L'Histoire Humaine vue par la génétique : analyse d'un immense métissage.

 

L'une de mes plus grandes obsessions, à égalité avec les anxiolytiques et les pratiques intimes brutales douteuses, est sans doute celle de l'influence de l'Histoire sur le XXIème siècle : sur nos vies, nos sociétés et nos valeurs. Je ne résiste pas au désir brûlant d'invoquer William Faulkner, et notamment l'une de ses citations les plus fréquemment reprises, que l'on retrouve partout, des publications Instagram destinées aux leçons de vie pour déficients culturels aux pré-génériques de films d'auteurs américains vaguement subversifs, et qui pourtant recèle une des idées les plus révolutionnaires qui soit : "Le passé ne meurt jamais, ce n'est même pas le passé". Rien ne me désespère plus que ces garçons presque trentenaires aux airs poupins, habillés en costume clair épousant leur fine taille, les cheveux oscillant entre un laisser-aller nonchalant propre à la jeunesse urbaine et un rigorisme fasciste du dégradé façon "Wehrmacht", visages arrogants et enfantins nichés sur des virilités hésitantes, pianotant sur leur MacBook dans des open-spaces de start-ups déprimantes nichées dans des vieux bâtiments industriels rénovés dans des centres villes grisâtres, la morgue à la bouche et qui déclarent, avec cet air de sage qui n'a rien connu, que l'Histoire n'est rien, que le passé est, justement, dépassé et qu'il est une sorte de boulet empêchant les consciences, les économies et les hommes de s'élever vers des utopies nouvelles, dont les gobelets Starbucks, les Air Pods et les Stan Smith formeraient les néons lumineux et indépassables. Pour ces fils à papa vaguement sensuels aux corps lisses et à la peau délicate, dont les doigts de pianiste propres et fins trahissent l'absence de douleur à la tâche, qui s'imaginent naïvement réussir grâce à l'étendue gigantesque de leur "mérite" et de leur "travail", dont les universités privées et les écoles de commerce ont été financées par des parents médecins, avocats ou ingénieurs et non par des longues heures de labeur dans des usines sidérurgiques alsaciennes, l'Histoire n'est au pire qu'un récit pseudo marxiste obstacle à l'enrichissement des courageux, au mieux une série de galipettes pour fonctionnaires improductifs peu digne d'intérêt. L'Homme est donc selon eux un individu hors-sol : une autocréation permanente, une volonté vierge de tout déterminisme et surtout, et c'est là sans doute le plus grave, un atome stable mû par une seule conscience interne qui ne doit son déplacement qu'à la mise en œuvre sa force propre. Le collectif, la société, les capitaux et les héritages n'existent pas. L'enfant, à peine déboulé dans le monde, est responsable de sa propre position et de sa future puissance. "Le passé ne meurt jamais, ce n'est même pas le passé" : il est des chances que cette citation les fasse rire entre deux cafés latte soja. Et pourtant, cette nouvelle vague d'optimistes creux et de cadres débiles, quand ils déambulent bêtement jusqu'à leur bar à concept fumeux ou vers leur épicerie bio en coopérative important du quinoa péruvien et employant des sans papiers guinéens, piétinent sans le savoir des abysses de couches historiques sédimentaires : les cimetières, les monuments, les charniers et les vieux pavés. Une immensité de corps décomposés et sans lesquels ces prépubères à peine mûris ne seraient que des poussières d'étoiles désoxygénés. Des molécules insignifiantes. 

L'Histoire n'est pas le passé. Et le passé n'est jamais passé et il n'est jamais mort. Notre présent n'est certainement pas une autre époque mais bien la continuité en mouvement des époques anciennes. Comme le Big Bang fut une propulsion monumentale de l'énergie vers l'infini qui se propage encore à une vitesse sidérante jusqu'à sa future contraction, l'Histoire est également une explosion ancienne de dynamiques qui continuent à se développer, s'entrecroiser et se transformer aujourd'hui, déterminant tout de ce que nous faisons, pensons, conceptualisons. Certaines pentes initiées il y a des siècles s'accélèrent et d'autres ralentissent jusqu'à s'arrêter sans doute. Mais rien de ce qui n'arrive à une époque, que ce soit une élection, une invention ou même une idée, y compris la plus marginale nichée dans le plus tordu des esprits de nos contemporains, n'est dû à quelque chose d'intégralement nouveau qui n'aurait aucun lien avec ce passé oublié. L'Histoire n'est pas qu'une géographie de ruines et d'emplacements, elle n'est pas que ces œuvres d'art que l'on admire encore avec un peu de distance dans des jolis musées de carton pâte ou des squelettes du Néolithique retrouvés enterrés avec du bronze dans les sous-bassements de nos buildings. Elle est aussi une somme de frontières, d'Etats, de Constitutions, de droits, de coutumes, de sociologies, d'anthropologies, de paysages et de choix amoureux que l'on croit libres. L'Histoire est aussi une accumulation de langues toutes liées entre elles par des généalogies communes et des traductions parfois insurmontables. Ces langues, témoignages parlés de vieux champs de bataille, se révèlent aussi être des prisons venues du fond des âges qui nous empêchent d'accéder à l'esprit autrement que par le truchement des mots inventés par nos ancêtres. En cela, vivre sans une connaissance de l'Histoire est le plus souvent gouverner sans boussole, dans le vide, à l'aveugle, en cabotant d'un port à l'autre, comme des marins perdus qui repasseraient à l'infini sur les mêmes barrières de coraux et dans l'onde des mêmes courants contraires. C'est sombrer au même endroit dans la même tempête. C'est chavirer toujours sur les mêmes écueils. Et se noyer dans la même écume. L'ensemble de notre épistémè, de nos connaissances et de nos prismes à travers lesquels nous contemplons les choses de la vie, est héritée toute entière des autres, ceux d'avant. Nos positions sociales, nos facultés de réussite, sont toutes prévisibles à la lecture de notre arbre familial et à la comptabilité des comptes en banque de nos grands-parents. Bref, l'Histoire est centrale : c'est peut-être même le seul sujet qui compte. Dans ce livre absolument brillantissime d'Evelyne Heyer, nous découvrons autre chose, de bien plus extraordinaire : notre biologie elle-même, et plus que cela notre ADN, pourtant propre à chacun d'entre nous, est complètement déterminée par les évènements historiques, surtout les plus lointains. Le moindre de nos gênes, de nos allèles ou de nos chromosomes est le fruit d'un évènement passé. En plus d'être le résultat de l'Histoire, la génétique en est le témoin : son analyse permet la découverte de faits oubliés, confirment des théories historiques et en infirment d'autres. Mieux encore, la génétique influe sur l'Histoire par ses mutations, ses dérives et la fameuse sélection naturelle, dont les effets se lisent sur plusieurs générations et démontrent que les dynamiques de notre Histoire sont d'une longueur fascinante et désespérante. L'Odyssée des Gènes est en ce sens l'un des ouvrages les plus importants de ces dernières années et vulgarise à merveille des concepts complexes et des épisodes cruciaux de notre passé lointain. Florilège de ces évènements passionnants.


L'être humain est une pure émanation de la Nature. 


La philosophie occidentale récente, celle qui dompta la Nature et plaça l'Homme au centre de ses préoccupations, a opéré à une séparation conceptuelle radicale entre la Nature et la Culture.  La Nature correspond à tout ce qui n'est pas nous, les êtres humains, et à l'inverse, la culture, c'est l'ensemble de ce que nous construisons, aussi bien physiquement que mentalement. Emmanuel Kant d'abord, et particulièrement Hegel ensuite, dans la droite lignée de Bacon ou de Descartes, ont fait de l'Homme un être tout à fait en dehors de la Nature, et même une sorte de symbole de son émancipation. Il n'est pas une part de la biosphère mais son contemplateur, son exploitant et son maître. En cela, la philosophie rationaliste fait diablement penser à la pensée religieuse abrahamique, qui fait de l'Homme une création de Dieu à part entière pour qui la Nature a été offerte en cadeau. Les créationnistes actuels, qu'ils soient des protestants américains ou des musulmans saoudiens, conservent cette vision anti darwinienne au possible : il leur semble d'ailleurs tout à fait insultant que l'être humain soit d'une manière ou d'une autre un animal. Mais les rationalistes, qui voyaient en l'Homme un être supérieur par sa faculté de penser, ont été piégés moins par leur obscurantisme que par leur volonté de tout distinguer. Emmanuel Kant est sans doute en cela le champion : il a séparé rigoureusement les différents aspects de la philosophie (épistémologie, morale, art) et a créé des catégories afin de tout analyser par la décomposition. Benedikt Stattler, auteur inconnu du fameux Anti-Kant (1788), décrivait le philosophe de Königsberg comme "celui qui concasse tout". Les romantiques, avec tous leurs excès, ont cherché à réunifier l'Homme et la Nature, le premier étant une part essentielle de l'autre. Novalis lui-même, et quelle intuition, estimait que l'Homme contenait en lui-même l'ensemble de ce qui était dans l'Univers. La découverte de l'ADN est en cela un pied de nez fabuleux fait à ceux qui voyaient en l'Homme une sorte de demi-dieu sorti des cieux. L'ADN humain est formé, comme pour tous les êtres vivants (animaux, végétaux ou champignons), des quatre mêmes molécules formant sont chapelet : A, C, T et G. Pourquoi cette uniformité extraordinaire qui présuppose que tout ce qui est vivant est apparenté d'une manière ou d'une autre ? Parce que tous les ADN descendent d'une même origine : une molécule étant apparue il y a 3,5 milliards d'années et qui a transmis à tous ses descendants, aussi bien les moustiques, le mérule, la patate douce ou l'être humain, sa complexe machinerie génétique. L'Homme est donc véritablement une part de la Nature et, d'ailleurs, l'ensemble de ce qui paraît le distinguer des animaux, à savoir le langage, le droit, la "culture", est illusoire. Non seulement les Hommes présentent des caractéristiques génétiques leur permettant le langage ou la socialisation, mais d'autres primates, et mêmes d'autres espèces animales, disposent de la capacité de s'adapter, d'utiliser des techniques et des outils, de communiquer entre elles et même de créer et suivre des règles variant d'une "tribu" à une autre. Et même chez l'Humain seul, vouloir bêtement distinguer ce qui relève de l'inné, à savoir de la génétique, et de l'acquis, c'est-à-dire de la culture, est une chimère : autant essayer de déterminer ce qui enclenche le son du piano, la corde à l'intérieur de la caisse ou le doigt qui actionne la touche. Bref, depuis Darwin, les ethnologues, les biologistes et même les anthropologues se rendent bien compte que notre manière de nous mouvoir dans le monde est en partie, n'en déplaisent à certains sociologues de la page blanche, dû à la génétique. Cela ne signifie pas que la société n'agit pas sur nous, bien au contraire. Deux jumeaux, avec le même patrimoine génétique, placés dans des conditions sociales et anthropologiques différentes, peuvent présenter des caractéristiques opposées, parce que le gène ne produit pas toujours les mêmes effets dans des environnements différents. Bref, la complexité, en somme.


L'Homme est le fruit d'une longue évolution génétique. 


Chaque individu dispose donc d'un ADN composé d'environ trois milliards de nucléotides (le nom de ces fameuses molécules A, C, T et G) ce qui correspond à l'équivalent de 750 000 pages d'un texte écrit. Longtemps, jusqu'en 2001, nous n'étions capables de lire qu'une petite partie de ce long texte. Aujourd'hui, nous sommes capables de l'analyser en entier. Tous les êtres humains partagent entre eux 99,9% de leur génome et ne divergent donc que de 0,1%. En moyenne, entre deux individus, une molécule sur 1 000 diffère ce qui n'est véritablement pas grand chose. Une large partie de l'ADN est non-codant, c'est-à-dire qu'il n'a aucune incidence sur nos caractéristiques. L'autre partie, environ 5%, est dit "codant", c'est-à-dire qu'il va permettre de déterminer des caractéristiques diverses chez les individus. En effet, les gènes libèrent des protéines dans l'organisme qui permettent l'avènement de ces caractéristiques, aussi diverses que la masse musculaire, la couleur de la peau, l'odeur, etc. Il faut cependant sortir d'une idée fausse selon laquelle un gène correspondrait à une fonction particulière. En réalité, une fonction est souvent l'apanage de plusieurs gènes qui interagissent entre eux, simultanément ou en cascade. De la même façon, un gène peut être important dans diverses fonctions et d'autres dans aucune. Prenons le gène FOXP2, exemple détaillé dans le livre : il est présent dans l'espèce humaine et les chercheurs ont constaté que, lorsqu'il est absent ou porteur de mutations, son porteur a des difficultés d'élocution. Cela signifie que le gène FOXP2 est un des gènes intervenant dans le langage, sans pour autant être le seul. De la même manière, même avec une génétique classique, un individu n'ayant jamais parlé avant l'âge de dix ans aura beaucoup de mal à développer ces facultés, alors qu'il en a les prédispositions génétiques. On le sait, les ADN sont des déterminants familiaux. Au moment de la reproduction, l'ADN du mâle et l'ADN de la femelle se disloquent et se combinent, créant un nouvel ADN portant 50% de chaque ADN fondateur, et ce de manière totalement novateur. Les caractéristiques transmises varieront donc selon la diversité génétique des deux copulants et le hasard des recombinaisons. Certaines parties de l'ADN ne sont transmises que par un seul des deux parents sans recombinaison : ainsi, pour les mâles, le chromosome Y est nécessairement transmis par le père. En revanche, l'ADN mitochondrial, que l'on a su déchiffrer en avance, n'est transmis que par l'intermédiaire de la mère. Sans entrer dans les détails, on sait également qu'un gène est composé de deux allèles. Par moment, et par l'effet du hasard, un gène sera homozygote, c'est-à-dire que les deux parents auront transmis la même version du gène pour une même caractéristique. A d'autres moments, ils seront hétérozygotes, c'est-à-dire distincts. L'hétérozygotie est ainsi globalement une bonne chose en ce qu'il permet d'éviter de transmettre des gènes "défectueux", c'est-à-dire porteurs de mutations délétères. Bref, ainsi donc, quand naît un individu, il est la synthèse de deux ADN précédents. Il dispose de la moitié de l'ADN de chacun de ses parents, et en même temps, est complètement débarrassé de la moitié de chacun d'entre eux. Cela signifie donc qu'à chaque reproduction, une partie de l'ADN se perd, et parfois même, au regard de la comparaison historique, disparaît totalement. Il n'est pas rare, en analysant des dépouilles d'Homo Sapiens, de découvrir que des gènes ont complètement disparu de l'espèce humaine actuelle. Cette recombinaison est purement aléatoire.


Mais en réalité, si l'on est totalement complet, un individu dispose certes de la moitié de l'ADN de ses parents mais également d'une partie tout à fait nouvelle, non héritée. Et c'est là que le sujet devient absolument passionnant. Chaque être humain, en naissant, dispose en moyenne de 70 mutations génétiques. Ces mutations sont appelées ainsi en ce qu'elles sont complètement nouvelles : elles ne proviennent ni de l'ADN paternel, ni de l'ADN maternel. Ce sont des "erreurs" de copie qui interviennent sur les gènes et, en conséquence, produisent des gènes innovants. On sait que plus un père est âgé au moment de la reproduction, plus un individu est porteur de mutations, jusqu'à 100, alors même que l'âge de la mère n'a lui aucune incidence. Ces mutations ne sont pas forcément mauvaises et sont d'ailleurs bien souvent complètement inutiles car non-codantes. Toutefois, par moment, ces mutations vont faire apparaître une nouvelle caractéristique. Ainsi, les yeux bleus sont le fruit d'une mutation intervenue en -40 000. A partir de ce moment là, il existe plusieurs solutions. La plupart du temps, dans un groupe humain de taille normale, la mutation, par le jeu des recombinaisons successives des différentes reproductions sexuées, disparaît. En effet, une mutation est par définition rare et en probabilité, à force de se recombiner à des gènes dissemblables, la mutation est délestée de l'ADN. Par moment, le jeu du hasard fait que la mutation va survivre et s'installer dans l'espèce humaine : on parle alors de dérive génétique. D'ailleurs, plus un groupe humain est restreint en terme de démographie, plus la chance pour qu'une mutation prolifère est grande, car les recombinaisons sont moins variées et la diversité génétique moins grande. C'est d'ailleurs pour cela que les maladies récessives ou des caractéristiques étranges (nanisme ou gigantisme insulaire) sont fréquentes dans des populations restreintes ou d'origine restreintes, comme au Québec. Néanmoins, dans les cas les plus fréquents, la transmission des mutations n'est pas le fruit du hasard. Charles Darwin et ses successeurs ont mis au jour deux phénomènes : la sélection naturelle et la sélection sexuelle. Dans la sélection naturelle, la mutation peut être délétère. Ainsi, l'individu porteur de la mutation (ou de la caractéristique) peu profitable ne se reproduira pas ou moins. La mutation disparaîtra donc de l'espèce à terme. En revanche, si la mutation présente un avantage comparatif pour la survie de l'espèce, l'individu porteur se reproduira beaucoup. La mutation va donc se propager dans la génétique humaine et devenir fréquente, voire majoritaire. La tolérance au lactose en est un exemple. Beaucoup de ceux qui comprennent mal la théorie de la sélection naturelle ont une sorte de réflexion inversée. Ainsi, ils estiment que ce sont les caractéristiques acquises qui se transmettent génétiquement. Prenons l'exemple de la girafe : si elle a un long cou, c'est en effet pour atteindre la végétation en hauteur en contexte de savane. On pense un peu naïvement que si la girafe a obtenu ce long cou, c'est parce que ses gènes se sont adaptés eux-mêmes à l'impératif. Or, ce n'est pas le cas du tout. De fait, certaines girafes devaient présenter une mutation qui allongeait légèrement leurs cous. Ces girafes, pour cet avantage, se sont davantage reproduites car elles pouvaient nourrir davantage leurs descendances. Petit à petit, la mutation s'est propagée et s'est amplifiée, devenant majoritaire. Le cou s'est donc allongé petit à petit au gré des recombinaisons génétiques. Mais il y a autre chose encore : la sélection sexuelle. Parfois, certaines mutations sont complètement inutiles et pourtant se propagent. C'est le fameux syndrome de la queue du paon : plus une queue de paon est belle, colorée et magnifique, plus son porteur est susceptible de se reproduire. Pourtant, d'un point de vue de la sélection naturelle, une jolie queue est un désavantage car elle attire les prédateurs. Pourtant, pour des affinités purement sexuelles, l'avantage sexuel étant plus grand que l'avantage sélectif, la queue de paon reste toujours aussi belle. On estime que de nombreuses caractéristiques humaines s'expliquent par la sélection sexuelle non avantageuse. C'est le cas des yeux bleus, des cheveux blonds ou roux. De la même façon, les chercheurs constatent que 80% de la taille d'un individu est déterminée par la génétique et que, globalement, même chez les Pygmées, la tendance est à la hausse de la taille, dans l'ensemble de l'Humanité. Il n'y a pas d'avantage sélectif en soi, mais pourtant les hommes de grande taille continuent d'avoir plus de descendants que les autres, y compris au XXIème siècle. Cela explique, en plus des progrès agricoles, sanitaires et nutritifs, pourquoi les êtres humains, notamment les mâles, ne s'arrêtent pas de grandir. Coup dur pour les petits. Et, parce que cela n'était sans doute pas assez complexe comme cela, outre la transmission des mutations par dérive génétique, sélection naturelle ou sélection sexuelle, d'autres caractéristiques apparaissent selon des données environnementales : c'est la plasticité génétique. Ainsi, dans certaines conditions extrêmes, des gènes réagissent différemment et présentent des caractéristiques différentes. L'épigénétique montre aussi que, in utero, un fœtus peut, en cas de malnutrition de sa mère, subir une mutation génétique (qui ne se transmettra pas au delà de lui) l'exposant à des risques de surpoids ou d'obésité. Bref, la nature humaine est en constant changement. 

Sur quelques siècles, les effets des mutations deviennent palpables et transforment radicalement l'apparence humaine. L'existence des ethnies en est d'ailleurs une manifestation. Mais sur des millénaires de distance, ces mutations créent carrément un changement d'espèce. On le sait, les êtres humains sont des primates, des hominidés et plus précisément des Homo Sapiens. Nous sommes donc des singes. Les espèces les plus proches de nous sont, et c'est connu, les chimpanzés et les bonobos. Légèrement moins proches, mais toujours beaucoup, les gorilles et les orang-outang partagent également beaucoup de ce que nous sommes à un point tel que, parfois, la contemplation de leurs visages est une expérience déroutante et fascinante.  L'élément le plus intéressant est que toutes ces espèces de singe sont plus proches de nous qu'elles ne le sont entre elles. Surtout, les chimpanzés, dont nous sommes les plus proches, partagent 98,8% de leurs génomes avec le notre, celui des Homo Sapiens. Alors, le phénomène des insertions et délétions génétiques conduit à ce que des pans entiers d'ADN codants diffèrent, et 1,2% du génome correspond tout de même à 90 millions de nucléotides, ce qui crée des distinctions majeures. Toutefois, cela témoigne d'une réalité indéniable : évidemment, le chimpanzé n'est pas notre ancêtre, mais nous disposons d'un ancêtre commun. Dit autrement, il fut un temps où nous appartenions à la même espèce et nous étions les mêmes. D'ailleurs, il n'est absolument pas dit que cet ancêtre ressemble davantage à un chimpanzé qu'à nous même : il est tout à fait possible, au contraire, que l'apparence actuelle du chimpanzé diverge davantage de cet ancêtre que nous. La question fondamentale à laquelle ont du répondre les chercheurs est la suivante : de quand date notre séparation ? A partir de quand les mutations génétiques ont été telles qu'elles ont produit deux espèces différentes ? La réponse a longtemps été très complexe à apporter, en ce sens que nous avons longtemps cru que les chimpanzés étaient incapables d'utiliser des outils. Or, nous savons aujourd'hui que les singes en utilisent également. Les traces archéologiques ont donc un aspect ambigüe et ne permettent pas de déterminer avec précision, lors de la découverte de pierres ou d'outils, si elles ont été faites des mains de nos ancêtres ou de nos cousins. Evelyne Heyer explique donc qu'il a fallu calculer, à partir des génomes du chimpanzé et d'Homo Sapiens, en prenant la référence de 70 mutations nouvelles par naissance, une date de séparation par modélisation mathématique. Or, la date obtenue colle très bien avec les constatations archéologiques. Nos deux espèces ont commencé à se distinguer très clairement il y a entre sept et huit millions d'années en Afrique. Petit à petit, notre espèce, sous la forme des Australopithèques, dont la fameuse Lucy est un symbole, a acquis l'une des caractéristiques les plus évidentes de notre espèce il y a trois millions d'années : la bipédie. Le fait de pouvoir se déplacer sur ses deux jambes est en fait tellement évident pour nous que nous n'arrivons pas à nous rendre compte qu'elle a été notre plus grande malédiction. De fait, elle est sans doute intervenue dans la Savane par sélection naturelle, ceux pouvant se redresser sur leurs deux jambes ayant un avantage reproductif du fait de leur détection des prédateurs. Mais la bipédie a un effet pervers terrible : le resserrement du bassin. Or, pour les femelles, c'est un enfer. Le taux de mortalité infantile, et donc maternelle, est bien plus élevé chez nos ancêtres (et même dans notre espèce) que chez nos cousins chimpanzés. D'ailleurs, notre démographie, en témoigne notre diversité génétique actuelle, était sans doute plus basse que chez eux en raison de cela. La douleur de l'accouchement et son danger expliquent d'ailleurs pourquoi, lors de la naissance d'un enfant Sapiens, son cerveau n'est formé qu'à 23% contre 40% chez le nouveau-né chimpanzé. De ce fait, atteindre l'âge adulte prend cinq ans chez nos cousins et quinze ans dans notre espèce. Cette longue éducation explique l'importance des grands groupes humains dans l'éducation de l'enfant et également la survie des femelles ménopausées, ce qui est une exclusivité de notre espèce et qui ne se retrouve chez aucun autre primate. Ce paradoxe obstétrical, au prix d'une mortalité plus grande, a paradoxalement soudé l'espèce humaine autour de l'éducation de l'enfant. Autre effet de l'évolution : le cerveau de notre espèce s'est mis à grandir considérablement et a même triplé en volume depuis l'avènement de l'Australopithèque. Comment expliquer un tel développement ? Longtemps, les chercheurs ont cru que cela était lié à la consommation de la viande cuite qui libère plus de calories que la viande crue ou les fruits. Or, le feu n'est domestiqué qu'en -400 000 et le cerveau a déjà une taille considérable il y a 1,7 millions d'années. De cela, deux théories s'affrontent ou se complètent : le cerveau de nos ancêtres a dû se développer en raison de notre régime alimentaire omnivore et de la difficulté de trouver la nourriture. L'autre théorie se focalise sur la grandeur importante de nos relations sociales et notamment du développement d'un langage complexe, si tant est qu'il ait existé tôt, et donc de l'importance des stimulations extérieures. Bref, notre ancêtre devient bipède, voit son cerveau grandir considérablement et commence à parler, éventuellement. Toutes ces évolutions forment nos traits les plus saillants, et ce sur plusieurs millions d'années, et sur un effectif plus réduit que nos cousins primates, favorisant sans doute une plus grande dérive génétique. Fait surprenant également, nos ancêtres plus récents, à savoir les Homo Habilis et les Homo Erectus, contrairement aux autres primates encore massés majoritairement dans les forêts d'Afrique Centrale ou d'Asie du Sud-Est, commencent à voyager en dehors d'Afrique, avant même que Sapiens n'apparaisse. Des outils rudimentaires sont découverts en Chine il y a 2,2 millions d'années et des squelettes d'Homo Habilis sont découverts à Dmanissi, en Géorgie, datant de 1,8 millions d'années. Ces êtres sont capables d'empathie, car l'un des squelettes retrouvés est celui d'un homme âgé édenté et impotent, ce qui témoigne d'un soutien de la part de la communauté. Mais pourquoi nos ancêtres lointains sont-ils sortis d'Afrique contrairement aux chimpanzés, aux bonobos ou aux gorilles ? La réalité est qu'on n'en sait strictement rien. Les Homo Habilis ou Ergaster ou Erectus trouvés en Géorgie n'ont pas de cerveau plus gros que leurs contemporains d'Afrique, n'ont pas de pensée symbolique particulière (pas de bifaces) et n'ont pas non plus à vivre de sécheresse massive à cette époque (elle n'interviendra que 100 000 à 500 000 ans plus tard). Cette première dispersion reste un profond mystère. 

La naissance d'Homo Sapiens et la première sortie d'Afrique

On sait donc que quelques uns de nos ancêtres Homo Erectus sont sortis d'Afrique il y a longtemps, au maximum il y a 2,2 millions d'années. Ces ancêtres donneront naissance à d'autres espèces Homo partout dans le monde, tel que l'Homme de Neandertal en Europe, l'Homme de Denisova en Asie, l'Homme de Florès sur l'île du même nom en Indonésie et même une autre espèce découverte récemment, Homo Luzonensis, dans les Philippines. Pourtant, Homo Sapiens, c'est-à-dire notre espèce, n'est pas encore sortie d'Afrique et n'est même pas encore tout à fait au point. On a longtemps cru que le premier Homo Sapiens avait vu le jour en Ethiopie à Omo Kibish il y a 195 000 ans. Or, il semblerait que cela soit une date trop proche. Une équipe de fouille allemande, française et marocaine a découvert en 2017 les restes d'un Homo Sapiens archaïque à Jebel Irhoud au Maroc datant d'il y a 300 000 ans. Il semblerait donc que notre espèce soit plus vieille que l'on le pensait. Toutefois, il y a 300 000 ans, des espèces différentes d'Homo parcourent déjà la planète en tout sens. Notre espèce à nous, elle, n'a toujours pas mis un pied en dehors d'Afrique. La question est aussi la suivante : dans quelle région d'Afrique, exactement, Homo Sapiens est né ? Le continent africain est gigantesque et il existe de nombreux candidats. Les chercheurs n'ont actuellement pas les réponses. Il semblerait qu'il existe quatre foyers de développements parallèles, en Afrique de l'Est, du Sud, de l'Ouest et dans le Maghreb, évoluant chacun à longue distance et échangeant régulièrement des gènes par des migrations ponctuelles. La zone d'origine de notre espèce est donc bien l'Afrique dans son entier. On le sait, certains pays et politiques n'admettent que difficilement cette origine africaine. Pourtant, elle est démontrée par un fait simple : en étudiant la génétique actuelle des différentes populations du globe, la diversité génétique, à savoir la richesse des nucléotides, est bien plus importante en Afrique qu'ailleurs. Cela signifie que les groupes ayant migré ensuite dans le reste du Monde ont une diversité génétique inférieure pour un fait logique très simple : il s'agissait de sous-groupes moins divers et en nombre moindre n'ayant apporté qu'une partie de l'ADN de leur groupe-source. En somme, si l'Afrique a une diversité génétique plus grande, c'est parce que l'ensemble de nos ancêtres y ont vécu en même temps à l'origine. C'est donc bien le berceau de notre espèce. Dans les autres pays du globe, les premiers pionniers Homo Sapiens portaient des fragments génétiques de l'Humanité en son entière mais ne sont pas les ancêtres de l'ensemble de l'Humanité. Il faut imaginer une pièce bigarrée avec de nombreuses personnes dans un immeuble quasi désert : ceux qui quitteront la pièce pour en occuper une autre seront une partie infime de la population de la première pièce et seront donc moins divers, et ainsi de suite. La dernière pièce colonisée sera celle qui sera la moins diverse en terme de personnes. Ainsi, le Moyen-Orient, deuxième étape du peuplement à la sortie d'Afrique, est moins diverse génétiquement que l'Afrique, mais plus diverse que les populations européennes, asiatiques ou américaines. Pendant longtemps, la grande inconnue a été la question de la date exacte de la sortie d'Afrique par Homo Sapiens. Les travaux génétiques récents ont tenté, par l'analyse de l'ADN mitochondrial, de dater l'époque d'existence de la plus ancienne ancêtre féminine Homo Sapiens connue. Les résultats sont éloquents : notre ancêtre féminine commune, à l'ensemble de l'Humanité, est africaine et vivait en Afrique il y a 200 000 ans. Ainsi, la sortie d'Afrique de nos ancêtres génétiques ne peut pas être plus éloignée que cette date. Nous sortons donc d'Afrique au maximum 500 000 ans après que l'Homme de Néandertal s'est déjà installé en Europe après évolution des premiers Homo Erectus sortis d'Afrique. De fait, l'estimation génétique est même plus tardive puisque Homo Sapiens serait d'Afrique entre -100 000 et -70 000 ans avant notre ère, soit il y a très peu de temps. Pourtant, on retrouve en Israël des traces d'Homo Sapiens en -195 000. Pourquoi des résultats si différents et en apparence contradictoires ? En fait, ils ne le sont pas. Certains Homo Sapiens ont pu quitter l'Afrique avant - 70 000, mais ils n'ont pas laissé de traces dans notre génome. Ils ne se sont pas reproduits ou leurs descendants n'ont jamais pu transmettre leur patrimoine génétique jusqu'à nous. Ils ne sont donc pas à proprement parler nos ancêtres. Ce qui est sûr, c'est qu'en -70 000, un groupe d'Homo Sapiens s'installe au Moyen-Orient. En Afrique, parallèlement, les quatre populations les plus anciennes d'Homo Sapiens, à savoir les ancêtres des Khoe-San de Namibie, des bantoues, des Pygmées et des populations de l'est continuent de vivre sur le continent africain, cultivant une diversité génétique plus grande. Il existe toutefois des échanges rares mais réguliers entre les populations archaïques d'Afrique et la nouvelle zone d'expansion par un jeu de migration permanent, si bien qu'une partie de la génétique dérivée du Moyen-Orient se retrouve dans la génétique africaine, et vice-versa. Les populations ne sont jamais séparées définitivement et ont continué, de temps en temps, à se reproduire et à combiner leurs ADN respectifs. 

L'hybridation Sapiens/Néandertal. 

En août 1856, dans la vallée allemande de Neander, à une dizaine de kilomètres de Düsseldorf, des ouvriers découvrent des ossements d'un squelette étrange dans une carrière de calcaire. Un professeur d'histoire naturelle, Johann Karl Fuhlrott, découvre alors, stupéfait, un autre homme, d'une autre espèce. Cette homme sera baptisé l'Homme de Néandertal, en l'hommage à cette vallée de l'Homme Nouveau, et même s'il n'est pas un individu de notre espèce, il nous est extrêmement semblable à tout point de vue. D'un côté strictement génétique, il est également une forme d'être humain, semblable à Homo Sapiens à hauteur de 99,87%. A titre de comparaison, nous divergeons entre Sapiens à hauteur de 0,1%. Néandertal est donc très très proche de nous. Surtout, il est en avance. Il est présent sur l'ensemble du continent eurasiatique depuis -700 000 ans, entre l'Espagne et la Mongolie, soit 400 000 ans avant que notre espèce n'apparaisse. Il est notre cousin, car nous avons un ancêtre commun, Homo Erectus. Comme nous, il vit en groupe, chasse, enterre ses morts et a les outils physiologiques nécessaires au langage articulé. De là à dire que les hommes de Néandertal parlaient, il n'y a qu'un pas impossible à franchir. De fait, nous ne saurons jamais s'ils utilisaient cette faculté également. Physiquement, ils détiennent un cerveau nettement plus gros que le nôtre mais sont plus petits, plus robustes et ont un crâne en forme de ballon de rugby. Alors que nous arborons fièrement un menton (parfois un double), ils n'en ont pas mais portent à la place un bourrelet saillant sur le front. L'analyse de l'ADN de Néandertal témoigne d'une richesse comparable à la nôtre mais nettement dégradée, et encore plus au fur et à mesure du temps. Certains gènes, associés chez nous à la kératine et à la cicatrisation, ou à la pigmentation de la peau, sont présents ainsi même que des allèles possiblement impliquées dans l'autisme ou la schizophrénie. Là où les choses deviennent intéressantes, voire fascinantes, c'est que les chercheurs avaient toujours considéré que l'hybridation entre deux espèces différentes était impossible ou extrêmement complexe. Or, le génome Sapiens actuel porte 2% d'ADN néandertalien. Cela signifie qu'il a existé des unions entre Homo Sapiens et Homme de Néandertal, et donc des relations sexuelles ayant amené à une descendance. Et surtout, cette descendance a continué à se reproduire jusqu'à nous. Bien sûr, une part importante de l'ADN transmis est non-codant et surtout, les gènes transmis sont divers. Il semblerait toutefois que les hybridations les plus poussées n'aient pas réussi à accéder à une reproduction de long terme très importante et d'ailleurs, de manière générale, la génétique néandertalienne est sensiblement plus mauvaise que la notre. Les individus ayant hérité d'une trop grande part de cette génétique n'ont pas eu d'avantage comparatif dans la reproduction et ne semblent pas avoir eu une grande espérance de vie. D'un point de vue génétique, il semblerait que pour atteindre 2% de génome néandertalien, il n'aurait suffit en tout que de 150 coïts réussis au minimum, ce qui est très peu. L'étude des chromosomes témoigne que le profil de ces coïts est toujours sensiblement le même : un individu Néandertal mâle et une Sapiens femelle, jamais l'inverse. En cela, deux solutions : ou les femmes Néandertal ne pouvaient être fécondées par un Sapiens mâle, ou l'affinité sexuelle n'était qu'unilatérale. Certains ont même laissé présager des viols de femelles Sapiens mais la réalité attestée par l'archéologie d'une coexistence pacifique entre les deux espèces laisse cette théorie moyennement crédible. Il y a donc eu une hybridation entre deux espèces d'hominidés différentes avec un maintien de l'ADN néandertalien dans le génome moderne, des traces mitigées surtout liées à la peau, sa couleur et sa cicatrisation. Le lieu et la date de l'hybridation sont connues : cela ne s'est déroulé ni en Europe ni en Asie, mais au Moyen-Orient, entre -70 000 et -60 000. En effet, toutes les populations humaines du reste du Monde, ayant quitté le Moyen Orient dans des directions différentes, portent la même quantité de génome néandertalien. Seule la population africaine est bien moins touchée, précisément parce que la colonisation du Moyen-Orient, lit de noces des deux espèces, est postérieure. Si certaines traces néandertaliennes existent en Afrique, ce n'est qu'en raison de métissage postérieur avec des hommes de retour du Moyen-Orient. Après cette hybridation, tandis qu'Homo Sapiens continue sa route, l'Homme de Néandertal va connaître un sort plus tragique. L'étude des squelettes démontre que, plus le temps avance, plus les traits de l'Homme de Néandertal se font grossiers et caricaturaux : on parle de néandertalisation. Cela s'explique par une importante dérive génétique liée à une restriction de la démographie et à un éclatement géographique des populations néandertaliennes. Ainsi, en raison d'un génome défectueux, la population néandertalienne a baissé et la consanguinité a augmenté, ce qui a aggravé le phénomène de défectuosité. En -37 000, l'Homme de Néandertal disparaît. Mais il continue à vivre en nous, grâce à ce phénomène d'introgression adaptative complexe, et aurait des utilités en terme de résistance à certains pathogènes ou au froid et au faible ensoleillement. Mais cela démontre aussi que le génome peut, dans certains cas, sérieusement dégénérer et que notre génétique est exceptionnelle, puisque nous sommes indéniablement la seule espèce Homo à avoir perduré. Lors de sa conquête postérieure de l'Asie, Homo Sapiens va également s'hybrider avec l'Homme de Denisova, à un point tel que certaines populations de Nouvelle-Guinée ou Aborigènes détiennent 6% de ce génome. Les populations tibétaines doivent à cet homme mystérieux, dont on a découvert très récemment des restes dans l'Altaï Sibérien à la frontière mongole, une faculté à mieux respirer en altitude et même à un taux de mortalité infantile en montagne trois fois inférieur à celui de la Chine Continentale. Comme Néandertal, l'Homme de Denisova est un lointain cousin, plus pur encore, descendant de l'Homo Erectus africain exilé il y a longtemps. En revanche, malgré cette tendance à coucher avec d'autres espèces, nous ne nous sommes pas hybridés avec l'autre hominidé bien connu de l'Île de Florès : ces hommes, qui habitaient cette petite île indonésienne il y a 50 000 ans, n'ont laissé aucune trace dans notre génome alors même que nous avons très certainement croisé leurs routes. Ces petits hommes, que des archéologues avaient confondu avec des trisomiques, descendaient directement eux aussi d'Homo Erectus et présentaient une taille infime, 1 mètre 20, en raison du nanisme insulaire. Ces phénomènes de nanisme ou de gigantisme insulaire sont des exemples magnifiques de dérive génétique dans des groupes restreints isolés sur une île. Tout à coup, les mutations s'affolent et les tailles augmentent fortement ou diminuent de la même manière, sans utilité particulière et sans pression de prédateurs ou de famines. Fait intéressant : les Sapiens habitant aujourd'hui l'île de Florès, et qui n'ont jamais croisé l'Homme de Florès, sont eux aussi atteints de ce nanisme et présentent une singulière petite taille. 

L'étrange colonisation de l'Australie.

On sait qu'à partir de -60 000 ans, une partie des populations postée au Moyen-Orient et qui venait de copuler gaiement avec l'Homme de Néandertal s'en va vers l'Europe. L'autre moitié prend plutôt la route vers l'Asie et se métisse avec l'Homme de Denisova. Pourtant, certains éléments troublants viennent jeter des doutes sur ce scénario là. En effet, certaines populations anciennes asiatiques ne semblent pas avoir de lien avec ces migrations pour des raisons d'apparence ethnique. Il en va ainsi des Aborigènes du Bush Australien ou des Negritos, ces populations qui longent la mer d'Andaman vers la Papouasie Nouvelle Guinée. Il faut dire que l'ethnie de cette population là tranche vigoureusement avec les Asiatiques tels que nous les connaissons aujourd'hui. Les Aborigènes et les Negritos sont noirs de jais, de petite taille et ressemblent de manière troublante aux Africains originels, voire d'une certaine manière à des Pygmées. Par exemple, la très célèbre île de la Sentinelle, au large de l'Inde dans la Mer Andaman, connue pour abriter encore aujourd'hui des peuplades anciennes et décochant leurs flèches sur tout étranger venant s'échouer sur leurs côtes, particulièrement les missionnaires évangélistes, est assez révélatrice de cela : les hommes observés sont très noirs, petits et évoquent les populations de chasseurs cueilleurs africaines actuelles. Ces hommes là, que l'on retrouve sur les îles de la Mer Andaman, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et surtout en Australie sous le nom d'Aborigènes, sont-ils les mêmes que ceux qui donnèrent naissance aux populations asiatiques actuelles ? Ou sont-ils partis bien avant, éventuellement directement d'Afrique ? Il a fallu attendre 2011 et le travail d'une équipe de chercheurs danois, mené par Eske Willerslev, un paléogénéticien de l'Université de Copenhague, sur de l'ADN aborigène australien. Les deux résultats de l'étude sont stupéfiants : les populations aborigènes se séparent des populations africaines en -70 000, soit exactement en même temps que les populations Sapiens ayant émigré au Moyen-Orient. Plus surprenant encore : les Aborigènes australiens et les Negritos présentent également 2% d'un ADN néandertalien. Le résultat est donc sans appel : ces populations sont parties en même temps que les autres vers l'est et l'Asie. Elles ne sont pas parties avant mais bien exactement en même temps. Leurs ancêtres ont bien quitté l'Afrique en -70 000, se sont hybridés avec Néandertal au Moyen-Orient jusqu'en -60 000 et ont migré vers l'est pour atteindre l'Australie vers -50 000. L'apparence n'a donc aucune incidence sur le fait que ces hommes sont liés aux populations asiatiques actuelles. Pour atteindre l'Australie très lointaine, ces hommes longent les côtes indiennes par l'intérieur des terres et non par cabotinage comme on le pensait. Ils rencontrent alors l'Homme de Denisova et s'hybridèrent à une très forte dose puisque les Aborigènes partagent 6% de leur génome avec Denisova. Quand ils approchent de l'Australie, l'Océanie est entourée d'un Océan moins profond et porte d'autres noms. Pendant 100 000 ans, l'Australie, la Tasmanie et la Nouvelle-Guinée ont formé un continent unique : le Sahul. Il est possible d'atteindre le Sahul depuis l'Asie en traversant une zone océanique de 30 à 50 kilomètres. Voyager d'île en île est absolument possible malgré des courants contraires. Cela prouve quelque chose d'extraordinaire : les ancêtres des Aborigènes ont colonisé l'Australie par la navigation volontaire en sachant pertinemment où ils se rendaient à l'aide de pagaies. Il ne s'agissait aucunement d'un accident. De la même façon, la diversité génétique des Aborigènes témoigne d'un nombre très important de colons et non de quelques individus isolés. Cette vague majeure de peuplement va se répandre dans l'ensemble de l'Australie. Ce n'est qu'en -20 000 qu'un immense réchauffement provoque la formation d'un désert au centre de l'Australie et isole les populations sur les côtés sans contact entre elles. C'est exactement pour cela qu'aujourd'hui, on constate une différence génétique importante entre les populations du nord, de l'est, de l'ouest et du sud de l'Australie. En -9 000, la montée des eaux isole définitivement l'Australie et sépare les îles. Ces populations aborigènes et les Negritos sont donc une émanation plutôt solide des hommes préhistoriques les plus anciens. Ils en disent certainement beaucoup de nous. Restés isolés des millénaires, ils goûteront bientôt aux incursions européennes et à la barbarie de l'Etat Australien. 

L'installation des Homo Sapiens en Europe. 

En -40 000, soit 10 000 ans après la colonisation de l'Asie et de l'Australie, les premiers hommes arrivent en Europe, à l'époque marquée par une intense glaciation et des forêts immenses. Il est d'ailleurs difficile de déterminer si ces Sapiens viennent directement du Moyen-Orient ou s'ils ont procédé à un détour par l'Himalaya et l'Asie Centrale, comme le laisseraient présager de nouvelles études dans l'Altaï. Quoiqu'il en soit, des premières traces sont trouvées en Italie en -40 000, en Roumanie entre -40 000 et -35 000, et en France en -30 000. Exactement comme le sont encore aujourd'hui les Pygmées, les Khoe-San ou les Inuits, l'ensemble de ces hommes sont des chasseurs cueilleurs. Evelyne Heyer compare le mode de vie pygmée et les traces des cultures du Paléolithique. Il existe par exemple une véritable culture pygmée et des modes de vie, notamment au niveau des techniques de chasse ou de pêche, semblables. Pourtant, malgré cette culture commune, ces petits groupes de pygmées vivent séparément les uns les autres dans des petits groupes de 100 à 300 personnes maximum, dans une démocratie relative et sans chef déterminé, se partageant égalitairement les produits de la cueillette et de la chasse. Surtout, alors même que les langues pygmées se ressemblent, les groupes restent hermétiques et se reproduisent dans une endogamie très forte. Or, on le sait, dans un petit groupe restreint, les mutations génétiques se propagent plus rapidement et se multiplient : c'est la fameuse dérivé génétique. Tandis que les groupes pygmées vivent séparément les uns des autres génétiquement, les traits culturels restent communs. Evelyne Heyer démontre ici qu'il n'existe aucune corrélation, particulièrement chez les chasseurs cueilleurs, entre culture et génétique. Et bien, c'est exactement la même chose en -40 000 en Europe. Les hommes nomades vivent dans les steppes froides par groupe restreint et ne s'échangent que rarement des gènes. On voit d'ailleurs une différence génétique extrêmement radicale entre l'Ouest et l'Est de l'Europe alors même que la culture paléolithique, avec son art pariétal si caractéristique et ce qui semble devenir des traits culturels communs, est la même pour tous les hommes. Ici, donc, la règle est claire : la génétique ne suit pas la culture. Ainsi, l'apparence physique d'un Européen nomade de l'ouest est très éloignée de ce que l'on imagine : les hommes ont la peau sombre, voire noire, et des yeux d'abord noirs, puis bleus à la suite d'une mutation en -40 000. Ainsi, un voyage dans le temps serait assez impressionnant pour certains fascistes bien connus : ils tomberaient sur des ancêtres noirs aux cheveux crépus et aux yeux verts. La déception serait très grande. Globalement, les ouest-européens sont restés noirs très longtemps. En 2018, l'étude au Royaume-Uni de l'Homme de Cheddar, ayant vécu il y a 9 100 ans, et notamment de son taux de mélanine, témoigne que celui-ci avait une couleur de peau très basanée. Cela a été confirmé par l'étude de résines maculées de salive trouvées au Danemark datant de - 5700. La conservation de la peau noire, dans un contexte climatique où la vitamine D est peu assimilable (alors même que la peau noire est justement adaptée aux endroits très ensoleillés pour protéger la peau des rayons UV), s'explique aussi par l'alimentation riche en vitamine D des populations de l'époque. A titre de comparaison, les Inuits du Groenland, par leur consommation importante d'oléagineux, conservent une teinte de peau brune alors même qu'ils vivent dans un environnement ontologiquement peu ensoleillé. Aussi, si la vitamine D est apportée par le biais de l'alimentation, la synthétiser par la peau n'est pas forcément très utile. Pourtant, petit à petit, les gènes SLC24A5 et SLC45A2, très importants dans la couleur blanche de la peau européenne, commencent à se diffuser très lentement depuis l'est de l'Europe, près du Moyen-Orient, dès -23 000. Petit à petit, par l'effet classique de la sélection naturelle et sexuelle, les hommes du Paléolithique vont blanchir, même si la séparation génétique des populations fera que ce "blanchiment" sera extrêmement tardif pour les nomades chasseurs cueilleurs de l'Ouest. Jusqu'en -6000, les Européens de l'Ouest restent basanés aux yeux bleus contrairement aux Européens de l'Est ayant la peau claire et les yeux bruns. En -10 000, les cheveux roux commencent également à être fréquents à l'ouest en raison de la prolifération du gène MC1R codant l'intégration de la phéomélanine. Pourtant, la mutation de ce gène existait a minima depuis -50 000 et même depuis -100 000. Ce gène est également retrouvé chez les Néandertaliens. Quoiqu'il en soit, petit à petit, ces nouvelles caractéristiques (yeux bleus, cheveux roux ou blonds, peau claire) se répandent par le jeu de la sélection naturelle et sexuelle chez les Européens. Des phénotypes bien particuliers commencent à se construire et à voir le jour malgré cette séparation encore nette des deux Europes de chasseurs cueilleurs. Ces populations là, avant -10 000, représentent le tiers de notre génétique avant que des bouleversements viennent renverser la table en Europe. 

La deuxième colonisation asiatique. 

En -40 000, alors que Sapiens découvre la neige et les forêts européennes, il semble qu'un autre groupe d'hommes venant du Moyen-Orient se dirige de nouveau vers l'Asie pour ce qui est considéré comme une seconde vague massive de colonisation. Cela se déroule entre 20 000 et 10 000 ans après la colonisation des Aborigènes. Pourquoi est-on persuadé qu'il existe une deuxième vague de peuplement bien postérieure à la première déjà décrite plus haut ? En effet, les différences de génétique entre Européens et Asiatiques est plus faible que la différence génétique entre l'ensemble de ces deux populations et les Aborigènes d'Australie. Cela signifie que la séparation entre les populations européennes et asiatiques actuelles est plus tardive. Les ancêtres des Negritos et des Aborigènes se séparent en effet de la population générale en -60 000 et la deuxième vague de peuplement, les ancêtres de la population asiatique contemporaine, en -40 000. Autre élément démontrant cette réalité : tandis que les Aborigènes présentent 6% de génome en commun avec l'Homme de Denisova, les populations asiatiques actuelles en sont beaucoup moins porteuses, ce qui signifie qu'elles ne se sont pas reproduites avec lui. De fait, il est donc fort probable que la deuxième vague de peuplement, plus importante que la première, s'est installée et métissée avec les descendants de la première vague, plus vieille de 20 000 ans, reprenant un peu du génome dénisovien par assimilation aux populations autochtones. Cela explique aussi peut-être les différences physiques moins marquées entre Européens et Asiatiques comparées au type "africain" des Aborigènes océaniens. Autant le chemin des ancêtres des Aborigènes est connu, autant celui de cette vague l'est beaucoup moins. Il y a une sorte de flou artistique sur le chemin emprunté par ces Sapiens pour peupler toute l'Asie. Tout ce que l'on sait est que l'Asie Centrale, par sa diversité génétique, est un des points clefs pour le comprendre. Cette zone, située à cheval entre la Russie, le Kazakhstan, la Chine et la Mongolie, en Sibérie du sud surplombée par les Monts de l'Altaï, a fait l'objet de deux théories contradictoires. Ainsi, l'étude des chromosomes Y a laissé penser à des chercheurs en 2001 que l'Asie Centrale est une zone source depuis laquelle les deux vagues de peuplement, en direction de l'Europe à l'Ouest et de l'Asie à l'est, sont parties. A l'inverse, l'étude de l'ADN mitochondriale préfigurait l'inverse, comme si l'Asie Centrale était une zone de rencontre entre les deux vagues de peuplement. Evelyne Heyer a notamment étudié la génétique de cette zone où se rencontrent deux types d'ethnie : les ethnies anciennement nomades de langue türk situées en Ouzbekistan (à ne pas confondre avec les Turcs, qui parlent certes une langue türk mais sont ethniquement des moyen-orientaux) et les ethnies d'agriculteurs/éleveurs iraniens vivant par exemple au Tadjikistan. Génétiquement, ces deux populations ont encore une génétique extrêmement distincte. Surtout, Evelyne Heyer a découvert, avec ses équipes, que l'Asie Centrale n'était ni une zone source ni une zone de contact. Elle se révèle plutôt être une zone de passage et, de manière incroyablement surprenante, de l'est vers l'ouest, comme si le peuplement de l'Europe, ou tout du moins une grande partie de celui-ci, s'était fait depuis l'Asie, et ce entre -40 000 et -25 000. Les données scientifiques restent encore une ébauche mais l'autrice subodore la possibilité d'un contournement de l'Himalaya par ces populations proto-européennes. Quoiqu'il en soit, en -40 000, le Monde est quasiment entièrement foulé par les Sapiens, à l'exclusion (peut-être) de l'Amérique et du Pacifique.

La découverte de l'Amérique et le mystère des traces archéologiques fantômes. 

La richesse extraordinaire des peuplades amérindiennes qui a fait le bonheur des plus grands ethnologues ne doit pas nous faire oublier que le continent américain a été peuplé postérieurement aux autres continents. En tout cas, il s'agit là de la théorie la plus académique. Classiquement, trois grandes théories sur l'origine des Amérindiens ont été avancées par les chercheurs. La première est que l'Amérique a été conquise par des populations européennes paléolithiques par la mer. On a même un temps avancé que les Basques avaient conquis le Brésil, c'est dire. La deuxième, audacieuse, a été que l'Amérique a été explorée depuis l'Océanie. La troisième est que le point de passage s'est déroulé par le Détroit de Béring gelé depuis la Sibérie. L'archéologie et la génétique confirment la véracité de la seule troisième théorie. Entre -20 000 et -15 000, des populations asiatiques ont traversé le détroit gelé reliant la Russie et l'Alaska pour s'installer en Amérique du Nord, puis en l'espace de 5 000 ans, migrer vers le Sud de l'Amérique, dans l'Amazonie et jusqu'à la Terre de Feu, en suivant les côtes et les canyons. Jamais un peuplement n'avait été aussi rapide sur une aussi longue distance. L'anthropologie avait déjà confirmé qu'il existait des similitudes troublantes entre les peuples sibériens et les peuples amérindiens. Mais c'est désormais la génétique qui rapproche ces deux populations. L'étude du génome est très claire : il n'a pas pu y avoir de Sapiens ancestraux en Amérique avant la date de -20 000.  Et pourtant, des découvertes récentes ont tout remis en question. On découvre notamment au Brésil, à Serra da Capivara, des outils rudimentaires datant de -22 000. De manière bien plus spectaculaire, on découvre au même endroit un charbon de bois taillé datant de -46 000 ans. Il y aurait donc eu une forme de vie hominidé en Amérique, et vraisemblablement Sapiens, 26 000 ans au moins avant la traversée du Détroit de Béring. Là encore, la génétique est en décalage avec l'archéologie. Soyons clairs : cela ne signifie pas que les études génétiques ont été mal faites. Cela signifie surtout que les individus présents en Amérique en -46 000 ou en -22 000 n'ont pas mélangé leurs génomes avec les populations arrivées en -20 000. Elles n'ont pas laissé de descendants et ne sont donc pas à proprement parler nos ancêtres. Surtout, l'absence radicale de squelettes ou de sépultures découvertes datant d'avant la période classique tend à confirmer la thèse du peuplement accidentel, à savoir des débarquements en Amérique de quelques individus à peine. Les choses passionnantes peuvent alors commencer : il est probable que ces peuplements accidentels très précoces aient eu lieu, non pas depuis la Sibérie ou l'Europe, non encore peuple en -46 000, mais depuis l'Afrique de l'Ouest, notamment par embarcation. Ainsi, des pécheurs africains auraient pu être transportés par les courants jusqu'aux rives brésiliennes. Peut-être même que certaines de ces expéditions étaient volontaires. Ce qui est sûr, c'est qu'elles n'ont pas été génétiquement fructueuses puisqu'aucun Amérindien ne descendait d'autres populations que celles arrivées depuis le Détroit de Béring en -20 000, voire plus probablement en -15 000. Pour autant, les mutations génétiques de ces populations sont absolument fascinantes et ont laissé présager d'autres ascendances : ainsi, les populations de la Terre de Feu, comme les Selknams, les Yagans ou les Alakalufs, ont acquis la possibilité de plonger en eau profonde à 5° celsius, par pure acclimatation à l'environnement. Pourtant, malgré les croyances scientifiques, ces populations ont un génome tout à fait comparables aux autres tribus amérindiennes. Certaines populations des Andes ont également développé des résistances à l'arsenic, en raison de la présence de ce métal toxique dans certaines sources d'eau douce. Plus mystérieux a été celui d'un peuple amazonien brésilien : les Botocudos. Ces populations consomment de la patate douce, un met originaire de Polynésie, mais détiennent également dans leur ADN une partie du génome polynésien. Cela peut signifier qu'il y a bien eu des peuplements de l'Amérique par la Polynésie. Toutefois, les recherches récentes démontrent que ce génome polynésien est apparu dans le génome des Botocudos en même temps que l'arrivée des Portugais au XVème siècle, qui transportaient également quelques individus polynésiens. Décidément, la génétique est têtue : les Amérindiens viennent bien de Sibérie. Certainement pas d'ailleurs, même dans nos rêves les plus fous. En revanche, là où le génome amérindien a péché, c'est par sa non résistance aux pathogènes européens. 90% de la population amérindienne disparaîtra à l'arrivée des Portugais et des Espagnols dans le Nouveau Monde. Un véritable crime contre l'Humanité décimera l'une des populations les plus fascinantes d'un point de vue anthropologique et génétique, conduisant aujourd'hui à une raréfaction du génome amérindien qui survit dans les populations américaines actuelles à très faible dose. Quelques tribus ont su préserver leurs spécificités mais ont du affronter le racisme, l'alcoolisme et l'industrialisation qui ont détruit leurs environnements naturels. Au Brésil, en Amazonie, les peuplades amérindiennes encore originelles, si tant est qu'elles le soient totalement, sont massacrées impunément par des milices à la solde des exploitants de la forêt. Ces faits sont proprement impardonnables. 

La Révolution Néolithique.

Le Néolithique est une période historique qui commence caricaturalement en l'an -10 000. Cette période dite de la "pierre nouvelle" en référence aux pierres polies découvertes sur de nouveaux terrains d'exploration archéologique est la plus grande révolution humaine au sens de changement de paradigme complet. Ce qui se transforme radicalement à cette période, outre un réchauffement climatique conséquent conduisant à la déglaciation du Nord de l'Hémisphère, c'est l'invention de l'agriculture et de l'élevage. Cette période extraordinaire va bouleverser profondément l'ensemble de l'Humanité pour le meilleur et pour le pire, mais surtout sur le plan génétique. Jusque là, l'ensemble de la population humaine vit de la chasse, de la cueillette et de la pêche. Ils travaillent ainsi entre trois et quatre heures par jour. Surtout, les Hommes sont nomades et ne s'établissent nulle part en particulier, suivant principalement le gros gibier, notamment le mammouth en Europe, et les floraisons saisonnières. Petit à petit, sans brusque changement, et de manière asynchrone mais déconnecté dans diverses parties du monde, les hommes se mettent à cultiver des végétaux. Il faut s'enlever de l'esprit l'idée que cela s'est fait d'un coup, du jour au lendemain, et que les hommes ont cessé d'être des chasseurs cueilleurs nomades à la minute de la découverte du blé. En réalité, il est fort probable que la découverte selon laquelle des graines donnent des nouvelles fleurs soit ancienne, à un point tel que certains chimpanzés connaissent eux-mêmes cette propriété. Ensuite, on sait très bien qu'en Amazonie, des peuplades nomades s'adonnaient ponctuellement à la plantation d'arbres ou de tubercules. Progressivement, entre -20 000 et -10 000, le climat se réchauffe et la faune impressionnante des gros mammifères, les mammouths et les rennes, se retirent vers le Nord. L'épaisse croûte de glace se fendille et la terre devient fertile. L'Homme commence donc à manger des céréales et ne s'en passera plus. Il élève également un certain nombre d'animaux et utilise des récipients afin de conserver des stocks de nourriture. Les cultures ne sont évidemment pas les mêmes partout et l'Europe est d'ailleurs plutôt en retard sur le reste du monde en terme agricole. Sur le Fleuve Jaune de Chine, le millet commence à être cultivé. Sur le Fleuve Bleu, c'est plutôt le riz. Le maïs est découvert en Amérique Centrale, la tomate dans les Andes, les pommes de terre en Amérique du Sud, l'aubergine et le concombre en Equateur, la banane et le taro en Nouvelle-Guinée, le sorgo en Afrique et en Inde, la pomme, la noix et l'abricot en Asie Centrale. C'est au Moyen-Orient que les premières céréales sont domestiquées en même temps que les pois, les lentilles, les chèvres, les moutons, les vaches et les cochons. Petit à petit, en raison de l'apport nutritif régulier des céréales, l'être humain n'ose s'en débarrasser et s'attache donc à la sédentarité productive qui nécessite pourtant deux à trois heures de travail journalières de plus. Davantage à la merci de la famine, il est également attaché à une terre et y revient régulièrement pour ses cultures. En même temps que ce réchauffement climatique et ce nouveau mode de production, la démographie augmente radicalement partout au début du Néolithique, notamment au Moyen-Orient dans lequel les premiers centres urbains apparaissent, comme à Jéricho en Cisjordanie ou à Tell Qaramel en Syrie. La grande question, pas si bête à se poser, est alors la suivante : est ce l'agriculture qui a permis cet accroissement démographique gigantesque ? Ou à l'inverse, l'accroissement démographique a-t-il permis l'avènement de l'agriculture par nécessité ? La génétique a là encore une réponse grâce à l'étude des ancêtres communs qui permet de dater, par l'étude du génome, les moments d'accroissement important de la population. Le résultat est sans appel : l'accroissement démographique humain précède l'agriculture de un à deux millénaires. Toutefois, l'agriculture a conféré à ceux qui la pratiquent un nouvel avantage démographique, si bien que la population a encore augmenté après son avènement. La première grande croissance humaine serait donc avant tout lié au climat. Ensuite, la présence de nombreux individus a permis la mise en place de cultures exigeantes nécessitant du travail nécessaires pour nourrir l'ensemble de la population. Cette révolution n'est pas sans conséquence : les Sapiens sont davantage abîmés par le travail et sont plus soumis aux aléas climatiques pour se nourrir. Leur taille s'en voit réduite et l'état de leur squelette, et notamment de leurs dents gâtées, démontre des problèmes sanitaires majeurs. En effet, l'être humain, qui se regroupe dans des villes en grand nombre, davantage fatigué et parfois moins bien nourri, est aussi sujet à de nombreuses épidémies. On voit également apparaître dans ces villes des organisations hiérarchiques de pouvoir et donc des différences en matière de statut des tombes, entre les notables et les plus faibles. La violence, également, semble être plus fréquente. Bref, l'Humanité change du tout au tout, et surtout, elle se fige sur des territoires précis, ne se permettant plus de suivre le gibier au petit bonheur la chance. Il faut aussi pointer un mystère : pourquoi l'agriculture, pourtant moins sûre que la chasse ou la cueillette, provoque-t-elle un boom des naissances supplémentaires ? Les femmes chasseuses cueilleuses sont tout aussi fertiles et bien nourries, voire mieux que les femmes sédentaires. Là encore, aucune théorie n'est satisfaisante. Peut-être que le travail des champs nécessite-t-il plus de bras ou qu'un changement culturel impose des naissances supplémentaires aux femmes à cette période.  Il n'empêche que ces deux accroissements démographiques, l'un avant l'agriculture et l'autre après, recèlent encore des mystères extraordinaires. 

Ainsi donc, en -10 000, l'agriculture, l'élevage et la poterie apparaissent au Moyen-Orient, dans le Croissant Fertile et notamment en Anatolie, dans l'actuelle Turquie. Ces pratiques arrivent en Europe à partir de -6000 depuis la Turquie en suivant deux voies. L'une traverse les Balkans, longe le Danube jusqu'en Allemagne et en Belgique, puis dans le Bassin Parisien. L'autre longe la rive sud de la Méditerranée jusqu'en Espagne et remonte toute la France jusqu'à l'Angleterre. Les archéologues constatent donc des poteries et des traces d'agriculture dans l'ensemble de toute l'Europe à la façon anatolienne. La grande question a été la suivante : cette pratique était-elle une simple transmission culturelle qui voyage sans personne, presque de bouche à oreille ? Ou est ce que l'agriculture a été transportée par des Hommes venus d'Anatolie qui ont apporté leur mode de vie dans leur migration ? La génétique a encore là répondu à la question. Les squelettes d'agriculteurs du Néolithique sont plus proches des Anatoliens de l'époque que des chasseurs cueilleurs précédents. Ainsi, il y a bien eu un mouvement massif de population ayant apporté avec elle un nouveau mode de vie et venant remplacer les populations antérieures de chasseurs cueilleurs. Mais petit à petit, plus le Néolithique avance, plus les différences entre agriculteurs anatoliens et chasseurs cueilleurs du Mésolithique s'atténuent. Cela signifie que, même tardifs, des accouplements et des reproductions ont eu lieu. En bref, d'abord timide, le métissage fut ensuite franc et massif entre chasseurs cueilleurs originaux, Noirs aux yeux bleus, et agriculteurs anatoliens, Blancs aux yeux marrons. Ce métissage massif et le changement radical d'alimentation, qui perd énormément en vitamine D car tout à coup centré sur les céréales, met fin à la prédominance de la couleur noire en Europe et préfigure la blancheur généralisée, par l'effet des reproductions successives, qui finit par l'emporter. Ce n'est toutefois pas la seule mutation à sortir gagnante de la sélection naturelle et sexuelle. Ce sera également le cas de la tolérance au lactose qui apparaît en Europe à partir de -6500 et de la consommation massive, par des pasteurs, de lait frais et de fromages. On le sait, seuls les Européens actuels, à hauteur de 80%, parfois 90% dans le Nord, ont ce score de tolérance anormale au lactose. Les Chinois n'ont qu'une tolérance de 10%. Ainsi, en temps normal, quand un être humain boit du lais frais, il ne le digère pas. Cela ne veut pas dire qu'il vomira automatiquement en en buvant mais qu'il ne vaut mieux pas forcer sur la boisson au risque de vives douleurs, de gaz et de diarrhées. En effet, à l'âge adulte, l'enzyme appelée lactase qui permet aux enfants de digérer le lait, en transformant le lactose en glucose et en galactose, est censé arrêter de fonctionner. Certains Européens ont subi une mutation sur cette question et celle-ci, par l'effet de la sélection naturelle, s'est répandue en Europe dans une optique d'alimentation lactée. Cette sélection naturelle est qualifiée de bioculturelle, car elle s'appuie sur un changement culturel ayant provoqué un changement génétique par sélection sociale. Aujourd'hui, en Asie Centrale, on constate que les éleveurs ont une tolérance au lactose (25%) plus grande que les agriculteurs. Pourtant, elle reste en comparaison avec l'Europe très faible. En effet, les populations d'Asie Centrale consomment du lait fermenté et non du lais frais. Or, consommer un yaourt rempli de bio organismes ou un fromage rempli de bactéries fermentant le lactose rend inutile l'utilisation de la lactase. Nos ancêtres buvaient donc réellement du lait cru et ne le cuisinaient pas spécialement. A côté de l'Europe, on constate au Moyen-Orient que les trois grands groupes d'agriculteurs sont très distincts génétiquement : les Anatoliens (ayant colonisé l'Europe), les Libanais et les hommes du Zagros. Malgré des pratiques communes, ces trois groupes ne se sont pas métissés. En revanche, les hommes du Zagros ont colonisé et se sont métissés massivement avec les populations de l'Afghanistan, du Pakistan ou de l'Inde, tout en leur apprenant les méthodes agricoles. Bref, le schéma européen s'est répété vers l'Asie Centrale de l'Est. 

Mais comment se sont exactement déroulés les rencontres et les métissages entre nomades chasseurs cueilleurs et agriculteurs sédentaires ? En Europe, on l'a vu, elles ont d'abord été extrêmement timides puis se sont tellement généralisées ensuite qu'elles ont donné naissance à un phénotype nouveau, dont on sait qu'il a généralisé la couleur blanche et les yeux marrons. Cela s'est produit également vers l'Asie Centrale. Pour autant, cela ne dit pas de quelle manière ces unions se sont déroulées. Ont-elles été pacifiques ? Y'a-t-il eu des enlèvements de populations de femmes ? Des viols ? Quel groupe a dominé l'autre ? Les échanges ont-ils été vraiment fructueux des deux côtés de la barrière ? Un exemple est ici particulièrement éclairant. On le sait : l'Afrique était composée de l'ouest vers l'est de nombreux Pygmées, des hommes noirs de petite taille, vivant dans la forêt équatoriale, des chasseurs cueilleurs comparables aux hommes du Paléolithique sur de nombreux points, notamment par leur substrat culturel et linguistique commun doublé d'une forte endogamie provocatrice d'une profonde dérive génétique. La petite taille des Pygmées reste d'ailleurs encore aujourd'hui un mystère. Toutes les théories se sont avérées fausses. La seule chose que l'on sait est qu'elle est liée à la génétique et à de nombreux gènes agissant de concert, et non pas à des facteurs environnementaux. On a par exemple pensé que la petite taille de ces hommes permettait de courir plus vite en forêt et d'y être plus agile. Or, les premiers Européens vivaient également en forêt et présentaient des tailles largement plus élevées. Deuxième hypothèse : la petite taille pygmée aurait permis d'atteindre la maturité sexuelle plus tôt et de se reproduire plus vite. Cela est complètement erroné. Troisième hypothèse : la sélection sexuelle. Les femmes pygmées seraient plus attirées par les hommes pygmées plus petits et auraient favorisé cette reproduction là. Or, l'étude des préférences sexuelles des Pygmées conclut qu'elle est tragiquement la même que pour dans toute l'Humanité : les hommes plus grands ont davantage de descendants que les plus petits. La seule explication encore non vérifiée est celle de la thermorégulation : plus un être humain est petit, plus il peut réguler sa température corporelle. La théorie reste à vérifier. Puis est arrivé un autre peuple depuis le Cameroun, les bantoues. Ces hommes pratiquaient la culture sur brûlis et se sont répandus de l'Ouest de l'Afrique vers l'est, du Gabon au Mozambique. Ils rencontrèrent alors les Pygmées qui émaillaient le territoire et se reproduirent également avec eux. D'un point de vue strictement anthropologique, il est impossible pour un homme Pygmée de prendre une épouse bantoue. En revanche, il est acceptable, contre une dot, de donner une femme Pygmée en mariage à un bantou à condition que la jeune fille quitte ses semblables pour aller vivre avec la famille de son époux. On devrait donc trouver du génome pygmée chez les bantous. Or, la génétique démontre exactement l'inverse : c'est l'ADN bantoue qui se retrouve en masse dans le génome pygmée. Alors pourquoi ? Les bantoues se seraient-ils soumis aux Pygmées ? Auraient-ils été dominés par les Pygmées ? En réalité, l'explication est plus prosaïque. Les femmes pygmées quittaient en effet leur campement pour vivre avec les Bantous mais finissaient souvent par repartir avec ses propres enfants dans son campement natal. Il existait donc des formes de divorces réguliers entre Pygmées et Bantoues. Ces derniers n'arrivaient manifestement pas à se supporter au quotidien et cela explique sans doute pourquoi le génome bantoue se retrouve chez les Pygmées et moins à l'inverse. Et quel effet a donc produit le génome bantoue sur le génome pygmée ? Et bien, les Pygmées ont légèrement augmenté en taille. D'ailleurs, plus un Pygmée a un taux de génome bantou élevé, plus il est grand, preuve indiscutable que le facteur est purement génétique. A l'inverse, les bantous qui présentent quelques éléments génétiques rares pygmées ont acquis une résistance plus forte aux pathogènes. Toutefois, l'inverse est dramatiquement faux. Les Pygmées ont hérité des maladies des agriculteurs à l'image de la drépanocytose, une maladie récessive entraînant la mort des enfants avant cinq ans. Ce gène aurait dû disparaître par la sélection naturelle mais force est de constater que cette malédiction a un avantage comparatif inégalé : il permet en parallèle de résister à la malaria. Le paludisme, porté par les moustiques, a d'ailleurs été renforcé dans les zones de vie des Pygmées par la culture sur brûlis des agriculteurs bantous. Ainsi, les Pygmées se sont retrouvés fortement désavantagés par ces mélanges génétiques contrairement aux Bantous qui disposent d'ethnies, de langues et d'une culture commune de l'ouest à l'est de l'Afrique sans difficultés de santé particulières. Ainsi, cela est riche d'enseignements. Le métissage est globalement une bonne chose, surtout du point de vue de la résistance aux pathogènes, mais il n'est pas toujours profitable pour toutes les populations. Les Pygmées ont payé le prix fort de leur rencontre avec les Bantous. Malheureusement, on manque de données sur la réalité concrète du métissage entre chasseurs cueilleurs européens et agriculteurs anatoliens. L'exemple Pygmée/Bantou devrait pouvoir nous éclairer cependant sur certains éléments. On sait par exemple que le Nord de l'Europe présentait des unions de nomades femelles avec des mâles sédentaires, à l'inverse du sud qui cultivait plutôt les unions inverses. 

Le peuple fantôme et l'Âge du Bronze : la révolution Yamnaya. 

A partir de -3000, un autre peuple provenant du Caucase, depuis l'actuelle Russie, ayant réussi à inventer la roue et donc le chariot, peut-être même à domestiquer le cheval, plus probablement les bovins, déferle sur l'ensemble de l'Europe Continentale de manière extrêmement rapide grâce à cette révolution du transport. Ce peuple, nommé Yamnaya, dont nous ne savons au fond pas grand chose, population accompagnée par des poteries en céramique cordée, et parsemant des dépouilles d'hommes entourés d'arcs recouvertes d'ocres, n'est resté longtemps qu'un peuple fantôme aux yeux des chercheurs. En effet, on le sait, la population européenne de l'époque n'était en théorie que la synthèse de deux génétiques distinctes : celles des chasseurs cueilleurs arrivés en Europe en -40 000 et des agriculteurs anatoliens arrivés petit à petit à partir de -6000. Pourtant, l'étude des populations européennes actuelles démontre que ces dernières divergent beaucoup de la génétique néolithique. En fait, il semble manquer une inconnue pour comprendre la génétique européenne contemporaine. L'étude de la génétique nucléaire nous apprend que nous avons hérité à égalité, à hauteur d'un tiers, des chasseurs cueilleurs originels, des agriculteurs anatoliens et surtout du peuple Yamnaya. Au Nord de l'Europe, le taux est bien plus surprenant puisque le génome des peuplades Yamnaya atteint 60% chez les Norvégiens ou les Lituaniens contre 30% chez les Espagnols ou les Italiens. Fait extrêmement intéressant : alors que l'ADN nucléaire est de fait composé d'un tiers de ces trois haplogroupes, le chromosome Y, qui ne se transmet que par les hommes entre eux, provient à 90% des Yamnaya, ce qui signifie que les femmes issues des peuples autochtones se sont massivement reproduites avec eux. Comment l'expliquer ? Longtemps, les généticiens ont pensé qu'il s'agissait tout simplement d'un signe de viols de masse et d'accaparement, voire d'enlèvements, par les Yamnaya des femmes des peuples autochtones, conduisant à un métissage forcé et à un effacement des anciens hommes. Mais il n'y a jamais eu de traces de massacres massifs datant de cette période, ce qui est incompatible avec un tel comportement. Alors comment est-ce possible ? Les anthropologues en déduisent que d'une manière ou d'une autre, les Yamnaya ont su accaparer, pacifiquement et par l'instauration d'un modèle dont on ne sait en fait rien, peut-être de la polygynie, la capacité reproductrice des femmes issus de ces peuples anciens, conduisant à terme à ce que les Européens disposent aujourd'hui, pour 90% d'entre eux, d'un chromosome venant de ce peuple. Cela est confirmé par l'étude du génome mitochondrial, celui-ci exclusivement transmis par la mère, qui témoigne que pour elles, le métissage des gènes est plus égalitaire. La thèse aujourd'hui avancée est que ce peuple était composé majoritairement d'hommes seuls et que l'esprit de ce peuple était moins paisible que les précédents. Ce que l'on sait avec certitude, c'est que la culture Yamnaya était profondément inégalitaire, en premier lieu parce que leurs tombes laissent à penser que des guerriers, enterrés avec leurs dagues et leurs arcs, avaient un statut plus important qu'une piétaille qui n'avait pas les mêmes honneurs. Certains anthropologues déterminent ainsi la naissance d'une forme plus violente de "patriarcat" à partir de l'arrivée de ce peuple en Europe. Ainsi, après ce métissage, la génétique européenne est restée peu ou prou exactement la même depuis aujourd'hui. A partir d'un génome, nous pouvons déterminer l'origine d'un individu à 500 kilomètres près. On parle de gradient géographique. Mais il existe aussi des incongruités : certaines populations européennes rares n'ont hérité d'aucun génome Yamnaya. Bien au contraire, elles conservent une génétique biface, nomade des origines et sédentaire par l'Anatolie. C'est notamment le cas des Sardes ou des Siciliens. Certains peuples aujourd'hui disparus, à l'image des Etrusques ou des Minoens, situés aux mêmes endroits, présentaient ce même manque. Cela est tellement vrai en Sardaigne que la découverte d'Ötzi, ce corps frigorifié, en 1991 sur la frontière entre le Tyrol Autrichien et l'Italie, va confirmer la théorie. L'étude de son génome relie ce voyageur mystérieux directement aux Sardes, en raison de son absence de gènes Yamnaya. L'Homme du Néolithique d'avant l'Âge du Bronze, à l'image d'Ötzi, est donc plus proche des Sardes que des Européens actuels, profondément marqués par ces gènes venus du Caucase. L'Homme Européen est donc une synthèse parfaite entre le chasseur cueilleur venu d'Afrique, l'agriculteur venu d'Anatolie et le dompteur tout droit sorti du Caucase. Autre bizarrerie : les Basques. Ce peuple, à cheval entre l'Espagne et la France, parle une langue qui n'est absolument pas reliée aux autres langages européens. De la même manière, l'anthropologie du peuple basque dénote également beaucoup en comparaison des populations européennes classiques à de nombreux points de vue. On a ainsi longtemps pensé que les Basques descendaient des premières populations européennes et n'avaient été touchés ni par le métissage avec les agriculteurs moyen-orientaux ni avec les caucasiens. L'étude de leur génome dément absolument ces théories : les Basques ne présentent aucune dissemblance génétique majeure avec le reste de la population européenne contrairement aux Sardes. Leurs spécificités sont donc purement culturelles et leur langue est a priori une invention postérieure à un isolement des autres populations semblables. 

La construction du monde indo-européen. 

Le peuple Yamnaya a donc migré en -3 000 du Caucase vers l'Europe et a largement marqué de son empreinte génétique et anthropologique la population européenne actuelle. Il semblerait que ce peuple soit également parti à l'est du Caucase et notamment vers l'Altaï en Sibérie. Toutefois, si on retrouve sa trace ténue dans cette zone, son génome n'est pas du tout retrouvé en Asie Centrale, comme si le peuple fantôme avait enjambé la zone sans jamais s'y être installé. A la place, une autre population, dite "Botaï", est installée notamment au Kazakhstan et domestique, cette fois de source sûre, le cheval. Il consomme également du lait de jument. A partir de -2 000, une autre population du Caucase, vivant dans les Montagnes de l'Oural, postérieure aux Yamnayas et disposant de quelques traces génétiques européennes, ayant également domestiqué le cheval, déferle sur l'Asie Centrale et se métisse avec la culture Botaï : on parle des Shintashtas. Ce peuple se déplace d'ailleurs tellement loin qu'il atteint le nord-est de l'Inde. Pourquoi cette bougeotte dans la région ? Plusieurs théories ont été avancées. D'abord, en -2 200, une très importante sécheresse frappe le monde entier et bouleverse les civilisations du Moyen-Orient. Des crises sécuritaires et d'immigration frappent l'Egypte Antique et le peuple hittite. Il y a une instabilité grandissante partout dans le monde méditerranéen et un recours plus important à l'élevage y compris en Asie Centrale. Les peuples du Caucase vont donc, en raison de ce mode de subsistance, être plus mobiles. On trouve également des traces d'épidémies comme la peste sur des squelettes retrouvés dans la zone. Or, on sait à quel point cette maladie est source de bouleversements sociaux, y compris démographiques. En tout cas, entre - 3 000 et - 1 500, après la vague Yamnaya puis la vague Shintashta, il existe une certaine homogénéité culturelle qui se traduit notamment par la langue. La chose est très claire depuis longtemps : la quasi-totalité des langues européennes, ouest-asiatiques et indiennes sont reliées par une matrice commune. Cette langue première est nommée la langue indo-européenne. Seuls le basque et le hongrois, voire le finnois, ne sont pas concernés. De ce fait, bien avant la génétique, les chercheurs ont estimé qu'un peuple commun avait colonisé tous ces lieux et transmis leur vocabulaire de base. Deux théories s'affrontent : la première, la plus partagée, est que l'indo-européen est une langue caucasienne, parlée par la culture Yamnaya, transmise en Europe et apportée vers l'Inde par la culture Shintashta. C'est la théorie la plus probable mais il existe des problèmes, notamment le fait que le hittite, langue parlée par des Moyen-Orientaux jamais touchés par les migrations caucasiennes, présente les caractéristiques d'une langue indo-européenne. L'autre théorie, moins partagée, est que l'indo-européen provient en fait d'Anatolie et de la deuxième vague de migration intervenue en -6 000. Enorme problème également : les langues indo-européennes sont parlées dans la vallée de l'Indus, à l'est de l'Iran et même en Sibérie orientale (les fameuses langues tokhariennes), là où les Anatoliens ne sont jamais allés. Ces deux théories ne répondent pas non plus au problème du basque. Surtout, ces explications obéissent à une logique : l'idée que la linguistique suit la génétique. Il est vrai que cela se vérifie quasiment toujours. Toute similitude de langue rend plus que probable la similitude linguistique, et ce pour une raison extrêmement simple : on se reproduit plus facilement avec quelqu'un qui dit "Je t'aime" dans la même langue que soi. Ainsi, encore aujourd'hui, en Asie Centrale, alors que les deux populations sont mélangées radicalement, les personnes de langue türk sont encore distinctes génétiquement des personnes de langue indo-européenne. Mais il existe aussi de rares exceptions : certains peuples parlent des langues complètement détachées de leur origine génétique, à l'instar des Basques. Autre exception de taille : les Turcs. Ces derniers parlent une langue türk mais sont génétiquement des moyen-orientaux et se distinguent des Ouzbeks ou des Turkmènes. Ainsi, cela pourrait résoudre le problème hittite. Certaines langues se propageraient donc en dehors de toute génétique. Les hittites ont parlé une langue par échange culturel. L'exemple de la colonisation européenne en Afrique peut en attester à ce stade : des langues ont été imposées et la reproduction entre colons et autochtones, à l'exception du Congo Belge, a été rare. Quoiqu'il en soit, il ne faut cependant pas oublier que, de manière générale, tout groupe cultivant des ressemblances pratique fortement l'endogamie et provoque des distinctions génétiques dues à la fameuse dérive, même infime au sein d'un même territoire. La langue reste un des critères forts, voire le plus fort, de cette endogamie à égalité avec la religion (l'exemple néerlandais est parfait à ce stade). La théorie la plus probable reste donc la langue caucasienne : le peuple Yamnaya est à l'origine de l'ensemble des langues parlées en Europe, en Iran et en Inde. On ne peut cependant pas en être sûr à 100%. 

De la Polynésie aux Scythes : des nouveaux mélanges génétiques en -1 000. 

Les mouvements de la population humaine continue à provoquer des surprises. En -1 000, la Polynésie, composée d'îles isolées dans l'Océan Pacifique, commence à connaître des peuplements humains. Cela est stupéfiant pour une raison simple : comment ces hommes, avec des moyens maritimes très éloignés des nôtres, et compte tenu du danger immense voire suicidaire d'un tel périple, ont pu atteindre ces îles toutes très lointaines les unes des autres ? Et bien, en pagaie. Et le périple était encore plus dangereux que l'on le pensait. Bien avant la génétique, les archéologues ont remarqué que les populations originaires du Vanuatu pratiquaient la même poterie qu'une culture ancienne située à Taïwan, au large de la Chine, en - 4 000 : c'est la fameuse culture Lapita. Ils en sont donc persuadés : les Polynésiens viennent d'Asie du Sud-Est. Autre certitude : étant donné la longue incroyable du voyage, il est fort probable que les migrants originaires de Taïwan se soient arrêtés en Papouasie-Nouvelle-Guinée, se soient métissés avec eux et ont ensuite entrepris la conquête de la Polynésie. Sauf que cette théorie a été démentie par la génétique après l'analyse des squelettes retrouvées sur le site archéologique de Teouma au Vanuatu. De fait, les migrants d'Asie du Sud Est sont arrivés directement d'Asie, sans passer par la Papouasie. Cela est absolument extraordinaire d'un point de vue de la prouesse technique réalisée. Si les populations actuelles de Polynésie ont un génome constitué d'un mélange entre Asie du Sud Est et Papouasie Nouvelle Guinée, c'est parce que les métissages ont eu lieu bien après. Les populations originaires de Polynésie en -1 000 sont donc purement asiatiques à l'origine. A partir de -1 000, et compte tenu de l'isolement géographique des îles, ainsi que de la difficulté de gestion des ressources, ces populations connaissent une dérive génétique bien connue. Cela permet d'illustrer un autre effet de la dérive : le gène économe. Ainsi, sur l'île de Samoa, 80 % de la population est obèse ou en surpoids. Cela n'est absolument pas lié à des facteurs environnementaux ou culturels. De fait, l'alimentation polynésienne est moins calorique que la nôtre. En réalité, la pénurie ancienne a provoqué une sélection naturelle des mieux portants et de ceux qui stockaient le mieux la graisse. Aujourd'hui, ces gènes perdurent et provoquent le surpoids par un stockage plus important et un métabolisme général plus lent dans l'évacuation des graisses. Il existe donc un gène de l'obésité et même du diabète de type II. Par exemple, on retrouve ce gène dans les populations amérindiennes américaines actuelles plus sujettes à ces maladies. La chose est également une évidence : il existe des transmissions génétiques du surpoids, y compris dans certaines familles occidentales. Bien sûr, une partie immense des problèmes de surpoids et de diabète en Occident sont davantage liés à des facteurs culturels et environnementaux, mais pas seulement. A cela s'ajoute la question fatidique de l'épigénétique : on constate que le surpoids est important chez les enfants directs des populations ayant connu la famine. Cela est dû à une modification du génome du fœtus in utero chez les mères subissant un stress famélique. Fait surprenant : le génome ne se transmet pas du foetus à ses descendants. Quoiqu'il en soit, ces Polynésiens migreront jusqu'à la fameuse Île de Pâques en 1 000. Mais en -1 000, la population de la Polynésie n'est pas le seul évènement d'importance. Une culture issue des Shintashtas, les Scythes, monte à cheval pour la première fois et étend son emprise de la Hongrie à la Mongolie. Cette population très hiérarchisée, vivant dans des kourganes, des tumulus, et particulièrement caractéristique par leurs tombes luxueuses de princes de la guerre et la pratique du pétroglyphe, un dessin symbolique souvent animalier gravé sur des pierres, qui émaille la Route de la Soie et qui est connu pour sa rigueur au combat, notamment à cheval, va infuser sa génétique partout. On en trouve à la fois en Mongolie, en Chine et surtout, en Hongrie. La population hongroise, très connue pour sa langue étrange, est le produit d'un métissage entre Européens et Scythes. Le peuple sarmate, également, dont la mythologie estime qu'il est le produit de l'union des Scythes et des Amazones, descend de la chevauchée scythe. 

Une génétique globalement stable jusqu'au XVIème siècle : des changements à la marge. 

Depuis -1 000, la génétique européenne reste globalement stable sans changement majeur. Elle semble se cristalliser. Au Xème siècle, en Asie Centrale, les Samanides, des iraniens agriculteurs parlant une langue indo-européenne, s'installent et concurrencent les nomades de langue türk. Aujourd'hui encore, les deux populations restent très distinctes génétiquement et ne se marient pas ensemble, préférant parfois voyager à des centaines de kilomètres plutôt que de contracter une union. On le sait, la linguistique suit la génétique. Aujourd'hui, l'Asie Centrale à l'est de l'Iran est divisée entre les pays suivants : le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. Certains pays sont majoritairement türks comme les Ouzbeks ou les Turkmènes, et d'autres sont majoritairement iraniens, comme les Tadjiks. Leurs rivalités, voire leurs haines, ont beaucoup joué dans l'histoire de cette région, à l'image de la rivalité entre Albanais, descendants de populations européennes illyriennes antiques, et Serbes, slaves d'ascendance caucasienne. A cette période, l'autre histoire de migrations est indéniablement l'histoire juive. Aujourd'hui, les Juifs sont très divers génétiquement et se décomposent globalement en cinq groupes : les Mizrahis, juifs moyen-orientaux, les Sépharades, juifs d'origine espagnol lointaine, les Ashkénazes, juifs d'origine centre européenne, les Yéménites et les Romaniotes. Il existe même des Juifs Africains, mais cela est davantage lié à une transmission culturelle que génétique. La grande question a longtemps été celle-ci : les Ashkénazes, Juifs Européens particulièrement victimes de la Shoah, proviennent-ils réellement du Moyen-Orient ou sont-ils le fruit d'une conversion au Xème siècle effectuée pour des raisons politiques ? Les différences ethniques, linguistiques et historiques pouvaient plaider en faveur de cette thèse. Pourtant, la génétique a là encore parlé : les Ashkénazes ont bien des origines moyen-orientales. Ils descendent donc au moins en partie des populations présentes en Judée lors de l'Exode. Toutefois, les Ashkénazes se sont massivement métissés avec les populations européennes. Fait surprenant : l'étude de la population juive de Boukhara démontre que la transmission génétique juive, contrairement à ce que laisse entendre la tradition hébraïque, se fait plutôt par le père que par la mère, souvent d'un groupe ethnique différent. Il ne faut cependant pas généraliser : les Juifs de Boukhara sont peu nombreux et font partie d'une communauté juive isolée en Ouzbékistan. Autre phénomène : les migrations vikings. Ces populations ne sont pas si semblables et représentent des Scandinaves mais également des Gaéliques, à savoir des Irlandais ou des Ecossais. La colonisation de l'Islande au Xème siècle est intéressante car elle montre un double phénomène génétique. D'abord, les Scandinaves ont nettement pris le pas sur les Gaéliques, particulièrement dans la lignée paternelle, sans doute parce que les Gaéliques étaient majoritairement des esclaves. Ensuite, compte tenu de sa petite taille et de son isolement, la population islandaise a connu une dérive génétique extrêmement forte qui fait qu'elle est unique aujourd'hui et bien distincte des populations scandinaves ou gaéliques actuelles. Mais le phénomène le plus intéressant se déroule en Asie Centrale au XIIème siècle. Gengis Khan, à la tête de sa cavalerie mongole, déferle et construit l'Empire le plus grand jamais créé. Génétiquement, cela donne des résultats spectaculaires. Ainsi, on estime que 10% de la population d'Asie Centrale actuelle a hérité du chromosome Y d'un des membres de la cavalerie du Mongol (et la presse a d'ailleurs répandu l'idée folle qu'il s'agissait de celui de Gengis Khan lui-même). Cela signifie que la reproduction des cavaliers avec la population locale a été massive mais que cet avantage reproductif social s'est transmis sur plusieurs générations par l'instauration d'un système patrilinéaire particulier très présent en Mongolie. Elle met en valeur un phénomène important : le statut social joue également dans la génétique transmise. Surtout, on découvre que le système est également patrilocal. La génétique mongole témoigne du fait que les femmes voyagent et sont arrachées à leur environnement familial. On retrouve le phénomène exactement inverse chez les Maoris de Nouvelle Zélande : le système y est plutôt matrilocal. 

Le choc du Nouveau Monde : extinction génétique et créolisation. 

L'un des plus grands bouleversements génétiques récents est évidemment la découverte par les Européens des autres continents. On sait que 90 % des populations amérindiennes disparaissent en raison du choc pathogène causé par la rencontre avec les Espagnols et les Portugais mais également en raison des violences exercées par les colons et l'exploitation de la main d'œuvre dans les mines d'or. Aujourd'hui encore, les populations amérindiennes souffrent de stigmatisation, de la destruction de leur milieu de vie et de leur culture ainsi que de la dépendance à l'alcool, particulièrement en Amérique du Nord. Pour autant, la génétique amérindienne persiste à vivre en nous, et ce particulièrement dans l'Amérique hispanophone. Ainsi, au Mexique, quasiment 100 % de la population possède une trace du génome amérindien dans son ADN. L'autre conséquence est naturellement le déplacement du génome européen sur ces nouveaux lieux. On estime que trois millions d'Européens uniquement se sont déplacés en Amérique à cette période. Or, cela pose également des problèmes importants et Evelyne Heyer le démontre avec l'exemple de la population québécoise. Au XVIème siècle, une poignée de colons français débarquent au Québec et s'installent en Nouvelle-France. La politique initiée par la monarchie française est celle du peuplement par ces pionniers. Ces hommes sont des jeunes artisans urbains en quête de richesse. Les femmes, elles, sont pour la plupart des "filles du Roy", à savoir des orphelines destinées à peupler cette riche contrée. Les hivers québécois étant pour le moins rigoureux, les maladies infectieuses sont de ce fait plus rares. La mortalité infantile est donc mystérieusement plus basse. Entre 1681 et 1765, la population passe très rapidement de 10 000 à 70 000 habitants. Après le Traité de Paris à la fin du XVIIIème siècle suite à la défaite de la France, le Québec passe aux mains des Anglais et les immigrés britanniques et irlandais arrivent également en masse. Les populations françaises, elles, ne peuvent pas résister militairement mais font de la résistance avec l'aide de l'Eglise et opèrent à la stratégie du berceau : il s'agit de faire de nombreux enfants pour surpasser la population anglaise. Les familles françaises tiennent leurs paris et font près de dix enfants par femme. Puisque la mortalité infantile est plus basse, la population grandit très vite. Les habitants ont en moyenne près de 40 petits enfants. Ce formidable élan en avant de naissances, voire cette augmentation exponentielle, conduit à une situation démographique stupéfiante. Par exemple, Zacharie Cloustier et sa femme Sainte Dupont apparaissant dans 81 % des généalogies des Québécois mariés dans les années 1930 et ont de ce fait aujourd'hui plusieurs millions de descendants. En raison de cette croissance importante de la population française québécoise et d'une endogamie forte dans un contexte de rivalités avec les Anglo-Saxons, il y a une dérive génétique et surtout un manque de diversité génétique conduisant à l'apparition de maladies récessives graves. Ces dernières sont d'habitude relativement fréquentes dans les relations consanguines mais apparaissent également dans des contextes de ce genre. Ainsi, au Québec, on trouve des maladies récessives particulières que l'on ne trouve pas classiquement en Europe. On en trouve en revanche des inédites. Les généticiens ont expliqué cette particularité par le fait que, en réalité, une cinquantaine d'hommes ont transmis la quasi-totalité de leurs génomes à la population actuelle. Or, ces hommes, ou l'un d'entre eux, étaient atteints d'une mutation délétère. L'endogamie répétée à l'envie va faire proliférer ces maladies récessives qui sont causées par des gènes homozygotes. Cela s'explique aussi par le fait étonnant que les descendants de ces cinquante hommes ont connu une possibilité de reproduction très forte par un modèle économique fondé sur les pionniers. Pour fonder une ferme et la développer, rien de tel que des enfants. Or, ce calcul a été réalisé, d'abord et avant tout, par les mêmes familles, ce qui explique l'importance relative de ces maladies récessives. A titre de comparaison, dans la vallée de la Valserine, dans le Jura, un phénomène similaire se produit : tous les habitants souffrent d'une maladie récessive particulière, la maladie de Rendu-Osler. On constate ainsi que les mêmes familles, propriétaires des terres les plus avantageuses et désireuses de transmettre, attirent la reproduction et transfèrent leurs biens, donc leurs puissances sociales, à un autre, sans doute porteur de l'autre maladie récessive. Toutefois, il convient de prendre garde : il existe des maladies récessives à peu près partout en France, aussi dus à l'endogamie et à une dérive génétique, à l'instar de la mucoviscidose en Bretagne. A côté de ces bouleversements, il ne faut évidemment pas oublier les traces génétiques africaines importées dans le cadre de la traite des Noirs et de l'esclavage. L'étude du génome afro-américain témoigne que la majorité des esclaves importés lors de la Traite provenaient d'Afrique de l'Ouest, notamment du Golfe de Guinée, mais aussi particulièrement d'Afrique Centrale et de l'Est. Le Brésil, notamment, est peuplé par des Noirs en provenance de l'Afrique portugaise (de l'Angola au Mozambique). Dans les Antilles, le métissage entre Noirs et Blancs, et même avec quelques Amérindiens, a donné une situation inédite : la créolisation. Leur génétique, complexe, épouse une nouvelle anthropologie, l'invention de langues métissées et des cultures riches. Ces zones sont absolument passionnantes. Fait amusant : on retrouve même des gènes pygmées en faible quantité dans la population afro-américaine. On le sait, les Etats-Unis connaissent un changement démographique qui conduira à un métissage encore plus poussé en ce sens. 

La prospective génétique : et demain ?

Evelyne Heyer a bien dépeint les différentes étapes du brassage génétique de la population actuelle. Elle explique que nous sommes tous apparentés du fait de l'explosion de la population humaine qui va cependant peu à peu plafonner puis décroître en vertu de nombreux facteurs environnementaux et démographiques. Mais il est plus complexe de déterminer ce qu'il en sera dans le futur. Des articles de presse ridicules préfigurent un être humain bientôt avachi, aux doigts énormes et aux orbites plus creusées, en raison de l'influence des écrans. Là encore, c'est méconnaître la théorie de l'évolution. Les caractères acquis ne se transmettent pas. Pour qu'un changement dans l'espèce humaine apparaisse, il est nécessaire qu'une mutation apparaisse spontanément et que la nouvelle caractéristique soit sélectionnée et qu'elle se répercute sur le long terme dans la civilisation. On imagine mal, du point de vue de la sélection sexuelle à l'ère d'Instagram, la reproduction massive des individus avachis à long doigt. De la même manière, il est tout à fait envisageable, en raison de l'immigration qui ira en s'accentuant en vertu des phénomènes climatiques, démographiques et politiques, que le brassage des haplogroupes donne naissance à de nouveaux phénotypes. Non seulement, comme on le voit, la migration est consubstantielle à l'Humanité et est la clef de notre génétique actuelle, mais en plus elle est nécessaire pour notre santé. Une génétique pouvant se combiner sans cesse évite plus probablement les maladies récessives et permet l'hétérozygotie. Des études démontrent également qu'il existe une attirance plus grande entre individus présentant des "HLA" différents, c'est-à-dire des antigènes de leucocytes humains différents. Chaque individu dispose de sa propre résistance génétique à des pathogènes rencontrés dans le passé. Nous avons hérité des gènes des survivants à des épidémies anciennes. Parfois, la rencontre avec des pathogènes se passe mal, en témoigne le sort tragique des Amérindiens. Mais la plupart du temps, la rencontre entre les HLA différents renforce le système immunitaire. Encore un argument solide en faveur du métissage, ou tout du moins en défaveur de ce refus. Bien sûr, encore aujourd'hui, les unions mixtes, bien que présentes, particulièrement en France d'ailleurs comparé au monde anglo-saxon, restent moins fréquentes en raison de cette tendance naturelle à une endogamie. Cette dernière est cependant bien moins forte en Occident et tend à disparaître peu à peu. On sait également que l'Humanité a tendance à grandir en taille. Or, 80 % des causes de l'accroissement de la taille sont génétiques, les autres causes dépendant de l'environnement, de l'hygiène, de l'épigénétique et de l'alimentation. Les personnes les plus grandes se trouvent en Scandinavie et au Pays-Bas. Globalement, dans le monde entier, tous les peuples grandissent en raison de la sélection sexuelle. C'est un fait : les hommes de grande taille se reproduisent en moyenne plus que les hommes de petite taille. Pourtant, on constate un certain plafonnement en Europe. Deux théories s'affrontent : ou l'immigration joue un rôle de ralentisseur, ou nous avons atteint une limite. L'avenir le dira. Autre question fondamentale : l'espérance de vie. Bien sûr, cette dernière est liée à de nombreux facteurs. Le facteur social est important : les personnes aisées vivent en moyenne treize ans de plus que les pauvres. Le facteur environnemental et écologique est également essentiel : on vit plus longtemps dans un pays riche et dans un contexte sain, et d'ailleurs, l'espérance de vie tend à légèrement baisser aux Etats-Unis et même en Europe, encore plus l'espérance de vie en bonne santé. Mais, et la génétique dans tout ca ? Et bien, il semblerait qu'elle joue pour la résistance à certains pathogènes ou cancers, mais à la marge. Il n'existe pas de gène de la longévité, ni en France, ni en Italie, ni au Japon, ni en Sardaigne. Un des autres facteurs identifiés d'espérance de vie plus longue, à égalité avec l'hygiène de vie, est le réseau de sociabilité. Moins un être humain est isolé, moins il meurt vite. Bref, la génétique future sera plurielle en raison de migrations permanentes, mais l'avenir de l'Humanité semble surtout se situer dans la lutte sociale et écologique. Il ne peut exister d'eugénisme de la taille ou de l'espérance de vie. 

Source : L'Odyssée des Gènes, Evelyne Heyer. 

Commentaires