Anthropologie et Histoire : regards croisés sur la condition féminine occidentale.


Le sujet de l'histoire des femmes, appréhendé sur le temps long et analysé par le prisme des mouvements profonds de la tectonique anthropologique, est hautement sensible. Il charrie avec lui autant de passion que d'écueils, et parmi eux, trois sont dramatiques. Le premier est sans doute celui du relativisme qui conduirait à penser que le féminisme occidental est hors d'âge, déjà suranné, intervenant d'une certaine façon après que les femmes se sont d'ores et déjà libérées. Emmanuel Todd, dans son essai magistral, tombe par moment dans ce fossé là en adoptant une lecture trop globale et comparative de la situation, loin d'être inintéressante, mais qui passe sous silence les turpitudes misogynes actuelles centrées sur les abus sexuels et la question identitaire. L'autre pierre d'achoppement réside sans doute en l'exact opposé au premier : une lecture trop idéologique, et donc foncièrement anti-scientifique, de la condition féminine actuelle. Titiou Lecoq se situe à son tour exactement sur cette pente dangereuse et de manière bien plus problématique qu'Emmanuel Todd. Si son essai est particulièrement intéressant et qu'il jouit d'une grande qualité bibliographique et informative, surtout en ce qu'il s'agit du commencement (Préhistoire-Antiquité-Moyen Âge), il devient au mieux léger, au pire franchement catastrophique sur la fin, passant sous silence des réalités structurelles majeures au profit d'une lecture simpliste, voire puérile, de l'Histoire. Ce sont notamment les chapitres relatifs au XIXème et au XXème siècle qui se révèlent particulièrement compliqués à lire tant le traitement du droit de vote des femmes ainsi que des mutations contemporaines tombe complètement à côté du sujet, ne se donnant même pas la peine minimal de distinguer les pays catholiques des pays protestants, n'essayant pas de mettre en exergue des données scientifiques ou des mouvements de fond à même d'expliquer le difficile sort des femmes, et leur invisibilisation, à cette période. En fait, Titiou Lecoq a une lecture exclusivement idéologique de la question, ce qui peut être passionnant au collège, mais qui fait fi d'une donnée importante : toute idéologie est la conséquence de conditions matérielles précises. La Révolution Française n'a pas lieu parce que les Lumières ont éclairé l'esprit du Peuple mais en raison de l'essor de la classe sociale des bourgeois, ayant commencé au XIIIème siècle et s'étant doté peu à peu une idéologie émancipatrice, conforme à leurs intérêts économiques, et finalement de classe. Bref, Lecoq passe complètement à côté du sujet. Mais il ne faudrait pas, à l'inverse, tomber dans l'ultime piège qui consiste en l'adoption d'une lecture exclusive de la problématique aux dépens de l'autre. Si l'idéologie découle des rapports de force matériels dans une société, elle participe à la maintenir et devient par la même une des causes majeures de son propre maintien. La connaître est nécessaire à condition cependant de la tenir à bonne distance. Les regards croisés entre l'anthropologie et l'Histoire sont donc particulièrement nécessaires. 


Les esprits les plus naïfs, et donc paradoxalement les plus beaux, ont une vision profondément hegelienne de l'Histoire : cette dernière est une lente et magnifique ascension de l'Humanité vers davantage de liberté et se plait à n'être qu'une courbe exponentielle tendant indéfiniment jusqu'au meilleur. Toute époque est donc meilleure que la précédente, et même s'il arrive que des grands malheurs surviennent, ils sont en quelque sorte une "ruse de la raison" : en d'autres termes, le grand fléau est un moindre mal et un moyen contradictoire de faire advenir le meilleur. Après tout, si la Seconde Guerre Mondiale n'avait pas eu lieu, les progrès européens en matière d'Etat de droit seraient-ils aussi poussés ? Y'aurait-il une Cour Européenne des Droits de l'Homme ? Les Etats seraient-ils doté de Cours constitutionnelles ? Au surplus, suivant cette règle déterminée, demain sera en quelque sorte une époque plus développée, plus progressiste, qu'aujourd'hui. Appliquée à la condition féminine, il faut bien reconnaître que cette logique ne fonctionne pas. Les droits des femmes et leurs possibilités d'accéder à la liberté (et au bonheur, si tenté que les deux soient corrélés, ce qui est un autre débat) ne suivent pas le déroulé simpliste d'une lente ascension continue, magnifique et émancipatrice. Bien au contraire, la réalité historique laisse davantage percevoir une courbe sinusoïdale, alternant des moments d'envolée avec des instants de franche chute libre. Evidemment, une approche relativiste pourrait également venir battre en brèche l'entièreté du raisonnement : en quoi la liberté des femmes est-il gage de bonheur pour elles ? Et même, pour être provocateur, faut-il que les hommes et les femmes (au sens biologique pour faire simple) soient égaux ? Les civilisations patrilinéaires de type III et de type IV, dont nous définirons bientôt les caractéristiques, objectent que leur modèle familial et civilisationnel permet à sa manière le bonheur des siens, s'opposant à une vision universaliste du bonheur et donc de la liberté. Toutefois, les manifestations actuelles en Iran et la sécularisation grandissante des classes moyennes urbaines dans les zones les plus patriarcales s'accompagnent d'un mouvement de libération féminine, considéré comme colonial par ses détracteurs. Il faut donc tout de suite mettre les choses au clair : il n'y aura aucune lecture morale dans la comparaison du sort des femmes dans le monde. Leurs conditions seront exposées selon des critères objectifs, des chiffres démographiques, des statistiques exigeantes et surtout pas des jugements de valeur, tant les notions de bien et de mal varient en fonction des aires civilisationnelles, des époques et des classes sociales. Si l'Occident a globalement sa manière de considérer le rôle des femmes dans la société, encore que cela varie grandement en fonction des structures anthropologiques familiales historiques, il faut bien reconnaître que les pays de l'axe PBO (Pékin-Bagdad-Ouagadougou : concept d'Emmanuel Todd), allant de la Chine jusqu'au Golfe de Guinée, en passant pas le nord de l'Inde, le Pakistan, les pays d'ethnie turque ou de langue Türk, le Moyen-Orient, le Golfe Persique, le Maghreb et le Sahara disposent chacun à leur manière de leurs propres visions du monde qui, pris dans le contexte de décolonisation et de tension grandissante entre pays du nord et pays du sud, rend le sujet pour le moins explosif. 

Un bref état des lieux de la condition féminine française : le paradoxe des ressentis. 

Il y a dans l'Histoire un paradoxe assez étrange selon lequel les moments de violence d'une lutte interviennent exactement au moment où celle-ci a déjà atteint une part immense de ses objectifs initiaux. Tout le monde a la profonde sensation, aussi bien Todd que Lecoq d'ailleurs, que le XXIème siècle est en train d'accoucher d'une forme de révolution profonde où la question féministe devient, et c'est heureux, l'une des pierres angulaires de la pensée politique et sociale. Plus personne, ou presque, ne peut de manière franche et directe appeler à la dégradation civique des femmes. Les intellectuels, même les plus à gauches, même des anciennes figures de proue du féminisme, qui émettent un doute, y compris minime, sur une méthode d'action ou un concept féministe actuel, peuvent rapidement connaître une mort sociale définitive. En France, en 2022, les femmes occupent globalement (il existe quelques exceptions), et de manière inédite dans l'Histoire du monde, tous les postes de pouvoir de la société et jouissent d'une liberté et d'une égalité juridique totale. Pour autant, il ne s'agit certes pas de nier que des progrès restent à réaliser dans de nombreux domaines et que le droit n'est en rien représentatif des faits. De la même façon, ce fameux droit n'est jamais à l'abri d'une remise en question, l'exemple américain (bien que peu comparable pour des tas de raisons) de remise en cause du droit à l'avortement étant un exemple assez frappant de cet état de fait. Ainsi, il est vrai qu'à l'échelle collective, les femmes exercent globalement moins le pouvoir politique centralisé en France, ce qui est d'ailleurs une anomalie si l'on se compare aux pays anglo-saxons (Etats-Unis mis à part, plus en retard sur la question), scandinaves ou même germaniques. Toutefois, cela se résorbe de manière importante et l'Assemblée Nationale qui est de plus en plus paritaire (bien que les femmes y siégeant soient souvent des membres de la bourgeoisie) se féminise à grand pas. De la même façon, dans les couches très supérieures de la société, notamment en ce qui concerne la direction des très grands groupes économiques et financiers, parmi les revenus les plus écrasants du monde occidental, les femmes sont bien plus absentes que les hommes, bien qu'elles aient acquis dans les classes moyennes une position de domination économique et sociale. Autre sujet où les femmes se voient menacées dans leur intégrité : la question des abus sexuels. Les femmes sont les plus fréquentes victimes de viol et d'agression sexuelle en France, comme dans le reste du monde au demeurant. S'il est évident que leur taux n'est pas comparable à celui des pays de l'axe PBO, le sujet reste important et le mouvement Me Too témoigne de cette prise de conscience et de cette volonté de transformer les rapports de désir et de sexualité dans la civilisation occidentale. La cellule familiale du couple est également un des lieux de remise en question des rapports humains amoureux. La principale préoccupation est sans doute en ce sens la question de la vie quotidienne : le partage des tâches ménagères, l'injonction de reproduction et même la fidélité dans un certain nombre de cas. Surtout, le point central est la lutte contre les violences conjugales dont les femmes restent les principales victimes. Si la dénonciation de ces violences prend parfois un tour anti-scientifique, avec la création de concepts fumeux tels que la fumeuse emprise ou le terrible pervers narcissique, il va de soi qu'une chappe de plomb semble s'être considérablement levée sur la question, permettant une réaction des institutions plus rapide (et donc aussi parfois moins juste et réfléchie). Ce qui semble avoir cristallisé les passions en France depuis quelques années est la question du féminicide. S'il est défini par les activistes comme le meurtre d'une femme par son conjoint masculin, il n'a juridiquement pas grand sens. Mais son évocation est tout à fait symbolique et donc efficace. Malheureusement, comme beaucoup de ce qui est politique, l'ampleur des féminicides en France est très exagéré. Sur une population de 70 millions d'habitants, le nombre de victimes est de 90 en 2020 et de 122 en 2021. A titre de comparaison, il était de 148 en 2006 et de 179 en 2007. Si les résultats ne sont pas fameux, ils sont en baisse. Et de la même façon, ils sont à l'échelle d'une population aussi gigantesque assez faibles et se révèlent représenter une forme d'épiphénomène criminel. Certes, certains pays, tel que l'Espagne, font mieux, mais avec une population plus faible et des moyens judiciaires bien moins démocratiques. De manière générale, dans l'ensemble du monde occidental et au Japon, le taux de féminicide est en constante diminution depuis vingt ans. Il est fort à parier que la dynamique se renforcera et que la sensation d'avoir affaire à un phénomène de masse en croissance est davantage lié à un système médiatique sensationnaliste et à une certaine mauvaise foi militante (qui peut se comprendre aisément) qu'à un véritable sujet endémique. 

Mais, pour être honnête intellectuellement, il convient également d'apporter des données qui nuancent grandement le tableau noir avancé par certaines féministes. Il ne s'agit pas ici de donner du crédit ici aux masculinistes qui affirment quant à eux que la société actuelle est devenue un matriarcat, ce qui n'est certainement pas le cas aux vues des éléments ci-dessus rappelés, mais bien d'apporter un peu de nuance dans un tableau en noir et blanc, et ce avec des éléments objectifs. Très longtemps, on a pu dire un peu abusivement que l'espérance de vie féminine était un avantage considérable. Il est vrai qu'étonnamment, dans l'espèce humaine, les femmes ont une espérance de vie légèrement supérieure à celle des hommes. En France, les femmes conservent un avantage d'espérance de vie conséquent. Très longtemps, dans un système familial fondé sur un partage des tâches en fonction du genre, les métiers pénibles étaient souvent exercés par des hommes, notamment dans l'industrie. Il en allait de même pour les métiers à haut risque. Les femmes, exceptées les agricultrices, alternaient souvent un travail domestique (éreintant également, il ne s'agit pas de le nier) ou un travail tertiaire moins éprouvant physiquement. Il est également fort à parier que les conduites à risque ont toujours plus longtemps été l'apanage des hommes, tels que la consommation d'alcool importante ou de drogue, liés à une plus grande précarité psychique, elle-même dérivée de l'anomie économique et sociale. En ce sens, cet écart d'espérance de vie s'expliquait assez rationnellement. Aujourd'hui, l'écart, toujours existant, a tendance à grandement se résorber. Les hommes, eux aussi de plus en plus dans le secteur tertiaire, améliorent un peu leur espérance de vie et les femmes, s'impliquant davantage dans la vie économique et donc s'exposant aux vicissitudes de l'anomie durkheimienne, voient la leur se dégrader. En ce sens, compte tenu de ce critère, le sort des femmes ne s'est pas amélioré et l'entrée dans le mode de vie capitaliste a même de bien des manières empiré leur condition. Le prix de la liberté se paie également par l'angoisse profonde du lendemain. En dehors de cela, d'autres critères démontrent que les femmes se sont affranchies largement des déterminismes originels. Contrairement au cliché répandu, les femmes sont globalement moins victimes de violences que les hommes. 65% des victimes d'homicide sont des hommes, mais souvent ces crimes sont commis par les hommes eux-mêmes, ce qui explique pourquoi ils occupent 85% des places de prison. Plus intéressant, le taux de scolarisation dans le supérieur est extrêmement parlant : sur la classe d'âge des 15-34 ans, 52% des femmes françaises font des études supérieures contre 44% des hommes. Cela semble être une réalité dans les pays à la structure anthropologique comparable tels que le Royaume-Uni (55% de femmes contre 49% d'hommes) ou les Etats-Unis (55% de femmes contre 46% d'hommes). Dans les pays occidentaux où le sort des femmes est légèrement plus dégradé, et où l'économie est plus industrielle, on retrouve le même ratio à des degrés moindre. Ainsi, en Italie, 34% des femmes de cette tranche d'âge font des études supérieures contre 22% d'hommes. Il en va de même pour l'Allemagne (34% de femmes contre 32% d'hommes). Des surprises étonnent en ce sens : par exemple, en Russie, il s'agit de 69% des femmes contre 55% des hommes. Au Japon, pays patrilinéaire s'il en est, 64% des femmes font des études contre 59% des hommes. En bref, partout en Occident (si l'on place le Japon dans cette aire ce qui n'est pas très juste), les femmes font plus d'études que les hommes, et pour cause, elles occupent majoritairement des emplois tertiaires nécessitant des qualifications tandis que les hommes restent majoritaires dans les domaines industriels et techniques. Seule la Chine dispose d'un taux de scolarisation équivalent (18%) pour les deux sexes. Cette répartition explique d'ailleurs pour quelles raisons l'espérance de vie masculine est encore légèrement inférieure et met en valeur les causes de leur surreprésentation dans les maladies professionnelles et les accidents du travail. Il conviendra de revenir sur ce phénomène de tertiarisation plus tard, tant ce sont les pays les plus industriels et donc les moins tertiarisés qui offrent aux femmes les conditions de vie les moins avantageuses et le moins de droits sociaux, selon Emmanuel Todd. Quoiqu'il en soit, la France du bassin parisien fait partie du groupe de tête en ce domaine avec la Belgique, les pays nordiques et les pays anglo-saxons. Ce qui est extrêmement intéressant, c'est que les femmes occupent une majorité des postes de pouvoir économique dans la classe moyenne, surtout dans le secteur public. Le domaine de l'enseignement est de manière écrasante porté par des femmes (sauf certains domaines spécifiques et techniques particuliers) et la magistrature comporte 66% de femmes. Chez les magistrats de moins de 35 ans, elles représentent 84% des juges. Un autre indicateur démontre la complexité du sujet, à savoir le taux de suicide. En France, en 2019, 1 985 femmes se sont suicidées contre 6 450 hommes. Cette différence de taux de suicide n'est pas naturelle et ne se retrouve pas dans toutes les civilisations. La Chine, un des pays les plus inégalitaires de la planète, a par exemple un taux de suicide féminin bien supérieur à celui des hommes, particulièrement à l'âge du mariage. Si certains expliquent cette disparité par la différence des méthodes, les hommes privilégiant des moyens plus violents, et les femmes des moyens moins radicaux, cela n'est pas juste au regard de la comparaison internationale. Bien souvent, les tentatives de suicide par moyen médicamenteux constituent davantage (pas toujours) un appel au secours qu'une véritable volonté de mourir. En ce sens, la précarité psychique pouvant mener à la mort est avant tout un problème masculin, non pas qu'ils seraient plus sujets aux troubles mentaux ou aux dépressions, mais parce qu'ils n'agissent pas autant dans l'appel à l'aide, souvent davantage exclus de ces soins là par l'isolement social et particulièrement éprouvés par une forme de pression morale liée à leur genre. 

Etat des lieux anthropologique mondial de la condition féminine. 

Tout d'abord, avant d'entrer dans le fond du sujet, il faut reconnaître une chose : la France est un des pays qui s'en sort le mieux en matière de droits des femmes. Tous les indicateurs internationaux, de l'OCDE à l'ONU, et même ceux d'ONG indépendantes, qui reprennent des critères précis et objectifs en la matière, aussi bien dans les domaines économiques, sociaux, scolaires, pénaux, successoraux, le confirment. Toutefois, il semble y avoir un noyau dur extrêmement avancé en matière d'égalité homme femme qui se trouve être la Scandinavie, et notamment la Suède. Viennent ensuite des pays tels que la France, le Royaume-Uni, l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas ou la Belgique. Les autres pays anglo-saxons sont également bien placés avec un net rattrapage récent (mais insuffisant) des Etats-Unis ces vingt dernières années. L'Amérique latine elle-même (sauf quelques exceptions en Amérique Centrale) n'a pas non plus de chiffres alarmants bien que nettement inférieurs aux premiers. Dans cet Occident féministe (dans lequel des progrès restent naturellement à faire), il y a également des mauvais élèves qui disposent de nettement moins bons résultats, à l'instar de l'Allemagne, de l'Italie et de l'ensemble de l'Europe de l'Est (sauf Pologne). Si le sort des femmes n'y est pas à proprement catastrophique et plus élevé qu'hors d'Europe, il n'est pas aussi développé que dans l'Occident Atlantique. Le Japon est à rapprocher de ces mauvais élèves européens. La Russie, en retard mais pas totalement larguée, vient ensuite, suivie des pays d'Afrique Centrale et du Sud (bien que l'Afrique du Sud fasse un particulier mauvais score). De manière générale, et de façon tendancielle, Emmanuel Todd met au jour l'existence d'un axe central extrêmement difficile pour les femmes : le fameux axe Pékin-Bagdad-Ouagadougou. Ce dernier parcourt toute l'Asie Centrale, partant de la Chine pour aller au nord de l'Inde, au Pakistan, en Afghanistan, en Iran, au Moyen-Orient (Syrie-Irak-Jordanie-Palestine-Turquie), dans le Golfe Persique (Arabie Saoudite-Qatar-Emirats Arabes Unis) et pour terminer dans le Sahara et dans le Golfe de Guinée, traversant également les pays maghrébins. Ces pays-là présentent des scores bien plus dramatiques et la zone Inde du Nord-Pakistan-Afghanistan-Iran (à laquelle il est possible d'ajouter les pays du Golfe Persique) affichent pour le coup des résultats très préoccupants. Ce qui est assez frappant au regard de la carte est que l'axe PBO, central, est quasiment exemplaire pour imaginer une cartographie parfaite : plus un lieu en est proche, plus les droits des femmes sont dégradés. Plus on s'en éloigne, plus ils sont développés. En réalité, cela a une profonde signification anthropologique et historique. D'autres critères démontrent l'existence de cet axe PBO. Ainsi, le ratio des genres est un indicateur intéressant : dans une société naturelle sans intervention humaine dans les naissances, l'écart dans la population entre le nombre de garçons et de filles (au sens biologique) est quasiment identique, avec un léger petit avantage féminin dû à des réalités génétiques. Dans les pays occidentaux, y compris les plus en retard, et même jusqu'en Russie (pour d'autres raisons, étant donné la mortalité masculine importante due à des problèmes économiques et addictologiques), le sex ratio est globalement équilibré. Dans les pays de l'axe PBO, ce sex ratio est, parfois immensément, déséquilibré au profit des hommes. Dans des civilisations où la place de la femme est dégradée, la sélection des naissances est réelle et a été particulièrement pratiquée en Chine où la politique de l'enfant unique a conduit de nombreux parents à pratiquer un avortement légal sur les embryons féminins. L'Inde et le Pakistan, par la pratique d'infanticides ou d'abandons, connaissent également ce soucis majeur ainsi même que l'Arabie Saoudite (bien qu'ici, cela soit sans doute une question d'immigration de travailleurs hommes en provenance d'Asie du Sud). Mais la question du sex-ratio n'est pas la seule pertinente : il y a aussi la question de l'endogamie. Ici, point de jugement, mais force est de constater que dans un pays où les femmes disposent d'une liberté juridique et sociologique, il y a une tendance naturelle des couples hétérosexuels à l'exogamie, c'est-à-dire le mariage et la reproduction avec des hommes à l'extérieur de leurs groupes familiaux ou communautaires d'origine (dans leur classe sociale, cependant). Dans des civilisations où les femmes sont limitées, voire enfermées, les mariages se font à l'intérieur des groupes communautaires et parfois familiaux, notamment par le biais de mariages entre cousins, ce qui crée une forte endogamie. Seule la Russie présente une exception intéressante à ce sujet. Là encore, l'axe PBO est extrêmement performant : plus on s'en approche, plus l'endogamie est forte et l'exogamie faible. Plus on s'en éloigne, plus l'endogamie est faible et plus l'exogamie est forte. Ainsi, si la France et la Scandinavie sont les pays les plus exogames du monde, le Pakistan et le Golfe Persique présentent des taux d'endogamie extrêmement élevés. Il n'est pas question ici d'insinuer que les pays de l'axe PBO seraient consanguins : rappelons que les groupes communautaires ne sont pas forcément familiaux et que le mariage entre cousins est également légal en France. Toutefois, cette consanguinité semble en effet supérieure dans ces pays là bien que non majoritaire. Autre élément intéressant : l'écart d'âge dans un couple hétérosexuel. Si, de manière générale dans le monde, les hommes sont toujours plus âgés que leurs épouses de quelques années (fait intéressant : les couples lesbiens sont les plus égalitaires en ce domaine et les couples gays les plus inégalitaires avec une moyenne de sept années d'écart) : les pays de l'axe PBO ont l'écart le plus élevé. En France, la moyenne d'écart d'âge dans un couple est de trois années et en ce qu'il s'agit des couples dans lesquels les hommes sont plus âgés, de cinq années environ. Dans les pays de l'axe PBO, il est au minimum de huit années. Bien sûr, il existe des exceptions et les raisons pour lesquelles cet écart d'âge existe partout est encore en étude, mais ce critère vient largement compléter la démonstration précédente. 

Comment l'expliquer ? L'idéologie ne suffit pas. Emmanuel Todd met au jour avec beaucoup de finesse que notre prise de conscience des phénomènes sociaux est limitée. Nous percevons très fortement l'importance de l'économie et de la politique dans l'organisation de nos vies. Nous avons beaucoup plus de mal à nous rendre compte de l'influence de la culture, de l'éducation, de la sociabilisation ou de la religion dans nos manières de voir le monde, y compris quand notre spiritualité est en décalage avec nos concepts naturels. Ainsi, si une part immense des Français et des Européens est de plus en plus athée, ou sans religion, ils continuent de penser avec les ruines intellectuelles des religions passées : Todd parle de catholicisme ou de protestantisme zombie. Inconsciemment, nous continuons à vivre selon les préceptes et les préoccupations de ces civilisations, en dehors de notre foi ou de notre absence de foi. Cela explique par exemple pourquoi les pays catholiques continuent d'avoir des pratiques sociales très différentes et profondes d'avec les pays protestants, alors même que leurs populations croient partager le même mode de vie et la même philosophie. La réalité est en fait plus dramatique : un athée venant d'un pays protestant partage davantage avec un protestant de son pays qu'un athée venant d'un pays catholique. Sa structure intellectuelle est conditionnée par la société et la culture dans lesquelles il naît. Cela se ressent autant dans la conception du droit pénal, plus répressif et dissuasif dans les pays protestants, plus rédempteurs et préventifs dans les pays catholiques, que dans la conception de la vie économique, plus libérale dans les pays protestants et plus dirigiste dans les pays catholiques. Mais là où nous sommes franchement perdus, c'est quand il s'agit d'analyser le poids des structures familiales anciennes, et donc de l'anthropologie, dans nos modes de vie. Nous n'avons aucune idée de l'importance que cela a sur notre façon de voir les choses et donc que cela a sur les droits des femmes, droits qui sont liés au structure familiale par essence. Emmanuel Todd distingue trois types de structures familiales dans le monde à partir d'une cartographie des anthropologies de l'Europe du XVème siècle : 

- La structure familiale nucléaire. Cela renvoie à ce que nous connaissons bien : la famille est fondée autour d'un couple et de leurs enfants. Cela signifie que le lieu de résidence est fondée sur celle d'un couple (hétérosexuel pour faire simple) et que les enfants, une fois indépendants, quittent le domicile familiale pour fonder une autre unité familiale. Parfois, dans certaines familles nucléaires, il existe une brève période où le jeune couple réside très temporairement auprès des parents, en attente de leur indépendance. Cette résidence peut prendre trois formes : soit elle est virilocale (le jeune couple vit dans la famille du jeune homme), uxorilocale (le jeune homme vit dans la famille de la jeune femme) ou bilocale (cela est purement aléatoire). De la même façon, la structure familiale nucléaire peut être soit égalitaire (les enfants héritent de leurs parents de la même manière), soit inégalitaire (les enfants peuvent être privilégiés les uns par rapport aux autres). Les caractéristiques de cette structure familiale sont d'abord son libéralisme : les enfants vivent très loin de leurs parents et sont donc plus libres de leurs mouvements, exempts de pressions communautaires. Dans ces familles, les jeunes femmes sont donc traditionnellement plus libres et la tolérance envers les sexualités alternatives est plus grande. Ces familles sont également plus souples dans leurs déplacements et s'adaptent plus facilement aux nécessités de la vie économique, ce qui explique pourquoi la Révolution Industrielle s'est d'abord développée dans ces pays et que son économie est particulièrement florissante et innovante. Les pays nordiques, anglo-saxons, belges ou néerlandais sont foncièrement nucléaires. La France est également quasiment intégralement nucléaire, à l'exclusion de l'Occitanie et de certaines régions du Massif Central. Le sud de l'Espagne est nucléaire ainsi que le nord et le sud de l'Italie. Fait intéressant : la Pologne est également nucléaire ainsi que la quasi entièreté de l'Amérique Latine. C'est aussi le cas de certains pays du sud-est comme la Thaïlande. La première constatation est ici limpide : la situation des femmes est la meilleure dans ces pays-là, incontestablement. La deuxième constatation : dans ces pays, la tolérance envers l'homosexualité et la question transgenre est également plus grande. Ces idées sont foncièrement liées au faible contrôle social familial et au primat de l'économique, du pragmatique, sur le collectif et la communauté. Cela n'est donc pas étonnant si ces structures familiales ont fait exister de longue date des démocraties exigeantes n'ayant quasiment jamais basculé dans des totalitarismes de quelque sorte. Si l'Italie et l'Espagne ont connu des dictatures d'extrême droite, ce sont dans les zones à structure familiale nucléaire que les îlots de résistance ont été les plus radicaux. De la même manière, ces pays sont presque intégralement exogamiques. Là où les pays continentaux se distinguent des pays anglo-saxons, c'est que les premiers sont égalitaires (la France a imposé dans le Code Civil l'égalité entre les héritiers) et les seconds inégalitaires (la liberté testamentaire est totale). Cette différence explique aussi la réforme protestante et le triomphe du libéralisme économique, et donc du marché, dans les pays anglo-saxons face à des pays catholiques ayant conservé un certain dirigisme d'Etat. Elle explique aussi une différence dans le traitement de l'immigration : si les pays continentaux catholiques réussissent à convaincre les populations immigrées de pratiquer l'exogamie, il n'en va pas de même des pays anglo-saxons. Ainsi, le taux de mariage extra-communautaire chez les immigrés algériens en France est de 40%. Il est, et vous ne rêvez pas, de 0% dans la communauté pakistanaise britannique. 

-La structure familiale souche. Cette structure familiale est moins fréquente mais présente des différences majeures avec le modèle familial nucléaire. Globalement, ces familles ne se structurent pas autour d'un couple mais autour de générations, le plus souvent trois. Vivent sous le même toit des grands-parents, des parents et un enfant accompagné le plus souvent de sa conjointe, faisant partie d'un autre groupe familial. Cette structure a son sens en la présence d'un héritage : si l'un des enfants reste présent avec sa famille, c'est pour hériter de quelque chose, c'est-à-dire d'une entreprise, un terrain ou un fief. Il suffit de penser aux familles aristocratiques pour s'en persuader. Cette famille est présente dans l'ensemble de l'Allemagne et du monde germanique ainsi que dans une partie de l'Europe de l'Est et au Japon et Corée. On en trouve également des traces en Occitanie, dans le Pays Basque et de manière ponctuelle, en Provence. Elle est également présente au nord de l'Espagne. Bien souvent, tous les enfants ne restent pas dans la famille. Il faut en sélectionner un, et la règle est de manière générale la primogéniture masculine. Le premier fils conservera l'héritage familial et épousera une fille d'une autre famille qui viendra vivre sous son toit. Les autres enfants, y compris les autres fils, pourront aller fonder une famille ailleurs et les filles quitteront le domicile familial. Dans de très rares cas, notamment au Pays Basque, la règle est la seule primogéniture, quelque soit le sexe. Dans des cas encore plus rares, la primogéniture est féminine mais ne concerne que les peuples Garos et Khasi du nord-est de l'Inde. Parfois, en Europe, les autres fils de la famille souche s'intègrent dans l'armée ou dans le monde clérical. Il convient de rappeler que ces structures familiales existaient au XVème siècle et ont laissé des traces qui ne correspondent plus vraiment aux structures actuelles. Pour autant, des traits restent. Cette structure familiale se caractérise par son autoritarisme et un contrôle familial fort ainsi qu'une culture de l'entreprise de coopération. L'idée du père, et du chef, est importante et la discipline est une valeur fondamentale. Ces traditions donnent aussi bien des régimes centristes de coopération (sociaux-démocrates ou chrétiens-démocrates) que des régimes fascistes, voire nazis, centrés autour du culte du chef et du Führer. Il n'est pas étonnant que l'Allemagne et le Japon aient été, sous la Seconde Guerre Mondiale, des totalitarismes d'extrême droite et non pas d'extrême gauche : en effet, la famille souche est également inégalitaire. Un enfant prime sur les autres. Cette dualité allemande, partagée entre coopération paternaliste et autoritarisme, reste vivace aujourd'hui. Il existe cependant un grand avantage à la famille souche : la transmission des savoirs. Les pays de famille souche ont été les premiers à adopter la lecture et à l'avoir appris à leurs enfants, ce qui expliquera l'avance prise par ses pays et leur adoption de la Réforme Luthérienne, fondée sur l'imprimerie et la lecture. Elle est donc également gage de réussite économique, notamment industrielle. Les exemples allemands, japonais et coréens sont flagrants : les trois pays sont des puissances industrielles fortement hiérarchisées. Mais la famille souche a bien des aspects sombres : outre sa tendance à l'autoritarisme et à l'exclusion de l'autre, elle intègre très mal ses immigrés (la communauté turque allemande ne réalise que 2% de ses mariages avec les Allemands) et surtout présente un statut des femmes bien plus dégradé, qui empire, notamment au Japon, au sommet de l'échelle sociale. Les femmes allemandes et japonaises, quittant leur domicile familiale d'origine, et en même temps soumises à un contrôle strict de leur nouvelle famille et donc à un travail domestique plus important, ont moins de liberté. Le sort des Allemandes, des Coréennes et des Japonaises est donc sensiblement dégradé par rapport à celles des Françaises ou des Anglaises. La centralisation jacobine française a atténué ces difficultés dans le sud de la France mais l'Espagne, pays régionaliste, conserve cette problématique. Autre point intéressant : la tolérance envers les sexualités alternatives, et la question transgenre, y est logiquement inférieure. Il convient en outre de noter que la famille souche se trouve également en Amérique Centrale et dans certaines régions intérieures de l'Amazonie. 

-La structure familiale communautaire : cette structure est tout à fait différente et fait cohabiter, sous le même toit, l'ensemble d'une famille dans ses composantes masculines. Tous les enfants masculins résident avec leurs parents et leurs grands parents, voire une partie de leurs oncles, eux-mêmes mariés, tandis que les femmes de la famille sont transportées dans d'autres résidences. Ces familles ont un système de parenté patrilinéaire, c'est-à-dire que l'ensemble des caractéristiques identitaires sont transmises des hommes vers les hommes. A titre de comparaison, les familles nucléaires et souches sont bilatérales, c'est-à-dire que les hommes et les femmes transmettent chacun à leur niveau leurs caractéristiques. Plus rare sont les systèmes purement matrilinéaires. Extrêmement autoritaire et très peu libéral, ce système accouche très rarement de démocraties et très souvent de totalitarismes théocratiques ou communistes. En effet, que ce soit sous le prisme religieux ou marxiste, la famille communautaire est égalitaire : les hommes de la famille sont tous égaux, bien qu'ils soient soumis à leur père et sont rarement tentés par l'extrême droite nationaliste classique. Les pays de l'axe PBO sont quasiment tous des anciens systèmes communautaires ainsi même que la Russie, pays du stalinisme. D'autres pays de l'est, à l'instar des Balkans, par exemple la Serbie ou l'Albanie, font également partie de ces systèmes familiaux là. Fortement clivés et claniques, ces pays conduisent également à une certaine sclérose par une absence réelle de démocratie. Si la solidarité familiale est grande, les économies nationales sont rarement florissantes, et quand elles le sont, ne conduisent quasiment jamais à une social-démocratie. Surtout, le sort des femmes y est peu ragoutant. Considérées comme des objets d'échange entre familles, le mariage arrangé y est régulier et surtout endogame, voire dans certains cas consanguin. Ces pays sont également ceux où la polygynie (polygamie ne concernant que les hommes) est la plus pratiquée. Seule la Russie, rare pays communautaire et exogame, a conservé un statut de la femme relativement élevé par rapport aux autres et leur a permis une véritable ascension éducative et sociale. On pourrait même aller jusqu'à avancer que les pays communautaires dans lesquels le statut des femmes est le moins abaissé a plus de chance d'être communiste que théocratique. Evidemment, la tolérance envers les sexualités alternatives et la question transgenre est nulle, en raison d'un contrôle social strict et d'une absence de considération individualiste. Evidemment, là encore, c'est un modèle du XVème siècle, mais les modèles communautaires conservent une certaine réalité surtout dans les pays musulmans. La Chine et la Russie, anciennes dictatures communistes et pays communautaires, présentent aussi un certain nombre de ces caractéristiques bien que la Chine, très développée économiquement, commence à voir son communautarisme peu à peu se déliter. Là encore, le sort des femmes suit des classifications : dans les sociétés patrilinéaires de type III, les femmes sont enfermées chez elle et n'ont pas accès à l'espace public, ou alors sous la condition d'une dissimulation complète de leur corps. Dans les sociétés patrilinéaires de type IV, en plus de cet enfermement, les femmes subissent des avortements ou des sélections à la naissance leur permettant d'empêcher le malheur de donner naissance à une femme. Là encore, il ne s'agit pas de porter un jugement moral : les sociétés de l'axe PBO ont leur propre vision du bonheur et de la famille. Mais le système communautaire est directement corrélé à l'abaissement du statut des femmes dans la société. Fait troublant : il existe de très faibles îlots communautaires en Europe occidentale, notamment au centre de l'Italie dans les Apennins ou encore dans certaines zones du Massif Central français. 

Quel est le modèle originel de la structure familiale humaine ? 

La question est terriblement complexe et les anthropologues ne disposent pas a priori d'un consensus sur le sujet. La famille originelle humaine est-elle plutôt nucléaire ou communautaire ? Est-elle donc plutôt sexiste ou plutôt féministe ? Quid du statut de la femme originelle ? Il faut alors se pencher sur l'anthropologie des groupes humains dits "originels" et ayant conservé, avec toute la complexité de leur étude (cf Claude Levi-Strauss), des modes de vie qui se rapprocheraient plus ou moins des groupes humains d'origine. La logique voudrait que l'axe PBO, de par sa position centrale géographiquement, a irradié les autres "coins" du planisphère où existent des structures familiales nucléaires, et que d'une certaine façon, les secondes, plus performantes, se sont développées ensuite contre les premières, plus sexistes. Il est évident que d'un point de vue utilitariste, c'est-à-dire économique, le statut élevé des femmes est important : il est une occasion de produire davantage de richesses et d'un meilleur équilibre purement pragmatique dans la gestion de la vie courante. Les organisations internationales le savent d'ailleurs très bien : l'inégalité entre les hommes et les femmes constitue un des obstacles à la croissance et au développement humain. Ainsi, d'une certaine façon, à l'origine sexiste, la civilisation humaine a "découvert" dans certaines zones du globe l'utilité du travail des femmes et de leurs statuts, ce qui a permis leur émancipation. Ca a longtemps été la théorie "des Aborigènes" très populaire pendant un temps en anthropologie : les populations aborigènes australiennes, de par leur isolement et leur ancienneté, ont été traditionnellement considéré comme les groupes humains les plus anciens et les moins "corrompus" par le brassage de la population et des cultures. Or, il est vrai que le statut des femmes aborigènes n'est pas spécialement élevé et il est, à son nord, en Papouasie Nouvelle Guinée, l'un des plus critiques, parfois très violent à l'égard des femmes. Or, cette théorie repose sur un double argument fallacieux : l'idée que l'Histoire est un progrès vers davantage de féminisme et que, naturellement, l'homme primitif ne peut pas être autrement que "sexiste". Et d'autre part, il fait fi d'une nouvelle méthode, utilisée à l'origine en linguistique, qui est la théorie des périphéries. En soi, il est tout à fait possible que les zones périphériques aient construit une structure familiale originelle qui, au fur et à mesure du déplacement vers le centre, et donc l'axe PBO, s'est "dégradée". De fait, la sédentarité et l'agriculture étant nées dans l'axe PBO face au nomadisme des structures nucléaires des périphéries, les civilisations patrilinéaires ont d'abord muté en familles souches efficaces économiquement, puis sous l'effet du nomadisme postérieur, se sont transformées en structures communautaires dont les effets pervers ont conduit à une sclérose, par la chute de la condition féminine. C'est en tout cas la vision d'Emmanuel Todd qui estime que les populations d'origine ressemblent davantage aux Amérindiens du Nord qu'aux Aborigènes qu'il considère être un sous-produit de la civilisation guinéenne. Or, les Amérindiens sont dans leur grande majorité des structures nucléaires tout à fait comparables aux structures familiales occidentales du XVème siècle, et même aux nôtres. Un courant d'anthropologues, initié par Edward Westermack et Frédéric Le Play, considère même qu'originellement, la structure familiale nucléaire est le fondement naturel de l'organisation familiale humaine. Cela ne signifie naturellement pas que le sort des femmes y soit égal ou supérieur à celui des hommes, mais qu'il n'est pas aussi dégradé qu'on pourrait le penser. De la même façon, on imagine assez caricaturalement l'homme préhistorique d'origine partouzer à foison, pratiquant le viol et la polygamie à coup de gourdin et vêtu de peaux de bêtes. La réalité serait en fait que cela n'a jamais existé et que le modèle originel ressemble de manière troublante aux considérations conjugales actuelles. Le couple monogame serait une institution très ancienne, particulièrement efficace pour survivre et élever des enfants dans des sociétés nomades fondées sur la chasse et la cueillette, où la complémentarité homme/femme jouerait un rôle important et où les femmes ne seraient pas a priori réduites en esclavage ou exposées au risque incessant de viol. Cela ne signifie pas par ailleurs que le couple homosexuel est absent  même s'il est diversement accepté selon la culture et qu'il est chargé parfois d'une fonction différente dans le groupe. De la même façon, la polygamie et notamment la polygynie (le fait pour un homme d'avoir plusieurs épouses ou partenaires) ne représente que 15% des unions existantes dans les groupes de chasseurs cueilleurs, ce qui est extrêmement peu. Quant à la polyandrie (le fait pour une femme d'avoir plusieurs époux ou partenaires), elle est très rare également et surtout n'a pas du tout de signification féministe, bien au contraire. Dans l'article de Nancy Levine en date de 1988, The dynamics of polyandry : Kinship Domesticity and Population of the Tibetan border, l'anthropologue constate que la polyandrie présente dans certaines populations népalaises n'est pas l'apanage du matriarcat. La femme d'un homme peut être poussée à avoir des relations sexuelles avec les frères de ce dernier, ce qui n'est pas un problème de filiation particulier, puisque le sang de la famille est le même. La femme qui appartient à l'époux appartient donc à l'ensemble des hommes de la famille, la structure monogame restant sans doute l'une des plus respectueuses du statut des femmes. 

Titiou Lecocq l'exprime d'ailleurs très bien au début de son essai à la qualité décroissante : en réalité, il est très complexe de savoir quel était exactement le statut des femmes dans les temps préhistoriques. Nous ne disposons pas de sources irréfutables et rien ne dit que les populations actuelles de chasseurs cueilleurs ont réellement préservé des modes de vie anciens de plusieurs milliers d'années. L'écriture n'existait pas, les traces archéologiques sont rares ou sujettes à interprétation et surtout, force est de constater que l'histoire humaine ayant été vécu à 99% sous le paléolithique, période pour laquelle nous ne disposons que de peu de connaissances, le statut de la femme a sans doute été absolument lié à la culture d'origine. Ainsi, s'il est stupide d'estimer que les hommes préhistoriques avaient forcément des pratiques sexistes, il est tout aussi immature d'imaginer que la Préhistoire était une forme d'âge d'or naïf où la femme vivait au sommet de sa puissance. En effet, certaines théories fantaisistes, aujourd'hui battues en brèche par la majorité des scientifiques spécialistes de l'époque, ont même été jusqu'à imaginer que le paléolithique était le théâtre d'une immense culture matriarcale, vénérant la figure de la Mère Nature nourricière, et dans laquelle les femmes disposaient de l'ensemble du pouvoir politique et même militaire. La théorie, séduisante évidemment, a été notamment portée par Marija Gimbutas, une archéologue américaine d'origine lituanienne spécialiste de l'âge du bronze, qui prétendait, en se fondant sur l'existence d'un art pariétal et de sculptures de femmes présentes partout dans l'Europe nomade, qu'une grande Déesse était vénérée partout, et que de ce point de vue, la femme dominait. Parler d'un matriarcat originel est absurde scientifiquement et ne repose sur aucune donnée valide. Non seulement l'existence de figures féminines dans une culture n'est en aucun gage de statut féminin élevé, mais en plus, divinité féminine ou non, cela n'aurait aucune influence sur le pouvoir politique d'une société. De fait, si on ne peut pas exclure la présence de cultures paléolithiques matriarcales sporadiques, les débuts de preuve scientifiques ne sont pas concluantes. C'est même plutôt l'inverse. Que les femmes n'aient pas été enfermées ou malmenées ne signifie pas qu'elles disposaient d'un rôle autre qu'économique. Edward Westermack, dans son Histoire du mariage paru en 1891, ouvrage qui fait autorité, démontre bien que si la famille nucléaire monogamique est originelle, et que cette dernière donne une certaine liberté aux femmes, la domination politique reste masculine. D'ailleurs, l'étude des sociétés matriarcales ne signifie jamais qu'une femme a un rôle politique ou militaire : simplement, le système de parenté attribue à la femme, et en fait à la mère, un rôle de fixation de la filiation. De la même façon, Titiou Lecocq prend ses désirs pour des réalités et insinue que la découverte d'un cadavre de chasseresse paléolithique est la preuve que la femme a occupé ce poste à un moment et donc que l'idée que la chasse était réservée aux hommes est un mythe. Or, donnée isolée n'est pas donnée valide. Force est de constater que dans l'ensemble des civilisations étudiées par les anthropologues, à l'exception des Negritos des Philippines, jamais une femme n'a pratiqué la chasse. Jamais. Dans la quasi totalité des cultures étudiées, il existe une division genrée du travail, sans doute culturelle, mais universelle : tandis que les hommes chassent, les femmes cueillent, ce qui est d'ailleurs sans doute une activité plus éreintante. Si la pratique de la cueillette est mixte, la chasse ne l'est jamais, à quelques infiniment rares cas, que Lecocq met en exergue pour servir ses intérêts purement idéologiques. Là encore, cela ne signifie pas que le paléolithique a été dépourvu de femmes chasseresses, mais l'hypothèse ne peut pas être mise au même niveau rationnel que le fait qu'il n'en a quasiment pas existé, car la deuxième théorie dispose de données chiffrées, et pas du tout la première. Or, scientifiquement, et dans l'attente d'une preuve contraire, il faut toujours privilégier l'hypothèse la plus simple et la plus fondée. Non celle qui se fonde sur une spéculation pure. 

La grande mutation néolithique et le fantôme Yamnaya. 

La Paléolithique dure jusqu'à la date de 10 000 avant l'ère commune. Dans ce contexte, le nomadisme conduit à une fragmentation de l'Humanité en petits groupes au fonctionnement plus ou moins égalitaire, en témoignent les rites funéraires égaux et uniformes pour chaque homme. Les individus, bruns à la peau foncée et aux yeux marrons, dont certains ont vu leurs yeux muter en bleu, ne se fixent nulle part et suivent, au gré des saisons plus rudes qu'aujourd'hui, les nécessités de la vie économique. Paradoxalement, les hommes travaillent moins qu'aujourd'hui et n'accumulent pas de ressources. De la même façon, le métissage entre tribus est fréquent et les réunions ne sont pas rares. De là à estimer que les sociétés du Paléolithique étaient paisibles, il y a un pas qui ne peut être franchi par manque de données. Toutefois, force est de constater que les traces de guerres ou de violences sur les dépouilles ne sont pas spécialement énormes. Entre 9 000 et 7 000 avant Jésus-Christ, des pasteurs provenant d'Anatolie, l'actuelle Turquie, colonisent l'Europe et amènent avec eux, dans un contexte de réchauffement climatique, une nouvelle vision du monde fondée sur l'agriculture, l'élevage et donc la sédentarité. En ce sens, l'Europe n'a jamais crée l'agriculture : cette dernière a été importée. Les nouveaux venus se métissent avec la première population présente en Europe et leur modèle de société change radicalement. La sédentarité provoque des regroupements importants de population, nourrit mieux les individus, permet de dégager des surplus et donc de développer le commerce. Ce commerce conduit à grand trait à la constitution de bourgs, puis de petites villes, dans lesquelles des élites s'installent pour diriger politiquement les populations plus pauvres, constituent des armées pour défendre les populations et aussi empêcher tout renversement. Petit à petit, les êtres humains diversifient leurs activités et mettent fin à l'uniformité des modes de vie. La promiscuité conduit également à des guerres plus fréquentes entre cités et dans la population, provoque des épidémies puis constitue finalement les racines lointaines de ce que peut être un Etat : un territoire fixe, un peuple qui ne bouge plus, des impôts, une armée, des délibérations politiques et des marques de souveraineté. Bref, la sédentarité est sans doute l'un des éléments les plus déterminants dans la fondation des sociétés modernes. Si certains y voient un progrès, d'autres le regrettent, ayant dans l'idée que ce mode de fonctionnement a provoqué une baisse du niveau de vie et du bonheur, une détérioration de la santé et a permis l'avènement d'une plus grande insécurité, qu'elle soit individuelle ou collective, en témoignent une augmentation des charniers. De la même façon, l'inégalité des sépultures explose et les élites sont enterrées avec faste tandis que les tombes les plus modestes sont réservés aux populations les plus pauvres. Dans ce contexte de fixation, la structure familiale souche a du commencer à apparaître, ne serait ce que parce qu'il est nécessaire de transmettre à ses enfants un héritage. Le statut de la femme s'est probablement détérioré, en raison de l'importance de la filiation et de la prise de conscience que la semence masculine, à l'instar des cultures agricoles, est une des clefs de la reproduction. La femme est donc un objet de pouvoir et Margaret Mead, dans son ouvrage Male and Female en date de 1949, souligne la probable anxiété de l'homme de ne plus être maître de sa reproduction et de sa transmission. Imposer à la femme maintien à résidence, fidélité et mariage revient à s'assurer de la perpétuation de son héritage et, quand on y réfléchit, à la perpétuation de son niveau de vie. La femme, devant fournir à sa famille des hommes pour travailler le champ et élever les animaux, tant le niveau de travail augmente au Néolithique (les dégâts sur les corps sont visibles en archéologie), se voit sans doute imposer une cadence de naissances plus grande. Cela s'accompagna sans doute de grandes souffrances, de décès précoces et, pour le coup, de relations sexuelles imposées plus fréquentes. Pour autant, là encore, bien que certains arguments existent en la faveur de ces théories, en l'absence de traces écrites en Europe à cette période, on ne peut pas être sûr à 100% de l'ampleur réelle de cette asservissement féminin. De fait, les historiens ne peuvent pas avancer avec certitude les conjectures qu'ils déploient. 

5000 ans avant Jésus-Christ, un autre peuple, dont on ne sait rien à un point tel que les généticiens l'appelèrent longtemps "le peuple fantôme", les Yamnayas, quitte le territoire de l'actuelle frontière entre la Russie et l'Ukraine, colonisant l'Europe et l'Inde. Ces peuples, issus du métissage de trois peuples du Caucase, aux cheveux roux et blonds, qui recouvraient les cadavres de leurs défunts d'ocre, qui avaient une manière bien à eux de constituer des tombes, qui pratiquaient la céramique cordée, apportèrent à l'Europe une nouvelle façon de voir le monde. D'abord, ils domestiquent le cheval (de fait, cela n'est pas encore sur) et inventent la roue, ce qui permet une révolution dans la mobilité des tribus. Ils sont aussi les responsables de l'avènement de l'âge du bronze puisqu'ils réussissent à en créer à partir de l'alliage du cuivre et de l'étain. Les linguistes estiment pour leur part, même si la thèse majoritaire ne fait pas tout à fait l'unanimité, que les langues indo-européennes descendent de leur langage. Ce que l'on sait avec certitude, c'est que la culture Yamnayas était profondément inégalitaire, en premier lieu parce que leurs tombes laissent à penser que des guerriers, enterrés avec leurs dagues et leurs arcs, avaient un statut plus important qu'une piétaille qui n'avait pas les mêmes honneurs. Mieux encore, c'est la génétique qui démontre que quelque chose d'assez violent se produit à ce moment là. Tous les Européens caucasiens voient leur génome hériter presque égalitairement des trois groupes ayant constitué chacun les trois étapes de peuplements. Mais le chromosome Y, qui ne se transmet que par les hommes entre eux, provient à 90% des Yamnayas, ce qui signifie que les femmes issues des peuples autochtones se sont massivement reproduites avec eux. Comment l'expliquer ? Longtemps, les généticiens ont pensé qu'il s'agissait tout simplement d'un signe de viols de masse et d'accaparement, voire d'enlèvements, par les Yamnayas des femmes des peuples autochtones, conduisant à un métissage forcé et à un effacement des anciens hommes. Mais il n'y a jamais eu de traces de massacres massifs datant de cette période, ce qui est incompatible avec un tel comportement. Alors comment est-ce possible ? Les anthropologues en déduisent que d'une manière ou d'une autre, les Yamnayas ont su accaparer, pacifiquement et par l'instauration d'un modèle dont on ne sait en fait rien, la capacité reproductrice des femmes issus de ces peuples anciens, conduisant à terme à ce que les Européens disposent aujourd'hui, pour 90% d'entre eux, d'un chromosome venant de ce peuple. Cela est confirmé par l'étude du génome mitochondrial, celui-ci exclusivement transmis par la mère, qui témoigne que pour elles, le métissage des gènes est plus égalitaire. Doit-on faire remonter le patriarcat à cette période ? C'est en tout cas ce qu'avance l'archéologue Marija Gimbutas. Pour elle, rien d'autre qu'une réduction de la femme à l'état d'objets ne peut expliquer qu'un peuple venu d'ailleurs puisse se reproduire avec toutes les femmes qui n'étaient pas issues de leur génotype à eux, sans que les autres hommes issus des deux premières vagues de peuplement, aient pu faire de même avec les femmes Yamnayas. De fait, l'importance capitale de ces populations nomades a sans doute causé un véritable déclassement féminin et a, selon toute vraisemblance, conduit à une pratique plus fréquente de la polygynie. Les modèles communautaires ont sans doute commencé à se développer à partir de ce moment là et l'âge du bronze enfanta d'une véritable dégradation de la situation féminine en Europe. Depuis lors, à l'exception sans doute de la civilisation étrusque un peu plus féministe au sens actuel du terme, il n'y a pas eu beaucoup de civilisations où les femmes disposaient d'un statut égal à celui des hommes. Si les peuples d'Europe du Nord et de l'Ouest semblent conserver tout de même une place importante dévolue aux femmes, il ne va absolument pas de même des Empires méditerranéens tels que la civilisation égyptienne, grecque et puis romaine. Bien au contraire, leur sort y est plus dramatique. Dès lors, l'axe PBO semble déjà apparaître : l'Europe du Sud est déjà plus sexiste et même, on le verra, plus homophobe, que les populations qualifiées de "barbares" par les premiers. 

La misogynie radicale de l'Antiquité grecque et romaine : la détestation des pénétrés. 

Les sociétés grecques et romaines sont considérées comme le symbole même de la finesse et de la sophistication. Cela est sans doute vrai : ces puissances sont à l'origine de notre conception politique du monde et ont élaboré une science, une philosophie, un droit et une culture inégalables, appuyés sur des langues complexes et riches. Que la Grèce Antique ait fondé le concept de citoyenneté et de démocratie est tout à fait juste bien qu'il existât des pratiques démocratiques auparavant dans d'autres cultures. Que Rome ait fondé le droit européen et le concept de souveraineté étatique est aussi tout à fait vrai même si, là encore, des structures hiérarchisées de cette complexité ont existé avant elle. Malgré tout, ces deux ensembles sont des références historiques mélioratives et il faut reconnaître que les cultures barbares, celtiques puis germaniques, n'ont pas bénéficié de cette publicité. En effet, les seules sources écrites destinées à les décrire sont grecques et romaines et leur système démocratique, juridique et étatique était sans doute plus archaïque, plus simple, plus participatif, plus local et peut-être par moment moins rationnel. Quoiqu'il en soit, la Grèce Antique (particulièrement Athènes) et Rome ont ce point commun particulier : celui de passer pour des exemples en matière de liberté sexuelle et de tolérance extraordinaire. L'idée mérite sérieusement d'être réexaminée : après l'avènement d'une Mésopotamie qui divinisait la figure phallique et qui estimait que la sodomie d'hommes puissants rendait puissant, après l'évènement d'une Egypte Antique qui semblait peut être moins tolérante, en témoigne le rite du viol d'Horus par Seth, malgré certaines pratiques guerrières présentes dans l'Antiquité, la Grèce aurait été un pays d'hommes bisexuels, voire principalement homosexuels. En Crète, Ephore raconte que les garçons courageux et intelligents, dans une sorte de rite initiatique, étaient ravis pendant deux mois à leur famille pour être amenés dans la forêt où ils sont formés aux arts de la nature, tout en faisant l'objet d'assauts sexuels tout à fait acceptés par la famille des ravis. Après ce rite initiatique, le jeune garçon recevait un bœuf sacrifié à Zeus, une panoplie de guerrier et une coupe. Cela rappelle bien entendu le mythe de Zeus et Ganymède selon lequel le Roi des Dieux avait ravi un jeune homme, prince troyen, par amour. L'institution est connue : un jeune éphèbe était formé par un homme plus âgé qui, en sus de lui apprendre un certain nombre de choses théoriques et sportives, le sodomisait pour son plaisir personnel. Cette bisexualité particulière était en effet pratiquée en Grèce Antique et constituait une norme sociale tout à fait acceptée, même s'il faudrait infiniment nuancer, époque par époque, décennie par décennie, cité par cité. De manière générale, dans sa mythologie comme dans son art, la Grèce glorifiait la beauté du corps masculin, surtout jeune et athlétique. Mais cette pratique des rapports sexuels entre hommes est en réalité paradoxalement le point de départ lointain d'une répression de l'homosexualité en elle-même, en ce sens qu'elle commence à être pensée. Par exemple, les écrits grecs et romains témoignent de l'existence de l'homosexualité, entre hommes du même âge et du même statut social, chez les peuples barbares, celtes ou germaniques. Simplement, contrairement aux civilisations méditerranéennes, cette homosexualité est un impensé, non codifié, non condamné, non digne d'intérêt. Certainement pas en Grèce. La pratique de l'homosexualité entre hommes libres, d'un niveau social équivalent, n'est pas valorisée et n'est d'ailleurs jamais apparente dans les arts grecs. Que cela signifie-t-il concrètement ? Que la pratique homosexuelle est acceptable, certes, mais à condition qu'un des hommes ait une posture éternelle de pénétré. Et le pénétré est donc le dominé socialement. Cela en dit long autant sur le sort des homosexuels passifs que des femmes. De fait, ce qui est très frappant, bien davantage que la bisexualité des Grecs anciens, c'est leur haine des femmes. Absolument cloitrées, réifiées, Platon disait d'elles : "nous avons des courtisanes pour nos plaisirs, des concubines pour les services personnels quotidiens et des épouses pour nous donner des enfants et gérer fidèlement notre foyer". Sophocle fait également dire à une de ses protagonistes : "J'ai souvent remarqué que tel est le sort des femmes, nous ne sommes purement et simplement rien". Dans la démocratie grecque, outre les métèques et les esclaves, les femmes sont complètement mises à l'écart de la citoyenneté. Il n'est venu à aucun esprit brillant de cette époque l'idée qu'elles puissent de près ou de loin prendre part à la chose publique. L'image de la poétesse lesbienne Sappho ne doit pas nous tromper : la Grèce Antique fut le premier jalon d'une misogynie occidentale profonde. 

Rome continue sur cette lancée. Le parallèle avec l'homosexualité reste intéressant car l'histoire romaine est celle d'une profonde chute libre de la considération des rapports sexuels entre hommes (ceux entre femmes étant totalement invisibilisés par ailleurs). Si la bisexualité était sans aucun doute une norme jusqu'au IIème siècle de l'ère commune, en témoignent les frasques sexuelles des Empereurs Romains (et notamment la bisexualité de Jules César) et une certaine bienveillance pour les amours homosexuelles (il suffit de lire le Satiricon de Pétrone pour s'en convaincre ainsi que de constater que le prix d'un prostitué mâle était deux fois supérieur à celui d'une prostituée femme), le Romain est plus pudique que le Grec et surtout plus violent. De manière extrêmement intéressante, ce n'est pas tant le genre qui justifie la possibilité de pénétrer une personne, mais son rang, encore plus que dans la Grèce Antique. La puissance sexuelle du pater familias, le citoyen romain libre, se traduisait par une certaine loi du viol : le puissant copulait avec le faible sans que ce dernier ait son mot à dire. Ainsi, il était tout à fait normal pour un chef de famille romain de coucher avec son épouse, ses maîtresses, ses esclaves, femmes comme hommes. La sodomie des esclaves masculins était chose commune, mais, et c'est révélateur, l'inverse était tout à fait condamnable. Ainsi, la Lex Scatina interdisait la sodomie d'un homme libre sous peine d'amende. La sanction est clémente, bien entendu, mais est révélatrice de la stigmatisation de l'homme passif qui, d'une certaine manière, perd son honneur en étant pénétré. Cela est d'autant plus vrai que la sexualité, dans la Rome Antique, se fonde sur le pouvoir : on couche avec plus faible que soi. Les amours entre citoyens de même âge existaient sans doute mais n'apparaissent que très peu dans la littérature et dans l'art, exactement comme dans la Grèce Antique. La "pédérastie", c'est-à-dire la pratique du sexe avec un jeune homme, voire un adolescent, est une réalité parce qu'elle se fonde sur une hiérarchie qui, on le sait, fausse également le consentement. Le statut de la femme, lui, légèrement supérieur à celui des femmes grecques, n'est pas bon. Elles n'ont quasiment pas de capacité juridique et n'interviennent en politique que pour influencer. L'idée de leur octroyer la citoyenneté est impensable. Aucun n'a même osé l'envisager une seule seconde, comme s'il s'agissait d'une véritable évidence naturelle. Petit à petit, la tolérance sexuelle envers l'homosexualité va considérablement se dégrader, d'abord sous l'influence du stoïcisme puis du christianisme (dont il conviendra d'évoquer l'innovation ensuite). En 342, Constant et Constance punissent du bûcher l'homosexuel passif. En 438, cela est étendu aux homosexuels actifs, même si la prostitution des hommes reste taxée et autorisée. En 533, Justinien punit l'homosexualité de castration et du bûcher, mais l'incrimination semble avoir été davantage utilisée à des fins politiques que morales. A la même époque, l'homosexualité se pratique encore de manière habituelle chez les populations germaniques. Le sort des femmes, lui, ne semble pas spécialement s'améliorer. L'obsession du contrôle des femmes est lié à une obsession de la filiation par les Romains. L'adultère y est considérablement réprimé, uniquement quand il s'agit de celles qui sont en capacité de porter des enfants. Si le père de famille surprenait sa femme en pleine acte, il disposait du pouvoir de faire violer et exécuter son rival par ses esclaves, même s'il était libre. S'il surprenait sa propre fille, il pouvait même dans les premiers temps romains la tuer sur place. Dans le même temps, un véritable business de la prostitution existait dans l'Empire, ce qui n'était pas spécialement nouveau. La civilisation babylonienne pratiquait par exemple une prostitution sacrée, système dans lequel les prêtresses (et aussi des jeunes hommes) se livraient au travail du sexe pour financer les offrandes aux Dieux. Ainsi, authentiquement, l'Antiquité gréco-romaine est profondément misogyne. La question n'est pas ici de juger moralement, avec notre propre prisme de convenances, les pratiques antiques. Cela n'aurait pas grand sens. Toutefois, il faut reconnaître que les temps sombres pour les femmes n'est pas forcément celui que l'on pense, à savoir le Moyen-Âge. De bien des manières, et cela pourra paraître surprenant, l'instauration du christianisme d'Etat et la christianisation des mœurs va participer à protéger davantage les femmes des hommes de l'Occident. L'Antiquité esclavagiste et misogyne n'est pas le paradis que l'on nous vend, et le Moyen-Âge chrétien n'est pas un Enfer non plus. 

La Révolution Chrétienne : un petit pas vers la protection des femmes ? 

Evidemment, il ne s'agit pas d'écrire que le christianisme est une religion féministe. Saint-Paul, le véritable père de l'Eglise, est assez clair en ce sens : L'homme est soumis à Dieu, et la femme à l'homme. La subordination de sexe féminin au sexe masculin est une donnée chrétienne aussi évidente que l'existence de Dieu elle-même. Toutefois, et cela pourra surprendre, l'instauration de la religion chrétienne a permis une amélioration de statut des femmes dans la société occidentale. Cela n'était pourtant pas gagné à la base tant le christianisme est un produit de syncrétisme pur entre le monde gréco-romain dont les turpitudes misogynes sont connues et le monde hébraïque qui n'est pas spécialement la panacée non plus dans ce domaine. Le judaïsme ne provient pas de nulle part : la majorité de ses dogmes sont des emprunts à des civilisations voisines et antérieures, comme toute religion humaine depuis l'aube des temps. Par exemple, le monothéisme s'inspire du zoroastrisme perse et du culte d'Aton mis en place par le Pharaon Amenhotep IV (qui se rebaptise Akénaton) en 1350 avant l'ère commune. Le monothéisme égyptien ne fera pas long feu puisque son épouse, Néfertiti, et son fils, le très célèbre Toutankhamon, effaceront le pharaon monothéiste de l'Histoire du monde en faisant systématiquement détruire son nom sur les monuments publics. Pour autant, cette idée de Dieu Unique survit dans le judaïsme qui, dans ses tout premiers temps, disposait de termes pluriels pour décrire son Dieu, signe d'un polythéisme ancien. D'autres pratiques égyptiennes sont reprises dans la religion du peuple hébreu tels que l'interdiction de manger du porc ou la circoncision qui est fréquente aussi bien sur les abords du Nil qu'en Ethiopie, en Syrie, en Phénicie et en Colchidie (Caucase actuel). Alors qu'en 597 avant notre ère, le Roi Babylonien Nabuchodonosor conquiert Jérusalem, détruit le Temple et déporte massivement les Juifs à Babylone, la civilisation hébraïque découvre l'araméen et surtout le modèle religieux babylonien qui repose sur la prostitution sacrée, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Dans un réflexe de survie, les Juifs adoptent une détestation très profonde de l'homosexualité, considérée comme le signe de la décadence, en référence directe à l'ennemi. Dans ce contexte d'invasion régulière et de guerre permanente, contre les Philistins, les Assyriens, les Babyloniens, les Grecs d'Egypte puis de Syrie, et finalement les Romains, le peuple juif, en petit nombre, se rend compte de l'importance profonde de la démographie. En ce sens, gâcher de la semence est une faute contre son peuple et la polygynie est très vite pratiquée dans le monde juif. On voit donc une interdiction généralisée des pratiques sexuelles non reproductives : la masturbation, les pollutions nocturnes, la fellation, le coït interruptus, la pénétration anale, les rapports homosexuels, bref tout ce qui n'est pas pénétration et éjaculation intravaginales. La femme juive, bien qu'ayant une place importante dans le rituel, est considérée comme impure et dépravée. Il lui est interdit de posséder esclaves ou chiens pour éviter toute tentation (c'est dire). Ses menstrues sont des souillures et l'empêchent d'être en contact des hommes et de fréquenter la synagogue. Quand elles sont autorisées à s'y rendre, c'est dans les places arrières du lieu de culte, séparées des fidèles masculins par un treillis nommé mekhitsa. Le fait pour elles de toucher ou d'embrasser des livres sacrés est un sacrilège. Le rituel du mikveh, bain rituel effectué sous le regard du rabbin, réservé aux femmes en menstrues ou lors de l'accouchement, témoigne bien là de cette profonde répulsion à leur égard. Quand elles sont mariées, leurs cheveux sont rasés car leur chevelure est considérée comme un réceptacle de désir. L'ordalie de la coupe empoisonnée en cas d'adultère présumé, l'absence d'autorisation de contact entre les hommes et les femmes hors mariage, ainsi que la prière du matin dans laquelle l'homme remercie Dieu de ne l'avoir fait ni goy ni femme finissent assez clairement la démonstration. Bien sûr, depuis ces temps anciens, la religion juive a évolué et, depuis les années 70, le courant moderniste juif a revu sa copie et s'est en partie amendé. Aujourd'hui, Israël est sans doute le pays du Moyen-Orient le plus féministe de la zone et a importé dans l'axe PBO des pratiques et coutumes européennes. Mais, à l'époque de la naissance du christianisme, force est de constater que le sort de la femme est sombre en Judée. Le christianisme va venir desserrer considérablement le corset imposé aux femmes juives puis païennes. 

On le sait, le christianisme laisse dans sa doctrine une place de choix aux femmes et ces dernières sont présentes dans l'entourage de la figure de Jésus-Christ, aussi bien sa mère, la Vierge Marie, que ses fidèles. Ce sont d'ailleurs des femmes qui assistent à sa résurrection du Christ et la figure presque divine de la Mère, qui rappelle les figures d'Ishtar, d'Isis, d'Aphrodite et de Vénus, et même de la déesse phrygienne Cybèle, dont les cultes sont très répandus autour du bassin méditerranéen, est troublante à plus d'un titre (il conviendra d'y revenir). L'idée du pardon à la femme pécheresse est extrêmement présente dans la doctrine chrétienne : ainsi, quand Jésus assiste à la lapidation d'une femme pour adultère, il interrompt la sentence, lui pardonne et lui rend sa liberté. La femme, comme l'homme, a accès au salut et à une forme de dignité, et donc de sécurité physique et juridique, plus grande. De manière générale, la notion de pardon et de rédemption participe grandement à la pacification (théorique dans un premier temps) de la rigueur, voire de la cruauté, de la justice antique. Paradoxalement, les fascistes eux-mêmes avaient tout à fait compris cette idée : Julius Evola, infâme penseur d'extrême droite italien, l'avait exprimé lui même et avait critiqué la faiblesse chrétienne face à la force vive et indomptée de l'Antiquité. Quand Saül de Tarse, ce notable syrien furieusement anti-chrétien ayant tout à coup découvert la grâce sur le chemin de Damas, se convertit au christianisme et fait connaissance des apôtres de Jésus qui continuent à prêcher sa bonne parole, il présente une ligne bien différente des disciples classiques. Tandis que ces derniers continuent de ne parler qu'au peuple juif, à fréquenter la synagogue et à se circoncire, le futur Saint-Paul (Saül convertit son prénom en "Paul", signifiant "paulus : petit et faible" en latin) introduit une donnée révolutionnaire : la circoncision doit exister dans le cœur et parler à tous, y compris aux païens. Envoyé en Europe (pour des raisons plus politiques que pratiques, il s'agissait de l'éliminer), l'homme prêche dans les grandes villes impériales et parvient par son message simple et égalitaire à convertir un nombre très important de personnes, particulièrement dans les villes, d'abord des pauvres et parmi eux, un nombre important de femmes. Cette religion va pour ces raisons infuser et se développer plus ou moins clandestinement, sans doctrine tout à fait fixe, dans les villes les plus importantes de l'Empire : Alexandrie, Antioche, Carthage et surtout, Rome. Le message christique critique les institutions décadentes et cruelles, les inégalités sociales, l'esclavage et les péchés des puissants ce qui séduit profondément le petit peuple dans un premier temps, et petit à petit, les notables de l'Empire. Ceux-ci commencent à prendre au sérieux, voire à se convertir pour certains, à cette "secte juive" venue d'Orient. Ces petits groupes se réunissent dans des assemblées (ecclesia en grec, les églises) et se dotent de chefs politiques, les évêques. Par l'effet d'un prosélytisme permanent et surtout d'une puissance de feu économique (l'Eglise impose une contribution annuelle à ses fidèles, la donation des biens personnes et la captation des héritages), la population chrétienne est bientôt aussi nombreuse que la population juive. D'abord persécutée par les Empereurs païens, Constantin se convertit après la Bataille du Pont Milvius en 312, accorde la liberté de culte à ses semblables et uniformise la pratique chrétienne lors du Concile de Nicée de 325. Après quelques troubles entre chrétiens et païens, Théodose finit finalement par imposer la théocratie chrétienne et interdit toute autre religion dans l'Empire en 395. Comment expliquer une telle conversion massive ? Et en quoi son message est-il dans un premier temps favorable aux femmes ? Parce qu'il lutte contre la clef de compréhension de la sexualité romaine : le rapport de domination. De bien des manières, le christianisme est une religion profondément égalitaire qui répugne aux clivages sociaux. Les femmes, victimes de la prédation des puissants, adhèrent à un discours qui condamne le péché sexuel. En ce sens, la glorification de la virginité de Marie, qui fait beaucoup rire aujourd'hui, est un message séduisant pour nombre d'entre elles. La femme peut d'une certaine manière être laissée tranquille. Le christianisme met en place des sanctuaires destinés à protéger les femmes des velléités sexuelles du monde : les monastères. Protégées par le serment de la chasteté, elles vivent entre elles, certes mortes civilement, mais très à l'abri de l'injonction à la pénétration. Aucune religion n'a à ce point offert des espaces de protection aux femmes. Le message d'abstinence s'adresse également aux hommes, du clergé évidemment, qu'il soit régulier ou séculier, mais également à celui du commun : la sexualité doit, quand elle ne peut être évitée, se réduire à la procréation. Aujourd'hui, notre mentalité répugne à l'idée que l'abstinence protège les femmes, car nous regardons ceci avec les lunettes de notre époque. En effet, les femmes disposent aujourd'hui de la contraception et de l'avortement. Quand elles tombent enceinte, elles ont globalement l'assurance de ne pas mourir. A cette époque, la grossesse, non contrôlée, apporte avec elle le risque immense de mort et son lot de souffrances insupportables. Limiter les naissances par l'absence de sexe est aussi, pour les femmes, une amélioration de leur qualité de vie. La possibilité offerte par les Chrétiens aux veuves de ne pas se remarier est évidemment d'abord une nécessité économique (l'héritage est légué au culte) mais leur permet aussi de ne plus subir les assauts d'un autre homme. Par la suite, l'Eglise n'aura de cesse de privilégier le consensualisme du mariage contre le mariage forcé, et l'interdiction du divorce, pratique très répandue chez les Romains antiques, participe à l'époque à protéger les femmes de la répudiation masculine, et donc leur sécurité économique et sociale. Tout ce qui symbolise pour notre époque des archaïsmes misogynes sont en réalité, de bien des manières, des avancées féministes. 

Le Moyen-Âge barbare était il aussi misogyne que cela ? 

Les stéréotypes ont la vie dure : les premiers siècles du Moyen-Âge sont souvent dépeints comme une boucherie immense, où chacun meurt sous les coups de lance de hordes de Barbares germaniques assoiffés de sang, violeurs en puissance, pillant et massacrant les pauvres femmes vierges qui courent pour sauver leurs chèvres des assauts zoophiles des Huns. On imagine également l'Eglise de l'époque comme une version précoce de l'Inquisition qui impose sa théocratie sanguinaire sur les pauvres anciens païens de la campagne, terrifiés à la vue des bas reliefs pleins de pécheurs brûlant éternellement dans les feux de l'Enfer. Evidemment, l'institution cléricale qui se développe à vitesse grand V dans tout l'Occident n'est pas spécialement lumineuse. Dès l'arrivée de Théodose au pouvoir, un véritable intégrisme chrétien se met en place : les bas-reliefs, peintures, sculptures sont mutilés, les bibliothèques sont brûlées, les mythes polythéistes sont censurés, les gymnases sont interdits ainsi que la nudité en leur sein, le baptême devient obligatoire et la philosophie connaît un important appauvrissement au profit d'un aristotélisme christianisé. La violence de la société antique est remplacée par un autre violence qui renverse l'intégralité de la société ancienne et en impose une toute nouvelle. Si le sort des femmes n'est pas radicalement changé et que les structures de pouvoir du nouvel ordre médiéval laissent toujours aux hommes le soin de gouverner, à un point tel que le clergé séculier est totalement fermé aux femmes et que, globalement, la théologie chrétienne maintient ces dernières dans une posture de corps sexuels, certes à protéger, mais toujours considérés comme des ventres, on ne peut pas avancer réellement que les femmes sont plus dominées qu'avant. Pour les raisons exposées ci-dessus, c'est même plutôt l'inverse. En Gaule, à cette époque, l'élite romaine a été remplacée par les élites franques qui vont, sous le règle de Clovis, prendre petit à petit le pouvoir sur l'ensemble du territoire. Si les tribus franques ne constituent qu'à peine 5% de la population gallo-romaine, elles vont imprégner le droit de leurs coutumes et de leur propre notion de la politique. Le Roi germanique est un homme qui tient son pouvoir, non plus de l'autorité romaine aux sources complexes et historiques, mais d'une légitimité tout à fait inédite : le Mund. Cette force divine se caractérise par la vigueur et la puissance de l'homme, se manifeste dans la longue chevelure masculine et peut se perdre à tout moment. Toute défaite militaire ou toute tonsure peut conduire à la dépossession du pouvoir. En réalité, c'est évidemment la Loi du plus fort qui prime : il suffit de tuer son rival pour être tout à coup légitime aux yeux du Mund. Il ne faudrait pas croire que l'institution impériale romaine était plus civilisée : elle reposait certes sur des critères plus objectifs et sur des légitimités plus rationnels, mais le nombre de coups d'Etat, d'assassinats et de guerres n'était pas moins élevé. Il faut cependant reconnaître aux Francs, et notamment aux Mérovingiens, une certaine férocité qui n'a pas spécialement d'égal dans l'Antiquité. Clovis tue beaucoup et de manière peu douce à dire vrai, aussi bien dans sa propre famille, sa propre armée que chez ses ennemis. Le sort réservé par Clovis et ses fils aux Romains de Lutèce, aux Wisigoths, aux Burgondes, aux Alamans et aux Ostrogoths n'est pas spécialement d'une finesse extraordinaire. Et les femmes sont tuées avec la même cruauté. Les fils de Clovis n'hésiteront pas, avec l'appui de la Reine Clothilde, à assassiner les fils en bas âge d'un de leurs frères, Clodomir, mort prématurément. La conversion de la lignée sous la pression de la Reine, ou l'admiration des Francs pour l'institution impériale romaine, n'apaisent pas ce niveau de violence politique qui touche moins le Peuple que les Barbares eux-mêmes. Le droit repose désormais sur la Loi du talion, la vengeance privée (la faïda) et un système simple de compensation financière afin de couper court aux vendettas sans fin. L'examen de la loi salique est intéressant car il permet de se plonger dans la mentalité franque, notamment sur leur rapport aux femmes. Ainsi, le "prix" d'une femme, en cas de meurtre, de viol ou de blessures, est plus élevé que celui d'un homme quand elle est fertile. Enfant ou âgée, son prix devient inférieur à celui de l'homme. Ainsi, on voit que les Barbares considèrent d'un point de vue théorique que la femme est importante à condition de pouvoir procréer et que, sans cette possibilité, elle perd en valeur. Cela est intéressant en réalité car il questionne la conception de l'utilité féminine des populations germaniques. En soi, notre regard contemporain pourrait trouver cela condamnable, mais en y réfléchissant, l'idée que la femme fertile ait un prix supérieur à celui d'un homme fertile démontre aussi que la femme est importante et que sa sécurité doit être particulièrement préservée. Le système franc, qui repose aussi sur une certaine démocratie locale et l'importance de la famille, n'est pas totalement hostile aux femmes. Pour preuve, et la chose est peu connue, il y eut un certain nombre de Reines mérovingiennes ou d'aristocrates ayant eu un rôle très important dans l'Histoire de la toute récente France. Pour aller même plus loin, l'épisode extraordinaire de la guerre entre la Reine Brunehaut et la Reine Frédégonde, merveilleusement bien conté par Titiou Lecoq, qui fut sans doute l'un des moments les plus passionnants et les plus violents du Moyen Âge ancien, démontre que les femmes exerçaient le pouvoir d'une manière aussi radicale et aussi bien que leurs conjoints, frères et fils. 

Voici donc ces péripéties (parfois romancées à cause de l'historiographie peu objective de l'époque). A la mort de Clovis, qui a presque atteint les frontières de la France actuelle à l'exception de la Provence et du sud de l'Occitanie, ses quatre fils se partagent le Royaume selon la coutume germanique de partage égalitaire des héritages. A l'époque, il n'existe pas de règle de primogéniture et tous les fils doivent hériter d'une partie du Royaume qu'ils administrent en tant que Rois. Thierry, Clodomir, Childebert et Clotaire dirigent donc chacun des parties considérables du nouveau territoire conquis. Chacun participe à son niveau à l'extension des frontières de la future France que ce soit vers l'est, vers l'ouest ou vers le sud. Mais, bientôt, des tensions naissent. Thierry avait par exemple déjà tenté d'assassiner son frère Clotaire en Thuringe lors d'une expédition commune. A la mort de Clodomir, Childebert et Clotaire font assassiner ses deux premiers fils et épargnent le troisième, très jeune, en l'offrant aux autorités cléricales. A la mort de Thierry, et bien que son fils Thibert Ier et son petit fils Theodebald purent régner sur le Royaume de Reims jusqu'à leurs morts, Clotaire entend s'emparer des terres de son défunt neveu en trahissant la confiance de Childebert qui se retrouve évincé de la succession. Ce dernier instrumentalise alors la férocité du premier fils de Clotaire (il faut suivre!), Chramne, pour s'emparer de l'Aquitaine. Chramne, pardonné dans un premier temps par son père malgré leur profonde détestation réciproque et après avoir failli perdre la vie contre ses frères, finit par trahir son père en rejoignant le Roi des Bretons. Bientôt, après une douloureuse bataille, Chramne, sa femme et ses filles sont torturés à mort puis brûlés dans une chaumière. A la mort de Childebert, Clotaire devient l'unique Roi des Francs. Mais, en 561, voici que la situation dramatique se reproduit. Ses quatre fils héritent chacun d'une partie du Royaume : Caribert (ou Charibert) devient Roi de Paris, Gontran Roi de Bourgogne, Sigebert Roi d'Austrasie (partie est et riche du royaume) et Chilpéric de Neustrie (partie ouest du Royaume). Sigebert a noué une relation matrimoniale avec les Wisigoths et son Roi Athanagild qui détiennent les Pyrénées et l'Espagne en épousant Brunehaut dans des noces magnifiques. Très vite, le jeune Sigebert bâtit un solide Royaume riche et puissant. Chilpéric, qui a pour sa part épousé Audovère, une femme austère qui ne présente pas spécialement les intérêts diplomatiques des Wisigoths, est agacé par cette Reine wisigothique dont la beauté n'aurait d'égale que l'intelligence. Chilpéric noue une relation adultérine avec une suivante serve d'Audovère originaire de l'Oise : Frédégonde. Cette dernière, pauvre et manipulatrice, va prendre dans le cœur de Chilpéric une place de plus en plus conséquente et manipulera la pauvre Reine Audovère, qui a pourtant donné quatre enfants au Roi de Neustrie : Thibert, Mérovée, Clovis et Basine. Chilpéric est d'autant plus inquiet qu'il n'est que le demi-frère de Caribert, Gontran et Sigebert : il craint alors être dépossédé de son titre par la coalition de ses derniers. Il va donc adopter une politique agressive envers ses frères. Quand Caribert meurt sans héritier, il s'empare de Paris et du trésor royal. Tandis que Sigebert combat les Avars en Germanie, il prend Reims. Mais Sigebert réplique et s'empare à son tour de Soissons en enlevant le premier fils de Chilpéric, Thibert. Pendant ce temps, Frédégonde manipule la reine Audovère et par un stratagème juridique plus ou moins mythique parvient à la faire enfermer dans un couvent, dépouillée de tous ses titres. Chilpéric en profite et épouse la sœur de Brunehaut, autre fils du Roi des Wisigoths, Galswinthe. Il s'imagine alors devenir l'égal de son frère, Sigebert, et commence à éloigner la très gênante Frédégonde de la couche royale. Il faut dire que l'union est très bonne pour Chilpéric : Galswinthe apporte en dot de très riches terres wisigothiques. Mais c'est peine perdue : Galswinthe, qui se rend compte de la relation entre Chilpéric et Frédégonde, réclame à rentrer auprès de son père. La jeune femme est retrouvée étranglée. Frédégonde est sans doute l'instigatrice de bien cruel assassinat. Bien sûr, la femme de Sigebert, Brunehaut, sœur de Galswinthe, entre dans une colère noire et réclame la tête de Chilpéric. L'autre frère, Gontran, pour éviter une guerre, réussit à organiser une conférence de paix. Chilpéric accepte, en compensation du meurtre de Galswinthe, de céder à son propre frère, Sigebert, toute la dot de son ancien épouse : Bordeaux, Cahors, Béarn et Bigorre. Mais la paix n'est évidemment pas revenue pour autant. En 573, Chilpéric décide d'envahir le Poitou et la Touraine. Mais Sigebert, bien qu'il échoue sur le champ de bataille face à Thibert, le fils de Chilpéric et d'Audovère, coalise des Germains contre son frère. Il écrase en 575 une autre coalition entre Chilpéric et Gontran. Thibert, le premier fils de Chilpéric, est tué par les bannerets de Sigebert. Chilpéric, un peu paniqué, restitue les territoires aquitains volés à son frère et se réfugie à Tournai. Tandis que Sigebert festoie pour sa victoire, deux esclaves de Frédégonde l'assassinent à l'aide d'un couteau empoisonné. La guerre prend un tour tragique. 

Brunehaut est donc seule et n'a qu'un fils en bas âge : Childebert II, cinq ans. Alors qu'elle est livrée à Chilpéric, elle parvient à confier son fils à un noble, Gondebaud, qui le dissimule. Brunehaut est enfermée à Rouen sous l'auspice de l'évêque local, Prétextat, qui est par ailleurs le parrain du deuxième fils de Chilpéric et d'Audovère : Mérovée. Chilpéric est l'homme puissant du moment et dispose du Royaume le plus imposant et de nombreux fonds permettant le financement de ses troupes. Mais il ne parvient pas à faire assassiner le très jeune Childebert II, proclamé Roi d'Austrasie par l'aristocratie locale. Gontran, qui a perdu son fils, décide de le nommer héritier. Le jeune Childebert II constitue donc une énorme menace pour Chilpéric puisqu'il va devenir, à terme, Roi d'Austrasie et de Bourgogne. La Neustrie, aussi renforcée soit-elle, ne ferait pas le poids. Depuis la mort de Galswinthe, Chilpéric a épousé Frédégonde. Cette dernière ne parvient pas à donner d'héritier mâle à Chilpéric, tous ses enfants mourant très jeune. Détestée par l'aristocratie neustrienne, elle est également méprisée par les premiers enfants de Chilpéric avec Audovère. Les choses empirent : Brunehaut manipule Prétextat et épouse le fils de Chilpéric, Mérovée, qui l'aide à s'évader et à rejoindre Metz. Brunehaut est nommée Reine régente d'Austrasie dans l'attente de la majorité du jeune Childebert II. Bientôt, Frédégonde, furieuse, pousse Chilpéric à sévir contre ses propres enfants. Ce dernier accepte de tonsurer Mérovée mais Frédégonde le fait assassiner. Elle organise le viol de Basine par un de ses hommes de main et fait égorger Audovère dans son monastère. Bientôt, elle fait accuser Clovis, dernier fils vivant de Chilpéric, d'être responsable de la mort de ses jeunes enfants par l'emploi de maléfices. Son père le sanctionne et Clovis est également assassiné par Frédégonde, tentant à chaque fois de faire passer ces morts pour des suicides. Cette dernière parvient finalement à mettre au monde un enfant mâle : Clotaire II, nouvel héritier officiel de la Neustrie. Mais Chilpéric n'est sans doute pas naïf et se rend compte de l'influence puissance de Frédégonde et cherche à s'en éloigner. Bientôt, Chilpéric est tué à coup d'arbalète. Les historiens tergiversent : a-t-il été assassiné par Brunehaut ou par sa propre femme, Frédégonde ? Mais l'aristocratie neustrienne n'est pas prête à confier son devenir à une Reine et Frédégonde et son fils sont destitués. Sans l'intervention de Gontran, qui vient de mener une guerre sanglante contre Childebert II, son héritier, ils seraient sans doute morts. Il accorde sa protection à la femme et à son fils. Frédégonde est enfermée à Rouen sous l'auspice du même évêque Prétextat, qu'elle déteste. Mais, bientôt, par habileté, Frédégonde parvient à engranger des soutiens, fait assassiner Prétextat et tente même de faire tuer Gontran par l'intermédiaire de faux négociateurs. Elle est nommée Reine régente de Neustrie. Gontran vire donc une nouvelle fois son alliance et se rapproche de nouveau de Brunehaut et de Childebert II, qu'il nomme de nouveau héritier de Bourgogne. Bientôt, une guerre entre les Reines Brunehaut et Frédégonde va ensanglanter le Royaume car Childebert II est empoisonné par les envoyés de Frédégonde. 

Gontran meurt peu après et les deux Reines se font face à face, se vouant une haine inexpiable. Frédégonde remporte un certain nombre de victoires militaires à Paris alors que Brunehaut gère les conflits entre ses deux petit-fils, Thibert II et Thierry II. Mais, en 597, Frédégonde meurt et laisse un testament politique de regret pour ses nombreux crimes. Clotaire II, Roi de Neustrie, treize ans, perd alors une Bataille contre Brunehaut qui règne sans partage sur l'Austrasie et la Bourgogne, semble-t-il avec sagesse. Elle fait imprimer sa propre monnaie à son effigie (celle d'une femme!), rénove les bâtiments publics, s'inspire de l'Empire Romain et entretient des liens diplomatiques avec l'Empire Byzantin. Mais la paix ne va pas durer : Clotaire grandit et prépare la vengeance de sa mère, l'aristocratie austrasienne supporte assez mal le règne de Brunehaut qui a fait assassiner quelques uns d'entre eux et surtout les deux petits fils se déchirent à l'occasion de la question de la domination de l'Alsace. Elle finit par prendre le parti de Thierry II qui assassine son frère. A la mort de Thierry II qui laisse quatre fils, Brunehaut continue de régner en favorisant le plus faible des quatre enfants : Sigebert II, son arrière petit-fils. Mais, bientôt, l'aristocratie austrasienne s'allie à Clotaire et trahit la Reine qui perd le soutien de son armée. Alors qu'elle s'enfuit dans le Jura Suisse, elle est livrée par son connétable à Clotaire II. Ce dernier, revanchard, fait assassiner deux de ses fils. Il livre Brunehaut au viol de son armée pendant trois jours, l'attache à la queue d'un cheval qu'il fait mettre au galop jusqu'à l'agonie et la mort. Finalement, il fait disloquer et brûler le cadavre de la malheureuse. Clotaire II, fils de Frédégonde et de Chilpéric, devient alors Roi des Francs, fait le serment de ne plus commettre d'horreurs (on n'a pas vu plus ironique!) en s'en remettant à la religion et règne sans partage sur la Neustrie, l'Austrasie et la Bourgogne réunies : bref, la France. Que nous dit donc cette histoire sur le sort des femmes dans le Moyen-Âge barbare ? Et bien, qu'elles peuvent arriver jusqu'au trône. Chacune symbolise un aspect différent de la puissance féminine. Brunehaut est une Reine de qualité, fille de noble et Régente. Frédégonde vient quant à elle d'une famille de serfs et s'est hissée, seule, jusqu'au sommet du pouvoir avec efficacité et cruauté, à un point tel que son propre fils régna sur le Royaume entier. Bref, les deux femmes étaient incroyablement puissantes et rivalisaient en force, en manipulation et en intelligence pour exercer le pouvoir. Si les aristocraties se sont rebellées contre elles à un moment donné, elles ont su les apprivoiser et les écraser quand cela était nécessaire à leur pouvoir. Brunehaut a même su donner l'impulsion à une romanisation de l'organisation franque et a considérablement renforcé la puissance de l'Austrasie vis-à-vis des autres puissances. Très éloignées de la domination ecclésiastique, elles n'hésitèrent pas à s'en prendre aux hommes d'Eglise, particulièrement Frédégonde qui fit massacrer l'évêque le plus puissant de France : Prétextat. Mais l'Occident n'est pas le seul endroit qui offre aux femmes la possibilité d'une ascension phénoménale. L'Empire Byzantin, sexiste anthropologiquement, où l'Empereur porte le nom de "basileus", dont les vicissitudes politiques sont tout aussi cruelles et passionnantes que l'Europe barbare, va en donner l'exemple parfait. Tout commence quand l'Empereur Constantin V organise un concours de beauté pour trouver l'épouse idéale de son fils, Léon IV. Une jeune grecque, Irène, issue d'une famille d'aristocrates, remporte le concours et épouse Léon IV en 768. Ce dernier, très impressionné par ses qualités de gouvernante, lui offre le titre de co-impératrice. A la mort précoce de Léon IV, Irène règne en tant qu'impératrice régente pour son fils Constantin VI. Elle prend part au conflit des icônes qui oppose les iconodules, favorables au culte des images aux iconoclastes, très influents. Irène, proche des moines, prend le parti des premiers tandis que son fils, Constantin VI, prend le parti des seconds. Il la chasse alors du pouvoir. Mais, par la ruse, Irène réussit à reprendre la confiance de son fils et à reprendre son titre de co-impératrice, portant le titre de Mère de l'Empereur. Elle finit par monter l'aristocratie contre lui, le destitue et lui crève les yeux (sympa!). Irène prend alors le titre de basileus et règne sans partage, alors qu'elle est une femme. L'Eglise romaine, qui, en réaction, fait sacrer Charlemagne Empereur d'Occident, n'a certes pas adhérer à l'idée d'une Impératrice. Mais les Patriarches de l'est ont accepté Irène qui a remis de l'ordre dans la doctrine chrétienne byzantine, a allégé les impôts de tous et a réussi à vaincre les Arabes sur le champ de bataille. L'Histoire veut qu'elle proposa à Charlemagne un mariage pour réunifier l'Empire. Si ce dernier avait accepté, l'image du monde aurait pu être grandement différente. Les reines franques et l'Impératrice démontrent que les femmes existaient au plus haut sommet de l'Etat et qu'elles savaient gouverner. Aussi douées dans l'art de la politique douce que dans la violence, elles n'ont pas été moins mauvaises que leurs homologues masculins. Elles n'ont pas non plus été plus douces, plus conciliantes ou plus faibles. Cela démontre également que cette époque n'est pas aussi misogyne que l'on pense. L'idée d'une Impératrice ou de Reines régnantes est impensable sous l'Antiquité et le deviendra petit à petit à partir du Xème siècle. Le sort des femmes va connaître une très progressive dégradation tout au long du bas Moyen-Âge aussi bien au sommet de la société que dans ses couches inférieures. 

La lente dégradation de la condition féminine en Occident vers l'enfermement. 

Une mutation anthropologique est rarement brutale. La chronologie et l'apprentissage des dates nous laissent penser qu'un évènement historique précis peut d'une seconde à l'autre faire passer d'une époque à la suivante. Pour les personnes qui vivent les évènements en direct, les choses ne sont jamais aussi claires. Les changements interviennent doucement et ne sont pas à proprement parler sensibles ou notables. Si des drames, tels que des épidémies, des guerres de long terme, des famines, des répressions ou des catastrophes naturelles, laissent dans les mémoires des images précises et indélébiles, encore qu'elles finissent toujours par s'effacer à un moment ou à un autre, il n'en va pas de même des changements idéologiques et anthropologiques. Les petites musiques sont d'abord douces et imperceptibles. Comme la grenouille qui se trouve dans l'eau qui se réchauffe et ne sent pas qu'on l'ébouillante, la femme perd peu à peu sa liberté sans s'en rendre compte. Au début du Moyen-Âge et même jusqu'au XIIème siècle, les femmes sont partout dans la société. Titiou Lecoq le démontre très bien : elles occupent tous les postes sociétaux possibles et imaginables, à l'exception de ceux où le pouvoir politique et religieux s'exerce (avec certaines exceptions notables). Elles disposent de lieux de protection tels que des couvents où elles peuvent, à condition d'accepter la mort civile, faire vœu de chasteté et vivre entre elles, sans risque de se voir imposer une sexualité non désirée. Le phénomène des "recluses", qui a particulièrement choqué l'historienne, est aussi une forme de protection : ces femmes, de manière le plus souvent volontaire, renoncent à la vie et sont emmurées dans des cellules ayant accès à la rue (dans un milieu urbain), vivant de l'aumône, des donations et recueillant les confessions des pécheurs. Dans le Paris du XIIIème siècle, les femmes laïques s'inventent même des béguinages non-mixtes pour vivre entre elles, ce qui permet d'assurer leur protection, leur indépendance et ce, sans subir les vœux liberticides de la religion. Dans les villes, les femmes se promènent seules et parfois sans se couvrir la tête, ce qui heurtent certains observateurs étrangers. Elles sont présentes sur les marchés et dans les échoppes. Dans les villes médiévales, les bordels, circonscrits à des quartiers particuliers, sont fréquentés et les prostituées dégagent des revenus considérables de leurs activités. Les corporations, ancêtres (pour être très caricatural) des cartels syndicaux, bénéficiant de la protection d'un saint, réglementant les professions (qualité, salaires, etc) et formant les disciples, ne sont pas réservées qu'aux hommes. Le commerce et l'artisanat sont aussi tenus par des femmes et l'incapacité juridique, pas encore évidente en fait dans le droit, ne les empêche pas de signer les contrats. Le droit coutumier du nord, notamment, permet aux femmes d'hériter presque à égalité avec les hommes, le droit romain du sud restant en ce sens très conservateur. Les femmes ont donc une vie et un patrimoine. Certaines veuves possèdent des richesses importantes. Leur éducation est également possible : dans les milieux nobles et bourgeois, certaines femmes reçoivent comme les hommes une instruction par un précepteur. Elles ne sont certes pas admises dans les universités mais sont très loin d'être mises à l'écart de la vie culturelle. Certaines d'entre elles suivent les troubadours/trouvères dans leurs pérégrinations à travers le Royaume. La sexualité, si elle n'est absolument pas libre, est moins surveillée qu'on ne le pense. Jusqu'au XII-XIII -ème siècle, l'homosexualité, si elle reste un péché, n'est quasiment pas sanctionnée. Très présente dans l'aristocratie militaire et le clergé régulier, personne ne se soucie réellement des "sodomites". Au tout début du Moyen-Âge, certaines Eglises sont même allées jusqu'à bénir des couples d'hommes. Quant aux unions homosexuelles féminines, elles ne sont même pas décrites : c'est dire si tout le monde s'en contrefiche. Une atmosphère de libération va devenir palpable lors de l'essor climatique, économique et démographique du XIème siècle. Alors que les croisades ont lieu et que les nobles s'en vont guerroyer en Orient, les femmes gèrent les seigneuries et connaissent une liberté sexuelle conséquente. La mise en place par l'Eglise de la Paix de Dieu et l'extériorisation de la violence vers les frontières garantit également aux femmes d'être protégées des bandes de pillards et des exactions des hommes en arme, ces derniers étant soumis à un code d'honneur les empêchant, en théorie, de s'en prendre aux femmes. Il ne faudrait cependant pas mettre tout à fait à égalité vie des femmes urbaines et paysannes qui vivent dans un véritable dénouement. Toutefois, le droit de cuissage inventé pendant la Révolution est une légende : les seigneurs ne disposent pas du droit de violer les femmes du peuple et même si la vie de ces femmes est dure, elle ne l'est pas plus ou moins que leurs maris, exception faite du danger de la grossesse. 

La dégradation va paradoxalement venir d'une chance inouïe pour la France. Les médiévistes ont a raison parlé du "miracle capétien". La chose est tout à fait réelle : l'institution royale française a pâti de la chute des dynasties mérovingienne et carolingienne. Dans le premier cas, les roitelets mérovingiens ont été renversés par une nouvelle dynastie aristocratique plus forte qui a installé une théocratie impériale en Occident, renforçant et soumettant l'institution royale au Pape et à son très puissant clergé. La dynastie carolingienne, à son tour, dégénéra dans la venue de Rois impuissants, soumis à des rébellions régulières et petit à petit, à partir du règne de Louis Le Pieux, puis de Charles le Chauve, l'aristocratie s'emparera du pouvoir. Bientôt, la monarchie deviendra élective et les aristocrates désigneront le futur monarque, se permettant parfois de nommer un Roi non carolingien, les Robertiens, et ne dépendant plus de l'assentiment du Roi pour hériter et gouverner leurs seigneuries. On parlera alors de féodalité, paralysant politiquement la France dans une atmosphère de hiérarchie complexe entre nobles qui assurent désormais, en même temps que les ecclésiastiques, la justice du Roi. Ce dernier, symboliquement plus puissant, mais en réalité seul maître en Île de France, est dans un certain nombre de cas dominé par ses inférieurs et ne fait plus le poids face à l'Empereur du Saint Empire Romain Germanique, du Pape et du Basileus byzantin. Pendant ce temps, au nord, les Vikings terrorisent par certains raids les villes commerçantes incapables de se défendre et imposeront bientôt leur présence en Normandie et en Bourgogne. Au sud, les incursions musulmanes rendent la Méditerranée impraticable et donc appauvrissent considérablement les revenus du commerce. A l'est, les Hongrois envahissent également régulièrement les possessions du Royaume pour le pillage. Bref, la France féodale du Xème siècle est un échec politique patent aussi bien sur le plan interne qu'international. Mais, en 987, Hugues Capet est élu Roi de France. A partir de son règne, la monarchie va considérablement se renforcer. Par le sacre avancé de son fils, il met fin à la monarchie élective. Progressivement, ses successeurs vont remporter des batailles et conclurent des mariages permettant la reconstitution d'un domaine royal conséquent permettant de faire main basse sur les seigneuries inférieures. Louis VI et Louis VII vont soumettre les nobles récalcitrants et Louis IX reconstituera une justice royale indépendante par la création des Parlements. Avant lui, Philippe Auguste remporte la Bataille de Bouvines en 1214 et écrase par la même la concurrence impériale, anglaise et aristocratique à son pouvoir. Philippe Le Bel, enfin, imposera au Pape la prééminence en France du pouvoir royal en critiquant la théorie des deux glaives et débarrassera le Royaume de l'influence des ordres militaires. La politique fiscale du Royaume va également considérablement enrichir les caisses du trésor royal, surtout à partir de l'embellie économique du XIème siècle. Très puissante, la monarchie française dispose d'un atout de choix : il ne connait aucun problème successoral. Tous les Rois, les uns après les autres, ont pu faire naître des héritiers mâles. Cela est excellent pour construire sur le long terme une puissance centralisée qui compte mais ne donne pas réellement l'occasion à des héritières femmes d'occuper le trône. Il ne faudrait pas non plus dire que les femmes capétiennes n'ont jamais eu un rôle important en politique : certaines Reines ont eu une influence immense parmi lesquelles l'intrigante Constance d'Arles, l'incroyable Aliénor d'Aquitaine, l'avisée Blanche de Castille et la cultivée Marguerite de Provence. Toutefois, elles n'eurent pas la puissance des anciennes Reines franques et n'exercèrent jamais seules le pouvoir. Leur utilité est souvent principalement matrimonial, chacune ramenant à leurs époux des terres, des hommes et des ressources. En fait, elles font pont et planche. Juridiquement, il n'existe aucun texte les empêchant de régner. Simplement, la primogéniture masculine et la qualité des Capétiens pour procréer empêchèrent l'arrivée d'un évènement de ce type. Dans le même temps, le rapport à la sexualité semble se transformer. Il faut dire que la religion gagne en intensité et en influence, y compris quand les Rois nationaux règnent. Philippe Le Bel, considéré comme un mangeur de curés avant l'heure, est profondément religieux et tolère mal le péché de sodomie, et notamment l'homosexualité. Son beau fils anglais, le Roi Edouard II, à qui il a marié sa fille, Isabelle, entretenait une relation amoureuse notoire avec un homme, son favori Pierre Gaveston, et cela, le Roi ne le supportait guère. Le pauvre Edouard II mourra d'ailleurs assassiné de manière assez détestable par la Reine française et son amant, Mortimer, qui lui inséreront un tube creux dans l'anus dans lequel se trouvait un tison brûlant. Depuis la mise en place de l'Inquisition et la lutte contre l'hérésie cathare, la sexualité devient un enjeu de pouvoir. Dans sa lutte mythique contre les Templiers, l'accusation d'homosexualité, sans doute fondée dans cet ordre militaire exclusivement masculin et chaste, est aussi grave dans l'esprit du Roi que celles de blasphème. On a beaucoup dit que Philippe le Bel détruisit les Templiers pour s'emparer de leur fortune : cela est faux. En effet, leur trésor fut transmise par décision internationale à l'Ordre des Hospitaliers, situé à Malte. Alors qu'une certaine forme de bisexualité (c'est-à-dire de relations homosexuelles opportunistes) était jusque là pratiquée assez régulièrement, la figure de l'hérétique, du sodomite, du pécheur, participe grandement à stigmatiser "le vice". Bientôt, la question homosexuelle devient politique. Il ne faudrait pas imaginer cependant que les homosexuels sont assassinés régulièrement et exécutés. Ces derniers existent toujours et sont le plus souvent traités avec indifférence. C'est souvent en présence d'autres crimes que l'homosexualité devient une circonstance aggravante justifiant l'élimination. Le droit pénal médiéval est donc prohibitionniste et la société, légèrement moins. D'une certaine façon, ce qui ne se voyait pas et ne se savait pas n'était pas fondamentalement recherché. A partir du XIVème siècle, du cataclysme profond de la Peste Noir qui réduit la population française de moitié, des famines, du refroidissement climatique, de la crise économique et de l'insécurité grandissante du Royaume provoquée par la Guerre de Cent Ans, le sentiment religieux connaît un double mouvement : il explose dans une partie de la population et décroît chez d'autres, provoquant une poussée de l'hédonisme. La question sexuelle devient encore davantage un sujet de tension dans une atmosphère franchement postapocalyptique. 

Le sort des femmes dans la société française va prendre un tour un peu plus déplaisant à la fin du règne de Philippe Le Bel. Ce dernier a eu avec son épouse, la Reine Jeanne de Navarre, décédée quelques années auparavant, plusieurs enfants dont trois fils : Louis X, dit le Hutin, marié à la petite fille de Saint-Louis, Marguerite de Bourgogne, le premier né, l'héritier du trône. Son deuxième fils est Philippe V, marié à Jeanne d'Artois. Son troisième fils, Charles IV, a pour sa part épousé Blanche d'Artois, la sœur de Jeanne. On le sait, sa fille, Isabelle de France, surnommée "La Louve de France", a épousé Edouard II, futur Roi d'Angleterre et fils du terrible Roi Edouard Ier. Elle aura avec lui un fils, Edouard III d'Angleterre, et assassinera à l'aide de son amant le pauvre Roi amoureux de son favori. En France, alors que Philippe Le Bel termine son règne, un scandale éclate bientôt, qu'on surnommera romantiquement bien plus tard l'affaire de "la Tour de Nesle". Marguerite de Bourgogne et Blanche d'Artois, épouses des Rois Louis X et Charles IV, prennent pour amants des jeunes chevaliers réputés très séduisants, Gautier et Philippe d'Aunay. L'affaire s'ébruite très rapidement et arrive aux oreilles du Roi qui décide de fracasser sa justice sur les protagonistes de cette affaire d'adultère. Les trois épouses, y compris Jeanne d'Artois, qui pourra s'en sortir par la suite, sont incarcérées. Malmenées et humiliées, Marguerite mourra étranglée et Blanche terminera sa vie dans un couvent. Les deux chevaliers, eux, sont d'abord torturés, châtrés puis mis à mort en place publique. En fait, l'histoire n'est pas seulement cruelle pour les amoureux, elle l'est aussi pour la descendance royale. Louis X, l'héritier du trône, n'a qu'une fille, Jeanne II de Navarre. A sa mort, en 1316, il n'a pas d'héritier mâle. A ce moment là, un évènement inédit dans la dynastie capétienne intervient puisque tous les Rois avaient pu se doter d'un héritier masculin jusque là. Tout le monde ayant perdu l'habitude de voir des femmes monter sur le trône, la question fondamentale est de désigner un héritier. La première solution est de privilégier la ligne directe et de permettre à Jeanne de devenir Reine. La solution n'est pas en soi complètement absurde puisque des Reines franques ont gouverné par le passé. La deuxième solution est d'installer Philippe V à la tête du Royaume en se fondant sur sa masculinité. L'aristocratie française et ses juristes exhument alors la loi salique et l'interprètent de sorte à ce que les femmes soient définitivement exclues du pouvoir suprême, alors même que cette dernière n'avait pas empêché des femmes contemporaines de l'écriture de cette Loi de se faire Reines. Jeanne est donc complètement évincée au profit de son oncle. Mais, comble de l'ironie, Philippe V lui même meurt sans héritier mâle. Quand Charles IV monte sur le trône, il n'a pas non plus le temps d'avoir un fils. A son décès, sa nouvelle épouse, Jeanne d'Evreux, accouche d'une petite fille. La première application de l'exclusion des femmes en 1316 a donc de nombreuses conséquences en chaîne dont la première est l'extinction de la dynastie capétienne directe. L'aristocratie doit de nouveau faire un choix : laisser le Roi d'Angleterre, le très jeune Edouard III, fils d'Isabelle, prendre le pouvoir en France. Techniquement, il est l'héritier le plus légitime. A l'époque, le lieu de naissance d'un Roi importe assez peu pour apprécier sa légitimité. Ou alors, il faut couronner le Régent, le neveu de Philippe Le Bel, Philippe de Valois, un homme mûr et bien français. L'aristocratie préfère consacrer Philippe VI qui monte sur le trône ce qui va provoquer le début de la Guerre de Cent ans entre la France et l'Angleterre. Peut-être que si Jeanne était devenue Reine, cette guerre ne se serait jamais produite. En fait, cette solution juridique n'aurait pas été absurde. La monarchie anglaise, elle, permettra aux femmes de devenir Reines en l'absence d'héritier mâle. Marie Stuart puis surtout Elizabeth Iere sont l'exemple de cette possibilité, d'autant plus que le règne de la seconde fut sans doute une extraordinaire nouvelle pour les Anglais. La Reine Victoria, puis la Reine Elizabeth II, bénéficieront de cette possibilité qui ne sera jamais offerte aux aristocrates françaises pour des basses raisons politiques. Exactement dans le même temps, une idéologie se développe dans les milieux intellectuels français qui sont en réalité principalement ecclésiastiques. Une rhétorique misogyne se propage un peu partout et la femme prend de plus en plus les atours d'une émanation du péché. Ce qui frappe, c'est la considération de son corps et de tout ce qui la constitue : dans l'espace public, son corps, non dissimulé, est un appel pour l'homme à violer ses devoirs religieux. De manière très amusante, à l'inverse de ce qui est considéré aujourd'hui, l'homme serait naturellement chaste. La femme, en revanche, insatiable et libidineuse, serait une menace pour l'ordre religieux de la société et, par sa nature instable et hystérique, menacerait les fondements de la civilisation chrétienne. Petit à petit, l'historien assiste à un enfermement progressif des femmes dans les villes et le droit conduit également à sa mise au ban progressif des activités lucratives. Son incapacité juridique est de plus en plus notable. D'abord dans les couches supérieures et urbaines, cette tendance misogyne va infuser toute la société sans pour autant, dans les couches les plus populaires, atteindre un niveau dramatique. De fait, et cela est vrai pour les époques anciennes comme pour les nôtres, les changements idéologiques concernent d'abord les femmes de la haute société plutôt que les femmes pauvres. Aujourd'hui, les grands mouvements idéologiques de l'époque, le féminisme, le véganisme, l'écologie, la question transgenre et l'anti-racisme, sont d'abord une question de femmes aisées et/ou éduquées. Les femmes (et les hommes) issues des milieux populaires, ouvrières, chômeuses, ou agricultrices, restent assez froides à ces changements de paradigme. Quoiqu'il en soit, ce changement misogyne a des conséquences réelles et conduiront à la grande chasse aux sorcières du XVIème siècle, particulièrement dans les pays protestants, et visant des femmes âgées, éduquées et seules. L'injonction au couple et à la soumission a fait son chemin. 

La Réforme Protestante : la mise au pas des femmes. 

A la fin du Moyen-Âge, la question religieuse est un point crucial de tension. L'institution catholique est affaiblie et déconsidérée. Depuis le Schisme d'Orient qui provoquera la naissance de l'orthodoxie en 1054 sur une simple question de liturgie (même si les tensions étaient grandes depuis quelques temps déjà), l'institution papale s'était forgée petit à petit une grande puissance dans l'Occident depuis l'avènement des Carolingiens qui, sous le fondement d'un faux, la Donation de Constantin, ont fait du Pape le personnage central de la vaste théocratie chrétienne. Le Pape va constituer avec l'Empereur, d'abord français puis ensuite "germanique", l'une des deux têtes les plus importantes de l'Occident : il est à la fois une source de droit, de légitimité et même de bien des manières, un chef politique, supérieur aux Rois et initiateur des croisades. Mais l'institution est profondément corrompue : les Papes se succèdent et avec eux, des hommes parfois brillants, parfois franchement infâmes. Le clergé régulier et séculier est souvent accusé de vivre en concubinage malgré leurs vœux de célibat et de détourner l'argent du culte pour vivre la grande vie. L'institution papale, située à Rome et donc coincée dans les batailles politiques des grandes familles italiennes qui se partagent les avantages financiers de la fonction, va également subir la rivalité grandissante avec l'Empereur du Saint-Empire Romain Germanique. Ce dernier s'estime l'héritier de l'Empire Romain et le Pape est pour lui un obligé sans pouvoir. La fameuse Querelle des Investitures, qui durera de nombreuses décennies, est révélatrice de la grande violence de cette discorde. Bientôt, l'institution impériale pâtira de ce grand déchirement. Les Rois nationaux eux-mêmes, principalement les deux plus puissants, le Roi d'Angleterre et le Roi de France, aspirent à l'indépendance nationale et affrontent le Pape, parfois très violemment, sur des questions fiscales et de nomination du personnel clérical. Bien sûr, le Pape n'est pas seulement un agent de tensions : sa puissance permet d'imposer un code moral aux Seigneurs et de détourner la violence politique féodale vers l'extérieur. Petit à petit, les Chrétiens reconquièrent l'Espagne et se forgent des Royaumes dans l'est de l'Europe lors du Drag nach Osten. Le Pape va également lutter contre les hérésies comme la fameuse religion cathare et installer un modèle religieux unique dans l'ensemble de l'Occident. Il crée notamment l'Inquisition, une juridiction cléricale d'exception, qui est connue aujourd'hui pour son caractère totalitaire et qui invente pourtant la procédure pénale moderne. Il va parsemer l'Europe de ses universités qui organisent, lors des disputatio théologiques, une certaine liberté d'expression. Les ordres franciscains et dominicains participent également à l'érection d'un véritable modèle européen chrétien et sont présents partout afin de veiller au respect de l'ordre moral, principalement dans les villes. En quelque sorte, le Pape est l'institution la plus importante de l'époque. Petit à petit, des tensions immenses vont apparaître entre le Roi de France et le Pape. Les relations n'ont pas toujours été mauvaises : Louis IX, le fameux Saint-Louis, était estimé par le Pape et avait organisé la médiation entre le Pontife et l'Empereur. Mais Philippe Le Bel va faire voler en éclats cette belle harmonie. Alors que Benoit Caetani, Boniface VIII, mégalomane aux ambitions démesurées, affirme que le Pape dispose du pouvoir de démettre les Rois et que la légitimité politique provient de lui, Philippe Le Bel, autre mégalomane dans son genre, lui répond avec moultes insultes. Surtout, il va installer en France une doctrine assez simple : le Roi est maître en son Royaume, et le Pape n'a qu'à bien se mêler de ses affaires. Les choses vont aller tellement loin que le Roi va envoyer un de ses diplomates gifler le Pape en Italie, ce qui aurait causé sa mort quelques jours plus tard. Peu après, pendant un siècle, des Papes français, vivant à Avignon, règneront en même temps qu'un Pape italien. On a parlé du Grand Schisme d'Occident qui ne sera résolu qu'en 1430. Exactement dans le même temps, la crise économique, sanitaire, sécuritaire et guerrière du XIVème siècle, sans doute l'un des siècles les plus affreux de l'ère chrétienne, crée dans l'esprit du commun une grande crise de conscience. En 1453, Constantinople, capitale de l'orthodoxie, chute face à la puissance énorme du califat ottoman. Les princes de Kiev, puis de Moscou, conquièrent bientôt la très catholique Pologne et bâtissent la "Troisième Rome" : un César politique russe (Tsar) et surtout, une orthodoxie slave. Deux autres points cristallisent des tensions immenses : en 1450, Gutenberg invente l'imprimerie à Mayence et fonde, sans encore tout à fait le savoir, l'un des changements anthropologiques les plus importants de l'Humanité. Les clercs ne sont donc plus les seuls à avoir le privilège de détenir le savoir ou de le copier. L'accès au savoir va se répandre dans les sphères les plus profanes de la société ce qui va provoquer l'essor de l'humanisme, c'est-à-dire la désacralisation du monde. L'autre point de tension est le fameux commerce des indulgences. En théorie, un chrétien, qui dispose du libre-arbitre dans ses décisions, ne peut pas commettre des péchés. La doctrine chrétienne étant fondée sur le pardon, l'homme peut se livrer secrètement au prêtre lors de la confession qui, selon la faute avouée, prescrit un certain nombre de pénitences qui peuvent se trouver être une aumône, un pèlerinage ou des prières. Mais s'est développée, à destination d'un public aisé, une autre pratique : les riches achètent le pardon aux Eglises par le don d'argent. Cela permet aux personnes bien nées de s'acheter le Paradis à peu de frais, avec la conscience tranquille. Cette pratique met en rage un certain nombre d'intégristes qui se révoltent face à cette vénalité du pardon. Certains catholiques, à l'image du prédicateur Savonarole qui met en place une théocratie incroyablement rétrograde à Florence pendant quelques années, se lèvent contre l'institution et cherchent à rénover le dogme. Parmi eux, on trouve des prêtres, des professeurs de théologie et même des laïcs. Petit à petit se lève sur l'Occident un vent nouveau : celui de la Réforme. 

Déjà, auparavant, un prêtre anglais et docteur en théologie, John Wycliff, traduit la Bible en anglais. Il nie totalement la transsubstantiation (le fait que le pain et le vin puissent, après ingestion, devenir réellement sang et chair du Christ) qu'il estime impossible scientifiquement, critique le Pape et encourage le croyant à consulter la Bible par lui-même. Il dénonce en outre la richesse du clergé qui doit, selon lui, retourner à la pauvreté originelle et soutient par ailleurs la révolte de pauvres contre leurs seigneurs. Quelques temps après sa mort, en 1428, un concile ordonne son exhumation et l'incinération de son corps pour hérésie. Un autre prêtre et professeur de théologie tchèque, Jean Hus, passionné par Wycliff, critique violemment les Indulgences. En 1415, il est condamné au bûcher. Ses partisans, les hussites, menés par Jan Ziska et le prêtre Procope, prennent alors les armes contre le Pape et l'Empereur. En 1431, ils vainquent la croisade lancée par le Pape contre eux et le Souverain Pontife leur accorde la communion (en tout cas aux plus modérés d'entre eux). Il autorise même les frères moraves à lire l'Epître et l'Evangile en tchèque en Bohême du Sud. Comment ne pas parler de l'humaniste Erasme, né à Rotterdam, qui publie en 1516 une traduction gréco-latine de la Bible contre l'avis des intégristes ? Soutenu par un Pape cultivé, Léon X, qui le protège des nombreuses menaces de mort reçues, il ne passe pas loin du bûcher, à encore, pour hérésie. Mais on n'arrête pas la libre pensée chrétienne de faire son chemin partout en Europe. Une deuxième étape est franchie en Suisse par le prêtre, disciple d'Erasme, Ulrich Zwingli. Nommé prédicateur à Zurich, il dénonce en 1516 les offrandes des pèlerins au monastère d'Einsiedeln. Il convainc le conseil de la ville de se détacher de Rome et de n'obéir qu'à la Bible. Il condamne le célibat des prêtres, la suppression du jeûne du Carême et le culte des images, notamment du crucifix. La troisième étape, la plus connue, mais donc pas la première, est celle franchie par Martin Luther. Ce professeur de théologie (encore un!) publie en 1517 ses 95 thèses sur les portes de la chapelle du château de Wittenberg. L'homme condamne totalement les indulgences et prône la mise en place d'une liturgie en allemand. Il fait d'ailleurs traduire la Bible en allemand par Philip Melanchthon, un humaniste disciple d'Erasme et encourage l'apprentissage du grec et de l'hébreu pour que les enfants puissent lire la Bible dans son texte original. Il critique l'Eglise catholique qu'il qualifie de "Putain de Babylone" et prône la communication directe entre le croyant et Dieu par la lecture de la Bible et la prière, sans l'intermédiaire du clergé. Il supprime la dîme et crée les Pasteurs qui doivent être élus. Surtout, le point central de la doctrine luthérienne est le concept de "prédestination" : l'Homme ne peut pas se racheter et ne peut pas être sauvé ni par ses vertus ni par ses bonnes actions. Seul Dieu décide, depuis l'aube des temps, de la grâce et donc de la destination finale de l'âme d'un individu. Très vite, le Saint Empire va être déchiré entre les "protestants" et les catholiques, point de départ d'une guerre longue et d'une violence extrêmement violente qui conduira d'ailleurs au changement de religion des pays du Nord. Un autre prêtre, moins connu, Thomas Münzer, adhère au luthérianisme mais fonde une autre Eglise : l'anabaptisme. Il prône un deuxième baptême pour les croyants et surtout la lutte armée pour l'advenue du "Millenium", c'est-à-dire le retour du Messie pour un règne de mille ans. Il pousse les paysans allemands à la rébellion et mourra tragiquement à la Bataille de Frankenhausen en 1525. L'église anabaptiste continue à exister sous d'autres formes après que Melchior Hoffmann, un fourreur autodidacte luthérien, prétend que le Christ reparaîtra à Strasbourg en 1533 et meurt en 1530 dans les geôles de la ville alsacienne. Son successeur, le hollandais Jan de Leyde, fonde à Münster une théocratie et se nomme "Roi de justice". Le modèle se fonde à la fois sur la polygamie et un communisme social extrême. En 1535, les troupes impériales massacrent quasiment toute la population de la ville. L'Eglise anabaptiste va alors peu à peu se pacifier et se développer dans les campagnes des Pays-Bas et continuer, par la suite, à exister aux Etats-Unis chez les "amish" de Jakob Amman. 

L'Europe va continuer à s'embraser radicalement. Tout va continuer en Angleterre sous le règne du cruel Henry VIII. Ce dernier, très puissant et cultivant une certaine idée de son indépendance nationale, est marié à la fille du Roi d'Espagne, Isabelle. Mais cette dernière n'a pas mis au monde de garçons et surtout ennuie profondément le Roi qui a un appétit assez gigantesque en matière de conquêtes. Il souhaite divorcer et épouser sa maîtresse, Ann Boleyn. Toutefois, pour divorcer, il est obligatoire d'obtenir du Pape une dispense ecclésiastique, puisque le mariage est indissoluble dans la doctrine catholique. Néanmoins, le Pape refuse. Henry VIII ne se soumet absolument pas, quitte l'Eglise catholique, confisque les biens de l'Eglise, abolit tous les impôts ecclésiastiques et fonde une toute nouvelle religion dont il est le chef et calquée sur la doctrine protestante : l'anglicanisme. L'Irlande résistera mais le Roi réussira à imposer cela et à faire de l'archevêque de Canterbury une sorte d'équivalent du Pape. Mais Henry VIII, malgré son nombre important d'épouses, n'aura pas de fils. Sa fille, Mary, rétablira le catholicisme et fera massacrer près de 300 personnes. Elizabeth Ière imposera à nouveau l'anglicanisme et fera décapiter la Reine d'Ecosse catholique, Marie Stuart. On notera que les Anglais ont des Reines à part entière. En France aussi, le protestantisme séduit un nombre important de nobles et de fidèles. A Noyon, Jean Calvin se convertit au luthérianisme et milite comme beaucoup pour la Réforme. Mais le Roi de France n'a pas la tolérance dans le sang et les Catholiques massacrent allègrement les Réformés. En 1534, une vague de répression le fait fuir à Strasbourg puis à Genève, en Suisse. Très vite, Calvin réussit avec l'aide son ami, Guillaume Farel, à devenir Pasteur de la ville et bientôt maître d'une théocratie intégriste d'une radicalité inouïe. Il va bien plus loin que Luther. Par exemple, Michel Servet, un théologien espagnol, critique l'interprétation calviniste de la Trinité. En 1553, Calvin le fait brûler. Sébastien Castellion, un convaincu de la Réforme, aussi ose prêcher la tolérance et doit fuir Genève. Le calvinisme, fondé sur le caractère profondément mauvais de l'Homme, va constituer pour les femmes un des plus grands retours en arrière. Les homosexuels sont également persécutés. Les Eglises presbytériennes, en fait calvinistes, vont se propager partout jusqu'en Ecosse par l'intermédiaire de John Knox en 1560. Ce dernier lutte contre Marie Stuart, la Reine d'Ecosse et qualifie le Royaume catholique de "monstrueux régime des femmes", c'est dire. Après la décapitation de la Reine Marie Stuart, le calvinisme s'impose en Ecosse et devient religion d'Etat en 1688. Les catholiques vont contre-attaquer avec la convocation par le Pape Paul III du concile de Trente en 1542. La Contre-Réforme catholique va édicter l'interdiction de la lecture de la Bible en hébreu, en grec ou dans les langues dites "vernaculaires", c'est-à-dire profanes. Les prêtres sont assignés strictement à leurs paroisses, reçoivent le minimum de formation théologique pour éviter toute pensée indépendante et les imprimeries chrétiennes sont fortement censurées. Les Jésuites, la "Compagnie de Jésus", se chargent de reprendre en main l'éducation des croyants par la mise en place de près de 144 centres de formation, jusqu'en Chine. Le Roi d'Espagne, Philippe II, catholique convaincu, subit en 1579 la révolte des Provinces Unies peuplées d'anabaptistes, d'huguenots, de juifs. La guerre, terrible, durera 80 ans et les Provinces Unies, grande puissance économique, deviendront un îlot protestant en Europe. Tandis que l'Angleterre anglicane et puritaine est très intégriste, les Provinces Unies, par leurs cosmopolitismes, développent un protestantisme tolérant. Le prêtre anglican John Smyth dénonce ainsi le formalisme de la liturgie anglaise. Il fondera en Hollande une Eglise qui baptise les adultes : le mouvement baptiste. Le mouvement s'installera ensuite dans l'ensemble du monde anglo-saxon. A l'inverse, en Angleterre, des intégristes anglicans sont déçus profondément par la politique "tolérante" d'Elizabeth et fondent le mouvement puritain, l'Eglise congrégationaliste, absolument hostile aux autres religions, aux femmes et aux homosexuels. Les puritains sont persécutés en Angleterre et émigrent sur le continent puis aux Etats-Unis à bord du Mayflower dans la Nouvelle-Angleterre en 1620. Cromwell, le seul républicain anglais, était puritain. Le protestantisme va continuer à se développer dans des courants très différents. George Fox crée notamment l'Eglise des "quakers" ("les trembleurs") en réaction à l'intégrisme puritain. Il dénonce l'extrême violence et l'intolérance de Cromwell et des intégristes. Il prône l'absence de clergé, de sacrements et de credo. Le fils d'un amiral anglais, William Penn, quitte l'Angleterre et fonde en 1682 la République de Pennsylvanie qui devient un refuge pour tous les persécutés. Ce protestantisme là va être bien plus féministe, anti-esclavagiste et anti-prosélyte. John Wesley, un prêtre anglican, va fonder ensuite l'Eglise des méthodistes qui offre la possibilité d'une rencontre personnelle avec Dieu. Viendront ensuite les restaurationnistes, les mormons, les adventistes du 7ème jour, les témoins de Jéhovah et les pentecôtistes. Le monde anglo-saxon est donc complètement protestant et l'exportera en Afrique du Sud et de l'Est. 

La France est touchée également. A la fin du XVIème siècle, la guerre de religion devient terrible. En 1572, le massacre de la Saint-Barthélemy, sans doute organisé par la Reine régente Catherine de Médicis (rare Reine avec une vraie influence après la fausse interprétation de la loi salique), signe l'acmé d'une tension immense entre les catholiques et les protestants. Après le bain de sang, le règne de Henri IV va venir apaiser pendant un certain temps les graves tensions. Si ce dernier se convertit au catholicisme, il signe également l'Edit de Nantes qui consacre la tolérance officielle du Royaume pour le protestantisme. Malgré un temps d'accalmie, Louis XIV le révoquera et lancera la France dans une vaste politique de répression très dure réduisant à néant l'avenir du protestantisme français. Quelques temps avant, sous le règne de Louis XIII et Richelieu, la Guerre de Trente ans éclate dans le Saint Empire entre les protestant tchèques au nord et les catholiques au sud au soutien des Habsbourg. La Suède rejoint les protestants et l'Espagne les Autrichiens. La France va jouer un drôle de jeu en s'alliant avec les Protestants étrangers contre les Habsbourg tout en massacrant les protestants français à La Rochelle. Après ces évènements, l'Europe du Nord est largement protestante et la ligne de démarcation entre les deux religions coupe l'Allemagne et la Suisse en deux. L'Europe du Sud reste très majoritairement catholique, y compris la France et la Belgique. En quoi ces évènements, particulièrement développés ici, sont extrêmement importants dans l'histoire des femmes ? Parce qu'ils signent une mutation profonde dans l'idéologie relatif aux femmes, et il est bien dommage que Titiou Lecoq n'en fasse jamais état, alors même que c'est un évènement primordial. Peut-être aurait-il mieux valu moins s'appesantir sur le sort des dramaturges féminins dans la cour de Louis XIV et davantage s'intéresser au commun des mortels. La doctrine protestante est fondée sur l'apprentissage de la lecture et la vulgarisation de la pratique dans les couches supérieures de la société. D'ailleurs, cela n'est pas un hasard si le protestantisme est né en Allemagne où la famille souche est la plus implantée : ce sont ces familles qui ont appris le plus tôt à leurs enfants à lire. Fait intéressant : les femmes en ont été complètement écartées et leur sort s'est retrouvée dans un premier temps très affaibli. Aujourd'hui encore, l'Allemagne est un des pays européens les plus en retard sur la question. Si les pays anglo-saxons s'en tirent mieux, c'est par la richesse d'un protestantisme moins monolithique et une structure familiale plus nucléaire. Les femmes américaines, moins soumises au contrôle de leurs familles, ont très vite dû s'émanciper et donc apprendre à lire. Les pays nordiques, quant à eux, se sont aussi métamorphosés : la Suède, très proche de l'Allemagne, par un effet de dissociation intéressant, va devenir le pays le plus féministe du monde, justement pour s'opposer au modèle allemand. Le Danemark, plus proche de l'Allemagne, reste plus conservateur. Dans une perspective différente, le protestantisme remet en cause largement le célibat des prêtres et aussi la possibilité pour certaines femmes de se mettre à l'abri des hommes. Tout le monde est sommé de se mettre en couple, y compris les clercs. Cela met en danger à la fois les femmes mais également l'ensemble des personnes ayant une orientation sexuelle ne permettant pas de fonder une famille. La vision très culpabilisante de la sexualité portée par les calvinistes et les puritains va également jouer un rôle très important dans la philosophie des pays anglo-saxons et germaniques. Le fait que les droits britanniques et américains vont, contrairement aux pays catholiques, développer des infractions d'homosexualité ou liées à la sexualité non-reproductive est absolument lié à ça. Le retard profond des Etats-Unis dans ces domaines jusque dans les années 2000 s'explique particulièrement par l'enracinement du protestantisme et de la mentalité religieuse dans la société. On voit également apparaître à cette époque un tout autre schisme en Europe entre l'ouest et l'est. Dans les premiers pays, l'âge de mariage devient légèrement plus tardif. Pour les pays de l'est, qu'ils soient catholiques (Pologne, Hongrie, Slovénie) ou orthodoxes, le mariage reste très précoce et empêche aussi les couples de développer un mode de vie individualiste. Le décalage actuel énorme entre l'Occident protestant et catholique et ces pays là, en matière d'acceptation de l'homosexualité notamment, provient de ce fossé qui s'est creusé et de l'emprise importante de la famille à l'est. Le sentiment religieux y est également globalement plus important en raison de la non pénétration des apprentissages de lecture et de la libre pensée. Le mode de vie individualiste, porté à la fois par la structure familiale nucléaire, l'imprimerie et l'essor des nouvelles Eglises, va être l'un des jalons de l'émancipation féminine à l'ouest. Pour autant, le protestantisme est sur le moment un moment de décadence pour les femmes. 

Le Grand Siècle, les Lumières, la Révolution et l'Empire : triomphe de la science et naturalisation de la femme. 

Dès la fin du XVIème siècle, l'Europe traverse une grande crise de conscience. En réalité, les catholiques et les protestants ne se sont pas vaincus les uns les autres. Certains pays ont succombé à l'un ou l'autre camp, certes, mais dans le peuple européen en général, les guerres de religion ont laissé un goût amer. Bien sûr, l'Europe médiévale n'a jamais été exempte de conflits spirituels mais jamais à ce stade, tout du moins sur le sol européen et de manière aussi sordide. La croisade contre les cathares au XIIIème siècle avait été violente et n'avait pas fait dans la dentelle non plus : la rhétorique totalitaire classique du "Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens" devant Albi a d'ailleurs inspiré de nombreux intégristes à travers le monde jusqu'à aujourd'hui, même les plus "laïcs" d'entre eux. Mais sur un siècle entier, la guerre entre les catholiques et les réformés battit des records en terme d'atrocités. Pour les Européens, cela fut principalement un évènement absurde. Seuls les théologiens savaient réellement faire la différence entre les deux camps et pour la plupart des gens, cette discorde fut un signe de vacuité spirituelle immense. Après tout, si chacun était tant sûr d'avoir raison, c'est que la foi n'était pas forcément un sentiment fiable qui permettait d'accéder tant que ça à la Vérité. Si un camp se trompait à coup sûr, pourquoi les deux antagonistes ne pouvaient pas faire erreur en même temps ? Les esprits les plus éduqués commencèrent à mettre en doute de manière consciente le dogme chrétien, celui qui était considéré comme la vérité la plus absolue qui soit. Bien sûr, l'athéisme pratique selon l'expression de Georges Minois, c'est-à-dire inconscient, qui ne conceptualise pas, a toujours existé au cours du Moyen-Âge dans les campagnes les plus reculées où certaines traditions païennes subsistaient sous des formes plus ou moins aseptisées. Mais l'athéisme à la grecque, hédoniste, matérialiste et atomiste, qui se passe volontairement de Dieu, en en critiquant l'idée et la vérité, ca ne s'était plus vu depuis près de dix siècles. Partout, les "libertins" fleurissent en France mais surtout en Angleterre et en Italie. Partout, des hommes acceptent Dieu, certes, mais sans le dogme : les déistes. D'autres tentent de concilier la Foi et la Raison. D'autres encore, plus discrets, honteux sans doute, sont totalement athées. Bref, la spiritualité se fait à la carte. L'intelligentsia européenne, italienne d'abord, puis occidentale ensuite, redécouvre les textes grecs conservés au fin fond des monastères ou ramenés par les Musulmans, une autre religion monothéiste puissante. Chacun s'amuse de cette mythologie grecque et romaine haute en couleur dont les thèmes sont moins ennuyeux que les légendes chrétiennes, redécouvre les grandes épopées et en produit des œuvres d'art d'une beauté inédite. On cesse de plus en plus de faire de l'art autour de la passion du Christ ou de la Vierge Marie et on peint, on sculpte, des corps, nus, beaux.  Secrètement, des scientifiques autoproclamés déterrent et dissèquent ces corps étranges pour en comprendre le fonctionnement : la médecine recommence à progresser et à s'imposer. On bâtit des machines, on achète des textes licencieux et on s'amuse secrètement de l'hypocrisie des clercs. Le corps de la femme n'est plus cette figure pâle et sans forme, sainte et implorante. La nudité féminine, magnifiée par la perspective, fascine autant qu'elle scandalise. La femme ne se cache plus, elle s'admire. Les Européens voyagent également. En 1492, Christophe Colomb met un pied dans les Antilles. Bientôt, les chrétiens missionnaires comme les humanistes découvrent, stupéfaits, que des cultures païennes pullulent partout dans le Monde et disposent de cultes, de façons de vivre et de langues complètement étrangers. L'existence de nouveaux Dieux, des coutumes étranges et d'autres sexualités parviennent aux oreilles de ces humanistes, comme Montaigne, qui découvrent que le monde n'est non seulement pas fini mais surtout qu'il n'est pas à l'image de Jésus. Cela conduit à deux mouvements profondément différents : les religieux convertissent, massacrent et exploitent les autres, les infidèles. Les scientifiques, eux, les étudient et écrivent. Si l'Humanité ne vit pas de manière uniforme selon les lois du monothéisme abrahamique, pourquoi ne serait-ce pas les Chrétiens qui vivent dans l'erreur ? L'Occident est en train de se décentrer complètement : un autre rapport à la vérité est en train d'apparaître. Les certitudes disparaissent et, avec elles, un certain nombre de codes sociaux. La sexualité se libéralise dans les sphères les plus hautes de la société : l'Italie, notamment, avec son "vice", c'est-à-dire la pratique peu réprimée de l'homosexualité, exporte ses mœurs dans toutes les cours européennes, non sans résistance ni moquerie. Les femmes ont également toute leur place autour des princes. Il n'est pas un hasard si les seules femmes ayant eu un rôle politique majeur en France ont été des italiennes et des Médicis tout particulièrement : Catherine d'abord, et Marie ensuite. A contrario, l'Empire ottoman s'étend peu à peu dans toute l'Europe de l'est, important sa religion et sa structure familiale communautaire dans les territoires conquis. Si les sultans ont des mœurs parfois légères, le sultan Mehmet ayant rempli son harem avec autant de femmes que d'hommes, le statut de la femme n'y est pas très important. Certaines sont vendues comme esclaves pour alimenter des trafics sexuels et les autres sont reléguées dans leur foyer. 

Le Grand Siècle de Louis XIV est un moment d'accalmie dans l'immense fourmillement intellectuel européen de l'époque. La monarchie absolue s'accompagne de mouvements sociétaux importants dans la civilisation française. Le Roi Soleil, après le traumatisme de la Fronde nobiliaire et dans sa volonté d'écraser l'ensemble des aristocrates, d'épée comme de robe, et notamment les Parlementaires, entend refonder totalement l'anthropologie des couches supérieures de la société. Une partie d'entre elles est envoyée combattre à l'étranger, dans le Saint Empire ou en Espagne, dans des guerres permanentes et dispendieuses contre les ennemis de la France. L'autre partie, celle destinée à rester à l'intérieur du Royaume, est parquée dans des châteaux et dans le luxe. A Versailles, palais incroyable construit par des milliers de paysans dont une bonne partie ne survivra pas, Louis XIV enferme les Nobles dans ce qui peut être comparé à une cage en or. Les hommes ne doivent plus être virils ou combattants : l'esprit, l'étiquette et le bon goût priment sur la faculté de tuer. De manière très amusante, fardés de poudre et de perruques, de talons hauts et de collants, les hommes n'auraient rien à envier aux Drag Queens actuelles. Au sein de cette Cour, l'aristocratie se ramollit dans des orgies extraordinaires et s'affrontent dans des joutes verbales ironiques. Surtout, il faut courtiser le Roi, le regarder déféquer et satisfaire ses désirs. Il est bien loin l'idéal chevaleresque et encore plus éloignée, la rigueur morale et intégriste des Rois Capétiens. Le Roi a des nombreuses maîtresses et favorites qui partagent sa couche. Sa sexualité est absolument débridée et certaines femmes disposent d'un rôle étonnant dans la vie de l'homme le plus important du pays, à l'instar de Madame de Maintenon ou de Madame de Montespan. Les autres nobles aussi pratiquent une forme de libertinage et l'homosexualité elle-même n'est pas spécialement condamnée. En réalité, un puissant n'a pas tellement à se justifier sur ces questions. Le propre frère du Roi, Philippe d'Orléans, "Monsieur", mène une vie d'orgies et collectionne les amants sans que cela n'alarme réellement Louis XIV lui-même, qui lui impose tout de même deux mariages. Pendant que les Nobles vivent une vie de luxure, Louis XIV durcit considérablement le droit pénal pour le peuple tout en menant une politique hygiéniste d'assainissement des villes. La police telle que nous la connaissons aujourd'hui est créée pour sécuriser Paris et les grandes villes du Royaume. Tous les marginaux, les vagabonds, les femmes de mauvaise vie et les pauvres, sont enfermés massivement dans des hospices. Le Roi fait également enfermer les aristocrates récalcitrants et ses ennemis (ou les gênants) dans des prisons à l'aide de lettres de cachet. Pendant qu'il matte l'aristocratie, Louis XIV participe à faire monter une classe sociale dominante qui s'est considérablement enrichie : les bourgeois. Son Ministre, Colbert, est connu pour avoir organisé avec un certain talent l'économie du Royaume et avoir remis en marche l'ensemble de sa flotte. Il est malheureusement tout aussi célèbre pour avoir légiféré sur l'esclavage. La classe sociale bourgeoise dispose de ses propres règles et d'une certaine absence de religiosité. Il n'empêche que le règne de Louis XIV est donc véritablement à mi-chemin entre une atmosphère de détente à la Cour et une remise au pas morale de la société française toute entière. Les femmes aristocrates et bourgeoises de l'Ancien Régime jouent un rôle dans cette atmosphère. De nombreuses femmes de la noblesse organisent des correspondances et des animations intellectuelles et culturelles réunissant les plus grands esprits de l'époque. Les femmes de la bourgeoisie, en revanche, semblent nettement moins émancipées. Pour autant, elles aspirent également à s'élever socialement et à s'éduquer, en témoignent les pièces de théâtre de Molière qui s'en moque gentiment. A ce titre, la classe sociale très particulière des comédiens démontre aussi que certaines femmes du peuple tentent d'échapper à leur destin en jouant au théâtre. Si ces trublions sont exclus de la possibilité d'être enterrés en terre chrétienne, ils ne sont pas pour autant marginalisés, bien au contraire. La société française, surtout, explose démographiquement, devenant le pays d'Europe le plus peuplé, et les femmes y sont forcément pour quelque chose. Ce mastodonte devient indéniablement la première puissance mondiale à ce moment là. Mais l'émancipation féminine est loin d'être enclenchée : certaines autres femmes, encore, sont considérées comme des sorcières, notamment en raison de la sombre affaire des poisons dans la Cour du Roi. Après la mort de Louis XIV, les femmes continuent à exercer une sorte de pouvoir dans la société d'Ancien Régime. Madame de Pompadour, notamment, maîtresse du Roi, à la tête d'un réseau de financiers, exerce quasiment officieusement le titre de Premier Ministre pendant de nombreuses années. Le bilan de son influence n'est pas exceptionnel : elle participe à nouer un lien entre la France et l'Autriche des Habsbourg, ce qui cause la défaite de la France contre l'Angleterre lors de la Guerre de Sept ans et la perte de toutes les colonies nord-américaines. Pour autant, et même si l'aristocrate connaîtra une violente disgrâce, l'Ancien Régime laisse une place timide aux femmes qui continuent d'influencer énormément le pouvoir masculin. Les bourgeois se moquent d'ailleurs de cette aristocratie si féminine. Petit à petit, dans cette atmosphère, la société des Lumières va éclairer la question sexuelle d'un jour nouveau. 

Les Lumières, ca ne signifie rien de très précis. Il n'existe pas de philosophie des Lumières ou un corpus unifié de doctrines cohérent. Les historiens penchent davantage pour l'expression de société des Lumières. Ce modèle européen purement sociétal permet la rencontre, dans des réunions secrètes ou des loges maçonniques, d'aristocrates et de bourgeois réformistes, les dominants de la société de l'époque. Tous se fréquentent, discutent et prennent conscience qu'ils partagent une volonté de refonder la civilisation européenne vers davantage de liberté. Toutefois, ils ne pensent pas tous la même chose et divergent même parfois énormément. Certains sont davantage tournés vers une volonté d'adoucir et de proportionner le droit pénal et constitutionnel. Parmi ces derniers, certains sont davantage admiratifs du modèle anglais de monarchie tempérée et d'autres du modèle de despotisme éclairé prussien. Rares sont ceux qui parlent dès cet instant d'une République. On trouve ces penseurs aussi  bien chez les Parlementaires nobles jansénistes que chez des marchands bourgeois. En ce qu'il s'agit de la conscience, tous sont globalement favorables à la mise en place d'une véritable liberté de religion, mais parmi eux, certains sont encore catholiques, ou déistes, voire athées comme D'Holbach ou La Mettrie. En France, il existe une certaine aspiration à la liberté pour les Bourgeois qui souhaitent une abolition des privilèges fiscaux et politiques aristocratiques. Mais, pour autant, certains restent très modérés et n'aspirent pas à une vaste redistribution des richesses. De fait, ces loges européennes constituent un vaste réseau transeuropéen destiné à la communication libre des idées. En revanche, là où il faut admettre un unanimisme, c'est bien par l'absence profond de féminisme. Aucune femme ne fait partie de cette contre-société et aucun homme n'a essayé de pousser de près ou de loin l'idée que ces dernières puissent en faire partie. La société des Lumières est tout aussi misogyne que le modèle précédent, voire davantage. En ce sens, la Révolution Française se fonde d'abord sur des impératifs politiques de citoyenneté, économiques et sociaux puis finalement libéraux. Jamais la question féministe n'a été mise en avant par les Révolutionnaires. Si certaines femmes du peuple ont participé aux grandes journées révolutionnaires, elles n'ont jamais eu aucun rôle politique. Aussi bien exclues de l'Assemblée que des clubs de discussion, leur rôle est inexistant. On a beaucoup mis en exergue la vie d'Olympe de Gouges, une aristocrate peu représentative du mouvement du temps, en oubliant qu'elle a été guillotinée par les hommes de la Révolution. De bien des manières, les Bourgeois méprisent les femmes de l'Ancien Régime ayant eu un rôle d'influence politique, et elles étaient considérées comme l'émanation d'une décadence vicieuse. Le suffrage censitaire, puis un temps "universel", n'a jamais concerné les femmes. Personne n'a même osé le proposer ou le réclamer, c'est dire si cette exclusion constituait une évidence. En 1792, le divorce par consentement mutuel ou pour faute est établi et l'indissolubilité du mariage est abolie. Le problème est que cela n'est absolument pas motivé par des considérations féministes. L'idée est de créer un mariage civil indépendant des considérations religieuses et de libéraliser les rapports conjugaux, du point de vue unique du mari. En pratique, c'était souvent ce dernier qui le réclamait, et l'épouse se trouvait alors dans le dénouement le plus absolu. Quand Napoléon accède au pouvoir, le Code Civil, synthèse du droit coutumier et écrit de l'Ancien Régime légèrement libéralisé, entre en vigueur en 1804 : les femmes ont un statut juridique très inférieur à celui de leurs époux. En ce sens, le père de famille dispose de l'autorité au sein de la famille, pouvant aller jusqu'au viol conjugal, et les femmes sont frappées d'incapacité juridique globale. Eternelles mineures aux yeux de la Loi, elles perdent en plus le droit de divorcer, puisque seul le divorce pour faute est effectivement appliqué. Le délit d'adultère est également exclusivement appliqué aux femmes. Bref, les femmes sont des bêtes de somme. La Révolution n'est pas non plus un exemple de libération sexuelle. Bien sûr, la déchristianisation opérée plus ou moins radicalement va permettre une certaine ouverture juridique. Ainsi, et c'est peu connu, en 1792, le délit de sodomie est aboli. Il n'est plus illégal d'avoir des rapports homosexuels. La dernière exécution était intervenue à Paris un siècle plus tôt et de nombreux bourgeois s'adonnent à ces relations qui continuent d'être mal perçues. Toutefois, il faut bien admettre que Napoléon ne reviendra pas sur cette dépénalisation et s'amusera même de l'homosexualité d'un de ses conseillers. La France est le premier pays occidental à ne plus condamner ces rapports là. Il ne faudrait tout de même pas penser que l'homosexualité est défendue par les Philosophes des Lumières. Bien au contraire. Pour la majorité d'entre eux, il s'agit d'un comportement contre-nature et d'un désordre. Seul Jeremy Bentham et son formidable Essai sur la pédérastie ou encore Diderot estimeront que l'homosexualité, ne faisant de mal à personne et apportant du bonheur sans contrariété pour la société à ceux qui s'y adonnent, ne pouvaient être interdits par la Loi. La raison de la dépénalisation est davantage idéologique : les délits moraux, comme le blasphème, la sorcellerie ou la sodomie, ne causent pas de tort à la société en soi. Même s'il s'agit d'un comportement blâmable moralement, il n'existe aucune utilité de le condamner. Il faut donc se sortir de l'esprit l'image de Révolutionnaires gauchistes partouzant avec les prostituées et entre hommes. Cela n'a jamais existé et Robespierre, qui tentera de mettre en place une religion civique nouvelle, s'illustre par une indifférence puritaine à la Cromwell aux délices de la chair. 

Cette vision très libérale de la société va s'exporter dans toute l'Europe occidentale par les guerres napoléoniennes. Beaucoup de droits nationaux se calqueront sur ce modèle d'indifférence et de supériorité masculine. En revanche, les pays anglo-saxons, qui ne seront pas touchés par le bonapartisme, continueront très longtemps à réprimer l'homosexualité, particulièrement le Royaume-Uni et les Etats-Unis, très fortement inspirés par le modèle protestant puritain. Alors que les pays romanistes de droit écrit optent volontairement pour l'absence de délits moraux, il n'en va absolument pas de même des pays qui connurent pourtant une Révolution civique bien antérieure à celle de la France. A ce moment là, il faut bien reconnaître que le poids de la différence entre le protestantisme et le catholicisme s'accentue, notamment en rapport au corps. La première religion a une volonté de domestication interne très puissante des pulsions sexuelles. Ces dernières ne sont pas niées ou considérées comme abstraites : le célibat et le vœu de chasteté n'a donc pas de sens. Pour autant, la contrainte sur les corps, et l'idée que chaque homme est par nature vicié par le désir sexuel, est écrasante. Le catholicisme est considérablement plus hypocrite et donc paradoxalement plus protecteur. Il suppose la possibilité de s'abstraire de son propre corps, d'en sortir. L'absence de rapports sexuels, que tout le monde sait impossible en réalité, est prise pour une donnée : les prêtres sont célibataires et les femmes qui entrent dans les ordres sont en dehors de ces vicissitudes. Dans le cadre de cette idée, la contrainte des corps est en fait moins forte, puisque chacun fait comme si cela n'existait pas. Cela explique aussi pourquoi les pays de tradition catholique ont très vite adopté une position d'indifférence profonde à l'homosexualité. Parce qu'ils faisaient totalement semblant qu'elle n'existait pas, la laissant aux arrières cuisines et aux chambres à coucher, au secret. Dans un cas, il faut tout contrôler, tout maîtriser et l'abstinence hypocrite est presque aussi dangereuse que la sexualité libérée. Dans un second cas, on ignore. Parallèlement, la philosophie des Lumières remplace le discours misogyne religieux par un discours scientifique. La naissance de l'anthropologie et de la biologie essentialise considérablement la binarité masculine/féminine. Alors que l'idée de Nature inonde la pensée politique, elle infuse aussi les rapports entre homme et femme. Les deux sexes (et certainement pas genres à ce stade) sont complémentaires à l'image de ce qui se trouve dans le règne animal et surtout, l'Homme, par sa force, son intelligence et sa faculté de pénétrer, domine la femme. Or, si cela est vrai dans la Nature, cela doit être le cas également dans une société toute entière fondée sur le naturel. Alors que l'Antiquité et le Moyen-Âge avait une vision très souple de la filiation, fondée sur l'adoption et l'amour, on la naturalise considérablement. Les enfants sont le fruit d'un coït entre homme et femme et ils doivent donc, sur l'état civil, en être la représentation parfaite. De la même façon, l'homosexualité est considérée comme contre-nature à ce moment là car non reproductive. On commence à la considérer non plus comme un choix mais comme une déviance, pas forcément grave en soi, mais qui se soigne. Cette vision ultra biologique de la nature, en fait très éloignée de celle-ci, aura des conséquences positives à long terme. Sur le moment, elle troque un discours oppressif par un autre. Jusqu'à la Révolution Industrielle, le monde post-bonapartiste n'est pas plus libertaire. Le divorce est aboli et les femmes ne voient pas vraiment leur sort juridique s'améliorer. En réalité, il stagne beaucoup. La courte IIème République n'est pas plus féministe que la première : l'abolition de l'esclavage et le rétablissement temporaire du suffrage universel ne permettent pas aux plus progressistes de s'intéresser à la condition féminine occidentale. Là encore, des femmes participent, comme partout en Europe, aux grands mouvements sociaux de 1848 partout en Europe. Les conséquences n'en seront pas éclatantes pour elles. Il faudra attendre l'émergence de la Révolution industrielle pour que leur sort commence à suivre une dynamique ascendante. 

Le point de départ de la lutte féministe : la Révolution Industrielle. 

L'émergence de l'esprit scientifique en Occident va conduire à des découvertes extraordinaires uniques au Monde et à la domestication des énergies. L'économie européenne va peu à peu exploser, d'abord en Belgique et en Angleterre, puis dans l'ensemble de l'Occident dès les années 1860. L'invention de la machine à vapeur et de l'électricité permettront la création d'un nouveau mode de vie et d'un certain confort jamais vu dans l'histoire humaine. Surtout, la médecine progresse. Cela est un mouvement de long terme puisqu'il commence au début du XIXème siècle : des ligues de médecins comprennent le rôle capital de l'hygiène dans la lutte contre l'ensemble des maladies. De manière générale, les politiques publiques commencent à s'orienter vers la protection des corps biologiques, par l'entretien des voiries, le lavage des mains et la protection des pauvres contre l'ensemble des maladies liées à une vie dissolue. Les prostituées, notamment, sont particulièrement visées par cette volonté de protection. Plus tard, l'invention du vaccin par Louis Pasteur et la création de l'antibiotique vont venir véritablement protéger la population. Les progrès de la médecine et de l'hygiénisme permettent de réduire drastiquement la mortalité infantile et créent les conditions de possibilité d'une transition démographique plus douce, particulièrement précoce en France où le malthusianisme est une doctrine bien influente. Ainsi, les couples peuvent compenser le nombre de morts en ne faisant non plus dix enfants, mais plutôt trois ou quatre. Cette petite révolution est aussi idéologique. Les Françaises, très en avance sur cette question, commencent à comprendre que l'éjaculation intravaginale est la clef de compréhension de la fécondation. La pratique du "coït interruptus", évidemment peu fiable, est très répandue, particulièrement chez les femmes d'une certaine classe sociale. La France réduit drastiquement son chiffre d'enfants par femme, devenant par ailleurs un pays d'immigration, alors que des pays encore peu industrialisés, comme l'Irlande ou l'Italie, doivent composer leur trop forte démographie par une émigration massive partout en Europe et en Amérique. L'essor de l'industrie plastique va voir l'apparition des préservatifs, d'abord réutilisables et avec couture, puis dès les années 1930 assez semblables à ce que nous connaissons aujourd'hui. Lors de la Libération en 1944, les soldats américains se verront fournir des préservatifs par les autorités qui ont été marquées par les épidémies vénériennes rapportées d'Europe en 1918. Ces maladies là connaissent également une grande chute grâce à l'utilisation de traitements médicamenteux et une plus grande prévention. De manière très artisanale, les femmes commencent à clandestinement avorter. Jusque là, la pratique de l'infanticide, pour des raisons économiques ou d'honneur, était considérée comme un grand crime et un sujet de santé public majeur. L'avortement en devient également un. Si la société est tolérante envers la contraception, elle l'est nettement moins pour les pratiques abortives. Cela n'empêche par les jurys de Cours d'Assises de massivement acquitter par complaisance les femmes et les médecins qui se sont livrés à cette méthode d'un nouveau genre. Il n'empêche que l'essor du contrôle des naissances, ainsi que l'assurance de vivre après un accouchement, de plus en plus sûr grâce à l'hygiène, fait découvrir aux femmes l'insouciance et le plaisir d'une certaine sexualité sans conséquence. En raison de l'industrialisation et de l'exode rural, les femmes paysannes se regroupent dans des villes. Eloignées de leurs milieux communautaires, religieux et familiaux stricts, sans craindre pour leur réputation et leur honneur, les femmes ont une vie sexuelle plus réjouissante et expérimentent le concubinage. Il ne s'agirait pas non plus de peindre un tableau idyllique : la société reste misogyne. La IIIème République n'est pas féministe bien que, pour une fois, des femmes, débarrassées de l'impératif de survie nataliste, commencent à porter des revendications. Elles sont rares mais courageuses. Certaines désirent le droit de vote et l'accès à la citoyenneté. D'autres tentent même de se présenter à des élections. Sur le modèle des suffragettes anglaises, elles interrompent des réunions publiques et font parler d'elles. Si elles récoltent au départ principalement des quolibets, l'idée commence à peu à peu se développer chez les femmes les plus aisées. Certaines d'entre elles réussissent même à sortir du carcan conjugal. Les socialistes utopiques imaginent des villes parfaites où la sexualité serait plus libre, à l'instar de Charles Fourier qui imagine déjà le couple libre, et la gauche commence à très lentement s'intéresser à la question féminine. La Loi Naquet de 1884 redonne la possibilité pour les couples de divorcer pour faute. L'étau se desserre légèrement mais le pouvoir politique reste définitivement aux mains des hommes. Le pouvoir religieux subsiste dans les campagnes et continue d'influencer les esprits. La mise en place de la colonisation en Afrique et en Asie participe aussi à imposer à des peuples aux valeurs différentes les modes de vie européens. Le corps des femmes est un enjeu de taille. Le viol est un moyen de dépossession de la souveraineté parmi tant d'autres. Les Européens importent également, dans des ethnies africaines indifférentes ou favorables, une vision de la sexualité binaire. Cela est encore plus marqué dans les colonies britanniques. 

Le succès du féminisme de la première vague : l'accès à la citoyenneté et le relâchement des mœurs. 

La deuxième étape majeure dans la libération sexuelle est paradoxalement la Première Guerre Mondiale. Pendant quatre ans, les hommes sont presque tous absents du territoire et les femmes prennent leurs places dans les industries et les administrations. Tout le monde prend conscience que les femmes sont capables de porter des compétences tout aussi élevées et leur scolarisation depuis trois décennies le prouvent. Cette éducation des filles, permise surtout par Napoléon III et rendue obligatoire par la IIIème République, va être une des clefs de leur libération. Si ce mouvement de scolarisation est massif dans l'Occident, il conduira à des résultats différents, et notamment à la Prohibition aux Etats-Unis, l'idée de l'interdiction de l'alcool étant porté principalement par des femmes puritaines. Se produit également un développement entre 1914 et 1918 des fêtes féminines pendant lesquelles les femmes s'émancipent petit à petit de l'emprise communautaire et religieuse par l'amusement, la musique et les spectacles. Si la Première Guerre Mondiale est aussi un recul de certains points de vue, comme le démontre Titiou Lecoq, notamment par les viols de guerre en Belgique et dans le Nord de la France, ou par une conception nataliste des mères françaises, la réalité de long terme est surtout une amélioration. L'Entre-Deux-Guerres va en réalité confirmer et prolonger tout cela et les rapports amoureux se consensualisent. Beaucoup d'anciens ruraux, montant dans les villes, s'émancipent de l'emprise de la tradition et de la religion. Surtout, le choc de la Première Guerre Mondiale va pousser toute une génération d'hommes et de femmes dans l'hédonisme, ce qui est après un cataclysme totalement classique dans l'Histoire. Petit à petit, les années folles laissent les femmes s'habiller comme elles le souhaitent, choisir leurs partenaires sexuels, boire, danser et fumer. L'homosexualité masculine et féminine est de plus en plus visible, singulièrement à Paris (encore plus à Berlin, mais pour d'autres raisons), et les pratiques sexuelles comme la masturbation, la pornographie et le libertinage ne seront plus autant culpabilisés. Le mouvement féministe, dont les figures de proue furent britanniques (les suffragettes), est également en pleine expansion. Ces militantes, encore rares, bouleversent la société par leur mode de vie, leurs amours et leur émancipation vis-à-vis des hommes. Les classes populaires elles-mêmes commencent à laisser petit à petit leurs filles choisir leurs époux et aller aux bals. De nombreux pays accordent le droit de vote aux femmes, notamment la Nouvelle-Zélande ou le Royaume-Uni, comme un service rendu. Cela n'est pas du tout le cas en France. En effet, en 1919, les conservateurs s'emparent du pouvoir. Cela va donc retarder l'échéance et va relativiser l'effet de gratitude à destination des femmes. Ces conservateurs optent pour une politique répressive concernant l'avortement : pour pallier au problème des acquittements de complaisance, ils correctionnalisent l'infraction. Ces faits ne seront plus jugés par un jury mais par des magistrats professionnels : les condamnations seront donc quasiment systématiques et les peines plus lourdes. Puis, surtout, à gauche, les Parlementaires de la IIIème République, très présents au Sénat, estiment que le droit de vote féminin, en raison de sa sociologie rurale, pourrait faire basculer définitivement le pays à droite. Le constat n'est pas faux du tout : les femmes des milieux rurales, encore majoritaires, sont proches des clercs. Elles sont, de manière écrasante, plus croyantes que les hommes. Le Sénat empêche donc aussi le droit de vote des femmes par instinct d'auto préservation. Il est en effet fort probable qu'un droit de vote féminin trop précoce aurait conduit le pays, sur la voie d'une grande libéralisation sous la IIIème République, à un furieux retour en arrière, aussi affreux que cela puisse paraître. Les femmes anglo-saxonnes n'étaient pas autant touchées par le phénomène, même si les femmes américaines, elles aussi plus croyantes, ont mené au fiasco de la politique de Prohibition. Dans le monde, le sort des femmes commence également à se transformer. Dans l'URSS des premiers temps, les femmes voient leur sort s'améliorer. Mais Staline va bientôt écraser les libertés "bourgeoises" et ces femmes soviétiques qui, pourtant, vont suivre des formations scientifiques et occuper des postes à responsabilité. Surtout, l'Italie fasciste et surtout l'Allemagne nazie, dans leurs furies revanchardes, recentrent la vie politique sur les familles. Les femmes sont des matrices destinées à produire des soldats. Leur rôle est de s'y plier scrupuleusement. Chez les Nazis, particulièrement, dans cette vision du monde purement biologique, la femme est un produit génétique. Leur sort est donc double : si elles font partie de la race aryenne, elles doivent procréer, beaucoup et sans rechigner. Pour les autres, c'est au mieux la stérilisation, au pire l'extermination. La Seconde Guerre Mondiale met à rude épreuve les femmes qui sont massivement violées aussi bien en Europe qu'en Asie par les troupes japonaises. Dans les pays occidentaux atlantiques, elles occupent de nouveau les avants postes. En France, les femmes sont très présentes dans les mouvements de Résistance, notamment en matière de renseignements et de transports. Vichy, qui est une parenthèse droitière dans l'Histoire française, renvoie également les femmes à leur foyer. Les pétainistes imposent aux homosexuels une majorité sexuelle plus élevée que les hétérosexuels à l'âge de 21 ans, ce qui conduit à une forme légère de délit particulier d'atteinte sur mineur (c'est celui là qui sera aboli en 1982). En 1944, pour leur rôle dans la Résistance, le Gouvernement Provisoire de la République Française accorde définitivement le droit de vote aux femmes. Si leur vote est en effet au départ plus à droite, il va se gauchiser tout au long de la Vème République. A partir de ce moment là, les femmes accèdent enfin à la citoyenneté. Le suffrage est réellement et définitivement universel. De nombreux interdits demeurent : les femmes restent des citoyennes de seconde zone, encore plus dans les colonies. Mais, à partir de là, la condition féminine va suivre une dynamique ascendante stupéfiante. 

L'Après-Guerre : la femme française, entre tradition et modernité. 

Dans l'Occident tout entier, la reconstruction européenne puis les Trente Glorieuses, période de croissance économique extraordinaire, vont conduire au baby-boom. Les couples européens procréent énormément, bouleversant la démographie, ce qui aura des conséquences absolument cruciales sur le sort des femmes de la génération suivante. Bien sûr, les femmes ne disposent pas encore des mêmes droits que les hommes. Si elles commencent à occuper de nombreux postes, elles sont encore nombreuses à ne pas être éduquées. Du point de vue du régime matrimonial, les hommes dominent toujours et les femmes ont besoin de l'autorisation de leurs maris pour de nombreuses formalités de la vie courante. La nouvelle idéologie consumériste provenant des Etats-Unis d'Amérique, véritable nouvelle première puissance mondiale, impose un modèle du couple moderne. L'homme, actif, apporte l'argent dans le foyer tandis que la femme, ménagère et nourricière, s'occupe des tâches domestiques. Avec ce nouvel argent frais, la fée du logis peut acquérir des produits d'électroménagers tels que des frigidaires, des machines à laver et du tout à l'égout. Des manuels commencent à apparaître pour apprendre aux femmes à gagner du temps précieux dans l'exécution de leurs tâches ménagères et ainsi permettre à l'économie française d'être plus performante. Des cours de cuisine, de nettoyage et de couture sont imposées aux jeunes filles afin qu'elles puissent contribuer à leur façon à la prospérité commune. Le plus ironique dans tout ça est que ces conseils sont réellement pensés pour adoucir la vie des femmes. Or, il est vrai que cela a tendance à considérablement améliorer le sort des femmes. Surtout, l'apparition de la voiture et l'explosion réelle du pouvoir d'achat, surtout en raison du plein emploi et de la possibilité de faire des crédits, permettent un temps aux femmes de se satisfaire de leurs conditions. Il n'est pas encore question pour elles de faire des grandes études. Des femmes médecins ou avocats, il y en a quelques unes mais elles sont encore une rareté. Des femmes politiques apparaissent, mais là encore, surtout cantonnées au traitement des sujets "féminins" et largement en minorité par rapport aux hommes. La libération est quelque part raisonnée et raisonnable : les femmes sont à la fois maintenues dans une certaine subordination tout en goûtant à un ersatz de progrès politique, largement compensé par la possibilité de consommer. L'économie de marché commence également à viser les femmes et à produire des publicités destinées uniquement à elles. C'est la belle naissance du marketing : l'économie s'adapte aux femmes à vitesse grand V. Le cinéma occidental, également, commence à faire la part très belle aux actrices et à leur beauté, de plus en plus délicate et féminine. Tous les partis politiques cherchent à séduire les femmes. Les plus performants sont les partis de gauche qui sont, toute comparaison étant égale par ailleurs, les plus aptes à donner des postes aux femmes. Petit à petit, les études supérieures s'ouvrent aux femmes. Le secteur tertiaire commence à apparaître, à se développer beaucoup et tandis que les hommes conservent le primat dans l'industrie, les femmes les concurrencent de plus en plus dans les emplois de service, principalement en ville. De manière assez hallucinante, les femmes vont rattraper leur retard dans la scolarisation secondaire très rapidement et surpasser les hommes dès 1968. A partir de ce moment là, et dans quasiment l'ensemble du monde occidental, les femmes feront plus d'études que les hommes. Evidemment, plus un pays dispose d'un serveur tertiaire puissant, plus le taux de scolarisation est élevé. Et plus le taux de scolarisation est élevé, plus l'écart entre hommes et femmes se creuse au profit de ces dernières. Aujourd'hui encore, cette tendance est révélatrice : les pays les plus avancés en matière d'égalité homme femme sont les pays les plus tertiarisés. Plus une économie est industrielle, moins le sort féminin est enviable. D'une certaine façon, la mondialisation actuelle, qui sous-traite l'industrie aux pays de l'axe PBO, négocie cyniquement la place des femmes étrangères. Emmaneul Todd le note bien : ces dernières sont libres parce que d'autres ne le sont pas, à l'autre bout de la planète. Ceux que l'on insulte pour leur misogynie sont la caution de notre propre liberté. Cela est assez frappant à tout point de vue. Dans le monde des années 50, le modèle occidental laisse des traces et fait des enfants partout. Le mouvement de décolonisation dans tout le Proche et Moyen-Orient s'accompagne de l'installation d'une multitude de régimes nationalistes laïcs, en Turquie, en Egypte ou en Iran, qui libèrent massivement leurs femmes de l'oppression musulmane intégriste. Le port du voile est proscrit, la sexualité se libère également et les femmes vivent à l'occidentale, y compris dans l'accès au loisir. Globalement, le modèle européen fait rêver. L'URSS elle-même, pourtant un pays communautaire, met en avant radicalement les femmes soviétiques qui occupent certains postes scientifiques et de gestion. La sexualité, quant à elle, est encore classique en Occident avant 1968 : les lois de Vichy relatives à l'homosexualité ne sont pas abrogées et le monde anglo-saxon continue à réprimer les homosexuels, fichés comme marginaux et probables dangers publics. Les Etats-Unis, extrêmement en retard, ont un droit globalement très problématique sur la sexualité en général. Tandis que l'ensemble du monde se sécularise, c'est-à-dire s'émancipe très sérieusement de la religion, naturellement dans les pays communistes mais également occidentaux et musulmans, les Etats-Unis conservent un tropisme religieux très fort qui s'accompagne d'un statut féminin moins enviable. D'ailleurs, et cela est malheureusement scientifiquement vérifiable, plus un pays est religieux, moins les femmes sont libres. C'est aussi vrai à l'époque qu'aujourd'hui. Cela est d'ailleurs valable pour toutes les religions abrahamiques. Paradoxalement, alors que l'Amérique est conservatrice, une nouvelle vague féministe va y naître et s'exporter partout en Occident, provoquant la plus grande libération sexuelle jamais connue dans l'Humanité. Les femmes sont en passe d'atteindre une égalité presque parfaite. 

La libération sexuelle occidentale et la nouvelle puissance féminine. 

Les années 60 connaissent une véritable révolution sexuelle qui entraînera dans son sillage les derniers verrous à l'égalité juridique parfaite entre les hommes et les femmes. De manière générale, un nouveau rapport à la sexualité apparaît après-guerre dans l'ensemble du monde occidental. Les Rapports Kinsey des années 1948 et 1953, aussi imparfaits soient ils, démontrent que la sexualité humaine est plus riche et complexe qu'un rapport hétérosexuel vaginal et frustre : l'homosexualité est profondément répandue dans la population, la masturbation est pratiquée par quasiment tout le monde, la sexualité hors mariage est écrasante, la fellation est une réalité et l'orgasme est recherché par tous. Le monde de la sensorialité est en train de changer : le développement massif de la pornographie et de l'érotisme en est un des nombreux avatars. Les Etats-Unis, pourtant très clivés sur la question sexuelle, sont l'épicentre de ce vaste mouvement tardif qui a commencé en Europe après la Première Guerre Mondiale. Le mouvement hippie va s'exporter d'Amérique jusqu'en Europe et contaminer la nouvelle génération des baby-boomers qui représentent un nombre important de personnes et se dotent de journaux, de radios et de lieux de rendez-vous. Les universités, mixtes et bientôt même majoritairement composées d'étudiantes, deviennent des lieux de contre-culture sexuelle. Mai 1968 commence en partie en France par une revendication de mixité dans les résidences étudiantes. Cette atmosphère de libération et cette recherche profonde de la jouissance qui vont de paire avec une économie de consommation est également permise par l'émancipation sexuelle de ces femmes. Le poids démographique de cette jeunesse en est pour quelque chose : il est plus difficile de réprimer moralement une majorité de personnes. Mais, en réalité, la banalisation de la contraception, et notamment de la pilule, permise par la Loi Neuwirth, ainsi que l'écrasante utilisation du préservatif, permettent aux femmes de s'adonner au plaisir des sens sans trop grand risque de faire des enfants. La pratique très régulière de l'avortement est aussi une garantie de tranquillité et devient légale en Occident dans le courant des années 1970. La femme, en reprenant le contrôle de son corps, s'émancipe de la domination de l'homme et de celle de la société. Elle peut contrôler sa propre fertilité et aspire à s'émanciper de la vie de famille. C'est exactement à ce moment là que les femmes affirment leur présence croissante dans l'ensemble des postes économiques de la société, principalement dans le secteur tertiaire et le secteur public. Les postes techniques et de direction économique dans le secteur privé restent l'apanage des hommes, y compris actuellement. A ce moment là, les années 1960 laissent les philosophes déconstruire les structures conceptuelles traditionnelles : Deleuze et Foucault s'exportent partout en Occident, même aux Etats-Unis, à un point même que la droite accuse aujourd'hui ces derniers d'avoir inventé le fumeux wokisme. L'hétérosexualité est questionnée ainsi que la binarisation des sexualités depuis le XVIIème siècle. Foucault découvre ainsi que l'homosexualité telle que nous la pensons aujourd'hui pouvait être un impensé banal dans de nombreuses sociétés indifférentes ou traitée avec des concepts différents dans d'autres. L'homosexualité, encore mal perçue, se développe assez massivement en Occident (en tout cas en visibilité) et commence à s'organiser politiquement aux Etats-Unis puis aux Pays-Bas et dans l'ensemble de l'Europe. Petit à petit, alors même que la notion de vie de couple se transforme pour se fonder exclusivement sur le désir et l'amour, et que les femmes deviennent des actrices du marché capitalistes en tant que travailleuses et consommatrices, le droit s'amende. Les régimes matrimoniaux sont modestement refondés par le pouvoir gaulliste au profit de plus d'égalité dans le couple. Le divorce devient plus fréquent et encore davantage le concubinage. La morale religieuse perd largement en puissance et se délite, surtout après le choc énorme de Vatican II et la déchristianisation massive de la jeunesse. Les incapacités sont supprimées les unes après les autres au cours des années 1970 et les femmes deviennent, en théorie, des citoyennes de plein droit. A cette date, les femmes sont déjà largement émancipées en Europe. Le plus frappant est sans doute que les femmes se sont d'abord émancipées par le sexe et dans l'optique de jouir. Aujourd'hui, la Révolution Sexuelle est considérée par certaines militantes féministes comme nouvelle forme de misogynie et d'objectivisation du corps des femmes. Cela n'est pas faux en soi : l'époque met en scène massivement et dans l'espace public ces corps dénudés et libres féminins. L'hypersexualité estudiantine de l'époque, largement supérieure à la notre d'ailleurs, très éloignée de la problématique des MST et d'un retour à un certain ordre moral contemporaine, a eu également son lot de conséquences négatives. Le consentement n'était pas forcément encore une valeur phare de la sexualité masculine bien que l'idée de sexualité comme un contrat se banalisait. Certains mouvements néerlandais en faveur de la légalisation de la pédophilie ont également contribué à donner une image rétrospective du mouvement de 68 assez inquiétante. Toutefois, cette vague immense de liberté a rendu possible une véritable émancipation féminine. Aucune époque ne peut être considérée comme parfaite moralement, surtout à nos yeux. Il n'en demeure pas moins que les années 60 ont renversé l'ordre traditionnel qui donnait aux femmes un rôle renfermé de ménagère et de sous-citoyenne aux droits sensiblement plus restreints. 

1970-1990 : reflux sexuel, construction de la matridominance et progression du machisme international. 

Après une période de liberté sexuelle frénétique et débordante, la vague va subir un léger reflux. La génération adolescente dans les années 60 vieillit et se moule dans un nouveau modèle bourgeois fondé sur le consumérisme capitaliste. Les couples classiques se reforment et bien que les nouvelles conjugalités soient sans doute plus courtes, plus souples et davantage recomposées, la société s'assagit considérablement. La priorité de ces nouveaux couples est principalement la volonté de se procurer des biens et des services : de bien des manières, la destruction des structures traditionnelles a aussi eu comme effet pervers d'apporter dans les familles les lois profondes du désir et donc de l'achat. Il ne faudrait tout de même pas dire que cette nouvelle anthropologie familiale est une aliénation. Pour les femmes, c'est souvent le contraire : elles ont la possibilité de divorcer, de refaire leur vie et ne sont plus confinées à l'intérieur de leurs foyers. Leur participation à l'économie les émancipe d'autant plus qu'elles dépendent de moins en moins des revenus de leurs éventuels compagnons et peuvent aussi s'offrir le luxe de comparer leurs vies, et donc de se rendre compte des violences éventuelles d'un mari ou d'un père. Petit à petit, elles bénéficient dans le secteur tertiaire et public d'un revenu confortable et de conditions de travail avantageuses moins susceptibles de porter atteinte à leur santé. Les emplois industriels et prolétaires restent, eux, majoritairement masculins. Petit à petit, le libéralisme économique porté dans les années 1980 par Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans les pays anglo-saxons et qui infuse dans l'ensemble des pays européens occidentaux (la France deviendra libérale en 1986 avec le Gouvernement Chirac) profite de cette déstructuration familiale et du vent idéologique de l'époque pour imposer un modèle économique individualiste et détaché des structures traditionnelles tels que les syndicats, les partis politiques ou même les familles. Paradoxalement, le modèle allemand, qui a été moins touché par l'émancipation féminine des années 60, va réussir à préserver un temps une organisation du travail plus familial et moins agressive envers les faibles, et ce jusque dans les années 90. Alors que les inégalités sociales s'accentuent ainsi que le taux de pauvreté, et que le chômage grandit après le choc pétrolier, l'anomie guette un Occident en crise. Les conséquences sociales d'un éclatement global de la société, dont l'émancipation féminine est un heureux symptôme malgré tout (une cause aussi), est aussi l'effacement du clivage de classe au profit du clivage de genre, de race et d'orientation sexuelle. Les femmes, avec leur nouvelle liberté, font entrer les hommes dans une crise profonde de leur masculinité. On voit apparaître des phénomènes de familles monoparentales dans les classes populaires dans lesquelles les femmes aspirent à l'ascension social par l'intermédiaire d'un mariage avec des hommes d'une classe sociale plus élevée. A l'inverse, les femmes de la classe moyenne accaparent les hommes d'un degré social inférieur (mais toujours dans la même classe social), ce qui est inédit et qui ne fera que s'accentuer avec le temps. Il conviendra d'y revenir. A coté de cela, la libération sexuelle ralentit aussi chez les homosexuels, notamment en raison de l'épidémie de SIDA qui ravage à l'époque ces populations là. Le drame de cette épidémie va conduire à laisser penser que les homosexuels sont, par leur hypersexualité et donc, dans la mentalité religieuse, par leurs vices, responsables de la propagation de la maladie. Pendant un temps, les hétérosexuels se désintéressent donc de l'épidémie. Force est de constater qu'ils s'en mordront les doigts plus tard. Surtout, cela conduit à l'augmentation de l'homophobie, particulièrement aux Etats-Unis, fondé sur les stéréotypes de sexualité homosexuelle hyperphage et de décadence généralisée. En réalité, s'il est vrai que les homosexuels ont à l'époque une sexualité bien plus importante que les hétérosexuels, c'est aussi en partie parce qu'ils sont chassés de la vie conjugale classique par la société toute entière. Les couples homosexuels sont encore rares et mis au ban de la société. Certains sont alors poussés à vivre dans un milieu interlope de plus en plus enfermé sur lui-même, encore plus après les problèmes épidémiques. Si la société se détend partout et que l'homosexualité est dépénalisée dans les pays anglo-saxons dans les années 1970 (la France l'a fait en 1792 et supprime toute discrimination de majorité sexuelle en 1982), l'homophobie, toujours liée à une forte emprise religieuse dans les milieux conservateurs et aussi dans certains milieux marxistes, reste forte. Toutefois, les pays catholiques de structure familiale nucléaire comme la France, la Belgique ou l'Espagne par lui sont plus tolérants. De la même façon, au delà des frontières occidentales, le sort des femmes se dégrade (et avec lui le sort des homosexuels). Les pays de l'axe PBO se radicalisent et connaissent une contre-révolution islamique qui commence avec la Révolution iranienne en 1979. Les régimes laïcs chutent ou sont gangrénés par les islamistes qui disséminent leurs ferments de dispersion. Cette dynamique s'enclenche et se terminera dans les années 2010 avec l'effondrement des dictatures militaires libyennes, égyptiennes et syriennes. Les pays encore laïcs officiellement, comme la Turquie, ont vu leur personnel politique dominant se transformer pour laisser la part belle aux conservateurs de l'AKP. L'Algérie, dans les années 90, connaît une guerre civile affreuse entre militaires et islamistes. Aujourd'hui, après l'effondrement du régime baasiste irakien, un califat islamique pour le moins atroce, Daech, impose une doctrine juridique mettant régulièrement à mort les femmes et les homosexuels. Certains pays, comme le Liban ou la Palestine, cèdent également à ces sirènes réactionnaires. Si des pays tiennent encore à l'ouest du monde musulman, comme le Maroc, la Tunisie et dans une moindre mesure l'Algérie et l'Egypte, l'est du monde musulman, pakistanais, iranien et afghan, est plongée dans un obscurantisme radical. L'Afrique elle-même, en raison de l'islamisation, de l'évangélisme intégriste et de l'ancien droit colonial britannique, connait aussi un retour en arrière sur ces questions. Les pays communistes, peu libéraux du point de vue des mœurs (Staline criminalise l'homosexualité en 1934), connaissent après l'effondrement du Mur un retour aux origines religieux qui n'améliore pas la vision de la sexualité. La Russie, qui conserve un certain "féminisme" hérité de son régime communautaire exogame, est en revanche profondément homophobe. La libération sexuelle est pour eux une technique capitaliste d'extension du marché, ce qui n'est pas totalement faux en soi, mais elle correspond aussi à un modèle viriliste hérité de la famille communautaire patrilinéaire. Les pays de l'est, eux, allient cette homophobie à un très faible statut des femmes. La Chine, marxiste, dispose toujours d'une condition féminine difficile qui s'améliore légèrement et pénalise en pratique l'homosexualité, bien qu'elle ne soit plus à proprement parler une réelle priorité juridique. Le monde asiatique reste cependant peu ouvert sur les questions, même si le statut des femmes et des homosexuels n'est pas aussi dramatique que dans les pays musulmans. Seule l'Amérique Latine a connu sur ces questions des avancées importantes, en raison de l'influence d'un catholicisme permissif sur ces questions et d'une forte influence d'une certaine gauche libertaire sur les questions sexuelles. L'Europe reste le seul îlot de relative liberté dans l'océan conservateur mondial. 

1990-2015 : Essor de l'homosexualité et installation définitive de la matridominance. 

L'une des données les plus frappantes est la liaison profondément intime entre acceptation de l'homosexualité et statut des femmes dans les sociétés. Plus les femmes sont émancipées, plus les homosexuels sont acceptés. Seule la Russie est une exception en ce domaine. Les sondages d'opinion le démontrent d'ailleurs assez bien : les femmes sont moins homophobes (moins racistes également) que les hommes, et moins tolérantes envers les violences de quelque nature qu'elles soient. Quand elles prennent une place de pouvoir dans la société, les dispositions législatives et culturelles sont donc plus souples et moins liberticides. Ainsi, les pays de structure familiale nucléaire avec un statut des femmes élevé sont très ouverts sur ces questions. On constate d'ailleurs dans certaines régions bretonnes, portugaises ou suédoises des zones classiques de matridominance éducative et donc de vote écrasant pour les partis les plus à gauche. Le cœur de l'acceptation homosexuelle se fait dans l'Europe catholique nucléaire, aux Pays-Bas et en Scandinavie, soit exactement dans les pays où le statut des femmes est le plus haut. Dès les années 1990, des débats interviennent pour lutter contre l'homophobie et développer des formes d'unions juridiques pour les couples de même sexe. La France va notamment ouvrir le PACS à ces couples dès 1999 et les Pays-Bas, puis la Belgique, légaliseront le mariage homosexuel très tôt, avant 2005. Le monde anglo-saxon ne semble pas suivre une dynamique uniforme. Ainsi, le Royaume-Uni est avancé à égalité avec la France sur ces questions alors que les Etats-Unis accuseront un retard dramatique. Comment expliquer que les Etats-Unis accusent un certain conservatisme, y compris comparé au Canada, à l'Australie et au Royaume Uni ? Un facteur l'explique particulièrement : la sécularisation. Il existe un lien entre homophobie et religion. Plus la religion est installée dans un pays, moins l'acceptation envers les homosexuels est grande. Cela peut paraître logique évidemment mais cela reste à rappeler au regard des statistiques. Les Etats-Unis connaîtront par exemple une sécularisation expresse dès 2005 et atteindront un niveau équivalent à celui de l'Europe en 2015. Le mariage homosexuel est d'ailleurs adopté aux Etats-Unis en 2015. Prenons le taux d'acceptation d'homosexualité en 2006 : la France et le Royaume Uni sont à 86%. La Suède, évidemment, brille à 94%. Les Pays-Bas sont à 92%, l'Espagne à 89%, le Canada à 85%, l'Australie à 81% et les Etats-Unis à 49%. En 2020, l'acceptation de l'homosexualité aux Etats-Unis est à 72%. Pour les Etats-Unis, c'est bien la religion le problème, comme c'était en le cas en Israël à la même époque (47%). Mais surtout, le critère principal reste partout celui de l'émancipation féminine. Ainsi, les pays de famille souche et communautaires sont plus en retard que les pays nucléaires. L'Allemagne fait un plutôt bon score tout de même et réussira à adopter le mariage homosexuel récemment. Mais le Japon est à 68%, le Mexique (des structures familiale souche y subsistent) est à 69%, les Brésil et l'Argentine à 67%. L'Italie, qui est un mélange de structure nucléaire et communautaire en son sein, est par exemple à 75%.  Encore aujourd'hui, l'Italie est le pays européen occidental le plus réactionnaire sur les questions des droits des homosexuels. En Europe de l'est, pays souvent communautaires, l'acceptation tombe à 46%. Quant à la Russie, le taux d'acceptation est dramatiquement bas, entre 14 et 16%, comparable aux pays de l'axe PBO. Tout concorde : les structures familiales, le statut des femmes, la basse tertiarisation, l'emprise religieuse et la non adhésion au catholicisme et au protestantisme. L'analyse est donc plutôt bonne. Les rapports sexuels dans le cadre d'un même genre sont présentes comme une donnée naturelle et innée dans l'espèce humaine (et animale). Ces unions sont attestées autant par les anthropologues que les historiens, dans tous les lieux et dans toutes les époques. On constate des chiffres intéressants mondialisés : les hommes sont ainsi plus nombreux à être homosexuels ou bisexuels que les femmes (si tenté que l'homosexualité et la bisexualité se définissent par une véritable attirance et qu'on en exclut les rapports homosexuels opportunistes en prison ou dans l'armée ou dans l'adolescence non mixte, auquel cas les chiffres pourraient atteindre 15% d'homosexualité dans une population). En revanche, en terme de ratio, les femmes, quand elles entretiennent des relations entre elles, sont davantage bisexuelles qu'homosexuelles exclusives, ce qui est plus rare chez les hommes. On constate donc que les femmes en couple avec d'autres femmes ont souvent eu des expériences conjugales hétérosexuelles ou en auront dans le futur, ce qui est beaucoup moins le cas chez les hommes, qui constituent pour autant la bonne majorité des couples homosexuels (c'est dur à suivre). Est ce que cela est dû à une prédisposition innée ou acquise ? Difficile de le dire. En réalité, essayer de déterminer les causes d'une attirance dans le cadre d'un même sexe ou genre est très complexe. Certains ont une vision très déterminée de la chose : cette attirance aurait des causes génétiques, physiologiques, endocrinologiques, psychologiques ou même immunitaires. Pour d'autres, elles sont uniquement sociales. La science n'a jamais donné de solution convaincante, il faut donc réserver son jugement. La réalité est que la variation des sexualités est tellement grande que donner une réponse définitive serait caricaturale : on distingue ainsi des attirances ancrées dès l'enfance, ou découvertes à l'adolescence, plutôt souples ou plutôt fermes. Les choses sont trop complexes pour en donner une réponse simple. Mais d'un point de vue anthropologique, l'étude des couples homosexuels français est intéressante. En effet, on découvre que les couples de femmes sont plus stables dès le début, plus égalitaires dans leur différence d'âge et plus installées. Les couples d'hommes sont moins stables (mais le sont davantage que les couples hétérosexuels avec l'âge), ont une différence d'âge d'une moyenne de sept ans (contre trois pour les couples hétérosexuels) et moins institutionnalisés. De la même façon, auparavant, les couples homosexuels étaient souvent présents dans les classes les plus riches de la société, ce qui s'explique par une moins forte emprise familiale. Aujourd'hui, le ratio est équivalent dans l'ensemble des classes sociales (ce qui démontre que l'homophobie s'est tarie globalement partout, même dans les zones rurales et périurbaines). On découvre que les couples gays et lesbiens aspirent davantage à l'officialisation de leur union : la dynamique est croissante. Toutefois, les populations homosexuelles immigrées méditerranéennes, balkaniques, orthodoxes ou musulmanes sont toujours aussi clandestines, ne s'installent quasiment jamais en couple et dissimulent à leur famille leur orientation sexuelle et leurs unions. En revanche, les chances d'officialisation grandissent avec celui de l'enchaînement des générations. De la même façon, plus un immigré fait des études supérieures, plus il a de chance d'avoir une pratique déculpabilisée et libérale de sa sexualité. Pour les jeunes hommes (ou filles plus rarement) précaires d'un milieu familial communautaire et religieux, la situation est souvent cauchemardesque. Quoiqu'il en soit, le poids de l'opinion féminine est un moteur dans l'acceptation de l'homosexualité. Ainsi, comparer les votes est également intéressant. Aux Etats-Unis, les femmes blanches votent plus démocrate que républicain, ce qui n'est pas le cas des hommes blancs. Les minorités raciales étatsuniennes votent dans leur ensemble plus à gauche qu'à droite. Toutefois, même si l'écart est faible, les hommes racisés votent davantage à droite. En Europe, de manière quasi générale, les femmes votent davantage pour les partis progressistes sur les questions de mœurs que les hommes (bien que les femmes votent de plus en plus RN en France, mais souvent exactement pour ces raisons de mœurs). La présence massive des femmes dans les milieux tertiaires et publics, et donc dans les villes, participe aussi à leur rapprochement des populations homosexuelles qui s'y affichent davantage. Les hommes, qui travaillent dans des milieux plus masculins et virilistes, soit techniques, soit industriels, dissimulent davantage leur orientation sexuelle et entretiennent des sous-cultures moins ouvertes sur ces questions. Le poids de la religion est également important : plus une personne adhère à une religion, moins elle est susceptible d'être tolérante. Les musulmans sont par exemple globalement plus hostiles à l'homosexualité que le reste de la population, ce qui est aussi dû à une acculturation progressive. Rappelons que la France est un des pays qui a un des taux d'exogamie des populations immigrées les plus performant. Il est fort à parier que l'acceptation de l'homosexualité par les populations immigrées en France est plus grand que celui des populations immigrées dans le reste de l'Europe. En effet, les femmes algériennes concluent 41% de leurs unions en dehors de leur nationalité d'origine. Le taux est de 2% pour les turques présentes en Allemagne et de 0% (oui) pour les femmes pakistanaises du Royaume-Uni. Même pour les populations noires américaines, leur taux de mariage avec les hommes blancs est plus faible : les hommes noires se marient à 8% avec des femmes blanches (pour les femmes noires, c'est 2%...). 

De la même façon, la structure sociale française contemporaine semble avoir amplifié les clivages de genre. On le sait et on le répète : les femmes sont davantage présentes dans les emplois tertiaires et le service public. Les femmes font plus d'études supérieures que les hommes. Dans presque l'ensemble des filières universitaires (à l'exception des branches techniques ou scientifiques), les femmes occupent la majorité des places actuelles de doctorantes et publient le plus grand nombre d'articles et de thèses. Parmi les magistrats de moins de 34 ans, 86% sont des femmes. L'enseignement est également un milieu majoritairement féminin, encore plus en école maternelle et primaire. Dans l'immense classe moyenne française, les femmes ont aujourd'hui un statut social plus élevé que celui de leurs compagnons dans la même classe sociale. On constate un phénomène inédit : l'hypogamie. La croyance populaire estime à tort qu'une femme épouse un homme d'un statut social plus élevé. C'est encore vrai dans certaines couches sociales, mais plus du tout dans la classe moyenne. Ainsi, les femmes ont souvent des statuts sociaux plus élevés que leurs compagnons qui se répercutent plus ou moins sur les revenus : on parle d'une véritable matridominance. En revanche, dans les classes supérieures, plus l'on monte, plus la tendance s'inverse. Dans les milieux du très très haut capitalisme, les hommes monopolisent les plus hauts revenus. De la même façon, les hommes des professions libérales ont souvent des compagnes avec un statut social moins élevé. A l'autre bout de l'échelle sociale, les classes populaires sont majoritairement plus égalitaires. Dans les couples qui se forment, les statuts sociaux sont globalement équivalents. Cependant, un phénomène se fait également jour : le taux de célibat est également plus important dans les classes populaires (plus on monte, moins il est important). Emmanuel Todd analyse la chose de cette manière : de nombreuses femmes aspirent à faire leur vie avec des hommes d'un statut social plus élevé. Mais ces derniers ont des compagnes d'un statut social légèrement plus élevé qu'eux. Les femmes des classes populaires concernées par le célibat ont souvent des enfants dans le cadre de familles monoparentales, des enfants qu'elles ont eu relativement jeunes, alors même que les hommes au statut social plus élevé ont des enfants de plus en plus tardivement. Forcément, ce déséquilibre se répercute sur le célibat des hommes des classes populaires qui, pour le coup, est davantage subi. Et cela s'aggrave encore plus si ces hommes sont au chômage ou ne disposent d'aucun revenu. Evidemment, il ne s'agit pas ici d'adopter une rhétorique masculiniste : aucun jugement de valeur n'est entretenu ici. En fait, le constat leur donne même plutôt tort. Les militants de cette mouvance font porter le chapeau de la misère sexuelle des hommes aux femmes éduquées : or, force est de constater que les femmes d'un milieu social élevé, non seulement sont moins célibataires que les femmes prolétaires, mais qu'en plus elles épousent en moyenne un homme au statut social moins élevé qu'elles. Il n'empêche que l'installation des femmes dans la classe moyenne en position sociale dominante a permis aussi un changement radical de la société en faveur de progrès individualiste. Toutefois, à l'inverse, ces nouveaux modèles anthropologiques et conjugaux ont conduit à un affaiblissement global des structures collectives : les pays à structure familiale nucléaire, à fort statut social féminin, sont également ceux où les partis politiques, les syndicats, les groupements communautaires et les familles sont les moins aptes à résister à l'économie de marché. De la même façon, il faut constater que le secteur tertiaire ayant permis aux femmes de s'émanciper participe à l'écrasement et à la chute globale dans le monde occidentale de type familial nucléaire de l'industrie. La désindustrialisation est ainsi plus grande en France, au Royaume-Uni, en Espagne, en Belgique ou en Scandinavie. Même les Etats-Unis perdent des industries. A l'inverse, les pays de famille souche et encore plus les pays de famille communautaire conservent des empires industriels immenses, mais les femmes y sont donc moins libres. Il faut bien constater un certain équilibre : sans l'oppression des unes, pas de liberté des autres. Sans l'industrialisation des uns, pas de tertiarisation des autres. Ces différences civilisationnelles importantes entre l'ouest et l'est, le nord et le sud, sont sources de nombreuses tensions mais elles préfigurent également une nouvelle distribution économique et éthique du monde. De bien des façons, l'Occident profite indirectement de la mauvaise conscience des autres pour maintenir un train de vie, qui lui permet paradoxalement de rester en tête des classements sur la condition féminine et homosexuelle. En bref, sans le patriarcat étranger, pas de féminisme occidental. Sans le Diable du dehors, pas de bien-pensance féministe au dedans. 

La révolution transgenre : nouvelle vague féministe ou résurgence du corps chrétien ?

La première vague féministe est purement citoyenne. Les femmes, à partir de la fin du XIXème siècle, militent pour obtenir un pouvoir de décision plus ou moins égalitaire avec celui des hommes. Cela suppose d'élargir le droit de vote, de lever un certain nombre d'incapacités juridiques et de permettre aux femmes de s'exprimer, voire de gouverner. Cette vague commence dès la Révolution Industrielle et s'achève, en Occident pour être court, en 1950. Seule la Suisse sera extrêmement retardataire sur la question : il faudra attendre 1971 pour que les femmes obtiennent ce droit de vote tant attendu. La deuxième vague féministe intervient dans les années 1960 et concerne la seule libération sexuelle de ces femmes ainsi que leur autonomisation. Ce qui est intéressant, c'est que ces deux vagues se sont nourries l'une l'autre. La première est due à la maîtrise par les femmes de leur contraception. La deuxième a permis un droit politique et une intégration dans l'économie de la même manière. En fait, la question sexuelle est centrale. Il faut le voir de cette manière : quand une femme dispose de son corps et de l'autonomie sexuelle, cela se ressent à l'échelle sociétale pour leurs droits mais également des droits de toutes les minorités en général. Finalement, l'économie est même plus adaptative et innovante, bien que plus tertiarisée. Quand les féministes expliquent que les atteintes aux droits des femmes sont la promesse d'une atteinte plus large aux droits humains et à l'Etat de droit, il faut dire que c'est tout à fait juste. L'étude de l'Histoire le démontre bien également : une société dans laquelle les femmes occupent des postes économiques est plus performante dans l'innovation et la souplesse du marché du travail, même si cela peut conduire, par l'affaiblissement des structures collectives, à un droit du travail plus faible et même à une désindustrialisation certaine. Après ces deux vagues, une troisième semble prendre son envol depuis les années 2010. Certains parlent à tort de "néoféminisme" concept aussi aussi creux que "wokisme" ou "islamogauchisme". L'une des pierres angulaires de ce nouveau féminisme est la question des personnes transgenres. Dans la droite ligne des travaux philosophiques nouveaux sur la remise en cause des catégories de pensée, les penseurs ont remis petit à petit en cause le concept qui structure l'humanité en deux : le sexe, et puis le genre. L'essai très cryptique de Judith Butler, "Gender Trouble" (1990), est un des avatars de cette nouvelle manière de conceptualiser le monde. Comme Foucault qui voulait sortir de la médicalisation/naturalisation des concepts issus des Lumières, Butler cherche à en terminer avec la binarisation stricte homme/femme telle qu'elle a été pensée au XVIIIème siècle. Plus que cela, on distingue deux concepts très différents : le sexe n'est plus le genre. Essayons d'être synthétiques : au fondement de la pensée de Butler, le sexe est inné. Il se caractérise par un chromosome et des caractères sexuels primaires et secondaires. A l'inverse, le genre est social. Selon les endroits, les époques et les cultures, les femmes n'ont jamais eu le même rôle social et ne devait pas se conformer aux mêmes normes. Le genre est donc une pure construction sociale avec son lot de marqueurs physiques et psychiques plus ou moins imposés aux femmes par la socialisation primaire (famille) et secondaire (culture). Ainsi, les féministes n'ont jamais nié l'existence du sexe féminin mais complexifient la question en distinguant ce qui est naturel (la biologie, la physiologie, l'endocrinologie, ...) de ce qui est acquis (tout le reste). Si la Nature est ce qu'elle est, c'est la société qui impose le machisme et les comportements sexistes. Pour Butler, le genre doit être aboli et dépassé. Cela signifie qu'il faut en finir avec les codes sociaux genrés : si le corps féminin existe, la catégorie "femme" doit être subvertie. A cela s'ajoutent d'autres constatations : en France, 40 naissances par année sont intersexes. Des personnes naissent avec les attributs sexuels des mâles et des femmes. Pour une très petite minorité d'êtres humains dans le Monde, on découvre donc que même la biologie n'est pas aussi binaire qu'on le pensait, qu'il existe un continuum plutôt qu'une séparation distincte entre les deux biologies et qu'en fait, la science est diablement plus compliquée qu'on ne le pensait. Un certain nombre d'individus ont par ailleurs, au-delà de l'intersexualité, des paires de chromosomes originaux qui ne collent pas forcément avec leurs attributs sexuels visibles. Alors, évidemment, cela reste rarissime, mais a justifié la création dans un certain nombre de pays européens d'un "troisième sexe" juridique. Très longtemps, en France, les médecins imposaient, avec les familles, un sexe bien défini aux enfants intersexes et pratiquaient par moment des mutilations génitales. Et, sur un autre plan, cette fois celui du genre, des personnes à la biologie masculine ou féminine s'emparent des codes sociaux de l'autre genre auquel ils s'identifient. Si, au départ, les scientifiques ont diagnostiqué une forme de trouble, la dysphorie de genre, plus connu sous le nom de transsexualisme, les militants actuels ont refondé le concept. Jusque dans les années 2000, être transsexuel passait par un chemin de lutte comprenant traitement hormonal de plusieurs années, opération systématique, et après tout cela, un changement d'état civil reconnu par un Tribunal aux termes d'une procédure très éprouvante. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a assoupli la procédure judiciaire et aujourd'hui, les militants ont imposé un nouveau terme, transgenre, et ne considèrent plus qu'il est nécessaire de passer par un tel chemin intrusif pour changer de genre à l'état civil. D'ailleurs, depuis 2013, la procédure de changement d'état civil est plus souple puisqu'il s'agit de prouver une forme de "possession d'état" du genre adverse en fournissant des attestations. Cela s'est donc assoupli et surtout démédicalisé : on ne cherche plus forcément à mettre en conformité attributs sexuels physiques au genre réel psychique. De la binarité des genres, on voit une certaine imagination se développer. Surtout, cela a un impact également sur la sexualité et la politique. Du point de vue sexuel, il permet de se donner une occasion de repenser le schéma traditionnel du rapport sexuel tel que défendu par la pornographie des années 50 : des préliminaires caricaturaux (fellations et cunnilingus si on a le temps), coït interminable et éjaculation vaginale, buccale ou interne. On commence à se décentrer de l'homme pour aller timidement vers la femme, tout en revoyant ce que signifie la masculinité sexuelle. Cela crée des tensions mais reste intéressant. D'autre part, abolir la définition des genres, c'est aussi s'assurer qu'aucune distinction juridique ne subsiste entre homme et femme. Cela assure la définitive assurance du maintien du mariage homosexuel, de la possibilité d'avoir une filiation plus inclusive et d'éliminer du droit toute référence au sexe. Les pays scandinaves et les Pays-Bas sont réellement en passe de supprimer la mention du sexe sur les papiers d'identité et d'administration. Cela crée aussi des résistances conservatrices dans l'ensemble des pays "progressistes" sur la question, y compris aux Etats-Unis et en France. Un groupe minoritaire de féministes, qui ne supporte pas de débiologiser le sexe, est également très radical sur ces questions. Il faut donc creuser. 

La première grosse erreur commise par les opposants aux transgenres est de mal dater et appréhender le phénomène. Beaucoup estiment qu'il s'agit là d'une forme de délire moderne décadent, une sorte de dégénérescence de la pensée déconstructiviste des années 1970, symbole d'un délire occidental bourgeois. En fait, rien n'est plus faux. Ce que l'on appelle le phénomène transgenre, c'est-à-dire pour être caricatural mais efficace dans la définition, le fait pour un individu biologiquement assigné à un sexe d'adopter les codes et comportements sociaux d'un autre sexe, s'y identifiant de manière durable et étant reconnu dans son groupe social comme appartenant à l'autre genre, est très ancien. De la même façon, il est loin d'être occidental. Rappelons nous qu'Emmanuel Todd estime que les groupes anthropologiques amérindiens représentent une forme de famille originelle : nucléaire, souple, fondée sur le couple monogame, division du travail équilibrée et statut social des femmes relativement élevé. Dans une centaine de groupes culturels, on retrouve une même institution : les berdaches. C'est un article de Charles Callender et de Lee M. Kochems, "The north american berdache" qui vient donner un coup de pied dans la fourmilière binaire occidentale. Dans 113 peuples indiens ou sibériens, des hommes majoritairement (mais aussi dans 30 tribus des femmes) prennent le statut social de l'autre sexe. Ils ont la possibilité de se consacrer exclusivement à la cueillette, de s'habiller comme des femmes, de se coiffer comme elles, d'épouser des hommes de la tribu, d'avoir des relations sexuelles avec eux et même de retourner à leur ancien genre quand bon leur semble. Ces berdaches ont un statut social très élevé dans la majorité de ces peuples et peuvent parfois même avoir une importance religieuse. Il existe des différences entre les berdaches amérindiens et le transgenre occidental : on ne sait pas bien si les berdaches constituent une sorte de troisième sexe ou s'ils sont considérés réellement comme des femmes. Pourtant, c'est bien humainement la même chose. En revanche, un fait similaire est très intéressant : globalement, les berdaches et les transgenres représentent une part très minoritaire de la société. Ainsi, en France, on estime le nombre maximal de transgenres à 60 000, soit même pas 0,008% de la population. Les estimations les plus favorables des associations avancent plutôt un pourcentage de 0,6%. Bref, on en conviendra, le phénomène est médiatique mais peu important. Le pourcentage de personnes homosexuelles est bien plus grand et conséquent, tournant autour de 8 à 10% de la population. Chez les amérindiens, le taux est à peu près le même. Il est de 1% chez les Yuroks et les Shoshones, 2% chez les Nez Percés, 4% chez les Flatheads et de 6% chez les Gros Ventres. Mais la norme se situerait à 1% et cela se conforme chez les Sibériens, les Tchouktches, les Koryaks et les Kamtchadales. Peut-être que l'augmentation du taux de personnes transgenres dans les jeunes générations occidentales est un retour à une normal anthropologique, c'est-à-dire 1 à 2% de la population, principalement des hommes, qui s'identifient et vivent comme l'autre genre. En bref, le phénomène transgenre est aussi vieux que ne l'est l'Humanité. Mais, là encore, on trouve ces phénomènes dans un même type de structure familiale : la nucléaire bilocale. Ainsi, en Thaïlande, l'importance des katoï, hommes efféminés représentant une forme de troisième sexe, prend tout son sens en ce que ce pays est celui le plus nucléaire de la zone, et celui qui a le statut féminin le plus élevé. On y est donc encore : l'acceptation du phénomène se corrèle parfaitement à la matridominance. Prenons le taux de tolérance aux transgenres. En Allemagne, pays de famille souche, il est de 30%. En France, il est de 50%. Au Royaume-Uni, il est de 65%. En Suède, pays le plus féministe du monde, il est de 80%. Cela colle parfaitement. Et cette fois, les Etats-Unis sont le cœur de l'acceptation du phénomène. 0,7% de la jeunesse américaine est aujourd'hui transgenre, soit sans doute la concentration la plus élevée en Occident aujourd'hui. Il faut aussi prendre garde à ne pas confondre phénomène transgenre et augmentation drastique, après période de traumatismes, d'une déstructuration des mœurs passagère. Ainsi, après la Première Guerre Mondiale, sous la République de Weimar, Berlin, capitale d'un pays à la structure familiale souche au statut féminin inférieur, va connaître une augmentation immense de l'homosexualité et du phénomène transgenre, battant sérieusement des records dans l'Occident. Mais cela va vite s'éteindre et est sans doute davantage un effet post-traumatique à l'image de l'explosion de l'homosexualité et du phénomène transgenre en Espagne après la chute de Franco, comme le démontre assez bien le cinéma d'Almodovar. Prenons garde à ne pas confondre les deux comme le font les conservateurs. La France actuelle et l'Occident nucléaire n'ont pas connu de vaste traumatisme récent et il semble que ce qui se produit (exclusion faite des transitions des enfants plus problématique) est plutôt le fruit d'une nouvelle réflexion idéologique. D'ailleurs, là encore, le poids de la religion est loin d'être éloigné. Prenons le cas le plus fréquent : une personne est biologiquement mâle et devient une femme transgenre. Quelque part, il s'agit ici de passer outre son corps charnel pour se connecter à une idée conceptuelle se traduisant sur ce corps. Finalement, il n'y a pas plus chrétien que ce mode pensée, à un point tel que la question transgenre est aussi une manifestation du catholicisme et du protestantisme zombies. De manière générale, le rapport très complexe au sexe de l'Occident est absolument lié au christianisme. Les pays asiatiques, notamment de structure nucléaire comme la Thaïlande, ne sacralise pas le sexe. Cela est à la fois signe d'une ouverture mais conduit aussi à une déculpabilisation des rapports sexuels avec des très jeunes mineurs. Si le sexe n'est pas grand chose, alors le sexe n'est pas une agression. On le sait, le christianisme avait une vision très pessimiste du sexe et très culpabilisatrice aussi. Aujourd'hui, la Révolution sexuelle et l'obsession identitaire occidentale autour de l'orientation sexuelle ou le genre prennent certes le contrepied du christianisme mais selon le même intérêt. On parle ici, selon les termes de Georges Devereux, d'acculturation négative dissociative. Le sexe est toujours au centre de l'esprit occidental. Même s'il est plus libre aujourd'hui (encore que l'on verra un retour en arrière), il est toujours un point énorme de crispation. L'intolérance occidentale aux violences sexuelles en est une preuve. Surtout, il occupe tous les esprits, en permanence. Il fascine autant qu'il peut oppresser. La sexualité est le point le plus sensible de notre anthropologie. Il compte vraiment pour quelque chose. Sa banalisation n'est pas le signe qu'il perd du sens, au contraire, il n'en a jamais eu autant. Pour les femmes occidentales, tout particulièrement, premières victimes d'une conception obsessionnelle du sexe, l'idée d'un rapport non consenti provoque des dégâts psychologiques immenses et une vraie lutte politique. Si le sexe était insignifiant, un rapport sexuel non consenti serait vécu comme une agression comme une autre. Or, force est de constater que ca ne l'est absolument pas.

L'heure du féminisme au XXIème siècle : les nouveaux enjeux. 

La prospective est intéressante parce qu'elle démontre que l'histoire des femmes suit une dynamique en dents de scie. Peut-on considérer l'hypothèse d'un scénario Servante Ecarlate selon lequel les femmes pourraient, soudain, à l'issue d'une révolution conservatrice violente, être renvoyées dans leurs foyers, perdre leurs libertés et leurs capacités juridiques, possible ? On ne doit jamais dire jamais, l'Histoire est surprenante. Mais, de fait, les idéologies proviennent de la société et suivent des règles souvent économiques, anthropologiques, structurelles, anciennes. Aujourd'hui, les femmes sont trop importantes pour la prospérité économique. Leur libération a été un second souffle pour l'économie. Surtout, leur place dominante dans le secteur public et le secteur tertiaire rend impossible leur mise à l'écart : ce serait un non-sens. La famille nucléaire, par sa souplesse, permet justement une plus grande efficacité économique et il s'agit sans doute là, pour nos civilisations libérales et consuméristes, d'un gage de liberté assez durable. De la même façon, la perte de droits en matière de contraception et d'avortement en Europe occidentale est peu probable, le cas des Etats-Unis restant particulier par son retard récent de sécularisation. La liberté sexuelle (il faudra tout de même y revenir) reste un acquis important et la société française actuelle, énormément sécularisée, très formée sur la question sexuelle, et peu encline à adopter un mode de vie passéiste, n'est pas travaillée par un retour du religieux, exception faite des immigrés en provenance de l'axe PBO qui, on le sait, se sécularisent aussi très vite, en même temps que les classes moyennes urbaines des pays maghrébins. Cela pose tout de même quelques questions. Il est difficile d'analyser l'idéologie d'une époque en train de se faire. Beaucoup de mots ridicules et de concepts creux sont ressortis ça et là au gré des commentaires. Les néo-féministes seraient wokistes, islamogauchistes et, pire encore, intersectionnelles. Si les deux premiers concepts ne veulent rien dire, l'intersectionnalité, en revanche, est un outil intéressant. Il permet de croiser les différentes situations d'oppressions. Ainsi, une femme noire américaine, étant à la fois une femme, et à la fois noire, subit des discriminations plus importantes et surtout particulières du fait de sa position dans l'échelle sociale. Aux Etats-Unis, tandis que les hommes noirs concluent 8% de leurs unions avec des femmes blanches, seules 2% des femmes noires se marient avec des hommes blancs. On voit ici apparaître l'idée que la femme noire, qui pourtant fait davantage d'études supérieures que les hommes noirs américains, fait l'objet d'une oppression spécifique et d'un prétendu manque d'attractivité sur le marché conjugal. On voit la chose complètement inversée en France : les femmes musulmanes font davantage d'études supérieures que les hommes musulmans et concluent davantage de mariages en dehors de leur nationalité d'origine. On l'a également vu pour les homosexuels : un homosexuel blanc, et encore plus riche, vit davantage sa sexualité qu'un homosexuel pauvre et racisé. L'homosexuel blanc pauvre, lui, est déjà émancipé de la tutelle familiale et communautaire. De plus, le sort d'une femme dans la société varie largement selon son milieu social. De fait, le critère de classe sociale, et je donnerai à ce titre raison aux marxistes, est sans doute le plus déterminant. On le sait, une femme de classe moyenne dispose de davantage de pouvoir dans la sphère publique, juridique et universaire. Elle est même en situation d'hypogamie et épouse en moyenne des hommes avec un prestige et des métiers inférieurs, souvent techniques (informatique, ...). Une femme pauvre, quant à elle, vit en couple avec un homme de statut social équivalent ou reste condamnée à un célibat monoparental long, attendant une union avec un homme de la classe moyenne qui n'arrivera pas. Une femme riche, elle, bien que prospère, est en couple avec un homme au statut social plus élevé et avec des revenus bien plus importants que les siens. De fait, la classe moyenne étant la plus importante en terme de nombre, on peut parler d'une forme de matridominance dans la société française, à l'image du modèle suédois. Les femmes exercent en nombre un pouvoir plus important et disposent d'un capital culturel et de prestige plus élevé. En revanche, aux extrémités du spectre social, les choses sont différentes, entre égalitarisme, célibat ou forte patridominance. C'est donc un peu un miroir déformant : en observant le CAC 40 et les postes politiques les plus prestigieux, on a l'impression de vivre dans un patriarcat de la pire espèce. Mais, dans la vie courante, les femmes exercent davantage de pouvoir que les hommes. Des bastions masculins restent encore vivaces : les domaines techniques et informatiques, l'ingénierie et même la médecine. Mais, pour le reste, c'est matridominé. Bref, l'intersectionnalité est le fondement même des études sociales et anthropologiques. Le dénoncer comme une insulte est une bêtise. C'est une simple méthode et elle fait ses preuves. Sa dénonciation est en fait une manière de critiquer un autre enjeu du féminisme actuel : la question de la conciliation entre la lutte féministe/homosexuelle et la lutte anti-raciste. Dans une optique post-coloniale, certains militants indigénistes ou certaines personnes issues de l'immigration, pour des raisons culturelles et donc l'influence de l'anthropologie de l'axe PBO, critiquent la volonté de la bourgeoisie blanche d'imposer ses mœurs et sa tolérance sexuelle aux hommes racisés. Les deux sujets de crispation sont ainsi le voile et l'homosexualité clandestine des banlieues. La gauche européenne occidentale est donc coincé entre deux aspirations contradictoires : imposer d'une part un relâchement des moeurs et d'autre part ne pas entrer dans le jeu de l'extrême droite et des néo-coloniaux. La tâche est rude, surtout que des agents déstabilisateurs, parmi lesquels l'extrême droite, l'islamisme intégriste et des militants "indigénistes" homophobes, ne participent pas à décrisper le débat. On le sait, le taux d'acceptation de l'homosexualité chez les musulmans est le plus faible. Celui-ci va sans doute augmenter par l'effet de l'exogamie importante en France des populations immigrées. Toutefois, force est de constater que le sujet est posé et qu'il est sérieux, d'autant que les jeunes homosexuels des banlieues vivent souvent un calvaire, sommé de ne pas brusquer la culture patrilinéaire d'origine pour ne pas le jeu d'un racisme, qu'ils subissent aussi par ailleurs. Vaste programme. 

Le féminisme actuel se centre également sur un autre sujet : le sexe, et le conjugalité. Depuis le XIXème siècle et jusque dans les années 70, la question sexuelle fut capitale pour les femmes. Se libérer sexuellement, c'était se libérer de l'emprise religieuse et du couple. A l'époque, une femme qui avait une vie sexuelle très active, qui divorçait beaucoup, était une figure de libération. Aujourd'hui, le sexe n'est plus un moyen d'émancipation, mais un moyen d'oppression utilisé contre les femmes par les hommes. Cela a commencé par un dévoilement de la fragilité des femmes face au sexe, au sein du couple dans lequel le sexe était comme un dû, y compris contraint, mais également dans le monde du travail, des loisirs et dans la rue. On a donc constaté petit à petit une augmentation des plaintes et des enquêtes. Aujourd'hui, la définition du viol est plus large qu'avant, et tandis que son domaine grandit, celui des agressions sexuelles délictuelles diminue. La société elle-même se crispe sur ces questions : le viol est considéré dans de nombreux esprits comme pire qu'un meurtre. Il existait dans les années 1970 des associations de libération des pédophiles : imaginons l'existence d'un tel groupe aujourd'hui. Mais, depuis les années 1990, et encore plus après le mouvement Me Too, la tournure prise par la critique de la liberté sexuelle est plus franche. Certaines féministes critiquent le principe de la présomption d'innocence, pratiquent la dénonciation de leurs agresseurs éventuels dans les médias et, surtout, restreignent le champ des possibles en matière de sexe. Les écarts d'âge trop important dans les couples majeurs sont regardés avec méfiance, toute existence d'une disparité de pouvoir dans le couple est discutée. Alors que les féministes s'inscrivaient dans un courant de pensée de gauche critiquant l'institution policière et la justice, condamnant la prison, glorifiant l'idée de rédemption, répugnant à toute délation et prônant l'impossibilité de condamner sans preuve matérielle formelle, voila qu'elles se mettent à réclamer des condamnations, sur la foi d'un témoignage et la mise en branle des institutions sécuritaires. Cela est aussi à mettre en relation avec un changement récent dans l'autonomie féminine. Les femmes qui votent RN sont de plus en plus nombreuses, et la présence de femmes bourgeoises dans les institutions judiciaires et les partis/mouvements politiques participent à légitimer la place de la justice et sa légitimité à entrer dans l'intimité du couple. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles, sur le modèle espagnol, est évidemment importante. Mais elle place le féminisme dans une nouvelle position : longtemps pourchassé, il devient une forme de nouvel ordre moral qui laisse à penser que la marginalité, et donc la subversion, est à droite. A cela s'ajoute la matridominance dans la classe moyenne et voila que les sexistes identifient que le pouvoir politique est aux mains des femmes. Les mouvements féministes eux-mêmes commencent à dire que le féminisme actuel, centré sur ces violences, est un féminisme d'Etat. Lutter contre les violences sexuelles est une bonne chose mais ne peut justifier, en tout cas aux yeux de certains libéraux et de certains militants de gauche, une atteinte aux libertés fondamentales et à la raison. Le nouveau mantra, "On croit les victimes", est à ce titre catastrophique pour l'histoire féministe : alors que la science a permis la libération féminine contre le dogme, il en existe un nouveau. Croire est un réflexe militant. Il ne reste plus de place pour l'analyse des pièces et leur interprétation. En bref, les méthodes de la chasse aux sorcières et de l'Inquisition sont utilisées par les héritières des femmes victimes de ces dernières. On assiste à une protestantisation des esprits : le sexe est par nature mauvais, car il ne peut être réellement consenti. Il est toujours l'occasion d'un vice. La sexualité insouciante des années 1960 est bien loin, et les femmes qui comparaient le fait de faire l'amour avec l'achat d'une boite de conserve dans les supermarchés n'existe plus. On peut également faire la comparaison avec le problème féminin protestant aux Etats-Unis au moment de la Prohibition : les femmes étaient les instigatrices du phénomène. Les mouvements en faveur de l'abolition de la prostitution ou de la pornographie sont à rapprocher de ces protestantes américaines puritaines. 

Au-delà de ces nouveaux défis militants, un autre problème est à affronter pour les féministes et les femmes en général. Bien plus qu'auparavant, elles sont confrontées à l'anomie du système capitaliste actuel. Si elles continuent d'avoir une espérance de vie légèrement supérieure à celle des hommes ainsi qu'un taux de suicide cinq fois inférieur, qu'elles occupent des métiers tertiaires et sont davantage titulaires de diplômes, elles sont confrontées comme les autres aux vicissitudes de la société contemporaine. Traditionnellement, et encore sensiblement aujourd'hui, les femmes votent pour les partis les plus progressistes et les moins intolérants. Mais l'étude des électorats commence à montrer une mutation sensible de ces votes. Le vote pour Donald Trump, par exemple, reste certes majoritairement masculin mais s'est largement féminisé. En France, depuis l'accession de Marine Le Pen en 2011 à la direction du Front National, devenu le Rassemblement National, l'électorat quasiment aux trois quarts masculin s'est féminisé largement et est presque équitable d'un point de vue des différences de sexe. Globalement, en Europe, les femmes se droitisent et une nouvelle harmonie entre les sexes commence à se dessiner sur les questions politiques dans une dynamique de glissement à droite général. Quasiment toutes les nouvelles droites radicales occidentales se servent d'ailleurs du féminisme et de la sécurité des femmes, face aux musulmans en fait, pour se faire élire. D'ailleurs, le RN, dès l'arrivée de Le Pen, avait déjà opéré à des manœuvres pour gagner le vote homosexuel, notamment dans le Nord de la France, par le recrutement de nombreux cadres gays, la reprise de folklores communistes sécularisés et une absence étrange des cadres lors des manifestations contre le Mariage Pour Tous. Cela a d'ailleurs été couronné de succès : beaucoup d'hommes homosexuels votent désormais RN, alors même qu'ils ne l'auraient jamais fait avant, du temps de Jean-Marie de Le Pen, et comme ils ne voteront sans doute jamais pour un Eric Zemmour. Bien plus qu'aux Etats-Unis, le critère primordial pour comprendre le vote est double : la classe sociale et l'origine ethnique. La différence de vote entre les hommes et les femmes s'estompe donc. Les classes populaires s'abstiennent majoritairement ou votent majoritairement au RN, un peu moins à la gauche de type LFI/NUPES. Les hautes classes de la société votent majoritairement le bloc centriste mené par Emmanuel Macron. Les classes moyennes inférieures sont davantage tentées à égalité par le vote RN/LFI. Plus l'on monte, plus le vote RN s'estompe au profit de LFI, surtout dans le secteur public ou tertiaire, et le vote Macron apparaît de plus en plus pour triompher dans les classes moyennes supérieures. La répartition est donc parfaitement sociale en réalité. L'âge est un autre critère important. Quant aux populations récemment immigrées, elles votent de manière générale beaucoup plus pour LFI NUPES, pas pour Macron pour des questions sociales, et pas pour Le Pen pour des raisons évidentes. Il semblerait que les femmes disposant de la matridominance votent à égalité entre un bloc NUPES à tendance écologiste/LFI et le bloc Macron. Les femmes votant Marine Le Pen sont quant à elle très nettement présentes dans les classes populaires. Paradoxalement, et c'est là où le croisement devient intéressant, les femmes issues de la matridominance sont davantage en couple que les femmes lepénistes. En fait, l'idée d'un féminisme à base de couple libre est un miroir déformant : les femmes éduquées, malgré leurs idéalismes étudiants, continuent à massivement investir le couple classique. Aujourd'hui, l'enjeu écologique vient faussement rebattre les cartes. Les jeunes femmes éduquées de la moyenne et petite bourgeoisie manifestent massivement en faveur de la lutte pour le climat et contre le patriarcat. Souvent, le refus de la procréation se fait entendre chez ces femmes là, au nom de l'angoisse écologique. Il est trop tôt pour dire si ces positions sont liées au radicalisme de la jeunesse ou à un véritable choix philosophique qui fera date. Toutefois, l'examen du taux de fécondité est assez clair : les classes populaires font plus d'enfants que les classes élevées. Les femmes cadres ont en moyenne 1,64 enfants contre 1,95 pour les femmes employées. Les tendances actuelles démontrent ainsi un déséquilibre à venir qui pourra aussi avoir, à terme, des conséquences sur l'Histoire des femmes. Toutes ces mutations profondes, ainsi que ces débats nombreux qui foisonnent, sont en train de créer un nouveau fond idéologique dont il est encore trop tôt pour dire s'il va à terme améliorer le sort des femmes ou plutôt le dégrader. En fait, il semblerait que la question féminine soit aujourd'hui profondément liée à un facteur déterminant : la tertiarisation. A l'aune d'une possible crise écologique et économique majeure, il est fort à parier que ce sont les postes les plus féminins, tertiaires et publics, qui risquent d'être les plus impactés. A ce moment là, la question d'un franc retour en arrière se poserait nécessairement. Dans l'état actuel des choses, le nouvel ordre économique mondial conduit à permettre pour les femmes occidentales une certaine liberté. Mais le prix à payer, c'est un statut féminin plus compliqué dans les pays industriels, voire très abaissé dans les pays de l'axe PBO. Si l'occidentalisation gagne partout dans ces pays les esprits les plus éduqués à la liberté, force est de constater que les régimes autoritaires et intégristes tiennent. Le monde risque de continuer à bien changer. 










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