle. Le régime nazi et le régime stalinien obéissent à tous les critères. Certains historiens, comme Franz Neumann, estiment que le fascisme mussolinien en est également. Pourtant, et c'est intéressant, cette théorie ne fait pas l'unanimité. Fisischella, par exemple, parle de totalitarisme manqué. Plus sérieusement, Hannah Arendt elle-même fait de l'Italie fasciste une banale dictature nationaliste. En effet, quatre critères sont problématiques. D'abord, l'Italie n'a jamais eu de phénomène concentrationnaire contrairement aux goulags soviétiques et aux camps de concentration, puis d'extermination, allemands. Elle semble avoir recouru largement moins à la terreur pendant son long cours, tendant jusqu'en 1936 à s'embourgeoiser et à préférer la paix sociale à l'application stricte d'une idéologie. D'ailleurs, à part le génocide éthiopien, l'Italie fasciste n'a jamais massivement tué dans son propre pays. Les ennemis intérieurs existaient mais n'étaient pas traités aussi durement qu'ailleurs. Même après le tournant racialiste, les Juifs ont été largement épargnés par les fascistes italiens. Ensuite, le Parti, contrairement au NSDAP allemand et au Parti Communiste soviétique, s'est davantage fait dévorer par l'Etat que l'inverse. Finalement, et c'est peut-être le plus important, si le fascisme a bien tenté de mettre en place une société nouvelle et un homme nouveau, sa cohérence est très faible. Tandis que le nazisme avait son livre sacré, Mein Kampf, une idéologie précise et millénariste, mise en place clairement et sans contournement, Mussolini a largement navigué à vue, modifiant son idéologie au gré des circonstances. Sa boussole idéologique existait mais variait selon des nuances parfois très fortes. Pour autant, malgré ces différences, il semble tout de même un poil abusif de ne pas reconnaître l'existence d'un totalitarisme, surtout que finalement, le régime fasciste est le tout premier, et donc qu'il essuie quelque peu les plâtres de l'ultra droite. Mussolini a crée le fascisme et tous les régimes fanatiques d'extrême droite qui suivront se baseront sur l'expérience fasciste, y compris et surtout Hitler qui le rendra sans doute plus puissant et efficace qu'il ne l'était en Italie. Malgré tout, bien que moins abouti, le régime fasciste n'est pas un brouillon du nazisme, un premier essai raté : il a ses particularités idéologiques, ses propres ressorts et finalement ses propres caractéristiques de pouvoir. Retracer l'histoire du fascisme implique de ne pas tomber dans deux écueils : le déterminisme historique qui voudrait que le fascisme ne pouvait pas ne pas être, ce qui est tragiquement faux, ainsi que l'interprétation rétrospective et subjective. Pierre Milza s'en sort à ce titre brillamment. 


MUSSOLINI AVANT LE POUVOIR.

La naissance en Italie.

Benito Mussolini naît le 29 juillet 1883 en Italie. Cela mérite quelques développements car l'Italie est un pays récent. Avant le XVIIIème siècle, il ne serait jamais venu à l'idée d'un Toscan, d'un Vénitien, d'un Sicilien ou d'un Lombard de se sentir Italien. Contrairement aux deux vieilles Nations que sont la France et la Grande-Bretagne, il n'y avait à la base en Europe Occidentale et en Europe Centrale aucune autre Nation dans le sens que nous l'entendons aujourd'hui. S'il existe aujourd'hui des nations aux fondements très différents, ou ethniques ou culturels, il n'en allait pas de même à l'époque, et certainement pas en Italie. Quand Napoléon envahit la péninsule, il amène avec lui des idéaux jacobins issus de la Révolution Française, et à partir de ce temps là, la Nation italienne commence à germer dans certaines têtes nobles et bourgeoises en Italie. Après 1815, l'Italie est divisée en sept pays distincts. Le grand Royaume des Deux-Siciles côtoie les Etats Pontificaux et le Royaume du Piémont-Sardaigne. Le Grand Duché de Toscane, celui de Modène et de Parme bordent le Royaume de Lombardie-Vénétie, qui est sous le joug de l'Empire d'Autriche Hongrie. Il n'y a donc certainement pas de nation italienne à ce stade. Mais dès 1820-1830, l'idée d'une unification, de Risorgimento, ainsi que les idéaux des Lumières, traversent de plus en plus ces Etats. Après les évènements de 1830, la première date importante est le Printemps des Peuples Européens, en 1848, qui voit l'Europe s'embraser au nom de ces principes révolutionnaires. La France renverse la Monarchie de Juillet, la Belgique se démocratise, l'Allemagne se soulève, la Suisse aussi mais également la Pologne, la Hongrie ou la Roumanie. Mais, surtout, c'est en Italie que les peuples se démènent, avec la volonté de renverser les royaumes de l'Ancien Régime et éventuellement, de constituer un pays unique. Mais les révolutions sont réprimées dans le sang. L'Empereur d'Autriche fait enfermer dans le royaume lombard-vénitien les agitateurs et Ferdinand II, le Roi des Deux-Siciles, envoie l'armée sans état d'âme. Même le Pape, Pie IX, réprime durement les révolutionnaires. Dans les grands Duchés, les Autrichiens poussent à la répression. Les choses ne sont pas très joyeuses, sauf peut-être dans le Royaume de Piémont-Sardaigne, dont la capitale est Turin, et dont le Roi, Victor-Emmanuel II, issu de la Maison de Savoie, qui monte sur le trône en 1849, épouse les idées libérales. Il nomme en 1852 Cavour Premier Ministre qui modernise le pays, lui fait connaître la Révolution Industrielle, rétablit une armée forte, signe des accords de libre-échange et surtout aspire à l'unification italienne. Très vite, Cavour rencontre Napoléon III qui soutient l'idée d'une fondation d'une monarchie italienne fondée autour de Victor-Emmanuel II. En 1859, aidé des Prussiens et des Français, le Royaume de Piémont Sardaigne attaque l'Autriche-Hongrie. Après la Bataille de Magenta et de Solférino, Cavour parvient à annexer la Lombardie avant de démissionner. En effet, les Français ont trahi les Italiens et ont admis que la Vénétie reste dans le giron autrichien. Très vite, les grands duchés de Toscane, de Modène et de Parme refusent le retour de leurs souverains et adoptent la législation piémontaise. En 1860, les Piémontais envahissent les Etats Pontificaux et forcent le Pape à renoncer à ses territoires temporels. Dans un référendum, les territoires conquis approuvent leur rattachement à l'Italie. C'est d'ailleurs à cette époque que Nice et la Savoie votent le rattachement à la France. Très vite, le héros de la Révolution Italienne, Garibaldi, Républicain rallié à la Monarchie savoyarde, est envoyé en Sicile pour vaincre le Roi Ferdinand II. Le 14 mars 1861, les Députés venus de toute l'Italie votent la création du Royaume d'Italie, et Victor-Emmanuel II en est le Roi. Très vite, après que l'Autriche Hongrie perd la guerre contre les Prussiens en 1866, la Vénétie est cédée à Napoléon III puis à l'Italie. En 1870, après la chute de Napoléon III, les Italiens attaquent Rome et en juillet 1871, Rome devient la capitale du pays unifié. C'est donc une utopie toute neuve, triomphalement organisée par des Républicains courageux et la Monarchie de Savoie, qui voit le jour en 1861. 22 ans plus tard, Mussolini vient au monde dans ce contexte bien particulier. 

Mais l'Italie n'est pas cohérente. L'immense majorité du Peuple italien ne se sent pas italien et ne parle pas italien. D'ailleurs, en 1861, il y a 80% d'analphabètes dans le pays. Le suffrage est d'ailleurs violemment censitaire et la droite gouverne durement jusqu'en 1876. Les élites parlent l'italien, qui est en réalité du toscan, sont anticléricaux et nationalistes. Mais le pays souffre. Tandis que le Nord est développé économiquement, il n'en va pas de même du sud, quasiment pas industrialisé, sans ressources et région dans laquelle il n'y a aucun investissement. L'Italie s'étant faite autour du Piémont-Sardaigne, les mesures prises à l'encontre des agriculteurs pauvres du sud sont violents, quasiment coloniaux, ce qui cause un brigandage importante et le développement des mafias : la mafia sicilienne, la mafia napolitaine (la Camorra) et la mafia calabraise (la N'drangheta). Il faut ajouter à cela le fait que les terres du sud n'appartiennent quasiment pas aux Italiens pauvres (mais à des propriétaires fonciers ultra-riches) qui vivent quasiment comme des esclaves : on les nomme les bracciantis. La crise économique pousse les Italiens à émigrer massivement en France, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Autriche-Hongrie, en Allemagne, dans le Maghreb et même aux Etats-Unis et au Brésil. En 1876, jusqu'en 1896, la gauche arrive au pouvoir. Son socle sociologique est différent et est composé de fonctionnaires, de petits propriétaires, de professions libérales, eux aussi anticléricaux mais plus démocrates. Ces hommes votent la scolarisation obligatoire et font de l'instruction un droit fondamental, si bien qu'en 1900, il n'y a plus que 50% d'analphabètes. La grande Loi de 1882 élargit le droit de vote pour les hommes de 21 ans et gagnant 20 lires, mais cela reste 7% de la population. De manière générale, les Italiens sont plus pauvres que les autres habitants de l'Europe occidentale. Bientôt, c'est Giovanni Giolitti, un libéral piémontais ayant été Président du Conseil entre 1892 et 1893, Ministre de l'Intérieur en 1901, qui prend la tête du Gouvernement en 1903. Ce centriste stable va démocratiser largement l'Italie en acceptant les oppositions et en les incluant dans le système, que ce soit les Catholiques, en principe interdits par la Papauté de voter, et la gauche socialiste. Pour cela, Giolitti va les séduire. Pour séduire les catholiques, Giolitti maintient l'interdiction du divorce et garantit la liberté d'enseignement. Pour séduire les socialistes, il réglemente le travail de nuit, des enfants et crée les conseils prud'hommaux. On parle alors du néo-transformisme giolittien car ce dernier a cherché en ne réprimant pas les grèves et en débauchant des socialistes réformistes à moderniser profondément le pays. Il développe notamment l'hydro-électricité, pousse les investisseurs étrangers, notamment français, à financer l'industrie sidérurgique, chimique, navale et même automobile (Fiat). De vastes travaux publics sont initiés partout dans le pays. En 1912, Giolitti instaure le suffrage universel masculin pour tout homme, même si les analphabètes ne peuvent voter qu'à partir de l'âge de 30 ans, faisant passer le socle électoral de 3,3 à 8,5 millions d'électeurs. Néanmoins, malgré tout, le peuple italien reste pauvre avec un niveau de vie annuel de 2500 lires (contre 7500 en Grande-Bretagne et 7000 en France), la réforme agraire n'est pas faite, la disparité entre le nord et le sud est toujours palpable. Même si la malnutrition a baissé et que l'hygiénisme a fait grimper l'espérance de vie, les ouvriers peu qualifiés restent très mal payés, travaillant trop, ainsi que les femmes et les enfants. Ce terreau social n'est pas anodin. Il montre que l'Italie a été trop rapidement développée et surtout que le Nord est beaucoup plus favorisé que le sud. 

Une enfance de gauche dans la Romagne Rouge.

Le 29 juillet 1883, Mussolini naît donc à Predappio, dans la Romagne, près de Forli. La Romagne est de tradition républicaine, rouge et socialiste. Issu d'un milieu ni tout à fait populaire ni tout à fait petit bourgeois, Benito est le fils d'Alessandro Mussolini, un forgeron profondément de gauche et de Rosa Maltoni, une institutrice issue d'une famille plus aisée, fille de vétérinaire et catholique dévote. Alessandro est un homme très proche des milieux socialistes et notamment d'un des rares Députés, nommé Costa, à épouser les idéaux libertaires. Fiché comme dangereux pour la société et la sécurité publique, Alessandro est désigné pour représenter le village de Predappio au Congrès des Fédérations Socialistes à Bologne en juillet 1876. Conseiller municipal, il semble se modérer avec le temps sous l'époque giolittienne même s'il est incarcéré six mois puis acquitté à Forli. Benito est nommé ainsi pour rendre hommage à Benito Juarez, un révolutionnaire mexicain. Son petit frère qu'il aimait profondément, Arnaldo et sa petite sœur, Edvige, forment avec sa grand mère maternelle Marianne, son cadre de vie. La Romagne, magnifique campagne, offre au jeune Benito un terrain de jeu pour gambader dans la campagne et se chamailler, puis se battre, avec ses petits camarades. A 9 ans, Rosa le place à Faenzo, une école religieuse, dans laquelle il est semble-t-il révolté par les injustices organisées par les cléricaux sur le fils d'un révolutionnaire de gauche. Il se voit subir deux conseils de discipline : l'un pour avoir balancé un encrier au visage d'un de ses professeurs et un deuxième pour avoir poignardé au canif un de ses camarades avec lequel il se disputait. Viré de cet établissement dans lequel Mussolini était un révolté, il est placé à 11 ans au Collège Carducci, spécialisé pour les enfants d'enseignants, largement de gauche, mazziniste (du nom d'un révolutionnaire) et internationaliste, Mussolini y est largement plus heureux. Cela ne l'empêche pas de connaitre d'un nouveau conseil discipline pour un énième coup de couteau. Il n'empêche que Benito Mussolini est un enfant à très haut potentiel : il disserte bien, connaît le latin, l'italien et joue du violon. Il traîne déjà dans les milieux révolutionnaires et découche régulièrement. En 1901, Mussolini obtient une licence d'honneur lui permettant d'exercer en tant qu'enseignant. Taciturne, amateur de poésie, contemplatif et bagarreur, Mussolini a déjà une personnalité bien particulière. Mais là où les choses sont encore plus intéressantes, c'est que Mussolini semble développer très jeune un rapport aux femmes très effrayant. En effet, après s'être dépucelé avec une prostituée à Forli (La femme nue était entrée dans ma vie, dans mes rêves et dans mes désirs), il raconte avoir violé à Dovia en 1901 une jeune femme, Virginia B. Le récit de l'agression sexuelle est pour tout dire glaçant : La forteresse n'était pas inexpugnable (...). Je la pris le long de l'escalier. Je la jetai dans un coin derrière la porte et je la fis mienne. Elle se releva pleurnichante et humiliée, et m'insulta à travers ses larmes. Elle disait que je lui avais "volé son honneur". Je ne le nie pas. Mais de quel honneur parle-t-on?. Alors évidemment, il faut se garder de toute interprétation rétrospective et ne pas lier abusivement ce fait à ce qu'il deviendra ensuite, tout en prenant bien en compte que les rapports de séduction n'étaient pas les mêmes à l'époque qu'aujourd'hui. Pour autant, ce rapport au femme là, de la part de l'homme qui dira La foule, comme les femmes, est faite pour être violée, dit quelque chose du caractère brutal de Benito Mussolini, qui se voit d'ailleurs aussi dans ses conseils de discipline. Malgré tout, Mussolini est déjà dual : ce caractère brutal avoisine un côté poète, très assoiffé de littérature et d'écriture. Mussolini est en quelque sorte un double-personnage en un, capable de jouer du violon comme du canif. La question reste la même : est ce vraiment signifiant à ce stade ? 

De la misère de l'exilé à l'avènement du Socialiste Mussolini.

Malgré son diplôme, Benito Mussolini ne parvient que très tardivement à trouver un poste. En effet, il ne s'agit pas d'avoir un diplôme, encore faut-il réussir des concours internes et se faire recruter par des communes. Le jeune homme paraît très franchement désespéré Je n'ai vraiment rien en vue et je suis condamné à végéter. Douloureusement. J'attends. Quoi? Le pain. Viendra-t-il bientôt ? Je ne crois pas. Finalement, une ville socialiste, Gualtieri, engage l'homme qui, à cause de son accoutrement vestimentaire, est surnommé l'Homme en Noir. Engagé au Parti Socialiste Italien (PSI) contre les bourgeois qui, pour lui, ruinent l'âme socialiste, il vit une vie de débauché, faisant des dettes et s'engage dans une relation adultère avec Giulia F. Très vite, il est limogé un an plus tard pour ses multiples provocations et malgré de bons rapports avec ses élèves. Désespéré, l'homme veut s'exiler. Il semble vouloir aller aux Etats-Unis, mais pour une raison ou autre, il change sa destination et part en Suisse, sans un sou en poche. Ce pays, qu'il qualifiera de pays de marchands de saucisses dirigé par une canaille protestante, contient une grande diaspora italienne et surtout, accueille beaucoup d'exilés de tous les pays, d'obédience marxiste. Après un travail harassant à Orbe de manœuvre, pour lequel il travaille 11 heures par jour, payé 35 centimes de l'heure, il rejoint des socialistes italiens exilés en Suisse, pour désertion bien souvent, que sont Zannini et Mazetto. Très vite, il fait la rencontre d'une femme qui sera déterminante dans sa formation intellectuelle et avec lequel il va développer une amitié amoureuse platonique : l'ukrainienne Angelica Balabanoff. Margherita Sarfatti, la maîtresse de Mussolini, la décrira en des termes très durs : Elle n'avait pas le sens de l'humour, ni le sens du beau - par bonheur pour elle - sinon elle se serait jetée dans le puits le plus proche. Encore qu'elle n'eut pas de familiarité particulière avec l'eau. Ambiance. Au-delà de la jalousie évidente, il faut savoir que Mussolini et Balabanoff vont se brouiller et se vouer très rapidement une haine terrible. Pour autant, cette femme cultivée va notamment permettre à Mussolini de lire des ouvrages qu'il n'aurait jamais lu sans elle, centré sur l'économie politique et le marxisme. Benito Mussolini n'est pourtant pas, et ne sera jamais, un marxiste. Il fait plutôt partie d'une famille politique de gauche radicale opposée au marxisme étatique : le libertarisme anarchiste proudhonien. Mais au-delà de cette influence, Benito Mussolini est inspiré par le révolutionnaire français Blanqui et déjà par Nietzsche. Plus encore, Mussolini vibre au récit des aventures du Révolutionnaire Républicain Garibaldi. Ce fourre-tout idéologique, anarchiste, blanquiste et mazziniste, contient déjà en lui-même les racines de ce qui arrivera ensuite. Mais à ce stade, en Suisse, Mussolini est le Secrétaire du syndicat italien des maçons et des manœuvres, écrit des articles, lit et fait la tournée de la Confédération où il prononce des discours enflammés. Benito Mussolini hait la bourgeoisie et surtout l'Eglise. Dans un débat organisé avec le Pasteur Taglialatela, il pose une montre sur la table et laisse à Dieu cinq minutes pour le foudroyer sur place, ce qui fait sensation. Athée et socialiste, Mussolini a tout en apparence d'un homme de gauche radicale. Son but est d'organiser des grèves, qui sont bien suivies et bien organisées. Surtout, le Parti socialiste italien en Suisse tente d'opérer à la jonction des prolétariats, dans le sens de l'internationalisme : en effet, en Suisse comme en France, le racisme anti-italien est très fort, et les Italiens sont considérés comme des voleurs de pain, à cause de leur coût du travail "compétitif". Mussolini restera de juillet 1902 à novembre 1904 en Suisse, et sera expulsé deux fois. Bientôt, son exil prend fin. En effet, l'amnistie est prononcée pour les déserteurs et Mussolini rentrera en Italie. 

Le retour en Italie et le départ vers l'Autriche : le début d'une idéologie dérivante. 

Quand il rentre en Italie, Mussolini est amnistié pour avoir déserté. Il estimait que l'armée était l'école de l'obéissance aveugle. Il va tout de même faire son service militaire dans le Xème régiment des bersagliers qu'il finit par apprécier et dans lequel il se fait remarquer, malgré son fichage comme socialiste, comme un bon élément physique et intellectuel. Pendant ce temps, alors qu'il était revenu en Italie en 1903 pour veiller sa mère malade, celle ci décède le 19 janvier 1905, le jour le plus triste de sa vie. Il retrouve le 15 septembre 1906 un poste d'enseignant à Tolmezzo mais Mussolini a du mal à gérer la discipline dans sa classe. Il engage en outre une nouvelle relation adultère avec Luigia P et se lance dans le militantisme anti-religieux. Sa plume anticléricale, exercée sous le pseudo de Vero Eretico (Vrai hérétique), crache son venin dans Lo Staffilo. Pour toutes ces raisons, il est limogé, mais Mussolini trouve un poste de professeur de Français à Oneglia après avoir réussi assez brillamment le concours. Sur place, il a de nouveau une relation avec Giovanna Aneretti et s'allie avec les frères Serrati pour faire du militantisme socialiste. Mussolini s'engage notamment dans les luttes pour les bracciantis, les paysans pauvres de Forli, qui luttent contre la mécanisation de leur travail ainsi que les tentatives des fermiers, par un système d'échange de journées, de se passer un peu de leur labeur. Mussolini écopera de trois mois de prison, réduits à douze jours en appel. Mussolini est un révolutionnaire qui voue une haine féroce aux socialistes réformistes que Giolitti débauche régulièrement. Ces socialistes réformistes, ou minimalistes, représentés par Bissolati, Turati ou Kulischioff, ont réussi à obtenir un impôt progressif, une indemnité parlementaire etc … Opposés à eux depuis le Congrès de Bologne en 1904, les socialistes dominants sont les révolutionnaires maximalistes, auxquels s'identifie clairement Mussolini. Mais ils perdent leur hégémonie en 1909 après le Congrès de Florence. Surtout, en 1906, la CGL (Confederazione generale del lavoro), en principe anarcho-révolutionnaire, est dominé par les minimalistes et devient l'interlocuteur privilégié de Giolitti, au grand dam des maximalistes. Mais il semble que Mussolini commence à vriller intellectuellement, notamment d'abord à la lecture de Nietzsche. Il écrit notamment Et Nietzsche sonne le réveil d'un retour prochain à l'idéal. Mais à un idéal fondamentalement différent de ceux auxquels ont cru les générations passées. Pour le comprendre, viendra une nouvelle espèce d'esprits libres, fortifiés par la guerre, par la solitude, par le grand danger, des esprits qui connaîtront le vent, les glaces, les neiges des hautes montagnes et qui sauront mesurer d'un oeil serein toute la profondeur des abysses (...) des esprits dotés d'une sorte de sublime perversion, des esprits qui nous libèreront de l'amour du prochain, de la volonté du néant redonnant à la terre sa signification et aux hommes leurs espérances. Des esprits neufs, libres, très libres, qui triompheront de Dieu et du néant. Outre le fait que Nietzsche mène forcément à l'antimarxisme, ici, l'anticléricalisme de Mussolini se fait ambivalent puisque, au-delà même de l'existence de Dieu, c'est l'ensemble des valeurs chrétiennes qu'ont pu reprendre parfois dans leur forme laïque les socialistes qui sont visées : la charité, le pardon et l'amour. On commence à voir donc Mussolini, ce fils d'anarcho-syndicaliste mazziniste, jacobin et proudhonien se doter d'un nouvel attirail intellectuel beaucoup plus subversif, moins empathique. Benito Mussolini est pourtant très apprécié et est envoyé à Trente comme conseiller à la chambre du Travail dans les terres dites irrédentes autrichiennes que les nationalistes italiens convoitent. Il y rencontre Battisti le rédacteur en chef de Il Poppolo, se fait remarquer pour sa maîtrise de l'allemand et de la propagande. Il écrit notamment dans l'Avvenire del lavoratore et augmente les ventes de 50%. Mussolini fait la connaissance des œuvres du français Georges Sorel, un homme qui haïssait le capitalisme financier et qui appelait à la moralisation de la production. Il condamne profondément le réformisme mais aussi le parlementarisme et la démocratie. La violence est pour lui le seul mode légitime de lutte, ainsi que le plus efficace. Cette lecture n'a pas inspiré que Mussolini et une certaine gauche, mais également des journaux d'extrême droite nationaliste que Mussolini a plaisir à lire. Malgré tout, il n'est pas encore un homme de droite et reste attaché au blanquisme garibaldien. Les bêtes noires du futur Duce, caricaturés sur des médaillons, sont le spéculateur, l'usurier, le viveur, le magistrat, la femme honnête, le blasonné et l'homme sérieux. Pour autant, là où Mussolini vrille, c'est qu'il partage les mêmes références que les nationalistes qui déplorent une certaine décadence de la Nation, du positivisme et de la culture académique. Sa haine énorme de la bourgeoisie le rapproche d'eux mais également son amour de la Nation alors qu'il est de jure internationaliste. En Autriche, Mussolini se fait remarquer puis expulser après une aventure terroriste plus ou moins nébuleuse à l'encontre des emblèmes de François-Joseph. Il sera expulsé, sous les applaudissements de ses militants qui voient en lui un leader né en laissant derrière lui Ida Dalser, la bête noire de Mussolini avec laquelle il a eu un fils, Benito Albino, qui le harcèlera et se fera interner par lui en 1937. 

La consécration du camarade Mussolini. 

Quand Mussolini rentre fin 1909 en Italie, il retrouve Rachele Guidi, la fille de sa belle-mère, remariée à son père Alessandro, et à qui il a fait une promesse de mariage. Malgré le refus de ses parents, il organise une mise en scène un peu ridicule et vaudevillesque durant laquelle, devant le balcon familial en pleine nuit, il menace de tuer Rachele et de se suicider. Il finit par l'épouser et bientôt naîtra de leur union la flamboyante Edda. Sa relation avec la campagnarde Rachele ne cessera jamais et même si Mussolini aura une multitude de maîtresses, le fait que sa femme et ses enfants vivent toujours très loin de lui ne le dérangera quasiment jamais. Il écrira à la fin de sa vie qu'elle aura été la seule femme qu'il aura jamais aimé, ce qui est évidemment un joli mensonge. Fin d'année 1909, Mussolini se voit offrir le poste de Secrétaire de la Fédération socialiste locale, la direction du journal La lotta di classe et un poste de correspondant au grand journal socialiste milanais L'Avanti! Il a été choisi non seulement parce qu'il est le fils d'Alessandro, mais surtout parce que son socialisme révolutionnaire, son prestige, son charisme, son expérience internationale et le fait qu'il ne soit pas dans les conflits locaux font de lui le candidat parfait. Pendant trois ans, Mussolini a une méthode : la quantité des militants ne sert à rien et il vaut mieux privilégier la qualité de ceux ci. Comme Lénine, Mussolini croit en une élite de militants mieux à même de prendre le pouvoir car maîtrisant les références culturelles de ce dernier : c'est l'avant-garde du prolétariat. Il écrit : Le peuple se ramollit avec les bistrots, le bal, le bordel et le sport. Mais l'une des références de Mussolini démontre encore son écart, il cite ainsi Vilfredo Pareto et sa théorie du cimetière des élites. Pour lui, toute révolution amène la destruction d'une élite pour la remplacer par une autre, et l'Histoire n'est que ça. La violence est donc nécessaire et Mussolini exalte le terrorisme ainsi que le darwinisme social pour sélectionner dans ses militants les meilleurs d'entre eux. Mussolini perfectionne également son style oratoire, qui fait d'ailleurs dire dans le camp socialiste qu'il est fou, à cause d'un excès permanent du verbe et de l'écrit, des imprécations, de la recherche permanente de la formule blessante, de la grossièreté calculée et de références machistes fréquentes. Lors de l'attaque de la Cyrénaïque par l'Italie le 28 septembre 1911, Mussolini, avec le Républicain Nitti, prennent la tête d'un mouvement de grève général anticolonialiste ultra violent. Le décalage avec le Mussolini de 1914 est ici frappant. Il sera condamné à un an de prison ferme pour instigation à la violence, résistance à la force publique, atteinte à la liberté des recrues, sabotage des voies ferrées et des lignes téléphoniques ou télégraphiques. Cette peine sera ramenée à cinq mois. Libéré le 12 mars 1912, auréolé de gloire, il décide de grimper les échelons. Il va profiter notamment de la tentative d'assassinat du Roi Victor-Emmanuel III par Alba, un anarchiste, pour demander le renvoi de Bissolati, Bonomi et Cabrini, étant allés se recueillir comme des taons démocrates qui ont été nos parasites auprès du Roi. Le 7 juillet 1912, au Congrès de Reggio Emilia, soutenu par Lazzari, Serrati, Lerda et Balabanoff, il fait exclure les réformistes du Parti qui fondent alors le Parti Socialiste Réformiste (PSR). Mussolini devient alors le Directeur de L'Avanti! et nomme Angelica Balabanoff, son amie, comme adjointe. Ensemble, ils chassent les réformistes du périodique et font bondir les ventes de 20 000 à 100 000 exemplaires. Le PSI lui-même passe de 30 000 à 50 000 adhérents, et son groupe parlementaire passe de 41 à 52 Députés. Payé 500 lires par mois, Mussolini sort enfin de la pauvreté à 29 ans. Il fait également la connaissance de la journaliste tenant la rubrique artistique de L'Avanti, la juive Margherita Sarfatti, épouse d'un avocat socialiste, avec qui il va commencer à vivre une passion immense. Mussolini est accusé par Turati de ne pas être marxiste et d'être un représentant attardé du vieux jacobinisme blanquiste recrépi aux couleurs du vitalisme nietzschéen, ce qui est bien trouvé. Mussolini tente de prendre le contrôle d'un syndicat authentiquement anarcho-syndicaliste, l'Unione sindicale italiana (USI), mais ce dernier veut rester indépendant. Pendant la querelle, Mussolini est vraiment soutenu par le Parti. Lors du XIVème congrès du 24 avril 1914 d'Ancône, Lazzari est le chef du Parti et Mussolini numéro 2 du Parti. Les francs-maçons sont exclus et lors de la Semaine Rouge, pendant juin 1914, Mussolini participe activement sous les condamnations du PSR et de la CGL. Si la situation se tend, c'est qu'en 1914, Giolitti a laissé sa place à Salandra, un conservateur bourgeois autoritaire et violent qui crée des compagnies disciplinaires. Pour autant, Mussolini est une tête de premier plan sur la scène politique italienne, et pourtant, il va détruire toute sa réussite après le grand schisme de 1914.

Le grand schisme de 1914. 

Je ne reviendrai pas sur les circonstances exactes de l'entrée en guerre des pays européens, étant donné que je l'ai déjà fait dans une synthèse sur la Première Guerre Mondiale. Simplement, alors que l'Italie s'était engagée auprès de la Triple Alliance, à savoir le Reich Allemand et l'Empire d'Autriche Hongrie, elle se retranche derrière une fausse excuse pour ne pas rentrer dans la guerre, pour au moins deux raisons : l'opinion publique est massivement pacifiste, et d'autre part, les Italiens n'ont pas tellement envie de s'engager aux côtés de l'Empire austro-hongrois à cause du problème des terres irrédentes. De manière écrasante, les partis socialistes et catholiques veulent rester neutres : on a parlé du concept de neutralisme. Mais parfois, il faut bien l'avouer, le neutralisme, de Giolitti notamment, cache une sympathie pro-allemande. Le PSI fait violemment front pour rester neutre et Mussolini, en tant que directeur de l'Avanti!, et en tant que numéro 2, doit également faire bonne figure en ce sens. Mais des pans entiers de la population italienne souhaitent entrer en guerre, formant un lobby de plus en plus puissant. Les nationalistes, d'abord tentés par honorer les traités de la Triple Alliance, puis ensuite séduits par l'aventure auprès de la Triple Entente, pour des raisons territoriales et morales - il s'agit de réarmer les esprits - veulent entrer en guerre. Le mouvement des futuristes, sorte de fourre-tout artistique violemment moderniste, est favorable à la guerre par francophilie et parce que la Première Guerre Mondiale détient un potentiel machiniste non négligeable pour ceux pour qui le progrès technique est une valeur indépassable. Il faut également compter sur les républicains garibaldiens et mazziniens, les socialistes du PSR ainsi que les socialistes trentins, comme Cesare Battisti, dans le camp de l'entrée en guerre. Le Premier Ministre Salandra n'est pas complètement opposé à l'entrée en guerre et la souhaite de manière plus ou moins officielle, mais doit subir le poids des socialistes, des libéraux et des catholiques neutralistes. Très vite, même l'USI voit une scission apparaître entre l'USI neutre et l'Unione italia del lavoro pro-entente. Mussolini est bien embêté. Il est proche à titre personnel des mazziniens, des soreliens, des anarcho-syndicalistes de l'UIL et déclare en privé être favorable à l'entrée en guerre au côté de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie. Très vite accusé de duplicité par ses propres alliés et surtout par les bellicistes, il est même qualifié d'homme de paille par Maria Rygier. Le 18 octobre 1914, sommé de se justifier, il affirme que la neutralité est certes souhaitable mais doit devenir une neutralité de combat. Il fait tomber le masque et n'imagine pas les conséquences dramatiques de sa prise de position. Les 19 et 20 octobre, Mussolini est désavoué à l'unanimité moins une voix, un congé lui est imposé et il est remercié de l'Avanti! Si toute la gauche interventionniste, y compris réformiste, l'acclame en héros, le PSI est proprement ulcéré : c'est un traître. La rupture avec Balabanoff deviendra alors définitive. Il crée alors le Popolo d'Italia et se rapproche d'un homme de droite belliqueux, Filippo Naldi, qui lui offre 500 000 lires. Les industries militaires ainsi que les partis socialistes français et belges vont également apporter des fonds importants ce qui est interprété par les opposants du futur Duce comme un pacte avec la bourgeoisie et donc un reniement. Il fera cesser la compromission mais le mal est fait. Pour autant, ce journal qui tire 40 000 exemplaires en moyenne, avec une pointe à 70 000, reste un journal de gauche. Mais le 24 novembre 1914, au Théâtre du Peuple à Milan, Mussolini est hué, insulté et empêché de parler par ses anciens compagnons de lutte. Il est limogé du PSI. Il aurait pu sombrer, oublié par l'Histoire : Mussolini va devenir le meneur d'une force non négligeable. 

Mussolini et la guerre. 

Un mois après son exclusion du PSI, en décembre 1914, Mussolini fonde les Fasci, les faisceaux d'action révolutionnaire. C'est le mot fasci qui donnera évidemment le terme fascisme. Mais un petit mot sur l'étymologie est importante. On traduit peut-être abusivement fasci par faisceau. En réalité, le terme exact serait celui de Ligue. Or, la ligue est ancrée à l'époque largement à gauche et correspond traditionnellement à des syndicats anarchistes. On voit donc bien que Mussolini, quand il fonde les fasci, a la volonté de créer des ligues ancrées à gauche et uniquement à gauche. Il débat dans son camp, fait de nombreux combats en duel (il perd d'ailleurs un morceau d'oreille) et utilise beaucoup la propagande. Les 24 et 25 janvier 1915, on dénombre 100 fasci et 9000 adhérents essentiellement syndicalistes révolutionnaires. Mais ce n'est pas grâce à Mussolini et à ses amis que l'Italie entre en guerre, mais parce que Salandra, souhaitant moderniser et rediscipliner le pays, va se laisser tenter par les propositions généreuses en terres de la Triple Entente (le Trentin, Trieste, l'Istrie et une partie du littoral dalmate). En nommant Sonnino aux Affaires Etrangères, qui souhaite faire monter les enchères à Vienne, et par une politique machiavélique assez intelligente, il va également convaincre Victor-Emmanuel III. Le 24 mai 1915, l'Italie déclare la guerre à l'Autriche Hongrie. Le Chef d'Etat major des armées, le cruel Luigi Cardona, va mener 12 Batailles sur l'Isonzo. Le 31 août 1915, Mussolini rejoint le 11e bersagliers et se retrouve dès le 15 septembre en première ligne. Il faut lui reconnaître qu'il refusera la proposition d'être mis à l'abri dans l'administratif. Mais contrairement à Hitler, il faut aussi dire que Mussolini n'aime pas la guerre. Elle est sale. Le fascisme a néanmoins puisé sa violence nihiliste et démesurée dans la déshumanisation de la Première Guerre Mondiale ainsi que dans son mépris de la vie humaine. Le 23 février 1917, un accident de mortier blesse Mussolini ce qui émeut beaucoup l'opinion publique : en effet, l'opposition neutraliste avait fait courir le bruit qu'il n'était pas mobilisé. Même le Roi va le visiter à l'Hôpital. Quand il revient, l'Italie est en crise économique et morale. La Bataille catastrophique de Caporetto, la reddition de beaucoup de troupes, la sensation que des personnes sont favorisées dans la guerre et la sévère répression de Cardona poussent l'opinion publique dans les bras du PSI et ceux qui souhaitent une paix blanche. Cardona est remplacé par Diaz et Salandra par Orlando. Mussolini, avec son aura de chef de guerre blessé, va mener avec son journal et ses alliés une véritable campagne pour éviter de signer une armistice. Il prend contact avec l'UIL et avec des Parlementaires belliqueux, qui forment le Fascio parlementaire. Des groupes paramilitaires d'officiers et de soldats du front vont se réunir et former la Ligue nationale italienne, la Ligue anti-allemande, le Faisceau national italien et le faisceau romain pour la défense nationale. Des comités d'action, comme le comité d'action patriotique, le comité des mutilés et invalides de guerre ainsi que le comité d'action pour la résistance intérieure appuient également l'action de Mussolini, un des chefs incontestés de ces faisceaux. Parallèlement, la gauche se dote aussi de groupes paramilitaires, les arditi del fronte interno notamment, qui vont semer la terreur. A ce stade, Mussolini préconise une dictature jacobine de salut public et se perçoit comme un Clémenceau italien. Il n'est pas encore de droite, même s'il est profondément traumatisé par Caporetto. Mais Orlando, au lieu de réclamer la paix, décide de continuer la guerre, rallié par Giolitti et des socialistes. Plus besoin de putsch! C'est début 1918 que Mussolini va gommer le terme "socialiste" de son quotidien et qu'il va prendre ses distances Existe-t-il encore un socialisme? On ne peut pas être toujours socialiste, toujours républicain, toujours anarchiste, toujours conservateur. L'esprit est essentiellement mobilité. L'immobilité appartient aux morts. En fait, Mussolini s'est recentré sur la nation, sur les producteurs y compris bourgeois, le prolétariat n'étant plus pour lui le moteur de l'histoire, à partir du moment où ils soutiennent l'effort de guerre et surtout sur la communauté des anciens combattants : on parle de tranchéocratie. L'Italie va vers deux grands partis : ceux qui y sont allés et ceux qui n'y sont pas allés ; ceux qui ont combattu, et ceux qui n'ont pas combattu. Après la réforme de Diaz, la Bataille de Vittorio Veneto et l'armistice, Mussolini est accueilli en héros à Milan. Il est le visage de l'interventionnisme et de l'héroïsme. Il est la figure de la communauté des combattants. Le chef de faisceaux puissants. Son coup de poker en 1914 a payé : il a marqué un point. 

Le bilan profondément décevant de la Première Guerre Mondiale. 

Il y a d'abord le nombre de morts : 600 000 ; puis le nombre de blessés : 1 million. La province du nord-est de l'Italie est dévastée : les maisons, les usines, les voies ferrés, les routes, les terres agricoles, tout cela est très difficilement récupérable. La pénurie de capitaux, de matières premières et puis de main d'oeuvre ainsi qu'un déficit public très élevé (multiplié par 4 de 1914 à 1919) avoisinent une économie de guerre qui sera un peu compliquée à reconvertir en économie de paix. En effet, l'Italie a multiplié par trois sa production de minerai de fer et de charbon, augmenté de 80% la production d'hydroélectricité, de 40% sa sidérurgie et puis a développé considérablement les industries d'armes, de munitions, d'automobiles, de pneus, de produits chimiques et de textiles. On pourrait penser un peu vite que cela est positif, sauf que non, pour deux raisons. D'abord, ces productions vont forcément baisser car il n'y a plus de guerre et ensuite tout cela a fonctionné grâce à des commandes publiques. Or, l'Etat va se désengager. On comprend donc les difficultés économiques profondes du pays, mais en fait, c'est à peu près vrai pour tous les pays où il y a eu la guerre, comme la France par exemple. Le plus décevant sera en fait le traité de Versailles car la Triple Entente, chapeautée par le Président Wilson, ne va pas honorer les promesses généreuses faites à l'Italie. Si le Trentin, Trieste et Gorizia sont restitués à l'Italie, il n'en va pas de même du Sud-Tyrol, de la Vénétie julienne et de la Dalmatie. Cette trahison va être combattue à Versailles par Sonnino et Orlando mais rien n'y fait. Orlando va être remplacé par Nitti et on commence à parler de victoire mutilée et à accuser le capitalisme et les Parlementaires. En plus de ça, l'Etat ruiné n'honore pas ses promesses auprès des industriels, des paysans et des ouvriers. Cela va profiter dans l'absolu à une force politique : le socialisme. Ils avaient après tout prévenu : se battre pour des intérêts territoriaux n'est pas profitable au prolétariat, et voilà que le Traité de Versailles leur donne raison. Des anciens combattants (syndicalistes, socialistes et même catholiques) hissent le drapeau rouge et enclenchent des grèves et des insurrections partout dans le Latium, et la Plaine du Pô. A Florence, sur le modèle de l'URSS, une République des Soviets est même déclarée. Nitti n'enverra même pas l'armée et par le décret Visocchi augmente les fonctionnaires. Les tensions sont également fortes dans les campagnes. En effet, on le sait, les petits fermiers italiens travaillent sur des terres de riches propriétaires, et la révolution rouge leur promet de mutualiser les moyens de production. Néanmoins, les rares petits exploiteurs agricoles qui ont acheté leurs terres au début de la guerre ne veulent pas, et on peut le comprendre, partager ce qu'ils viennent d'obtenir et se dressent face aux Communistes. De plus, la bourgeoisie a très peur. En 1917, la Russie a été renversée et l'URSS est en train de vaincre les puissances blanches dans la guerre civile. C'est dans ce contexte que le fascisme va vraiment émerger. L'historiographie communiste a expliqué que le fascisme est le fruit stratégique des puissances capitalistes ayant voulu contrecarrer par la force les mouvements de gauche en Italie. Ce n'est pas complètement faux mais à contre-temps. Au tout départ, le fascisme est surtout le fruit de la pensée mussolinienne, mixte des thèses de Garibaldi, Mazzini, Blanqui, Proudhon, Nietzsche et Sorel, le tout mélangé à la violence déshumanisante de la guerre. Ce n'est qu'après et avec l'émergence du fascisme agraire que cela deviendra vrai. D'ailleurs, il est vraiment complexe que de tenter de définir le fascisme avec des tendances lourdes et structurelles tant le poids des personnalités est aussi très fort. Il n'empêche qu'en 1919, le fascisme existe bel et bien officiellement. 

L'avènement du Premier Fascisme. 

Le 23 mars 1919, Mussolini fonde les fasci italiani di combattimento, une sorte de synthèse très troublante du maximalisme et du nationalisme. En fait, on ne sait pas trop à cette époque, qu'on a nommé l'époque du premier fascisme, ce qu'il est. Mussolini n'est ni marxiste, ni nationaliste, ni aristocrate, ni même impérialiste : il soutient par exemple l'existence de la Yougoslavie ce que les Nationalistes trouvent odieux. S'il tente de séduire les ouvriers et les paysans sans grand succès en 1919, son antibolchevisme radical est contre-productif. Il s'explique d'abord par le fait que Mussolini n'a jamais été marxiste, qu'il a des comptes à régler avec le PSI (qui fait en 1919, 32 % des voix) et aussi et surtout parce que Lénine est considéré comme un pro-allemand depuis la paix obtenue avec l'URSS. Mussolini veut une révolution interclassiste pour régénérer l'Italie et opérer à la jonction entre les classes prolétaires productives et les classes de la petite bourgeoisie, certes détentrices de leur capital, mais productives moralement. Il veut être la troisième voie entre le marxisme et le libéralisme : une sorte de dictature jacobine, césariste et plébiscitaire. Pourtant, ni les ouvriers, ni même les anciens combattants, ne penchent pour lui. Ceux qui sont séduits sont généralement certains anciens combattants humiliés et dégalonnés par des socialistes, certaines professions libérales, des rentiers, des petits propriétaires et des cadres de l'industrie et du commerce. Une sociologie électorale de droite en bref. L'Association des arditi du futuriste Mario Carli, les syndicalistes de l'UIL et même l'influence bourgeoise de Margherita Sarfatti se font déjà ressentir. On trouve également au Palais Castani à Milan le 23 mars 1919 des socialistes réformistes interventionnistes. La lecture du programme est extrêmement intéressante. Après la création d'une Constituante, l'abolition du Sénat, l'abolition des titres de noblesse, l'abolition de la police politique, Mussolini veut l'avènement d'une République décentralisée avec une autonomie communale et régionale, respectueuse des libertés de pensée, d'association, de conscience, de religion et de presse. Le suffrage serait universel et féminin (!). Toutes les sociétés anonymes seraient dissoutes, la spéculation boursière et bancaire interdite, un impôt sur le capital serait mis en place et les biens des congrégations religieuses confisqués. La journée de 8 heures serait instaurée et les travailleurs pourront participer à la gestion de l'entreprise. Pour le régalien, Mussolini souhaite le désarmement des Nations, la nationalisation des industries de guerre, l'abolition de la diplomatie secrète et l'adhésion à la SDN après la récupération des terres promises. Non ce n'est pas le programme de la France Insoumise, mais bien le programme des faisceaux italiens de combat : il penche très nettement et bien nettement à gauche. Ce programme détonnant va même créer des dissensions et des tensions notamment avec l'UIL et la droite. L'organe de presse Il fascio ainsi que des combats de rue (affaire de la via Mercanti le 15 avril 1919) démontrent dans les faits que le fascisme n'est pas et plus un mouvement de gauche. Pour autant, coincé entre un PSI puissant et un parti populaire italien de droite, fondé par don Sturzo avec l'appui du Pape, Mussolini est coupé de ses viviers électoraux. Même dans son propre camp, il n'est pas encore le chef incontesté, d'abord parce que son parti fondé à Milan est fortement décentralisé, mais aussi parce qu'un autre nationaliste, l'aristocrate, aviateur et poète Gabriele D'Annunzio, est en train de réussir un sacré coup de force. A la tête d'une armée de 20 000 hommes, de 4 navires et de quelques avions, il tient tête à Rome et s'empare de la ville de Fiume donnée à la Yougoslavie aux termes du Traité de Versailles. Se donnant les pleins pouvoirs et le statut de grand prêtre, des nationalistes fanatiques voient en lui le nouveau chef. Tandis que le chef du gouvernement Nitti déclare l'état de siège, D'Annunzio tient Fiume et traite Mussolini comme un second couteau. En fait, Mussolini est jaloux, ne se rend jamais à Fiume même s'il lance dans son journal une souscription qui obtiendra, comble de l'ironie, la somme de trois millions de lires. D'Annunzio envisage même le coup d'Etat mais Mussolini le somme d'attendre les élections de 1919 pour ce faire. Le poète ose même envoyer à Mussolini Allons, secouez vous, paresseux de l'éternelle sieste. Pendant ce temps, Mussolini ne parvient pas à faire des alliances, ni avec le Parti Républicain, ni avec les socialistes de l'USI. A la tête d'une liste fasciste avec Marinetti (un chef  d'orchestre de la Scala), Canzillo, Guido Podrecca et Arturo Toscanini, il n'obtiendra quasiment rien, à peine 4657 voix sur 270 000 voix à Milan et un seul élu. L'Avanti! aura même ce mot très drôle à propos de son ex directeur : "Un cadavre en état de putréfaction avancé a été repéché ce matin dans le Naviglio. Il semble qu'il s'agisse de Benito Mussolini. Très vite, des cercueils aux noms de Mussolini, D'Annunzio et Marinetti sont mis en procession et des affrontements éclatent. Les défections et les détournements de fonds achèvent les fasci qui s'effondrent et s'éclatent. Mussolini est au plus bas. 

Insurrections prolétariennes et l'avènement du fascisme agraire. 

L'année 1920 est la continuation logique de celle de 1919. D'Annunzio s'empare de Zara en Dalmatie et continue à faire régner la terreur à Fiume. Une deuxième insurrection prolétarienne conduit à des grèves triomphantes que Nitti n'arrive pas à endiguer malgré l'augmentation des effectifs policiers. Les socialistes soufflent sur les braises, insultent le Roi à la Chambre et bientôt, Giolitti reprend le pouvoir. Il signe aussitôt un traité avec la Yougoslavie et Fiume devient indépendante au grand dam de D'Annunzio. Très vite, Caviglia reprend la ville et d'Annunzio doit signer une armistice. Une troisième insurrection prolétarienne violente, notamment dans le triangle industriel Turin-Gênes-Milan, conduit à la prise de 300 usines par 600 000 ouvriers. Giolitti, fidèle à sa politique d'apaisement, augmente les salaires et la participation ouvrière. Mussolini comprend alors qu'il faut virer sa politique à droite afin de contrer le caractère communiste de l'insurrection italienne. En fait, s'il vire à droite, c'est aussi parce que l'influence des nationalistes, la renommée de Fiume, l'influence de Sarfatti, l'amélioration de sa vie personnelle, l'échec du premier fascisme de gauche, la meilleure connaissance des milieux militaires et d'affaire ainsi que la défection de beaucoup de militants de gauche de la base ont joué en cette faveur. Très vite, des étudiants, la petite bourgeoisie ainsi qu'une certaine bourgeoisie riche commencent à être séduits par le discours fasciste. Des milices d'officiers squadristes fondent le fascisme agraire qui font régner la terreur noire dans les campagnes en protégeant les petits propriétaires privés contre les mutualistes, n'hésitant pas à magner l'assassinat pour une efficacité plus grande. Ces squadristes qui surprennent tout le monde par leur efficacité, y compris Mussolini, ramènent des fonds de ces propriétaires rassurés par l'effectivité des moyens mis en place par les milices. Les ras, des petits chefs locaux, font également régner la terreur dans les villes : les deux plus connus sont l'ancien chef de gare Roberto Farinacci, ras de Crémone et Italo Balbo, de Ferrare. On peut également citer Grandi et Bottai. Les passages à tabac, les meurtres et la terreur se multiplient, ensanglantant le pays et les rangs de la gauche. Au lieu de détruire tout de suite ces milices paramilitaires au service des intérêts bourgeois, Giolitti joue encore au néo-transformisme en s'appuyant sur les milices squadristes pour rétablir l'ordre et casser les grèves. L'armée, les carabiniers et les juges apprécient cette aide faite à la répression des mouvements. La popularité de Mussolini explose alors et Sorel, son héros, le compare même, et il faut le faire, à Lénine. Le 7 avril 1920, Giolitti demande au Roi la dissolution de la chambre pour diminuer l'audience socialiste et appelle Mussolini à le rejoindre, lui et d'autres formations de droite, au sein d'un Bloc National destiné à faire barrage au communisme. Le Duce accepte et la terreur noire continue, causant à l'aide de matraques et de bouteilles d'huile de ricin, des centaines de morts dans tout le pays. Le 15 mai 1920, le Bloc National remporte 275 sièges contre 123 pour les socialistes et 15 pour les communistes. Très vite, la coalition ne rime à rien car Salandra, Orlando, Nitti et Mussolini n'arrivent pas à s'entendre. En juin, Giolitti démissionne et Ivanoe Bonome devient Premier Ministre. L'attitude de Mussolini au Parlement est claire : il occupe l'extrême droite de la Chambre, condamne le communisme tout en jouant la montre avec la CGL, se prononce contre le divorce et pour la liberté d'enseignement, n'est plus anticlérical et montre sa volonté de pacification. Un nouveau Mussolini, et un nouveau fascisme, sont nés. 

Montée en puissance et prise de pouvoir. 

Le fascisme est de plus en plus puissant. Mussolini veut paraître responsable et calme en signant un pacte de pacification avec les socialistes et la CGL ce qui le déconnecte un temps de sa base. En effet, les ras locaux (Farinacci, Grandi, Balbo et Bottai) estiment que cette pacification est une forme d'embourgeoisement et ne comprennent pas que leur chef, le Duce, se livre à une telle attitude peu virile. En réalité, Mussolini veut imposer sa volonté et convoque un Congrès National qui débouche, le 20 décembre 1921, à la fondation du Parti National Fasciste (PNF). La Nation est définie comme la synthèse suprême de toutes les valeurs matérielles et spirituelles de la Race. L'Etat doit se réduire à des compétences régaliennes politiques et juridiques et est ultra-libéral pour plaire aux nouveaux milieux d'affaires et capitalistes. Il souhaite la réduction du pouvoir du parlement au profit du pouvoir exécutif, l'interdiction de la grève dans les services publics, la suppression des syndicats pour aider au développement des corporations et des syndicats nationaux. Le programme est ultra-conservateur mais il fonctionne : il y a alors 320 000 adhérents et 2200 faisceaux de combats. Le PNF est affublé d'une Milice paramilitaire faite des squadristes en chemise noire. Les ras font de plus en plus parler d'eux en faisant la loi dans les villes, en multipliant les manifestations et les exécutions d'opposants pendant que Mussolini, pour soigner son image internationale, se rend à Cannes en France. Il doit néanmoins rentrer en vitesse avant d'arriver à Berlin, Vienne, Prague et Varsovie parce qu'il s'entend encore mal avec ses miliciens locaux. Très vite, comme dans un ultime souffle, l'Alliance du Travail, composé des socialistes, des communistes et même des réformistes lance en juillet 1922 une grève générale "légalitaire" pour essayer de convaincre le Premier Ministre Facta de réprimer le fascisme et de rétablir la démocratie. Mussolini envoie ses troupes réprimer la grève dans le sang. Très vite, l'idée de l'arrivée au pouvoir de Mussolini est sûre et certaine. Ses troupes, ainsi que Margherita Sarfatti, l'incitent à prendre ses responsabilités et à opérer un coup d'état, car concrètement, une meilleure occasion ne se reproduirait sans doute jamais. Mussolini aurait été moyennement motivé mais finit par préparer dès l'été la Marche sur Rome. Même la famille royale semble complaisante à cette idée, en témoigne l'attitude ambiguë du Duc d'Aoste. 4 hommes sont désignés pour être les chefs militaires du Duce : Michele Bianchi, Italo Balbo, Emilio de Bono et Cesare Maria de Vecchi. Le 27 octobre 1922, à minuit, les chemises noires ont pris toutes les villes d'Italie et ont encerclé toutes les préfectures, polices, gares, centrales téléphoniques et routes principales. 26 000 hommes marchent sur Rome, qui est une prise plus symbolique que tactique. Le gros était déjà fait pendant la nuit. Tandis que Facta songe un temps à prononcer l'état de siège, ce qu'il aurait du faire, Salandra réussit à le convaincre de laisser une chance à Mussolini et de lui proposer l'Intérieur, ce que le Duce refuse d'ores et déjà. Très vite, Victor-Emmanuel III, pris d'une certaine fatalité et poussé par les milieux d'affaires, l'invite à former un gouvernement. Le 30 octobre, après des attaques terroristes effectuées sur les socialistes et les communistes, Mussolini est à Rome. A 39 ans, il est le deuxième Premier Ministre le plus jeune de l'histoire italienne et en trois années, ce fils de forgeron de Dovia vient de prendre le pouvoir. Il ne le quitterait plus jusqu'en 1943. 


MUSSOLINI AU POUVOIR : L'INSTALLATION DE LA DICTATURE (1923-1925).

L'installation progressive d'un régime autoritaire. 

A la base de la base, les milieux capitalistes et conservateurs qui ont soutenu Mussolini souhaitaient une dictature légale, temporaire et constitutionnelle destinée à finir de liquider les organisations ouvrières et syndicales. Même Giolitti et les journaux institutionnels comme Il Giornale d'Italia ou Le corriere della serra ont fini par le soutenir à condition, bien sûr, que sa dictature se normalise. Au moment de la prise de pouvoir, seule la gauche communiste et socialiste maximaliste, ainsi même que le comte Sforza, sont défavorables au nouveau Premier Ministre. Mussolini, lui, donne des gages. Il ne prend que cinq ministères (la Justice, les Finances, l'Intérieur, les Affaires étrangères et Fiume), au grand dam de ses ras, met de l'eau dans son vin en parlant aux catholiques et fait des commémorations. Il se plie même au code vestimentaire en parlant au Roi. Pour autant, il ne se fait certainement pas agneau. Le discours du bivouac est très clair : Je me suis refusé à écraser les vaincus et je pouvais les écraser. Je me suis imposé des limites. On l'aura compris, si l'opposition en fait trop, elle sera anéantie. Alors que les socialistes Modigliani, Lazzari et Turati protestent, la confiance lui est votée 306 voix contre 116. Fin novembre, la Chambre lui fournit les pleins pouvoirs pour un an. Pendant ce temps là, les effectifs du PNF explosent pour atteindre 500 000 militants ce qui n'est pas sans irriter les anciens du Parti : les nouveaux seraient trop opportunistes. Il n'empêche que la Milice commet encore quelques massacres réguliers sans que cela ne choque trop. Le 15 décembre 1922, le Grand Conseil du fascisme est fondé et le 12 janvier 1923, la Milizia volontaria di sicurezza nazionale (MVSN) est institutionnalisée. Des commissaires politiques, destinés à coordonner l'action du gouvernement et à surveiller les ras, sont engagés. Pendant ce temps, le Duce commence son culte de la personnalité en mettant en scène une prétendue frénésie de travail, faisant du sabre et de l'épée, s'exerçant à l'équitation, au pilotage, à l'automobile, en prenant des bains de foules et en mettant en scène ses origines prolétaires. Vivant toujours une histoire d'amour passionnée avec Margherita Sarfatti, celle ci rapporte notamment que la mégalomanie du Duce commence à prendre forme. En effet, après qu'un journaliste a estimé que la lave de l'Etna s'était arrêté à ses pieds à cause de sa troublante majesté, il aurait acquiescé sans voir le problème (!). Organisant lui-même les ministères de l'Intérieur et des Affaires Etrangères, il travaille en effet beaucoup, et peut-être était ce un moment de perdition. Mais les persécutions commencent. La franc-maçonnerie est chassée des rangs fascistes, les associations d'anciens combattants et nationalistes sont absorbées de force par le PNF, les socialistes fuient ou sont arrêtés puis exilés. A partir du printemps 1923, les Libéraux de Nitti commencent à questionner le caractère liberticide de l'Italie fasciste. Pour autant, cela n'empêche pas Mussolini de faire voter la Réforme d'Acerbo donnant 2 tiers des sièges au Parti remportant plus de 25% des suffrages, ce qui lui permettra lors des élections du 6 avril 1924, sur une listone, de prendre le pouvoir de nouveau, par un coup d'Etat légal cette fois. Il obtiendra 4 306 000 voix, soit 66% des sièges. C'est donc une Italie largement consentante que le Duce abuse. C'est d'autant plus troublant que l'Italie a été dans son histoire une démocratie convaincue et dynamique. Il n'empêche que jusqu'en 1924, Benito Mussolini est sur un boulevard. 

L'Affaire Matteotti et les lois fascistissimes. 

Giacomo Matteotti est le visage du martyr du fascisme. Cet homme, courageux s'il en est, est un socialiste unitaire. Trois jours après le discours du Duce à la Chambre après sa victoire, alors qu'il avait déjà été violenté par les milices squadristes, il ose monter à la tribune pour lancer un réquisitoire contre la dictature et réclamer l'invalidation de l'élection pour cause de terrorisme. Soutenu par de nombreux Députés de l'opposition, il était néanmoins bien conscient du risque qu'il prenait. Il aurait dit à un de ses camarades Et bien maintenant, préparez vous à faire mon oraison funèbre. Le 10 juin 1924, soit un mois après son discours, un escadron fasciste composé de Dumini, Panzeri, Putato, Thierschald et Volpi enlève le Député et l'assassine. Ces proches de Mussolini sont rapidement démasqués, le corps du Député retrouvé et des torrents de boue tombent sur le régime fasciste. L'opinion publique est écœurée et toutes les oppositions semblent d'ailleurs se réveiller. Les Opposants au Régime fondent l'Aventin (une référence à la révolte de la Plèbe de -449) et réclament l'abolition de la Milice et des groupes paramilitaires ainsi que la démocratisation du régime. Cette opposition transcende quasiment tout le spectre politique. Mussolini a bien failli perdre le pouvoir à ce moment là. Le choc de l'affaire Matteotti marque un tournant dans le régime fasciste car pour la première fois, il marche à visage découvert. Personne ne peut plus feindre d'ignorer l'horreur de ce qu'est le fascisme, alors même qu'il avait déjà bien tué et violenté auparavant. Mais un Député de l'opposition aussi médiatique, il fallait oser. La question de la responsabilité de Mussolini dans ce meurtre a évidemment été posée. Qu'il en soit l'instigateur direct ou indirect : peu importe à la rigueur. Dans le meilleur des cas, c'est Mussolini qui a crée le contexte de terreur possible nécessaire à cette mise à mort. Des recherches récentes révèlent que Matteotti s'apprêtait en outre à révéler une histoire de malversation entre le Duce et Standart Oil, une entreprise américaine qui aurait eu un monopole de fait en Italie. Benito Mussolini a eu de la chance que l'Aventin a patiné et n'a pas poussé jusqu'au bout l'opposition radicale en renversant le gouvernement. Curieusement, le danger est venu des ras qui ont débordé le Duce sur la droite. De la mi-août 1924 à la fin de la même année, des violences des squadristes éclatent pour contester le fait que Mussolini ait châtié les coupables, ce qui met ce dernier au pied du mur. Il se voit obligé de lancer le 3 janvier 1925 une énorme offensive sur ses opposants et fournit à la Milice 100 000 fusils. Cette offensive de la Milice permet à Mussolini de reprendre la main sur ses opposants. Alors que le Duce avait, pour apaiser l'opposition, nommé un conservateur appelé Federzoni à l'Intérieur, il prépare des Lois d'une violence inouïe et qui resteront dans l'histoire comme les Lois fascistissimes. Outre les dissolutions de partis ou de syndicats, ainsi qu'un affaissement du droit des médias et de la presse, le Ministre de la Justice Rocco crée le 24 décembre 1925 le statut du Duce du fascisme. Le 31 janvier 1926, le pouvoir exécutif peut faire des Lois sans l'aval du Parlement et déchoir de sa nationalité les exilés. Le 6 avril 1926, les pouvoirs préfectoraux sont renforcés, les élections municipales et provinciales sont remplacés par des gouverneurs et podestas fascistes nommés par le Gouvernement. Les Lois les plus radicales sont promulguées le 9 et 20 novembre 1926 puisqu'elles suppriment toutes les libertés, annulent tous les passeports, révoquent et suppriment tous les journaux d'opposition, admettent la réclusion de tout opposant ainsi que l'établissement de la peine de mort pour toute atteinte grave au régime. Ces lois créent l'OVRA (Organisation vigilance et répression de l'antifascisme) avec une compétence spéciale et surtout une première : une rétroactivité des Lois. 

MUSSOLINI ET LE TOTALITARISME ORDINAIRE (1925-1935).

Mussolini va devenir en 1925 le dictateur totalitaire que l'on connaît. Après s'être marié religieusement à Rachele, sa femme, le 28 décembre 1925, sa maîtresse, Sarfatti, écrit The life of Benito Mussolini. Le culte de personnalité s'affirme et la dictature, elle, se raffermit. Un seul gouvernement, un seul Chef, une seule révolution, le tout chapeauté par le Grand Conseil Fasciste. Un calendrier fasciste est même mis en place. Si le Roi est maintenu en tant que chef de l'Etat, le grand conseil vole la compétence de succession du souverain en 1928. Il n'y a pas grand chose qui sépare Mussolini du pouvoir absolu, pour ne pas dire rien. Celui que le Pape appelle l'Homme de la Providence va gouverner l'Italie d'une main de fer. 

La politique économique du Duce. 

On le sait, Benito Mussolini est devenu libéral à partir du moment où il a été rallié par les milieux de la haute bourgeoisie et du monde des affaires. L'Etat doit strictement se borner à gérer le domaine régalien et se désintéresser des affaires économiques. Son Ministre, De Stefani, est un libéral radical qui croit dur comme fer à la Main Invisible  du marché. Il a œuvré à restaurer la confiance envers les possédants en privatisant massivement, en dénominalisant les titres, en supprimant les contrôles des prix et des loyers et en supprimant la fiscalité visant les riches. Les conséquences de cette politique ne sont dans l'absolu pas mauvaises puisque les salaires ont augmenté de 10% et le chômage a baissé de 541 000 à 122 000, l'industrie elle-même se développe assez massivement ainsi que le commerce avec la France, l'Allemagne et l'Autriche. Néanmoins, des problèmes structurels subsistent. D'abord, il y a un déficit chronique de la balance des paiements, une consommation intérieure trop importante pour la production ainsi qu'une flambée énorme des valeurs mobilières. Cela cause une inflation importance, à savoir une hausse des prix, et donc une dévaluation de la lire. De Stefani réagit immédiatement en appliquant la recette magique en cas d'inflation : il augmente les taux d'intérêts. Mais cela ne passe pas auprès des milieux d'affaires qui aspirent à se faire financer au moindre coût. Il est donc renvoyé le 10 juillet 1925. Volpi va le remplacer et tenter une politique libérale de long terme en remplaçant les prêts à court terme en prêt plus longs ainsi qu'en étalant le remboursement des dettes internationales, notamment vis-à-vis de la Grande Bretagne et des Etats-Unis, sur 62 ans. Il va également faire un prêt de 100 milliards de lires. Malgré tout, Mussolini a une obsession : faire de la lire une monnaie aussi forte a minima que le franc et a maxima que la livre sterling ou le dollar. Il fait interdire les billets de 5,10 et 25 lires, augmente drastiquement les taux d'intérêt et contingente strictement la consommation intérieure. Cette politique permet de rehausser la lire de 40%, la faisant arriver au taux comparatif de 19 lires pour 1 dollar et de 92 lires pour 1 pound. Mais cette politique de rehaussement du dollar conduit à l'effondrement des exportations, de la consommation intérieure, des prix et donc à une hausse du chômage. Pour compenser tout cela, Mussolini décide de réduire les importations et de développer une économie autarcique. Il parle de grandes batailles économiques. La Bataille du blé, notamment, permet d'augmenter la production de céréales de 50 millions de quintaux en 1924 à 80 millions en 1930. Le rendement, lui, augmente de 50%. Cette victoire est malheureusement mal compensée par une mauvaise exportation des fruits et légumes italiens dus à l'augmentation des droits de douane. La Loi de Bonification intégrale en date du 24 décembre 1928 encourage en outre le drainage, l'assèchement, l'irrigation ainsi que le reboisement des terres agricoles. Cette politique économique est donc de plus en plus interventionniste, de plus en plus protectionniste et de plus en plus étatique, ce qui n'était pas du tout dans les intentions de Mussolini à l'origine. Mais l'économie étant une science inexacte et pleine de contradictions, le Duce va petit à petit subordonner l'économie à l'Etat, en violant les principes qu'il avait pourtant défendus. 

La médiévalisation du monde fasciste. 

Lors du Discours de l'Ascension en date du 26 mai 1927, Mussolini détaille sa politique de civilisation, destinée à contrer la démographie importante du monde oriental et asiatique. Le Duce initie une politique nataliste ambitieuse en rivalisant d'idées totalitaires, notamment en taxant le célibat ainsi que les mariages inféconds. Son objectif est d'atteindre 60 millions d'âmes, tout en exaltant la ruralité sobre. Il cherche à moraliser le peuple italien en interdisant l'exode rural et en fermant les débits de boisson. Mussolini aspire en outre à ressusciter les corporations en édictant notamment une Charte du Travail qui dissout les syndicats normaux pour créer un monopole des organisations fascistes pour représenter les salariés, et non pas en tant que salariés, mais en tant qu'Italiens. Autant dire que le syndicat fasciste cherche davantage à servir les intérêts du régime plutôt que celui des travailleurs. Mussolini n'hésite d'ailleurs pas à baisser les salaires de 10% en 1926. Pire que cela, le Duce, pourtant anticlérical, celui là même qui donnait à Dieu cinq minutes pour le foudroyer, va veiller à rendre à l'Italie sa confession. Après s'être marié religieusement à Rachele et baptisé ses enfants Edda, Vittorio, Bruno, Romano et Anna Maria, il réouvre les aumôneries, rend obligatoire la présence du crucifix dans les lieux publics, subventionne l'Eglise, repénalise les offenses à la religion et surtout se rapproche du très anti bolchevique Pie XI, Monseigneur Ratti, qui ne tarit pas d'éloges pour le chef de l'Italie fasciste.  Le 11 février 1929 sont signés les accords de Latran entre le Pape et l'Italie fasciste qui reconfessionnalisent définitivement l'Italie, mettent fin à la laïcité, offrent le pouvoir temporel du Vatican à la Papauté et indemnisent cette dernière à hauteur de 750 millions de lires. Ce concordat fait du mariage civil un mariage religieux, interdit définitivement le divorce, privilégie l'éducation religieuse des jeunes et est approuvé par les Italiens à hauteur de 8 919 552 voix contre 135 761. Comment interpréter ce virage à 180° ? Comment un anticlérical aussi convaincu a-t-il pu devenir le chantre du catholicisme, religion d'Etat ? Sans doute était-ce l'occasion pour Mussolini de rallier à son régime l'immense majorité de catholiques italiens à peu de frais, tout en se ralliant les sympathies du Pape qui a tout de même une influence diplomatique et politique réelle. Tout cela participe d'une certaine volonté de renouer avec un monde corporatiste idéalisé et romantique de l'Ancien Régime qui rentre d'ailleurs en contradiction avec le futurisme qui est également une des sources d'inspiration du fascisme. Mussolini se situe toujours entre les deux légitimités : la tradition et la modernité. Surtout, Pierre Milza explique que Mussolini veut devenir l'homme du consensus afin de rallier le plus grand monde à son régime : traumatisé par l'affaire Matteotti et par la prise de conscience de la fragilité de son pouvoir, il veut ratisser large.

Une politique étrangère entre chien et loup. 

Une question revient souvent quand il s'agit de discuter du fascisme est celle-ci : pourquoi les voisins de l'Italie n'ont rien fait ? Pourquoi la Grande-Bretagne et la France, pourtant des démocraties exigeantes, ont accepté sans mot dire l'établissement à leur porte d'une dictature des plus violentes et des plus belliqueuses ? En réalité, la réponse n'est pas simple et ne doit surtout pas être caricaturale. Mussolini n'est pas agressif envers ses anciens alliés de l'Entente : il veut que son pays soit considéré comme une soeur, non comme une servante. A l'époque de son arrivée au pouvoir, la Grande Bretagne est gouvernée par des conservateurs et la France par le Bloc National, une coalition des partis de droite. Ces deux pays viennent de payer très cher leur participation à la Première Guerre Mondiale ainsi que leur échec dans leur guerre contre l'URSS et l'Armée Rouge de Trotski. Ils voient donc d'un très bon œil l'action de Mussolini contre les communistes, qu'ils considèrent bientôt comme un rempart contre la bolchevisation de l'Europe. De plus, à cette époque, les relations se sont considérablement refroidies entre le Royaume-Uni et la France, notamment sur le dossier grec : les Anglais protègent les Grecs tandis que les Français privilégient leur relation avec la Turquie de Mustafa Kemal. Mussolini, qui flaire l'opportunité, se rapproche de sa sœur latine, la France, et notamment du Président du Conseil Poincaré qui s'entend très bien avec le Duce.  Mussolini caresse même l'idée en privé d'établir une sorte de Bloc National anti-anglais avec l'Allemagne. Quand Poincaré et les Belges envahissent la Ruhr allemande à cause d'une commande arrivée trop tard contre l'avis de la Grande Bretagne, Mussolini applaudit des deux mains. Mais bientôt, la relation avec la France va se dégrader. En effet, alors que l'Italie envisage une politique d'influence sur les Balkans, Poincaré fait de même en Pologne, en Tchécoslovaquie et surtout en Yougoslavie. Mussolini va donc se rapprocher de la Grande Bretagne du très profasciste George V qui déteste la France et les Slaves. Mais dans ce jeu de dupes, l'affaire de Corfou va forcer Mussolini à rechanger son fusil d'épaule. En effet, à la frontière entre l'Albanie et la Grèce, des diplomates et militaires italiens sont assassinés par des bandits grecs, et Mussolini exige de la Grèce une enquête chapeautée par ses services, ce que la Grèce refuse. Mussolini envahit donc contre l'avis de la SDN l'île de Corfou, ce qui la rapproche de la France anti-grecque et pro-turque qui va la soutenir à demi-mot contre la furie britannique. L'entente entre la France et l'Italie sont donc au beau fixe. Mais en 1923-1924, les cartes sont rebattues. L'Angleterre devient travailliste avec la victoire de Ramsay Macdonald et le cartel des gauches vient de prendre le pouvoir en France. Herriot et Briand, les hommes forts de la nouvelle coalition française, détestent les fascistes alors que les travaillistes britanniques sont plus complaisants. Chamberlain, notamment, va s'allier avec Mussolini contre l'initiative française et tchécoslovaque (Benes) de créer une instance de règlement obligatoire des conflits au sein de la SDN. En 1925, la Grande Bretagne et l'Italie se partagent même en secret l'Ethiopie, ce qui crée un énorme scandale au sein de la SDN, dans laquelle la France et l'Empereur d'Ethiopie critiquent énormément cet état de fait. L'Italie se rapproche également de la Yougoslavie en normalisant leurs rapports. Fiume est restitué aux Italiens tandis que les Yougoslaves conservent l'arrière pays. Un accord d'amitié de cinq ans est signé ainsi qu'un traité de commerce et de navigation. En octobre 1925, lors de la Conférence du Lac Majeur Locarno, Mussolini est humilié par les Français de Briand, les Belges de Vandervelde et les Allemands de Stresemann, tandis que la Grande Bretagne reste courtoise. Cela explique la bonne relation avec les Britanniques qui renégocient avec l'Italie la frontière entre la Libye (possession italienne) et l'Egypte (possession anglaise). 

Mais ce que comprend Mussolini dès 1926, c'est qu'essayer de traiter avec la France et la Grande Bretagne ne sert plus à grand chose. Ces deux grands pays coloniaux se servent de l'Italie et n'ont aucune envie de lui fournir des territoires d'outre-mer, ce que désire pourtant le Duce. Le rapprochement Briand-Stresemann, ainsi que l'attitude ambiguë des Britanniques, vont décevoir profondément Mussolini qui décide d'arrêter la politique de séduction et de pacifisme dès 1926. Il s'agit de refasciser le régime, de le rendre plus autarcique, de remplacer les diplomates conservateurs par des diplomates fascistes tout en réaffirmant ses positions. Il relance dans l'opinion publique l'idée d'un impérialisme romain, permettant par sa force vitale d'émigration, de créer un Empire colonial puissant. Il relance notamment dans ses colonies, en Libye et en Somalie, des opérations militaires. Dès 1927, Mussolini veut contrer l'influence française dans les Balkans en encerclant la Yougoslavie francophile. Les traités de Tirana sont signés avec l'Albanie, un traité est signé avec Horthy le Hongrois, un rapprochement est organisé avec les Oustachis indépendantistes croates et avec un mouvement terroriste bulgare. Mais surtout, l'Italie veut se rapprocher de l'autre grand perdant du Traité de Versailles : l'Autriche. Même si les deux pays se détestent à cause du Haut-Adige et du Sud-Tyrol que les nationalistes convoitent, et même si l'Italie a dans le Haut Adige interdit la pratique de l'allemand, a italianisé le nom des tombes et l'enseignement, Mussolini finance les Heimwehrs, des nationalistes autrichiens profascistes contre le Premier Ministre. Il donne 1,5 millions de lires. On voit donc bien que l'Italie a changé son fusil d'épaule et que si elle a commencé par tenter de grapiller des largesses de ses anciennes alliées de la Triple Entente, Mussolini a compris non sans raison qu'il n'obtiendrait strictement rien de ce qu'il appellera désormais les puissances ploutocratiques. Sa politique belliqueuse en Autriche et dans les Balkans, particulièrement à l'égard de l'Albanie, cherche à contrecarrer l'influence française ainsi que la Yougoslavie qui a signé en 1927 avec la France un traité d'assistance. Avec la Grande Bretagne, c'est dans les colonies que Mussolini veut marquer des points, notamment en Somalie, en Libye, en Erythrée et bientôt en Ethiopie. On peut légitimement se poser la question : si les puissances de l'Entente étaient intervenues en Italie, ou éventuellement auraient été plus souples dans le traitement des exigences italiennes, l'agressivité de l'Italie dans les années 30 aurait-elle été aussi marquée ? Sans doute que non. A l'origine francophile, Mussolini a détesté l'attitude de la gauche française qui a été pour le moins arrogante et qui a cherché, par l'axe franco-belgo-allemand, à affaiblir considérablement Mussolini. L'antifascisme français va repousser définitivement l'idée d'une amitié entre les deux sœurs latines, pour le meilleur et pour le pire.  

Structuration du totalitarisme intérieur et renforcement du régime. 

Pendant ce temps là, Mussolini, avec sa cérémonie du bain, renforce toujours plus son culte de la personnalité. En 1931, il se sépare de Margherita Sarfatti, qui gardera encore quelques années un certain ascendant sur lui avant de tomber en disgrâce, puis fera bientôt la rencontre de la jeune Claretta Petacci en 1932, qu'il commencera à connaître charnellement en 1936. Son totalitarisme se met en place et a plusieurs caractéristiques. D'abord, le Duce ne touche pas à l'institution royale ce qui est d'ailleurs une erreur quand on sait ce que le Roi fera en 1943. Pour autant, Victor Emmanuel III est populaire en Italie et même si les deux hommes ne s'entendent pas tant que cela, ils font bien semblant. Mussolini visite deux fois par semaine la Roi au Quirinal, même s'il le qualifie régulièrement d'arbre mort, de wagon vide et de vieille poule. Jusqu'en 1936, les relations se feront cordiales sauf en 1928, quand Mussolini va donner au Grand Conseil Fasciste la compétence en matière de successions royales. Sa fille Edda va épouser celui qui est présenté comme le Dauphin du régime, Galeazzo Cianno, diplomate conservateur plus que fasciste, qui va grimper les échelons progressifs du cursus honorum fasciste. En 1936, celui qui est son successeur, va devenir le chef de la diplomatie fasciste. Trois autres hiérarques sont très importants dans la structure du totalitarisme fasciste. D'abord, il y a Italo Balbo, un aviateur populaire, ancien ras et dont Mussolini parle comme du seul capable de me tuer. Gouverneur en Libye, presque le numéro deux en devenant le chef d'Etat major des armées, il mourra en 1940 abattu accidentellement en Libye alors même qu'il venait de critiquer le tournant pro-allemand du Duce. Deuxième hiérarque important : Giuseppe Bottai, un arditi futuriste qui veut normaliser le régime et le démocratiser. Fasciste modéré prompt à faire son examen de conscience, l'homme exaspère Mussolini qui en fera pourtant le Gouverneur de Rome (1935-1936) et le Ministre de l'Education Nationale entre 1936 et 1943 pour sa grande culture. Dernier hiérarque et non des moindres : le sulfureux Dino Grandi, sans doute le plus brillant et qui fut ras de Bologne. Il sera Ministre des Affaires Etrangères, séduira beaucoup la SDN et deviendra Ambassadeur à Londres, où il se fait connaître pour être anti-nazi. Entre 1936 et 1943, il deviendra Ministre de la Justice. Il ne faut pas oublier également l'un des hommes les plus importants du fascisme, celui qui va organiser le culte laïc, et qui est le chef du PNF entre 1933 et 1939, avant de devenir le chef de la Milice jusqu'en 1941, la brute Achille Starace. Abruti fini, pro-nazi, amateur de partouzes et de drogues dures, il est caricaturé comme une sorte de sous-Mussolini version Aldi. Pourtant, il est peut-être l'homme qui a le plus manipulé l'opinion publique ainsi que la jeunesse. Mussolini va beaucoup jouer avec ses fidèles (il y a aussi de Bono, Bianchi, Bastianini, Ricci, Mutti, Federzoni) en les faisant régulièrement remplacer et en organisant un roulement de poste régulier. Mais Mussolini doit aussi compter sur trois hommes, que l'on a nommé les enfants terribles du fascisme et qui vont poser énormément de problèmes par leur fanatisme au Duce : Roberto Farinacci l'admirateur des nazis et ancien ras de Crémone, Cesare Maria de Vecchi, surnommé Val Couillon, grand tyran insupportable qui fera de la Somalie son terrain de jeu puis Leandro Arpinati, idéaliste squadriste. C'est une gestion des hommes permanente qu'est forcé de faire Mussolini pour que son système fonctionne correctement et qu'il garde son ascendant naturel sur tous ces hiérarques. De la même façon, les militaires favoris de Mussolini, le Maréchal Badoglio, chef d'Etat major des armées, que le Duce n'aime pas personnellement, mais sans doute très compétent, ainsi que Rodolfo Graziani, seront ceux sur lesquels le Duce s'appuiera. Quant au PNF de Starace, il ne s'occupera jamais des tâches administratives, ce qui est une caractéristique du fascisme italien. En effet, même si la fonction publique comporte des fascistes (1 cinquième), elle ne sera jamais entièrement fascisée. Les préfets et les podestas fascistes qui sont les relais décentralisés du pouvoir mussolinien sont plus puissants que les squadristes et n'hésitent pas à s'opposer à eux quand la violence va trop loin. En revanche, le PNF va beaucoup par la propagande (le Ministère de la Presse et de la Propagande devenant le Ministère de la Culture Populaire) notamment le cinéma et la radio ainsi que par l'encadrement la jeunesse participer au soft power fasciste. Emilio Gentile va même permettre à de nombreux intellectuels de rallier le fascisme en mettant en place une religion d'Etat et en écrivant La doctrine du fascisme, ce qui le fera s'opposer à Croce, un opposant du régime. Dans son livre, il glorifie, et c'est tout un programme, l'inégalité ineffaçable, féconde et bienfaisante des hommes. Il ne faut pas oublier non plus l'influence de Julius Evola, qui va construire une théorie intéressante à étudier. Selon lui, le monde est une décadence continue. A l'âge d'or de la Haute Antiquité se sont succédées trois époques de décadence, qu'ont été le christianisme et les Lumières. Pour lui, le monde et son référentiel culturel, la démocratie, le parlementarisme, l'humanisme, l'individualisme sont des marques de la dégénérescence de la force vitale des premières Nations. Cette doctrine va permettre de justifier le retour à l'Empire Romain et davantage renfoncer le culte de la personnalité et de la guerre fascistes. 

Crise religieuse et économique. 

On a beaucoup lu et beaucoup écrit que le fascisme et le nazisme étaient d'inspiration catholique. Rien n'est plus faux. D'abord, le nazisme a beaucoup plus puisé dans le protestantisme spirituellement comme électoralement, et ensuite personne n'a été plus anti clérical que Vero Eretico, alias le Duce. La pensée evolienne estime d'ailleurs que le début de la décadence est le christianisme lui-même car il n'admet plus l'inégalité soi disant naturelle et saine des hommes. Le darwinisme social est tout de même très difficilement soluble dans la pensée catholique. Pour autant, depuis les Accords de Latran, les rapports entre le Duce et le Pape sont très bons, mais ils sont très clairement insincères. Le Pape Pie XI cherche clairement à récupérer les privilèges temporels qu'il avait perdu avec le Risorgimento italien et le Duce, après son mariage religieux, a séduire les catholiques en incarnant ce surnom papal L'Homme de la Providence. En réalité, Mussolini cherche à faire du Pape, comme le Roi, son obligé pour incarner l'ordre traditionnel. Et d'ailleurs, le PNF organise des messes païennes et fascistes alors même que le pays a renoué avec le catholicisme d'Etat. On est ici dans quelque chose d'assez hypocrite pour ne pas dire doublement hypocrite. Mais si le Pape a avalé beaucoup de couleuvres, une ne passe pas : l'éducation de la jeunesse. Tandis que le fascisme cherche à faire des jeunes hommes des soldats et des jeunes filles des mères, l'Eglise aspire à en faire davantage des croyants, si possible pacifistes, dans le respect des Evangiles. Cela est d'autant plus énervant pour Pie XI qu'il a réclamé sans succès qu'il y ait moins d'anticléricaux sur les listes fascistes aux législatives, et pour lequel Mussolini a répondu que l'essor de cette secte d'Orient n'est dû qu'à l'Empire Romain. Le ton est donné. Le Pape ne goûte pas non plus beaucoup au culte de Garibaldi, un républicain anticlérical s'il en est, que le Duce organise passablement. Dans l'encyclique Non abbiamo bisogno, le Pape estime qu'il faut que l'Etat ne s'ingère pas dans l'éducation des jeunes ainsi que dans la vie des familles. En réaction, l'Action Catholique est attaquée par les squadristes. L'incident s'en arrête là et en 1931, les deux pouvoirs se réconcilient. Il n'empêche que cela laissera des traces. Plus grave est sans doute la crise économique de 1929 tout droit venue des Etats-Unis et qui, si elle frappe l'Italie avec moins de violence que les autres pays comme l'Allemagne, va avoir des conséquences dramatiques : les exportations chutent de 60%, la production de 33% ce qui cause 1 million de chômeurs et l'augmentation des faillites. Mussolini va réagir de manière ambivalente. Tout en maintenant l'Etat-Providence, les allocations et le loisir, il baisse de 12% les traitements des fonctionnaires et de 10% les salaires privés. En 1936, Mussolini est obligé de renoncer à son rêve d'une lire forte et dévalue sa monnaie de 40% tout en contenant encore la consommation intérieure pour éviter une inflation trop forte. Il va alors renforcer son protectionnisme autarcique en augmentant les droits de douane, en procédant à un contrôle rigoureux des taux de change, en interdisant aux Italiens d'acheter des titres à l'étranger (sauf accords de clearing avec l'Allemagne, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie), créer une Banque de crédit publique ainsi qu'une Banque d'escompte. Les nationalisations ainsi que la création de holdings d'Etat achèvent de faire de l'Italie un pays qui dirige l'Economie de manière radicale. Loin est le temps du Mussolini libéral. Il va même en 1935 adopter la semaine de 40 heures, créer le sabato fasciste (samedi fasciste) dans lequel l'après midi est destiné aux loisirs. Le dimanche, les billets de train sont à un prix de 70% inférieur pour permettre aux Italiens de se déplacer. Cet évergétisme va beaucoup inspirer le plus honorable Front Populaire français un an plus tard. L'Italie sort donc de ces deux crises par le haut et est prête pour les épreuves à venir. 

Une politique extérieure schizophrène. 

S'il y a dans l'Histoire l'exemple d'une diplomatique duplique, c'est bien l'Italie fasciste qui serait citée en exemple. Alors qu'elle rêve de créer une Internationale fasciste, elle fonde via Gravelli le périodique AntiEuropa regroupant le Nazi Rosenberg, le Britannique Mosley, le Français Léon Daudet, le Norvégien Quisling et le Suisse Fonjallaz. Evidemment, l'arrivée au pouvoir des Nazis va beaucoup flatter Mussolini, tant il sait que Hitler l'admire, mais deux choses l'agacent particulièrement : les vues des Nazis pangermanistes sur l'Autriche ainsi que l'exaltation germanique et anti-méditerranéenne des esthètes nazis. Dès 1934, Mussolini finance des mouvements fascistes partout en Europe, d'abord par l'intermédiaire du CAVR dirigé par Coselschi, une sorte d'Alliance Fasciste dans laquelle on trouve des Français, des Britanniques, des Néerlandais, des Suisses, des Espagnols et des Norvégiens. A partir de 1935, cette organisation disparaît car Mussolini va se rapprocher davantage d'Hitler. Pourtant les financements continuent. Osley et son British Union of Fascists va particulièrement recevoir de fonds mais aussi Déat, Marquet, Doriot et Bucard en France ainsi que José Antonio Primo de Riveira, le phalangiste espagnol. En réalité, Mussolini sait déjà qu'une révolution fasciste est impossible au moins en France et en Espagne, il veut tout simplement y maintenir un certain désordre. Le régime fasciste est particulièrement admiré à l'étranger, une sorte de troisième voie intéressante. La droite y voit un courant possible. Churchill, notamment, va écrire de véritables lettres d'amour à Mussolini. Si la gauche le déteste, une petite partie de celle ci, représentée par Doriot en France, finit par s'y rattacher. Mussolini reçoit Gandhi, l'indépendantiste irlandais de Valera, le sioniste Chaïm Weizmann, Dolfuss, Salazar et écrit même des articles pour la United Press américaine. Mussolini ne tarit pas d'éloges pour Roosevelt qu'il admire, surtout après le New Deal. Une pièce de théâtre en France, écrite par Mussolini, sera même jouée par des comédiens de gauche! Pourtant, malgré ce jeu là, Mussolini joue un double-jeu. Il nomme en 1929 Grandi aux Affaires Etrangères qui a 4 objectifs : entretenir une sorte d'amitié avec l'Angleterre, une relation de bon voisinage avec la France, être prudent avec l'Allemagne et l'URSS et surtout avoir des bons rapports avec la SDN. Dino Grandi va même être tellement bon dans cette tâche que Mussolini l'accuse d'avoir été corrompu par l'esprit de Genève et l'envoie être Ambassadeur à Londres. Mais très vite, les Français veulent séduire Mussolini pour éviter que ce dernier ne s'allie avec les nazis. Dans un Pacte à 4 le 7 juin 1933, l'Allemagne, l'Italie, la Grande Bretagne et la France tentent de signer un compromis pour éviter que deux blocs n'apparaissent en Europe mais la France va vider le projet de sa substance, n'acceptant aucun compromis sur le Traité de Versailles. En Autriche, les nazis pangermanistes assassinent le Chancelier Dolfuss ce qui rend furieux Mussolini. Il avait juste avant rencontré à Stra le 13 juin 1934 Adolf Hitler pour la première fois. Autant dire que leur rencontre se passe mal : Hitler insinue que les Italiens sont des crypto-négroïdes tandis que Mussolini hurle. Il dira de lui : Quel polichinelle! C'est un fou, un obsédé sexuel! Ce dégénéré mental, à l'armée encore contestable, Mussolini le méprise encore et son antisémitisme le dérange d'ailleurs beaucoup. Après la constitution d'un nouveau Cabinet Doumergue en France, les Italiens profitent de ce froid pour séduire encore les Yougoslaves. Barthou est chargé de réconcilier les Yougoslaves et les Italiens afin de pouvoir discuter davantage. Mais, à Marseille, Barthou et le Roi Alexandre de Yougoslavie sont assassinés. Cet assassinat, peut-être financé par les nazis, est le fruit des Oustachis croates. Mussolini refuse alors d'extrader les croates ce qui crée un froid diplomatique. Pourtant, l'arrivée de Pierre Laval aux Affaires Etrangères va tout changer. Les deux hommes se rencontrent et Pierre Laval parvient à l'amadouer et reconnaît à mots couverts qu'il accepte les visées de Mussolini en Ethiopie. Quand Hitler annonce la création de sa Wehrmacht, le sommet de Stresa réunit les France, les Britanniques et les Italiens. On a alors parlé du front de Stresa. Ce dernier va voler en éclat sur un malentendu. 

MUSSOLINI ET LE TOTALITARISME TOTAL (1936-1943).

A partir de 1936, tout change pour Mussolini. Son régime va rentrer dans une phase de violence sur le front intérieur comme sur le front extérieur. Ici, ce sera l'histoire de ses échecs terrifiants et de son inhumanité croissante qui sera contée. 

La Guerre d'Ethiopie.

Mussolini convoite l'Ethiopie pour deux raisons. D'abord, il souhaite obtenir un empire colonial comparable à celui de la Grande Bretagne et de la France. Ensuite, parce que l'Ethiopie est, avec le Liberia, le seul pays à ne pas encore avoir été colonisé. Son Empereur, le ras Makonnen, nommé Haïlé Sélassié, vit dans un pays qui longe les frontières de la Somalie et de l'Erythrée, possessions italiennes. Mussolini se croit soutenu par Pierre Laval, selon la théorie du clin d'œil, qui aurait voulu que le Ministre a peut-être acquiescé au projet, ce qui n'est pas sûr mais ne serait pas non plus étonnant. Il se croit également soutenu par les Britanniques qui, lors du front de Stresa, ont été ambiguës sur la question. Les relations entre l'Ethiopie et l'Italie sont très tendus car en fin d'année 1934, l'accident de Ual-Ual ainsi que le fait que la SDN ait donné raison à l'Italie après cet accident à la frontière ont refroidi les fausses amitiés des deux pays. De plus, Mussolini a, par des travaux sur les routes et les ports en Erythrée et en Somalie, bien démontré ses intentions guerrières. Il veut offrir à son armée une guerre afin de remobiliser les esprits, et surtout refonder l'Empire Romain : quoi de plus symbolique qu'un pays qui n'a jamais été colonisé par les Romains ? Il envoie très vite 200 000 hommes, 7000 officiers, 6000 mitrailleuses, 700 canons et 200 chars au Negus. 800 000 hommes seront bientôt mobilisés. Mussolini présente cette guerre comme une conquête de civilisation afin d'abolir l'esclavage et la féodalité. Quand Margherita Sarfatti entend cela, déjà en disgrâce, elle dit C'est le début de la fin. -Pourquoi dites vous cela, madame? Croyez vous que nous allons perdre la guerre en Afrique ? -Non Renato, hélas, nous la gagnerons … Et lui, il va perdre la tête. Très vite, la guerre totale (la guerra a fondo) est utilisée sur des Ethiopiens courageux qui vont mourir sous les gaz toxiques et enflammés lâchés par les avions. Si Mussolini avait pensé un temps à utiliser des armes bactériologiques sur les Ethiopiens, ce n'en est pas moins un véritable génocide d'une cruauté rarement égalée. De Bono et Badoglio vont opérer à un véritable nettoyage ethnique et à des viols de masse sans aucun état d'âme. Bien sûr, l'invasion crée un tollé international. Mussolini n'était pas vraiment soutenu, il s'était trompé d'époque, ce genre de conquête ne se faisait plus et les opinions publiques, y compris à Londres et à Paris, répugnent aux guerres de conquête. La SDN, qui a déjà dû laisser passer l'invasion de la Mandchourie par le Japon en 1931, ne va cette fois pas laisser passer. L'Italie est déclarée pays agresseur et des sanctions économiques sont prononcées à l'égard du pays du fascisme. Mais ces sanctions sont mal appliquées : l'Allemagne, la Yougoslavie, l'URSS, la Belgique, la Pologne et la Tchécoslovaquie ne vont pas les respecter. Il n'y aura également aucun embargo pétrolier sur le Canal de Suez si bien que l'Italie va même se développer économiquement alors que la SDN souhaitait exactement l'inverse. Autant dire qu'elle a été plus qu'inefficace. Laval va tenter un temps de négocier une paix en offrant à Mussolini deux tiers du territoire éthiopien, mais il va être limogé. Très vite, la guerre est gagnée. Mussolini annonce la création de l'Empire Romain, Victor-Emmanuel III est nommé Empereur et Mussolini Premier Maréchal d'Empire. Les relations avec la Grande Bretagne et la France sont rompues. Il ne reste plus qu'un seul allié possible : l'Allemagne. 

L'alliance avec l'Allemagne : la dolce Vita.

Alors, comment donc expliquer que l'Allemagne et l'Italie vont se rapprocher autant ? Evidemment, il y a la guerre d'Ethiopie et l'attitude de la SDN. Mais ce n'est pas le seul véritable critère de rapprochement. D'abord, le fait que l'Italie se tourne vers l'outre-mer laisse le champ libre aux Allemands dans les Balkans qui veulent se procurer un Lebensraum, un espace vital. Cela permet donc aux deux puissances de ne pas marcher sur leurs plates bandes respectives. Ce qui les rapproche également, c'est leur modèle économique fondé sur l'autarcie et donc sur une entraide entre puissances. Evidemment, l'idéologie fasciste a beaucoup de points communs avec l'idéologie nazie, et cela va permettre un discours plus franc et plus honnête entre deux prédateurs. Il faut également souligner que la France voit arriver au pouvoir en 1936 le Front Populaire, une alliance de communistes, de socialistes et de radicaux, très antifascistes et que le Cabinet Eden, au Royaume-Uni, n'est pas plus aimable. Très vite, Mussolini, premier acte de soumission, va accepter que l'Autriche soit une Nation allemande et renoncer à tous ses droits sur ce dernier. Très vite, les nazis et les fascistes vont trouver un terrain d'entente : l'Espagne qui sombre dans la guerre civile. Tandis que les nazis envoient des troupes, surtout aériennes, pour aider les phalangistes, Mussolini va envoyer plusieurs milliers d'hommes aider le Général Franco pour traverser le pont d'eau qui le sépare de l'Espagne, lui qui est posté au Maroc. Ce n'est pas la première fois que Mussolini soutient un nationaliste en Espagne. Il avait déjà financé Primo de Riveira et son fils et tenté un coup d'Etat en 1932 avec Sanjurjo. Alors que Mussolini feint de ne pas envoyer de troupes légales, il envoie des légions de volontaires comme d'ailleurs le font les communistes français et soviétiques. La peur d'un axe Madrid-Paris-Moscou traumatisait beaucoup les deux dictateurs. Mais très vite, des premières dissensions apparaissent entre eux. Alors que Mussolini veut une guerre rapide, se rendant compte que ses troupes sont mal préparées, et peu motivées, Hitler veut quelque chose de plus lent, afin de pouvoir s'exercer davantage. L'échec de Roatta à la Bataille de Guadalajara après la victoire de Malaga mine le moral des troupes et on dénombre déjà 4000 morts italiens, 11 000 blessés et 6 milliards de lires de dépensés. Une ruine. Pourtant, Franco finit par l'emporter. Mussolini va bientôt parler de l'axe Rome-Berlin, même si en 1936, il ne lui donne pas le sens que nous lui donnons aujourd'hui. En effet, Mussolini continue à discuter avec les Britanniques et les Français en sous-main. Pourtant, en 1937, Mussolini visite Hitler en Allemagne et tombe littéralement sous son charme, retenant de ce périple des souvenirs indélébiles. Très vite, l'Axe a des alliés en Europe : la Hongrie, l'Autriche, la Yougoslavie profasciste du Régent Paul et de son Premier Ministre Stojadinovic. Allez savoir pourquoi, la visite de 1937 va provoquer dans les esprits de Mussolini et du Comte Ciano des projets fous : ils rêvent d'une guerre préventive contre l'URSS, veulent bombarder la flotte anglaise, déposent des armes aux frontières avec la France, rappellent leurs Ambassadeurs de Paris, se retirent de la SDN, reconnaissent le droit du Japon sur la Mandchourie et acceptent toutes les velléités guerrières de Hitler sur l'Autriche. Cet envoûtement de celui que Mussolini méprisait quelques années auparavant est à ce titre stupéfiant. Il sera complètement ébloui par le Führer quitte à perdre bientôt tout sens commun. 

Mussolini, l'Arbitre de l'Europe ou le Loup de l'Europe ? 

Le 11 mars 1938, Mussolini est estomaqué. Son allié, Hitler, sans le prévenir, annexe l'Autriche. Cela ne va pas vraiment changer l'envoûtement du Duce par le Führer mais la chose est de taille. Je ne reviendrai pas sur le détail de la Seconde Guerre Mondiale et des conquêtes allemandes car je l'ai déjà fait dans Comprendre le pouvoir d'Adolf Hitler. Pour autant, Hitler prend possession du Danube : cela veut dire du pétrole roumain, du blé hongrois et des minerais/bois de la Yougoslavie. Si le Duce a si facilement accepté, c'est qu'il a fait deux ans plus tôt exactement la même chose en Ethiopie, et que Hitler l'avait soutenu. Il avait en outre abandonné l'Autriche à l'Allemagne. Il ne peut pas vraiment faire la vierge effarouchée. Il aura cette phrase assez terrible et qui annonce beaucoup des drames italiens à venir Quand un évènement est fatal, il vaut mieux qu'il se produise avec vous que malgré vous, ou pire, contre vous. Lors de la Crise des Sudètes, Mussolini va être l'arbitre neutre et rencontrer à Munich Daladier et Chamberlain. Dans son pays, acclamé par la foule qui l'appelle l'Ange de la Paix, Mussolini est prodigieusement agacé par le pacifisme de son opinion publique. Mais, à ce moment là, la France, dans une ultime tentative, va tenter de reprendre contact avec Mussolini en rétablissant ses contacts et en reconnaissant l'annexion de l'Ethiopie. Mais quand François-Poncet vient visiter le Duce le 30 novembre, la foule scande "Tunisie, Corse, Djibouti, Nice, Savoie". En fait, Mussolini a déjà fait son choix : ce sera l'Allemagne. Mussolini veut en effet reprendre à la France des terres et surtout agrandir son empire colonial. Son ambition est démesurée : il veut l'Albanie, le Tessin Suisse, aller jusqu'au Rhône, la restitution de la Corse et la prise de la Tunisie. Il veut enfin pouvoir marcher sur l'Océan et avoir un grand Empire qui lui permettra de faire en l'an 2000 de l'Italie, avec l'Allemagne, l'URSS et le Japon les quatre puissances mondiales contre les puissances ploutocratiques de l'argent que sont la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis. Après que la Tchécoslovaquie a été là encore sans prévenir annexée par l'Allemagne, Mussolini annexe l'Albanie du Roi Zog Ier les 7 et 8 avril 1939. Le 22 mai 1939, il signe avec Hitler le pacte d'acier qui les liera à la vie à la mort. Mais ce traité Ribbentrop/Ciano contient en lui même certaines clauses dans lesquelles il est possible de s'enfouir : celle des 3 années sans guerre mondiale l'est par exemple. Pour autant, ce Pacte va faire de Mussolini le second d'Hitler, son inféodé et ne pourra pas échapper à la catastrophe à laquelle il le conduit. Alors, Mussolini voulait-il vraiment la guerre ? Était-il assez mégalomane pour ne pas ignorer que son armée était tout sauf prête à l'affrontement, même trois ans plus tard ? Il n'empêche que pendant ce temps là, le totalitarisme fasciste s'aggrave et entame sa révolution culturelle. 

Révolution culturelle du fascisme et antisémitisme. 

A partir de 1937 et jusqu'à la veille de la guerre, Mussolini opère au grand virage du fascisme qui doit se renouveler culturellement. Les questions qu'implique ce grand virage sont celles ci : cela est-ce une conséquence logique et l'aboutissement du fascisme ? Est-ce dû à une volonté de Mussolini, tout seul ? Ou est-ce l'influence du nazisme qui a poussé Mussolini à tant radicaliser son régime ? La question est complexe et mérite pourtant d'être posée. En tout cas, le Duce cherche à arrêter l'embourgeoisement de son régime, à en extirper le vice capitaliste et à bien démontrer que l'Italien modèle n'est pas un bourgeois rural, mais bien un agriculteur respectueux de sa terre, travaillant dur à la tâche. Cette image du soldat paysan va être relayée par le PNF qui accentue son emprise sur les masses. Un quart des Italiens et 8 millions de jeunes sont dans ses rangs. En 1937 est même créée les GUF (Groupes Universitaires Fascistes) pour les étudiants. En 1939, Mussolini abolit le Parlement et crée à sa place la nébuleuse chambre des faisceaux et des corporations. L'économie, elle, s'est améliorée. La production a augmenté, ainsi que les exportations. Il reste tout de même 700 000 chômeurs et l'agriculture, pourtant nerf de la guerre symbolique du régime, se porte mal. Petit à petit, alors même que la révolution culturelle est en plein boom, un vent d'impopularité encore imperceptible grandit dans les milieux d'affaire mais également dans la classe moyenne urbaine. L'antifascisme n'est pas encore de retour mais on peut, dans les rapports préfectoraux, s'apercevoir de sa renaissance légère. Niveau religion, depuis l'avènement de Pie XII, les rapports sont tranquilles entre fascistes et catholiques. Néanmoins, la question juive est symptomatique d'une réelle influence nazie. Alors que les Juifs avaient été libérés de leurs ghettos par le Risorgimento, et que beaucoup de Juifs s'étaient enrôlés dans le fascisme, et même que la maîtresse du Duce était juive, le faisant rencontrer par après un chef sioniste, le retournement est incompréhensible. Mussolini disait d'ailleurs L'antisémitisme n'existe pas en Italie. Les Juifs Italiens se sont toujours bien comportés comme citoyens, et comme soldats, ils se sont bien battus. L'Italie fasciste est même à ses débuts largement moins antisémite que la démocratique France voisine. Pourtant, petit à petit, l'Italie va vriller. D'abord, Mussolini s'est rapproché des milieux musulmans, notamment palestiniens puis ensuite des milieux nazis. Il commence à adopter un discours racialiste à l'égard des Noirs, notamment les Ethiopiens, les Somaliens et les Erythréens. Il est tellement raciste qu'il punit de cinq ans d'emprisonnement tout madamisme, à savoir métissage avec les populations locales pendant la guerre (ce qui n'a pas empêché ceci dit les viols de masse pendant la guerre). Alors même que les nazis n'ont jamais exigé de Mussolini un quelconque antisémitisme à l'égard des 47 000 Juifs italiens, vivant surtout à Livourne, Ancône, Ferrare et Rome, on commence à parler de judaïsation. En juillet 1938, le Manifeste des Savants, paru dans Il giornale d'Italia surprend les Juifs par sa violence à leur égard. Tandis que le 1er septembre 1938, le Conseil supérieur de la démographie et de la race est crée et que Julius Evola, dans sa Synthèse des doctrines de la race, commence à parler de race aryo-romaine, des mesures antisémites sont édictées par le gouvernement : l'interdiction des inscriptions d'enfants Juifs étrangers dans les écoles et leur expulsion, la révocation des naturalisations depuis 1919, l'exclusion des Juifs de l'armée, de l'enseignement, des professions intellectuelles et de la fonction publique, l'interdiction du mariage mixte, la création d'écoles spéciales, etc … Alors comment expliquer une telle folie, alors même qu'à ce stade, les Nazis n'avaient encore rien demandé ? Est ce de la soumission, de la compromission intellectuelle ou une évolution endogène ? La question est loin d'être réglée mais l'antisémitisme tardif du fascisme italien finit de le ranger dans la pourriture de l'Histoire.  

Le début de la guerre, la doctrine de non-belligérance et une entrée ratée

Quand, en 1939, l'Allemagne attaque la Pologne. Mussolini est bluffé. Il n'a pas les moyens de commencer la guerre et face à une opinion publique et un Roi neutres, il se réfugie derrière une clause du pacte d'acier pour ne pas entrer en guerre. Cette doctrine de la non-belligérance rendra furieux Hitler qui perdra désormais toute confiance en Mussolini, même s'il ne lui pas fait ressentir sur le moment. Mussolini pousse même le culot jusqu'à proposer de présider une conférence de paix, ce que Hitler refuse non sans une certaine morgue. En 1939, les antinazis (Balbo, Bottai, Grandi, Ciano) sont majoritaires au Gouvernement et en secret, le comte Ciano négocie avec le Royaume-Uni. Pourtant, s'il n'entre pas en guerre, le Duce n'en est pas moins fidèle à l'Allemagne en lui envoyant du cuivre et du blé. Le Président du Conseil français Reynaud propose à Mussolini une partie de la Tunisie et de l'Algérie en échange d'une aide militaire, ce que Mussolini refuse, complètement persuadé que l'Axe va gagner la guerre. Quand la Blietzkrieg commence de manière impressionnante, cela réveille Mussolini qui se décide, le jour de la reddition belge, le 28 mai, à entrer en guerre avec l'Allemagne contre la France. Malgré des lettres de Churchill, Mussolini est persuadé, surtout après la Bataille de France, de pouvoir tirer meilleur parti de son alliance avec l'Allemagne. Alors qu'Hitler souhaitait qu'il attaque Malte où sont postées des troupes anglaises, Mussolini préfère attaquer la France le 20 juin afin de pouvoir réclamer les terres dont il rêve tant ce qui agace déjà Hitler. Mais quand il apprend que l'armée italienne, pourtant en nombre supérieur (300 000 contre 80 000), n'arrive pas à prendre la France alors même que Paris est tombée, Hitler rentre dans une rage folle, d'autant plus que Mussolini réclame une paix séparée. En outre, Mussolini comprend mal pourquoi Hitler est si gentil avec la France alors qu'elle est à genoux. Il se voit forcé de renoncer à occuper le sud est de la France, qui est la zone libre. Mussolini commence donc déjà très mal la guerre car il n'est même pas fichu de vaincre un pays déjà vaincu. En réalité, Hitler caresse l'idée d'une Internationale fasciste composée de la France, de l'Italie et de l'Espagne, ce que Mussolini ne veut pas, puisqu'il désire s'emparer de la Corse, de Nice et de la Savoie. Mais le début de la guerre est aussi complètement raté en Afrique du Nord car Cunningham va vaincre les troupes italiennes sur la mer comme sur la terre en Ethiopie. En Libye, Wavell réussit aussi à vaincre les Italiens et à faire 130 000 prisonniers. Le Duc d'Aoste va même capituler. Mussolini, furieux, rejette la faute sur ses généraux et sur ses troupes, qui ne seraient pas assez motivées. Autant dire que le début de l'entrée en guerre de Mussolini est raté, à l'inverse de celle de Hitler qui a en quelques semaines déjà envahi le tiers de l'Europe. Ce dernier est considérablement agacé par le Duce mais ne veut pas le braquer. Il ne s'attend pourtant pas à la catastrophe qui attend Mussolini. 

La débâcle italienne et le 25 juillet 1943. 

La mégalomanie ainsi que l'orgueil de Mussolini n'auront plus de limites. Alors même qu'il vient de prendre une fessée monumentale en France et en Afrique du Nord, il se met en tête d'attaquer la Grèce. En effet, sans le prévenir, les Allemands ont envahi la Roumanie afin de s'assurer de leur approvisionnement en carburant. Mussolini estime qu'il doit lui rendre la pareille en attaquant la Grèce de Mitaxas. Quand Hitler apprend cela, alors qu'il vient d'être déçu par Franco et Pétain, il est furieux, d'autant plus que la Bataille de la Grèce se trouve être un énorme bourbier pour les troupes italiennes. 70 000 hommes puis bientôt 550 000 sont obligés de se replier derrière les frontières albanaises. Hitler, plus que furieux, est obligé d'envoyer ses troupes faire tomber la Yougoslavie et la Grèce en trois semaines. Mussolini, humilié, ose réclamer encore une fois une paix séparée. Hitler est également obligé d'envoyer les Afrikakorps de Rommel pour sortir les troupes italiennes de leur repli. En fait, Mussolini a d'ores et déjà tout perdu et son inféodation à Hitler est totale. Sur le front intérieur, son charisme en a pris un sacré coup. De plus, ses maux de ventre ne lui laissent aucun répit, son fils Bruno a été tué et Mussolini déprime. Pour faire face à l'effort de guerre, Mussolini augmente radicalement les impôts, ordonne le rationnement du pain, des matières grasses, du sucre, de la viande et des pommes de terre ce qui aggrave la malnutrition. Le mécontentement est palpable malgré les efforts du PNF de Serena pour remobiliser l'opinion publique. Ce dernier mobilise en outre les fasci femminili, c'est-à-dire les femmes, tout en faisant des purges. Mais bientôt, il est limogé car trop puissant. Alors que Mussolini a eu le faux espoir de pouvoir attaquer Malte et la Libye (Opération Hercule), des grèves éclatent dans le pays, organisés par les communistes. Même les conservateurs et le Roi commencent à avoir des doutes. Les bombardements alliés touchent désormais les villes italiennes et un scandale touchant la famille de la maîtresse du Duce, les Petacci, achèvent le travail. De plus, l'opinion publique vient à apprendre les génocides entrepris par les nazis sur les Juifs par l'intermédiaire de leurs soldats qui fréquentent les SS. Mussolini aura même le mot amusé de Ils se font émigrer dans un autre monde. L'humanisme des Italiens, y compris des militaires, est réel et ils n'auront de cesse de tenter de sauver les Juifs destinés à être assassinés par les Nazis. Très vite, les fascistes, les conservateurs et les hommes du Roi commencent à se rencontrer. Ils prennent acte de la mauvaise santé de Mussolini, de son refus de signer une paix séparée avec les Britanniques, de son entêtement pro-allemand, de la disgrâce de Ciano qui avait tenté de convaincre les Nazis de signer une armistice avec l'URSS et décident de se rebeller. Le 9 juillet 1943, les Alliés prennent pied en Sicile et c'en est trop. Tous se révoltent en cachette (Grandi, Bottai, Ciano) et même si Rachele a tenté de prévenir Mussolini, ils convoquent Mussolini au grand conseil fasciste pour lui dire ses quatre vérités et le destituer à 19 voix contre 7. Le 25 juillet 1943, le Roi, dans le complot, expose la situation à Mussolini en ces termes : Rien ne va plus, le moral de l'armée est au plus bas. Le vote du Grand Conseil est une catastrophe. Vous êtes en ce moment l'homme le plus haï d'Italie. Vous ne pouvez plus compter sur vos amis. Un seul vous reste : moi. C'est pourquoi, vous pouvez en avoir ma parole, vous n'avez pas à vous préoccuper de votre sécurité personnelle, j'y veillerai. Autant dire que le Roi vient de renverser Mussolini et de nommer à sa place le chef d'état major des armées italiennes, Badoglio. Partout, des scènes de liesse éclatent et les symboles du fascisme sont attaqués. Badoglio dissout le PNF, la chambre des faisceaux et des corporations, le Grand Conseil Fasciste, la Milice et instaure un gouvernement de techniciens, conservateur, monarchiste et autoritaire. Très vite, Mussolini est emprisonné (alors que Badoglio voulait le faire abattre), on rend public ses relations/correspondances avec Clara Petacci et on signe l'armistice. Il ne reste plus rien du fascisme. 

MUSSOLINI ET LE DERNIER ACTE DE SON POUVOIR : LA REPUBLIQUE SOCIALE (1943-1945).

La suite de la vie de Mussolini est quasiment un film hollywoodien arrosé d'une bonne rasade de tragique. Alors que l'Italie vient de rejeter le fascisme et de renverser Mussolini, Hitler le fait libérer par un commando de parachutistes SS dirigé par Skorzeny. Il envahit ensuite directement l'Italie et se confronte à Rome aux troupes alliées. Hitler donne à son poulain Mussolini une nouvelle République, appelée la République sociale, ou la République de Salo (qui porte bien son nom). Le nouveau Parti Républicain Fasciste est donné à Alessandro Pavolini et le chef de l'armée est Graziani. Ce parti fasciste va renouer avec le Premier Fascisme et le Manifeste de Vérone, qui est censé devenir le nouveau credo du Parti Fasciste, un compromis parfait entre ceux que Mussolini appelle les gauchistoïdes et les corporatistes. Il parle d'une République du travail contre les ploutocrates et la bourgeoisie. Il ordonne la cogestion des entreprises, la participation des travailleurs ainsi que les nationalisations des entreprises stratégiques. D'ailleurs, une des rares Lois de la République de Salo concerne la socialisation des entreprises, ce qui finit de fâcher le Duce avec les milieux d'affaires qui soutiennent Umberto, le successeur de Victor Emmanuel III. Pendant ce temps, le SS Karl Wolf fait régner la terreur dans cette République qui est pourtant rejointe par des jeunes loups amoureux du Duce et qui se dote d'une armée de quelques milliers d'hommes, ce qui n'est pas rien. On sait que l'état d'esprit de Mussolini est alors en dents de scie. Il oscille entre des moments de grand désespoir et de grande douleur d'estomac avec des moments d'espoir, notamment lors de l'Offensive des Ardennes et quand Hitler lui parle des fusées V1 et V2. Il est obligé en revanche de voir se déchirer les deux femmes de sa vie : Rachele et Clara qui s'envoient des amabilités au visage, voire se battent. Un vaudeville tragique sous les yeux d'un Hitler dominateur : voilà la vie de Mussolini dans cette République éphémère et nihiliste. Très vite, la percée de la ligne Gustav puis de la ligne Gothique par les Alliés, ainsi que la flambée de la résistance communiste et socialiste partout dans le pays, le forcent à la désillusion : il va mourir. Après avoir vu pour la dernière fois Hitler qui vient de subir une tentative d'assassinat, il déménage une dernière fois à Milan où il prend ses derniers bains de foule. Puis, le 28 avril 1945, un envoyé de la Résistance (PCI/PSI/Parti d'Action), Walter Audisio, surnommé Valerio, exécute Mussolini qui s'était déguisé en soldat allemand avec sa compagne Clara Petacci, qui avait voulu rester avec lui jusqu'au bout. Il reste des grandes zones d'ombre sur la fin de Benito Mussolini, notamment à cause des recherches récentes sur une éventuelle implication de Churchill et des services secrets britanniques opposés à l'option de Roosevelt, qui souhaitait quant à lui un procès. Les correspondances compromettantes entre Mussolini et Churchill auraient sans doute pesé dans la balance mais rien n'est moins sur que ça. La version officielle est que Mussolini a péri sous les balles de la résistance italienne et le symbole est en effet plus beau. Mais des zones d'ombre sur ces trois derniers jours de vie, il y en a beaucoup, comme sur celui de son régime tout entier. Finalement, l'ombre est encore ce qui va le mieux au pays des chemises noires. Un pays qui, après la chute de Mussolini, a vu beaucoup de ses Juifs être déporté par les SS et qui ne pardonneront jamais au Duce de s'être allié avec Hitler. 


Commentaires

  1. C'est plus un article mais un petit livre électronique disponible gratuitement. :D Mes compliments pour votre niveau de français mais ne confondons pas nazisme et fascisme.

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