La réalité derrière la Chute de Rome : Histoire globale du Vème siècle.
L'Histoire nous apprend que toutes les civilisations s'effondrent. Il n'existe pas, à l'échelle du temps, un groupe ou une société qui n'a pas à un moment quitté la surface de la terre, en tout cas dans une forme donnée. Pour les organisations politiques qui existent aujourd'hui, cette réalité sonne comme un avertissement. Memento mori. La chute de l'Empire Romain est sans doute celle qui obsède le plus les penseurs occidentaux car elle apparaît aux yeux du monde, largement à tort, comme une décadence brutale et terrifiante. De la civilité romaine subtile et lumineuse surgit la barbarie médiévale ainsi que les ténèbres de l'obscurantisme. Une date est à ce titre symbolique : 476. Toutes les leçons d'histoire prennent comme repère la date de cet évènement là, si révélateur, selon elles, de la révolution en cours. Evènement ou non-évènement : il n'empêche que la date est utilisée à l'envie pour terminer une ère et en commencer une autre. Le dernier Empereur Romain d'Occident, Romulus Augustule, le "petit Auguste", est déposé par le chef barbare ostrogoth Odoacre. Après son forfait, ledit barbare renvoie les insignes impériaux à l'Empereur Zénon, qui siège à Constantinople, et abolit par ce geste pour longtemps la fonction impériale à l'Ouest. Mais Rome est-elle morte pour autant ? Rien n'est moins sûr, tant il est difficile de véritablement comprendre, à l'exclusion de cette déposition de l'Empereur, qualifié par ailleurs d'usurpateur à l'est comme à l'ouest, la différence réelle entre la Rome d'avant 476 et celle d'après 476. Personne ne l'a appris mais Romulus Augustule, le dernier Empereur, aussi faible fut-il, était lui-même un ostrogoth. Il n'était pas un latin, et en réalité, ces considérations n'avaient plus grand sens à Rome depuis très longtemps tant le "métissage" entre Romains et populations germaniques européennes était devenu une quasi normalité dans la société de l'époque.
Le petit empereur avait été placé à cette fonction par son père, un patrice, Oreste, issu d'une famille pannonienne barbare proche des Huns, qui a renversé le dernier Empereur. L'Empereur légitime d'Occident s'appelle Julius Nepos, il est en fuite à Ravenne et, bien que continuant à recevoir les missives des officiels, sera assassiné quand même en 480 par un de ses soldats. En cela, choisir 476 comme date est très étrange, pour ne pas dire biaisé. Pourquoi pas 480 ? Personne n'a noté l'importance de cette date à l'époque. Romulus Augustule ne comptait pas. Il n'était pas le premier Empereur à quitter le pouvoir dans l'insignifiance la plus totale. Il n'est pas vraiment le dernier Empereur Romain d'Occident du siècle. D'ailleurs, l'Empereur est devenu un titre ronflant pour monarque sans pouvoir, à peine auréolé d'un ancien prestige abîmé par la christianisation. Les usurpations sont incessantes et l'on devient Empereur comme on devient chef d'une bande tribale, tantôt par la légitimité du sang, tantôt par un coup de force, tantôt par une désignation du Sénat, tantôt par acclamation des troupes, tantôt par mariage, tantôt par hasard. Bien souvent, l'Empereur ne gouverne même plus : des puissants se sont arrogés son pouvoir, mettant des hommes de paille à la tête de l'Etat, afin de se garder les mains libres. Sur la fin, le seul critère pour accéder au trône de Ravenne est d'être chrétien nicéen. Les véritables chefs, souvent hérétiques, ne prenaient par la couronne uniquement pour ne pas froisser les clercs. Sans doute les historiographes voulaient ils montrer le poids des Ostrogoths dans cet évènement. Pourtant, Rome avait déjà été ravagée par d'autres tribus barbares bien avant les remuants Ostrogoths. En 410, les Wisigoths, menés par le Roi Alaric, mettaient à sac la capitale millénaire. L'évènement fut bien plus violent et bien plus traumatisant pour tous les observateurs de l'époque. En 455, un autre Roi barbare, Genséric, à la tête des Vandales, encore plus puissants que les précédents, a également pillé la capitale dans une grande débauche de violence. La date de 476 n'a donc rien de réellement exceptionnel dans ce siècle mystérieux. Ce fut loin, très loin, d'être le moment le plus révélateur de la chute de Rome.
Il faut aussi dire que Rome n'a plus du tout sa splendeur d'antan et n'est plus qu'un symbole : la ville s'est considérablement dépeuplée, elle n'est plus un centre importante de l'Empire, encore moins une capitale culturelle, et surtout l'Empereur vit à Ravenne, une autre ville italienne à 400 kilomètres au nord. De manière générale, l'Italie n'est plus vraiment l'épicentre de l'Empire Romain face à la gigantesque Constantinople, très lointaine et puissante, bien plus riche. Il n'y a certes plus d'Empereur en 480 mais il était clair que les Empereurs Romains d'Occident n'avaient déjà plus aucune importance depuis longtemps, et que le pouvoir était aux mains de chefs militaires, barbares ou non, et autres patrices qui faisaient et défaisaient les carrières. La suppression de l'Empereur d'Occident est perçue comme logique, et en renvoyant les insignes impériaux à l'Empereur Zénon, Odoacre ne souhaitait pas lui signifier la fin de l'Empire, mais sa continuation à travers lui. Il n'y avait plus besoin de deux Empereurs : Zénon pouvait régner seul. Odoacre, lui, serait son représentant en Italie. En 476, il n'y a donc aucun effondrement. Les institutions politiques, au niveau territorial, continuent à fonctionner, mal il est vrai, de la même manière qu'auparavant, surtout à travers les diocèses. Les chefs militaires continuent à se nommer patrices et à se dire membres de l'Empire. Tous cherchaient désespérément une lettre de l'Empereur de Constantinople les légitimant. Les institutions se meurent, certes, mais leur déliquescence avait commencé depuis très longtemps et ne s'est pas accélérée du tout après la déposition du petit Empereur. Il est donc faux et malhonnête de considérer qu'il y a eu un passage de la lumière vers l'obscurité en 476, date qui ne signifie absolument rien de concret. En fait, les effondrements ne sont jamais soudains. Le terme effondrement est d'ailleurs par nature trompeur. L'Empire Romain a tout simplement disparu, ou s'est transformé au cours d'une lente mutation dont le point de départ est ancien, mais qu'il est plus commode de dater en 395. A partir de là, et pour une durée de 80 ans, l'Empire a suivi une chronologie délétère de bouleversements politiques ayant mené à une situation jamais vue, ouvrant la voie à une autre société, certes, celle du Moyen-Âge, mais qui vient de bien plus loin que le simple coup d'état minable de tribus gothiques barbares. Cette date n'est pas non plus, comme certains le croient, celle de l'émergence des Etats Nations, car les Barbares ne sont pas, et n'ont jamais été, les fondateurs de nos pays actuels.
Si 476 a une telle importance, c'est justement parce qu'elle permet d'établir une corrélation entre la chute de l'antique Rome et les invasions barbares. Cette cause est encore perçue par tout le monde comme la seule et unique origine de l'effondrement de l'Empire Romain d'Occident. Il est impensable de nier l'implication des Barbares dans l'effondrement romain. Leur puissance militaire a œuvré à faire régner l'insécurité dans tout l'Empire qui fut bien vite rongé par ces incessants conflits, ces interminables migrations de peuples violents et ces annexions de territoires. Tout le monde connait le nom des différents peuples qui ont fait l'Europe selon nos cours d'histoires : les Francs pour la France, les Wisigoths pour l'Espagne, les Ostrogoths pour l'Italie, les Burgondes pour la Bourgogne et la Savoie, les Angles et les Saxons pour l'Angleterre, les Vandales pour l'Afrique du Nord et les îles de la Méditerranée etc. Il faut néanmoins grandement relativiser. Les Barbares n'ont jamais représenté davantage que 5 % de la population romaine générale. Les Wisigoths et les Ostrogoths ne sont que 100 000 chacun, les Vandales 80 000. Ils tiendraient tous dans un stade. S'ils disposent de consciences "nationales" plus ou moins établies, plus souples qu'on ne le pense en réalité, et surtout s'ils sont solidement armés et bien organisés, leur poids était absolument gérable par les institutions romaines. D'ailleurs, cela faisait quasiment deux siècles que ces Barbares étaient connus et qu'ils étaient localisés clairement aux frontières. Depuis très longtemps, beaucoup d'entre eux ont cherché l'appui de Rome, se sont engagés comme mercenaires, et ont même été accueillis et intégrés dans la fonction publique. Rome a d'ailleurs systématiquement œuvré ainsi pour assimiler les très nombreux peuples qui ont composé l'Empire tout au long de son Histoire, se renouvelant perpétuellement en ethnies, en cultures, en religions. L'Histoire de Rome fut une succession d'invasions et d'assimilations de "barbares". Ceux-là ont eu le même traitement que les autres. Depuis longtemps, l'armée compte des "lètes" comme mercenaires : des Goths, des Burgondes, des Suèves, des Francs et des Sarmates. A l'issue de leur service militaire, certains s'en retournent dans leur pays et d'autres restent sur des terres offertes par l'Etat. L'Empire permet parfois à des peuples entiers de venir s'installer au sein de leur territoire comme "fédérés" afin de défendre des points stratégiques de l'Empire, souvent des frontières : c'est le cas des Wisigoths qui sont installés en Pannonie mais aussi des Francs ripuaires et saliens sur le Rhin et l'Escaut. L'Empire n'est pas submergé par des hordes de Barbares à ses frontières : au contraire, Rome les fait entrer et les fait servir, car elle en a bien besoin comme forces supplétives de son armée pour sécuriser son espace géopolitique. Et les Barbares remplissent très bien leur rôle. Ils ne demandent rien d'autre qu'être reconnus comme Romains et sont prêts à amender leurs droits pour y entrer. Tout au long du Vème siècle, les barbares sont utilisés par les puissants romains dans le cadre de leurs jeux de pouvoir, et à la fin, finissent par prendre leur autonomie faute de pouvoir politique fort pour les encadrer. Les plus grands chefs romains de la période sont parfois barbares eux-mêmes ou ont un de leurs deux parents qui l'est. Les peuples barbares, pour la plupart, n'exigent qu'une seule chose : des titres et la citoyenneté. L'opposition n'est donc pas nette. La chronologie qui mène à 476 est une longue suite de manipulations politiques et d'alliances de revers incessants dans lesquels les Barbares sont instrumentalisés. Tandis que l'ensemble des institutions romaines se disloquent, ces Barbares, groupes homogènes et violents, sont les seuls à tenir, et imposent donc leur pouvoir politique à la fin du Vème siècle en Occident. Dire qu'ils ont détruit l'Empire, eux qui s'en réclamaient sans cesse, c'est aller vite en besogne. C'est ne rien comprendre à la période.
Les causes de la Chute de Rome.
Une civilisation ne meurt qu'en raison de ses propres dynamiques internes. Bien souvent, une civilisation se suicide. Les invasions barbares ne sont que l'instrument d'un bras autodestructeur. Cela semble contre-intuitif pour l'Empire Romain qui est une super-puissance sans aucune rivale autour d'elle. Personne ne peut détruire Rome. Seule la Perse, à l'est, constituerait à la rigueur un véritable danger. L'Empire a toutes les caractéristiques d'un Etat : un territoire d'abord, immense, au maximum de ses frontières. Du Mur d'Hadrien au nord à la Moyenne Egypte au sud, des côtes portugaises à l'ouest à l'Asie Mineure a l'est. Certaines frontières sont naturelles, d'autres moins. Certaines sont claires, d'autres floues. Une telle grandeur est difficilement gérable, il faut bien le reconnaître. Très vite, il a fallu que le pouvoir politique s'adapte et depuis longtemps, les Empereurs Romains ont dû nommer des héritiers et se partager le territoire pour mieux le gérer. Les séditions et autres aventures individuelles de quelques généraux mégalomanes ne sont pas rares quand tout se joue sur des distances aussi immenses. En 395, les choses sont définitives. L'Empereur Théodose meurt à Constantinople et l'Empire est divisé en deux entre ses fils afin de mieux gérer l'Empire. Son aîné, Arcadius, 18 ans, s'emparera de la partie la plus riche de l'Empire, à savoir l'Orient, et continuera à siéger à Constantinople. Ce vaste espace oriental est divisé en huit diocèses : la Thrace, la Dacie, la Macédoine, l'Achaïe, l'Asie, le Pont, l'Orient et l'Egypte. En revanche, le plus jeune, 11 ans, Honorius, hérite de l'Empire Romain d'Occident. Là encore, huit diocèses : l'Italie suburbicaire, l'Italie annonaire, la Viennoise, les Gaules, la Bretagne, l'Espagne, la Pannonie et l'Afrique. Sans doute faut-il voir dans ce partage le début de la décomposition. D'abord, l'Empire perd de son unité. L'est est avantagé en richesse, en prestige et même dans sa position géographique. Les villes orientales sont bien plus grandes et bien plus dynamiques en tout point, héritières des cités grecques. Bien vite, les deux systèmes institutionnels s'opposent et chacune tente de conserver ses intérêts face à l'autre. Les différences culturelles se creusent pour devenir des fossés. Surtout, le partage de 395 est un aveu de faiblesse. Le limes, c'est-à-dire la frontière, est une passoire. En 375, les Huns franchissent le Don, dans l'actuelle Russie, et provoquent ce que l'on appellerait aujourd'hui une "crise migratoire". Les peuples "barbares", ce mot étant en fait synonyme d'étranger, avec des traits culturels similaires, et des consciences tribales distinctes bien que floues, prennent la route et font pression sur les frontières romaines. La Germanie, qui fut lors d'un laps de temps très courte, romaine, est le principal réceptacle de ces populations. Les frontières du Rhin et du Danube sont donc les plus sensibles. Ces populations sont peu nombreuses, mais à l'inverse des habitants de l'Empire, sont armées, se battent et l'archaïsme de leur système politique facilite le recours à la violence. Chez les "Germains", la loi d'accession au pouvoir est simple : c'est celle du plus fort. Face à la subtilité du droit romain, les coutumes germaniques sont plus frustres, certes moins rationnelles, mais diablement plus efficaces. Voilà sans doute la raison de leur accaparement progressif du pouvoir.
L'Empire Romain d'Occident a une grande faiblesse : un des indicateurs anthropologiques les plus importants pour juger de la viabilité d'une civilisation fait défaut. La population de l'Empire stagne, voire baisse. Pour un Etat aussi vaste, cela est plus que problématique. Un déclin démographique ne signifie pas automatiquement qu'une société va disparaitre, mais aucune société qui disparait n'a connu un essor démographique. Certains évènements peuvent l'expliquer : l'Italie, la Gaule et l'Espagne sont ainsi frappés par trois évènements terribles, à savoir deux famines en 409 et en 411, et une épidémie de peste inguinaire en 442. Une ultime famine frappera l'Italie en 450. Des zones entières se dépeuplent, principalement aux frontières, en Illyrie (Albanie), en Pannonie (Slovénie/Autriche/Hongrie), en Norique, en Bretagne (Angleterre), en Gaule du Nord et dans l'Italie du Nord. La population reflue donc et les simples indicateurs d'épidémie ne sont pas suffisants pour l'expliquer. L'Etat s'en inquiète et apparaissent deux termes dans le droit romain : le tractus et le saltus. Ils désignent des terres incultes, des bois, des marécages et des steppes. Dans ces zones, on pratique la chasse, l'élevage extensif, la cueillette, on produit du sel. L'Etat essaie d'inciter les peuples à revenir. Celui qui prendra possession d'une terre abandonnée en deviendra propriétaire au bout de deux ans, celui qui défrichera une terre du tractus en sera propriétaire au bout de trente ans. Cela n'enraye rien. La démographie ne se relance pas, et la crise économique et sociale en est sans doute la vraie cause d'une telle chute des naissances. A l'est, la population connaît moins de telles affres. Surtout, puisque les frontières se dépeuplent, cela laisse objectivement une grande place pour d'autres pour s'y installer. Sur les frontières sensibles du Rhin et du Danube, il est facile de comprendre les passages réguliers.
Un Empire qui conquiert a une économie fondée principalement sur la rentrée perpétuelle de richesses et d'esclaves. L'Empire s'est d'ailleurs longtemps désintéressé de son économie interne qui existait principalement à travers une agriculture de grands propriétaires, un commerce soutenu et des commandes publiques. Rome, la ville monde, faisait venir à elle ce dont elle avait besoin de partout dans son Empire et était animée par une population cosmopolite dynamique. La rentrée d'argent permettait de financer les élites politiques, et surtout l'armée, qui s'attaquait ensuite à de nouveaux territoires. Le cercle était vertueux : la croissance économique perpétuelle se fondait sur l'annexion de nouveaux pays et de nouveaux peuples. Les villes devenaient de grandes places marchandes, pleines de temples en tout genre et de commerçants de tous les horizons. Les populations urbaines, désœuvrées, se faisaient offrir du pain et des jeux par les élites politiques qui achetaient la paix sociale. On a souvent parlé d'évergétisme pour qualifier ce phénomène. Les basses œuvres étaient confiées aux esclaves. Les campagnes devenaient de vastes champs où, grands comme petits paysans parvenaient à cultiver à haut rendement grâce aux progrès de l'agronomie. L'Etat achetait massivement les récoltes pour les redistribuer. La population grandissait et beaucoup s'engageaient dans l'armée pour gagner son lot de terres à cultiver. L'armée, ravitaillée généreusement, riche en chevaux et en espoir de carrières, partait sécuriser les frontières et les éloigner en permanence. Tout le monde gagnait. L'Etat, lui, voyait un corps de fonctionnaires s'élever au plus haut du cursus honorum et les villes se faisaient le relais dans tout l'Empire d'une organisation millimétrée de l'appareil d'Etat. Un droit public et privé de haute qualité s'appliqua rapidement à tout le monde. La tolérance religieuse, elle, permettait la coopération de tous les uns avec les autres pour la grandeur de Rome, qui offrit la citoyenneté à chacun (sauf aux esclaves) et permit aux élites étrangères de devenir romaines. La mécanique continua à marcher longtemps mais l'Etat finit par atteindre ces frontières. La population, elle, diminua. En 400, l'Empire est en crise.
Sans conquête, les richesses n'apparaissent plus comme par magie. L'Empire doit continuer à financer beaucoup - une élite, une administration, une armée, une politique sociale - avec moins. Si l'Empire exploite des mines et des carrières, notamment du fer en Norique, en Illyrie, en Espagne et dans les Cévennes, de l'étain en Galice et en Cornouailles, du plomb et de l'argent, la principale richesse du pays repose sur l'agriculture. Or, industrie comme agriculture reposent sur la main d'œuvre. Si la population baisse, le rendement baisse. Les principales ressources étatiques sont, ce n'est pas surprenant, l'impôt. Il y en a deux principaux : la capitation, un impôt personnel, et surtout un impôt foncier. Tous les quinze ans, l'Etat opère à un vaste recensement permettant de renouveler le cadastre. Dans toutes les villes de l'Empire, un conseil, la curie, nomme les décurions. Ces magistrats sont chargés de lever l'impôt, et pour que cela soit bien efficace, y sont tenus sur leurs deniers personnels. S'ils ne parviennent pas à satisfaire les objectifs fixés par l'Etat, l'Etat se retourne contre eux. Les décurions ne sont donc pas des collecteurs d'impôts spécialement agréables. Comme les agriculteurs sont moins nombreux, la pression fiscale s'appesantit. Beaucoup ne peuvent plus faire face à ces impôts là. Paradoxalement, l'Etat met le moindre rendement des terres agricoles sur le compte des esclaves. Il décide d'améliorer leur sort en leur offrant à chacun un lot de terres. Les esclaves font donc directement concurrence aux paysans libres puisque non seulement ils obtiennent une terre, mais sans devoir aucun impôt. Les paysans endettés sont contraints de devenir colons. Leurs terres deviennent étatiques, les paysans perdent leur liberté et doivent, jusqu'à remboursement de leur dette, cultiver la terre sans jamais ne plus pouvoir en partir. Le servage fait donc son apparition. Tandis que le sort des esclaves s'améliore, celui des colons paysans s'aggrave, créant une grande précarité sociale générale. De nombreux paysans désespérés fuient leurs terres vers les villes pour profiter du pain gratuit et tenter de se faire embaucher dans les travaux publics, aggravant le poids des dépenses publiques. D'autres paysans vendent leurs terres à des grands propriétaires fonciers, souvent des sénateurs ou des évêques, et se mettent à leur service, sous leur patronat. Ils préfèrent alors la relation d'homme à homme. Ce qui est frappant, c'est qu'à la fin de l'Empire Romain, la servitude et la féodalité se font déjà jour. Le Moyen-Âge émerge déjà bien avant 476. Tout cela est en fait la résultante d'une crise économique profonde.
La crise économique devient bientôt financière. Rome dispose d'une monnaie impériale au sens classique et les six ateliers monétaires de l'Empire d'Occident, à Trèves, à Lyon, à Arles, à Aquilée, à Rome et à Sirmium produisent à plein régime le solidus, une belle pièce d'or de 4,55 grammes à très haut pouvoir d'achat. L'Etat exige que l'impôt soit payé avec cette monnaie. Comme les paysans n'ont plus d'argent, presque aucun ne peut se procurer une telle pièce d'or. L'Etat se résout en 383 à produire des trémisses, des pièces d'argent de 1,51 grammes, mais continue d'exiger le paiement de l'impôt en or. La paupérisation du peuple romain voit l'émergence de petites monnaies de cuivre et les grosses pièces d'or sont thésaurisées par les personnes les plus riches de l'Empire. Les ravages du monométallisme conduisent à aggraver la crise de la paysannerie. C'est un argument en plus pour le patronage : les petits paysans apportent leurs terres et cultures à un grand propriétaire qui se charge de payer leurs impôts en or. Forcément, la crise frappe par ricochet le commerce. L'Etat est moins riche et ne peut plus commander autant qu'avant. Les petits marchands juifs, syriens, espagnols et africains se font de plus en plus rares faute de clientèle. Le taux d'emprunt est à près de 12 %. Les producteurs refusent de vendre leurs récoltes à l'Etat et préfèrent la vendre eux-mêmes pour un meilleur prix à l'échelon local. La "mondialisation" romaine disparait. Les villes s'appauvrissent. La fermeture des temples païens par Théodose a fait baisser l'activité qui se concentre dans les faubourgs, les lieux chrétiens. La fonction publique est frappée par la crise également. Cela commence par les décurions et les curiales. L'Empereur Majorien a tenté en vain en 458 de renforcer les obligations des collèges de curiale. Sans succès. Les anciens fonctionnaires intègrent le clergé ou deviennent de grands propriétaires terriens. Ce sont objectivement des carrières plus lucratives et prestigieuses. L'Etat, toujours plus oppressif, tente tant bien que mal de bloquer les statuts sociaux mais cela ne fonctionne pas, ne fonctionne plus, à mesure que la crise économique s'aggrave. La justice elle-même, qui croule sous les procédures et les appels, doit être réformée : en 460, le pouvoir judiciaire est transféré au niveau du compte, entouré de notaires et de tabellions, dans le chef-lieu de chaque cité. La justice est "privatisée", en quelque sort. Rien ne change. Et plus l'Etat tente de dégager des recettes, plus ces dernières diminuent encore. La moralité des fonctionnaires s'effiloche et disparaît, faute d'argent. Personne ne veut plus servir un Empire en faillite.
L'Etat est en train de faillir à tous les niveaux. Sa principale dépense est son armée. Celle-ci compte 250 000 hommes, ce qui est peu. 135 000 sont postés aux frontières et 115 000 sécurisent l'intérieur du territoire. Il faut payer la solde de ses hommes, leur équipement, leurs chevaux et leurs rations alimentaires. En théorie, la conscription concerne chaque homme libre. Les petits propriétaires se réunissent en consortium et désignent ceux qui iront à l'armée. Le soldat romain sert l'Empire pendant vingt-cinq ans. A la fin de sa carrière, il reçoit un lot de terres exonéré d'impôts. Néanmoins, la crise économique et la baisse de la population forcent les propriétaires à nommer les plus médiocres. L'armée se bat de plus en plus mal et est poussée aux frontières, et doit allier activité militaire et activité agricole. A ce stade, l'Etat est donc obligé d'engager massivement les Barbares à titre individuel ou collectif. Ces derniers se battent avec leurs propres armes, leurs propres chevaux mais aussi leurs propres règles. L'Empire subit donc une crise économique et sociale profonde qui affecte l'ensemble de la vie publique, les institutions et l'armée. C'est uniquement cette crise qui pousse l'Etat à faire entrer davantage les Barbares dans l'Empire et donc à y faire pénétrer les ferments de la destruction. Il faut bien dire que la faillite profonde de l'Empire est aussi morale. Dans ce contexte de décadence généralisée, les gouvernants ne sont pas à la hauteur du civisme juridique romain des premiers temps. Le Code Théodosien a beau être promulgué en 438, plus personne ne respecte le droit et encore moins la tête de cet Etat. C'est la loi du plus fort qui conditionne l'accès aux plus hautes fonctions et les différents clans se font allègrement la guerre, instrumentalisant les Barbares qui comprennent eux aussi particulièrement bien le concept de darwinisme social. Tout est donc en place pour que l'enchaînement des évènements ne dégénère.
Il ne faut surtout pas oublier un autre aspect moral de la question, capital même. Désormais, l'Empire Romain est chrétien. Longtemps, l'Empire était constellé de religions diverses et de cultes venant de l'ensemble du monde méditerranéen. On a souvent présenté à tort la Rome d'avant Jésus Christ comme le centre de la rationalité occidentale : en réalité, il n'y avait pas plus mystique que l'Empire Romain. La mythologie romaine était une émanation en miroir de la mythologie grecque. A chaque conquête, de nouveaux Dieux venaient enrichir le panthéon romain et de nouveaux temples fleurissaient dans les villes. La tolérance religieuse était quasiment totale. La liberté de penser, à l'instar des philosophies grecques, en était le corollaire. A côté de ces cultes officiels, les paysans avaient de tout temps organisé des rituels agraires autour de la germination. En Sicile, le culte de Perséphone était fondé sur cette croyance. De mystérieuses religions ésotériques, les Mystères, notamment ceux d'Eleusis, rythmaient la vie des cités. De partout, des cultes affluaient : de Turquie, celui d'Attis et de Cybèle, de Mésopotamie, celui d'Adonis, de Perse, celui de Mithra. Les païens, également, apportaient leurs croyances. Outre les sectes philosophiques, des charlatans, maghoïs, nécromanciens divers parcouraient les routes de l'Empire, monnayant leurs services. Parfois, quelques prophètes. Le monde est littéralement enchanté en ce sens et les fêtes religieuses étaient perpétuelles, parfois brutales. Le monothéisme juif, qui s'inspire de celui du zoroastrisme perse, posa rapidement un problème en raison de sa non-acceptation de la tolérance. Le problème fut réglé par l'anéantissement du foyer juif. Le christianisme, à sa naissance, fait donc l'objet en miroir d'une lourde persécution. Personne ne faisait la différence entre christianisme et judaïsme. Les Chrétiens ne sont pas tolérants, répugnent aux cultes concurrents, ont une vision totalitaire du monde et surtout, insufflent au petit peuple romain une haine profonde des gouvernants, qu'ils soient esclaves ou libres. Paradoxalement, la religion "rationalise" le monde en rejetant les idoles. De l'orthopraxie païenne et judaïsante, le monde passe à une orthodoxie quasiment invisible. Le monde se désenchante. Les premières communautés chrétiennes s'installent dans les villes de l'Empire, et notamment cinq : Rome, Carthage, Alexandrie, Antioche et Constantinople. Vivant dans la clandestinité, parlant majoritairement grec, ils se réunissent en assemblée ("ecclésia" : Eglise) et se dotent de surveillants, les évêques. Chaque communauté vit selon ses propres règles et les Pères de l'Eglise se calomniaient alors par lettres interposées. La doctrine n'est absolument pas fixe. Petit à petit, et malgré les persécutions, l'effet du prosélytisme et le discours social de l'Eglise permettent de convertir massivement. Constantin, à la suite de la Bataille de Pont Milvius, obsédé du chrisme, se convertit au christianisme en 312 et convoque le concile de Nicée en 332. Même s'il méprisait profondément le paganisme, Constantin n'a jamais aboli le polythéisme et, s'il estimait que le christianisme était l'avenir, il pensait que, dans le prolongement d'anciens Empereurs ayant épousé des cultes particuliers, cela pouvait coller avec la tolérance. Lourde erreur.
Après quelques temps de confusion et de revirements chez les successeurs de Constantin, l'Empereur Théodose impose à tous ses sujets le christianisme et en fait la religion d'Etat officielle en 380. Il interdit l'arianisme en 381 : cette hérésie chrétienne niait la Sainte Trinité imposée par le Concile de Nicée en niant au Fils, à Jésus, sa nature divine. L'hérésie est particulièrement présente chez les Goths. Les cultes païens sont ensuite interdits et tous les temples sont fermés en 391. Une véritable théocratie voit le jour avec son lot de destruction de bas-reliefs, de fermetures d'arènes, d'interdiction de nudité dans les stades, de destructions d'œuvres d'art et d'autodafés. Bien sûr, le paganisme est encore massif, singulièrement à l'ouest, singulièrement dans les campagnes, mais les institutions ecclésiastiques prennent en puissance. Elles deviennent à leur tour oppressives et copient parfaitement les circonscriptions territoriales de l'Empire, devenant une seconde Rome dans Rome. L'art s'enlaidit et se simplifie pour bannir la beauté des corps et le réalisme au profit d'un caractère éducatif. Les premières basiliques voient le jour. Le droit romain intègre en son sein un nouveau droit, le droit canon, impose des peines plus douces et moralise les mœurs. L'Empire Romain devient consubstantielle à l'Eglise. Des patriarches, à Rome, à Constantinople, à Carthage, à Antioche et à Alexandrie, deviennent de véritables chefs qui collaborent avec le pouvoir politique. L'Evêque de Rome prend une importance toute particulière et impose une forme de suprématie symbolique, disons une préséance. Profitant que l'Empereur vit à Ravenne, le Pape, car c'est comme cela que l'on commence à l'appeler, prend souvent des initiatives à l'instar de Léon le Grand qui empêche Attila d'attaquer Rome. La figure du Pape collabore avec l'Empereur mais, dans un contexte de monothéisme, l'obsession de l'unité laisse à penser qu'un jour, les deux figures s'affronteront. Des conflits apparaissent également entre l'ouest et l'est, notamment sur la langue de la liturgie, les Occidentaux utilisant le latin et les Orientaux le grec. La hiérarchie se précise : un évêque métropolitain pour une province, un évêque pour une cité. Des conciles, des assemblées de clercs, se réunissent régulièrement en synodes. Le clergé séculier est proche du pouvoir, parfois déjà corrompu, notamment par la sinodie, c'est-à-dire l'achat des sacrements condamné par le concile de Chalcédoine. L'Eglise devient en outre une puissance économique concurrente à l'Etat : elle a commencé par recueillir le don de ses fidèles puis s'est vue octroyer les terres des anciens temples. Elle devient rapidement la première puissance privée foncière, recueille de nombreux paysans libres et nourrit les pauvres. A côté d'un clergé séculier, de nombreux moines sont présents dans l'Empire, surtout à l'est. Moins lettrés, souvent originaux, voire intégristes et fanatiques, les moines sont complètement incontrôlés. Ni l'Eglise, ni l'Etat, n'arrivent à les canaliser réellement. Les moines critiquent la richesse de l'Eglise et la combattent. Ils vivent dans des lieux isolés, naturels ou construits, soit en anachorète (ils vivent seuls), soit en cénobites (en groupe), soit en gyrovagues (nomades). Jean Cassien fonde ainsi en 410 le monastère Saint-Victor de Marseille dans laquelle seule la connaissance par la Bible est valide, et sans jamais se corrompre avec la culture classique. A l'inverse d'un Saint-Augustin plus séculier. La guerre religieuse est larvée. De bien des manières, la mutation chrétienne a participé à l'aggravation du clivage social marqué par la crise, et a aussi participé à infecter la déliquescence morale générale. Le christianisme est aussi vecteur de tensions.
Les évènements.
Dans ce contexte, les évènements sont l'étincelle qui allume la poudrière. En 395, donc, Théodose Ier meurt et l'Empire est divisé en deux. Arcadius, 18 ans, est Empereur en Orient, et Honorius, 11 ans, l'est en Occident. Ces deux garçons sont d'authentiques faiblards, manquent cruellement d'intelligence et de volonté. Ils sont les prototypes même de ce que l'hérédité peut faire de pire dans un système de pouvoir. Les anciens hommes forts du règne de Théodose tiennent fermement les rênes de l'Etat. A l'est, la clef de voute du pouvoir est le Préfet du Prétoire Rufin. Le personnage est un catholique zélé s'étant bâti une réussite sociale exemplaire auprès de Théodose et dispose d'une richesse inégalée qu'il s'est taillé sur les deniers publics en éliminant soigneusement les autres chefs militaires du régime, quitte à s'en mettre sérieusement à dos. A l'ouest, c'est un autre homme qui gouverne : Stilicon. Ce fait est intéressant car Stilicon est un Barbare, il est d'origine vandale par son père et romaine par sa mère. Cette dernière venait d'ailleurs de Pannonie, zone récente de l'Empire Romain, particulièrement côtoyée par les peuplades germaniques. Ce grand général est un astucieux chef militaire qui terrifie ses ennemis sur le champ de bataille. Surtout, il est un fin politique qui sait négocier avec les autres Barbares et les concilier avec le Sénat Romain. Ces deux hommes, Rufin et Stilicon, mènent les affaires de l'Etat d'une manière tout à fait efficace. Néanmoins, ils se détestent cordialement. Stilicon souhaitait maintenir l'unité de l'Empire et pas Rufin. Surtout, les deux hommes convoitent l'Illyrie, à savoir l'Albanie actuelle, zone sensible pour les deux nouveaux espaces géopolitiques. Rufin avait réussi à en prendre le contrôle au moment du partage. Il faut compter avec une troisième force politique redoutable : les Wisigoths. Ces derniers avaient été admis comme fédérés en Pannonie depuis le règne de Constantin Ier et sont désormais intenables. Leur terrible chef, Alaric, provoque sans cesse les dignitaires romains et exige des tributs. Il n'a pas que de mauvaises raisons de combattre l'Empire. Les Wisigoths avaient été de fidèles alliés et avaient participé à la conduite d'une opération militaire contre un usurpateur à la demande de Stilicon, mais les Romains avaient finalement abandonné les Barbares à leur sort. Alaric n'a jamais oublié cet affront. Stilicon parvient à les vaincre à l'ouest, non sans mal, et Rufin parvient également à les contenir à l'est. Néanmoins, il faut composer avec cette puissance. Stilicon souhaite prolonger une politique d'apaisement, ce qui dresse contre lui, il faut bien le reconnaître, une partie des puissants Romains. En réalité, Stilicon et Rufin ont leurs principales difficultés au sein de leurs Cours, davantage qu'à l'extérieur.
Rufin est le premier à voir sa tête tomber. Stilicon tente de reprendre l'Illyrie et Rufin essaie de le contenir tant bien que mal. Il parvient à refouler les troupes de Stilicon ce qui blesse énormément l'orgueil de ce dernier. A Constantinople, Rufin ordonne le mariage de l'Empereur Arcadius à sa fille pour consolider sa position, technique classique des hommes forts de l'Empire. Néanmoins, une incroyable manipulation politique se fait jour derrière la figure passionnante d'un eunuque de la Cour, Eutrope. Ce dernier est arménien, a été castré et vendu comme esclave plusieurs fois avant d'atterrir à la capitale où les eunuques étaient appréciés comme serviteurs, et composaient un corps "d'eunuques du palais". Il est très vite repéré et gravit tous les échelons de l'Etat. Il se frotte alors à Rufin et en devient un farouche adversaire. Il est difficile de concilier un militaire et un eunuque. Eutrope se rapproche des anciens ennemis du Préfet du Prétoire et organise dans le plus grand secret le mariage de l'Empereur avec une princesse franque d'une très grande beauté, Eudoxie. Toute la Cour croit naïvement qu'Eutrope organise les noces de la fille de Rufin, mais au dernier moment, alors que ce dernier est absent, le mariage est conclu et consommé avec la barbare. Eudoxie place rapidement sous son emprise le jeune Empereur Arcadius. Rufin, lui, se rend compte trop tard de sa perte d'influence et est brutalement assassiné par Ghaïnas, un Barbare payé à la fois par Stilicon et Eudoxie, Sa tête est baladée au bout d'une pic. L'Impératrice Eudoxie prend le contrôle sur l'appareil d'Etat, et se taillera une belle réputation pour son avidité du pouvoir et sa cruauté. Elle élimine Eutrope qu'elle fait exiler puis décapiter. Elle fait massacrer les troupes de Ghaïnas par la foule. Bientôt, elle est la seule titulaire réelle du pouvoir politique à Constantinople jusqu'à la mort d'Arcadius en 408. Son fils, Théodose II le Calligraphe, enfant religieux et naïf passant son temps à recopier des manuscrits chrétiens, monte sur le trône et Eudoxie continue à régner sur l'Empire jusqu'à son âge adulte. Pendant ce temps, l'Occident est livré à lui-même.
A l'ouest, les choses ne vont pas mieux et même se dégradent. Stilicon avait remporté un point important en éliminant Rufin mais il doit faire face à des désastres militaires en Occident. Lui aussi avait fiancé son fils à la demi-sœur de l'Empereur, Gallia Placidia. Mieux, il avait marié sa fille au faible Honorius. Lui aussi croyait naïvement avoir sécurisé sa position. Néanmoins, son jeu avec les Wisigoths n'est pas perçu comme étant très clair, et beaucoup lui en veulent de ne pas achever l'ennemi avant que ce dernier ne se manifeste. Le danger ne vient pourtant pas des Wisigoths dans un premier temps même s'il est évident que ces derniers sont désormais devenus franchement hostiles au pouvoir impérial. En 405, un mystérieux chef militaire barbare, du doux nom de Radagaise, franchit le Danube à la tête d'une armée gigantesque composée principalement d'Ostrogoths, de Quades, de Vandales et d'Alains. Il faut bien comprendre que ces migrations de peuplades germaniques ne sont pas dues au hasard : en 375, les Huns avaient franchi le Don et terrifiaient les populations d'Europe Centrale, les Goths. C'est pour cette raison que Radagaise décide de s'installer dans les Plaines du Pô sans y avoir été invité par les autorités romaines. Très vite, cette armée de Barbares s'en prend aux villes et aux populations locales, faisant le siège de Florence. Stilicon, de manière admirable, mobilise son armée, y adjoint un certain nombre de Barbares et détruit l'armée de Radagaise lors de la Bataille de Fiesole en 406. Radagaise et les chefs principaux de l'armée sont brutalement exécutés et une partie conséquente de cette dernière est massacrée. D'autres sont enrôlés dans l'armée romaine de force, et des plus rares retournent derrière le Danube. La victoire est belle mais elle a épuisé l'Empire. Le 31 décembre 406, une autre invasion barbare, très rapide et brutale, composée principalement de Vandales, de Suèves et d'Alamans se produit au niveau du Rhin. Les envahisseurs ravagent littéralement le nord de la Gaule. Stilicon est soumis à un choix terrible. Il sait qu'Alaric rôde et qu'il est prêt à fondre sur l'Italie pour achever les dernières forces romaines. Il sait qu'il a le devoir de rester bien campé en Italie et de continuer de concilier le parti romain et le parti barbare. Néanmoins, en faisant cela, il laisse ces envahisseurs détruire la Gaule et laisse à l'agonie les populations locales et surtout les légions romaines isolées et massacrées allègrement. Stilicon assume de faire ce choix dicté par la rationalité la plus limpide. Néanmoins, cela renforce la solitude des généraux romains qui sont chargés de la sécurité des marges de l'Empire. Le cas le plus critique est celui de la Bretagne, ancien nom de l'Angleterre. Derrière le Mur d'Hadrien, les Romains défendaient le peuple breton et leur pouvoir contre les influences extérieures. Néanmoins, les légionnaires bretons ont très vite compris qu'ils ne pouvaient plus compter sur Rome et se sont rebellés régulièrement. Bien souvent, des usurpateurs ont tenté de se donner le titre d'Empereur mais sont massacrés par leur troupe dès que le délire devient trop sérieux : ce fut le cas des éphémères Marcus et Gratien. Néanmoins, en 407, l'invasion de la Gaule du Nord rend la situation plus inquiétante pour les militaires de Bretagne qui se sentent légitimement encerclés. Un militaire est nommé Empereur et prend rapidement le titre de Constantin III. Celui-ci n'est pas renversé par ses troupes et, au contraire, il semble susciter une rare ferveur. Il commet alors un choix d'une très étonnante audace : abandonner définitivement la Bretagne pour nettoyer la Gaule. L'objectif à court terme de libération de la Gaule est accompli et Constantin III se taille rapidement une réputation de libérateur. Mais l'usurpateur acte l'abandon définitif de la Bretagne par l'Empire. Après son départ, le Mur d'Hadrien tombe et les Pictes, ainsi que les Scots, retrouvent leurs anciennes terres. Des peuples venus du Danemark, les Angles, et de Germanie, les Saxons, débarquent par bateau en Bretagne. Le peuple celte d'origine, les Bretons, est contraint de fuir son pays pour l'Armorique, en Gaule, l'actuelle véritable Bretagne. L'évènement est donc d'importance.
Dès lors, Stilicon paie cher les conséquences de son choix. Un usurpateur a libéré la Gaule à sa place et une partie de l'Empire est abandonnée. Constantin III s'est installé à Trèves et forme sa propre administration. L'assise de l'usurpateur est solide en Gaule et d'autres généraux imitent son exemple. Très vite, l'ensemble des opportunistes se dressent contre le général vandale. Stilicon avait habilement réussi à convaincre Alaric de mener une expédition militaire contre l'Empire Romain d'Orient mais Stilicon avait été contraint de renoncer. Alaric réclame donc le versement d'un tribut colossal ce que Stilicon accepte contre l'avis du Sénat Romain. La rancune est donc terrible et un parti anti-barbare naît à Rome : contrairement à Stilicon, ils refusent de pactiser avec les Wisigoths et réclament l'épuration de l'administration et de l'armée de tous ses éléments étrangers. Stilicon tente en outre de déloger Constantin III mais l'opération est un échec. La mort d'Arcadius est aussi l'occasion d'un désaveu pour l'homme fort de Ravenne : il échoue à imposer une régence à sa main contre l'Impératrice Eudoxie. Les opposants à Stilicon complotent donc et manipulent le faible Honorius qui vient pourtant de prendre pour femme la deuxième fille de Stilicon après la mort de la première. Le maître des offices, Olympius, réussit à emporter la conviction d'Honorius de la nécessité d'affaiblir le général. L'Empereur se rend alors à Pavie et déclame une harangue contre Stilicon à une armée acquise à ses opposants. L'armée, en furie, massacre les proches de Stilicon de la région. Le bain de sang est terrifiant. Stilicon, à Bologne, est pressé par ses soutiens de renverser Honorius mais l'homme honorable refuse et s'en va trouver l'Empereur à Ravenne pour le convaincre de retrouver la raison. Ce dernier, toujours manipulé, qui a pardonné aux assassins après le déchainement de violences, fait mettre aux arrêts le pauvre Stilicon et le fait exécuter le 22 août 408. Son fils subit le même sort, sans doute avec la complicité de Galla Placidia, la demi-sœur de l'Empereur. Quant à la femme d'Honorius, elle est disgraciée. Les derniers proches de Stilicon sont soit massacrés, soit rejoignent le Roi Alaric en raison de la haine contre les Barbares instrumentalisée par Honorius. Alaric est désormais à la tête d'une armée invincible et pénètre en Italie. Il réclame le poste de chef des armées, la cession d'un territoire immense et le paiement d'un gigantesque tribut. Honorius refuse et les Wisigoths assiègent Rome. En 410, Rome est mise à sac pendant trois jours. L'évènement terrifie l'ensemble de l'Empire Romain, ainsi même que Théodose II à Constantinople. Les Chrétiens y voient un signe de fin des temps et la preuve du caractère diabolique de l'Empire. Certains trouvent même les Wisigoths sympathiques, dans un réflexe masochiste typique : Rome leur semble être un crime contre Dieu. Galla Placidia, la demi-sœur de l'Empereur, est enlevée par les Wisigoths. Alaric cherche alors, depuis la Calabre, à gagner l'Afrique qui s'est soulevée contre lui. Mais une partie de sa flotte sombre lors d'une tempête et il meurt de maladie après une longue vie de conquêtes. Son beau-frère, Athaulf, lui succède. Ce dernier est bien plus proche de la romanité et cherche à conquérir l'Espagne détenue par les Suèves et les Vandales. Il quitte l'Italie et décide d'épouser Galla Placidia dans son rapport de force avec Honorius. Cette dernière n'a pas véritablement le choix mais il semble que la jeune femme soit bien traitée. Athaulf lui offre cinquante serviteurs et une partie du butin du sac de Rome. Elle lui donnera une fille et un fils, mais ce dernier mourra à sa naissance. Pour Honorius, la situation est critique : Constantin III continue d'usurper et s'est taillé un immense territoire, du Rhin à Arles. Son fils est amené à lui succéder. Les Wisigoths, eux, sont une puissance très menaçante à l'ouest de la Gaule et en Italie, et ils ont conclu une alliance matrimoniale forcée avec la lignée impériale. A l'est, Théodose II semble un allié fidèle, mais il ne demande qu'à renverser son oncle. Honorius nomme donc un de ses généraux, Constance, pour le charger de résoudre tous ses problèmes. Celui-ci parvient à éliminer les usurpateurs et réussit le siège d'Arles. Constantin III refuse de se rendre, estimant que ses troupes sur le Rhin pourront lui apporter un soutien, mais en paie le prix fort : lui, son fils et ses alliés sont massacrés. Constance parvient également à conclure un pacte avec les Wisigoths : le roi Wallia restitue la veuve d'Athaulf, Galla Placidia, à l'Empereur et, en échange, accepte de nettoyer l'Espagne des Vandales qui fuient en Afrique du Nord. Ces derniers sont chassés d'Espagne et les Wisigoths s'y établissent définitivement ainsi que les Suèves, autre peuple barbare présent en Espagne.
Constance a vaincu l'usurpateur et a résolu temporairement le problème des Wisigoths. Ces derniers auraient pu définitivement faire chuter Rome en 410. Honorius est bien obligé de récompenser le général et lui donne alors en mariage sa demi-sœur fraîchement veuve, Galla Placidia. Cette dernière lui donne deux enfants, dont un fils, qui survivra, Valentinien, et une fille, Honoria. Galla Placidia, déjà promise deux fois, mariée une fois, est très puissante et Constance, son mari, est nommé co-empereur, contre l'avis de Théodose II. En 421, Constant meurt et Galla Placidia se réfugie à Constantinople pour échapper aux assauts incestueuses d'Honorius. Il est aussi fort probable, le point n'est pas tranché, que l'Empereur ait voulu se débarrasser de l'encombrante femme. En août 423, l'Empereur Honorius meurt enfin après un règne catastrophique. Se pose alors la question de la succession du dégénéré : il n'a pas eu d'enfant mâle. D'un point de vue classique, l'héritier le plus légitime est Valentinien, le fils de Galla Placidia et de Constance, le neveu d'Honorius. Néanmoins, Galla Placidia est à Constantinople et le Sénat Romain, après avoir envisagé de se ranger derrière Théodose II, préfère nommer Empereur un obscur fonctionnaire, Jean. Une guerre se déclare bientôt entre les partisans de Jean et les partisans de Valentinien. Gallia Placidia réussit à obtenir de Théodose II un soutien et un appui militaire fort. Surtout, un fidèle de l'impératrice, le Comte Boniface, qui tient l'Afrique Occidentale, la partie la plus fidèle de l'Empire d'Occident, décide de bloquer le ravitaillement de Rome. Pris à la gorge, les armées de Jean sont écrasées par les troupes orientales. Le pauvre Empereur éphémère est baladé attaché à un âne, la main coupée et est décapité. Valentinien III est installé comme Empereur et Gallia Placidia comme régente. Cette dernière n'est pas mauvaise gouvernante à l'opposé de son propre fils, un débauché malsain et alcoolique. Gallia Placidia renforce la mainmise du Comte Boniface en Afrique et s'adjoint les conseils de Flavius Felix, un fonctionnaire romain de talent. Surtout, elle fait appel à Flavius Aetius, un homme tout à fait fascinant. Ce dernier est noble romain par sa mère, et scythe par son père. Il est envoyé très jeune comme otage chez les Wisigoths de Pannonie et fait ses armes chez les Huns avec qui il a une relation privilégiée. Il connait leur talent militaire et leurs faiblesses. Aetius prend le parti de Jean lors de l'usurpation et va négocier une alliance militaire avec les Huns qu'il obtient. Il amène ainsi dans l'Empire 60 000 Huns, opération militaire qui échouera face aux troupes de l'Empire Romain d'Orient. Gallia Placidia a l'intelligence de pardonner à Aetius et de le nommer préfet du prétoire en Gaule. Très vite, Aetius élimine Felix et finit par monter Galla Placidia contre le Comte Boniface. Elle somme de venir l'africain à Rome pour s'expliquer sur son bilan politique et celui-ci refuse. Il est disgracié. Boniface, bouleversé par la conduite de l'Impératrice, commet alors un acte terrible : en 429, il invite le Roi Genséric, dirigeant les Vandales, au sein de l'Afrique du Nord comme fédérés. Sans le savoir, il précipite l'Afrique dans le chaos. Aetius le vainc à la Bataille de Rimini en 432 et force Galla Placidia à le nommer consul en lieu et place du Comte Sébastien, en faisant entrer une armée hun en Italie. Flavius Aetius est bientôt le seul homme fort du règne de Valentinien III. Son terrain de chasse préféré est la Gaule : il y contient l'appétit des Wisigoths à l'ouest et des Francs, de plus en plus remuants, au Nord. Son premier grand fait d'arme est d'avoir vaincu les Burgondes et de les avoir installés comme fédérés, en 436, en Sapaudia (Savoie), entre le Jura, le Lac Léman et Grenoble. Néanmoins, il peine à contenir l'installation des Saxons en Normandie. Pour contenir l'agressivité des Francs, il renouvelle à Clodion son statut de fédérés dans le Nord de la Gaule. Etrangement, Aetius parvient à stabiliser la zone en traitant avec les Francs, les Wisigoths et les Burgondes. Petit à petit, l'ennemi le plus dangereux est son peuple frère, les Huns, qui, avec Attila, menace sérieusement la Gaule et son équilibre fragile.
L'épisode est fascinant et démontre l'extrême complexité de la période. Valentinien III s'en était pris au mari de sa sœur, Honoria, pour qu'elle n'enfante pas d'enfant mâle. Cette dernière, qui avait fait la furie de son frère et de sa mère en participant à des parties fines, avait été marginalisée à la Cour. Elle envoie donc une bague à Attila ce que ce dernier interprète comme une demande en mariage. Voila comment commence donc la conquête de la Gaule par un Attila sanguinaire, détruisant tout sur son passage. Aetius doit agir. Il réussit à s'adjoindre l'appui des Francs Saliens et des Francs Ripuaires et surtout, obtient le soutien du Roi des Wisigoths, Théodoric. Aetius va même plus loin et recrute des Saxons, des Bretons et évidemment des Romains. Seul le peuple Alain, par l'entremise de son Roi, Sangiban, tente une alliance avec les Huns mais les Francs s'occupent de le massacrer avant le forfait. Attila ravage l'est de la Gaule, évite Paris grâce à la légendaire conciliation avec Sainte Geneviève et rencontre les troupes d'Aetius. La bataille est restée légendaire en 451 : c'est celle des Champs Catalauniques, devenue un symbole de la lutte entre l'ouest et l'est, dont on doute aujourd'hui de l'emplacement et de l'importance. Il n'empêche que les Huns sont vaincus, quittent la Gaule, sont détournés de Rome par Léon le Grand, le Pape, puis retournent dans leur foyer d'origine sans ne plus jamais devoir attaquer de nouveau, après la mort d'Attila. Aetius est légitimement un héros. Il réussit à renvoyer les Wisigoths dans leurs frontières et surtout, tente d'associer son fils, Gaudence, à l'Empire. C'est sans compter le lubrique Valentinien III qui ne l'entend pas de cette oreille et le fait assassiner en 454, un an après la mort d'Attila. Six mois plus tard, l'Empereur est assassiné par représailles par deux anciens gardes du corps d'Aetius, Optila et Thraustila. Le piège de l'Histoire se referme alors sur Rome alors même que cette dernière venait d'être sauvée : Pétrone Maxime, un obscur fonctionnaire, encore un, paie les officiers de la Cour et se fait nommer Empereur par le Sénat. Il épouse la veuve de Valentinien III et annule les fiançailles de la fille du défunt avec le fils de Genséric, Roi des Vandales. Erreur fatale : les Vandales étaient devenus les maîtres de l'Afrique, ils quittent Carthage et voilent vers Rome qu'ils détruisent aussi puissamment que ne l'avaient fait les Wisigoths en 410. Pétrone Maxime tente de fuir la ville, mais reconnu par la foule, il est brutalement assassiné. A partir de là, l'Empire Romain connait des soubresauts oscillant entre grandeur et déchéance. La confusion semble être la règle. Avitus, qui avait été nommé Maître de la Milice par l'éphémère Pétrone Maxime, se trouvait au moment du siège de Rome en Espagne à la Cour de Théodoric II, le roi des Wisigoths. Celui-ci l'encourage à devenir Empereur avec l'appui des sénateurs gallo-romains contre la promesse faite aux Wisigoths de pouvoir retourner en Espagne. Toute la petite combine est alors montée par Ricimer, le fils de l'ancien roi Wisigoth Wallia et d'une mer suève, ayant combattu dans l'armée d'Aetius. Avitus nomme Ricimer comme comte et, après une bataille navale victorieuse contre les Vandales de Genséric, le fait chef des Armées. Bientôt, Ricimer décide de retourner le Sénat Romain contre Avitus et le déloge, avec l'aide de Majorien, un de ses fidèles amis, de son poste. Il fait le siège de Ravenne et force l'Empereur à devenir moine, avant de l'assassiner. Surtout, Ricimer dispose du soutien de l'Empereur de Constantinople qui souhaitait faire du Barbare son vice-roi en Occident. Néanmoins, le Sénat Romain refuse l'unité de l'Empire mais ne veut pas non plus que Ricimer, arien, puisse devenir Empereur. Il faut donc un chrétien. Majorien devint alors le candidat idéal. Celui-ci venait d'être nommé Empereur par ses troupes après avoir bouté les Alamans d'Italie. Majorien n'est cependant pas dupe et se révèle intelligent en s'éloignant de Ricimer. Il vainc les Wisigoths et renia les problèmes faites par Avitus, ce qui lui donna un prestige immense auprès du peuple romain. Néanmoins, Majorien se fit surprendre en Espagne, à Valence, par le Roi Genséric, qui n'ayant pas apprécié ses précédentes déconvenues, infligea une défaite à l'Empereur. Ricimer, rancunier, en profita pour rallier le Sénat, faire arrêter l'Empereur de retour en Italie sans armée, le fit torturer et assassiner. L'assassinat de Majorien scandalisa les généraux romains de Gaule qui étaient devenus de fait indépendants. Ces derniers se dressèrent contre Ricimer. Surtout, les Vandales de Genséric cherchaient à imposer comme Empereur Olybrius, le fils de Genséric, qui avait épousé la fille de Valentinien III. Ricimer fit donc couronner Empereur un faible sénateur, Libius Severus. Il conclut un traité de paix avec les Vandales et leur permit de piller la Gaule, affaiblissant ainsi son opposition. Néanmoins, l'interlocuteur de Ricimer à Constantinople, l'Empereur Léon Ier, refusa Liberius Severus. Ricimer, qui avait cruellement besoin de l'appui oriental, fit empoisonner sa créature en 465. Pendant dix-huit mois, il dirigea Rome sans homme de paille.
Les Vandales n'avaient pas oublié leur projet. Ils décidèrent donc de changer de stratégie pour forcer Ricimer à nommer Olybrius Empereur. Ils décidèrent de faire pression sur l'Empire Romain d'Orient, et dévastèrent les côtes illyriennes. Ils réduisirent les populations locales en esclavage quand ils ne les violaient et tuaient pas. Léon Ier est obligé de réagir et envoya le chef des armées d'Illyrie, Anthémius, en Occident pour régner en tant qu'Empereur. Celui-ci débarqua donc en Italie, accompagné de Marcellinus, le chef de l'armée de Dalmatie. Ricimer comprit très vite qu'il était visé par ce nouveau pouvoir et que Léon Ier l'avait abandonné. Il était blessé que Marcellinus soit le bras droit d'Anthémius et non lui. Il fit néanmoins preuve d'intelligence politique : il savait qu'Anthémius et Marcellinus avaient besoin de lui pour régner, et les aida. Il épousa ainsi la fille d'Anthémius. Léon Ier avait décidé de détruire les Vandales et de monter la plus grande expédition jamais vue en Afrique du Nord pour tuer Genséric et Olybrius. Le chef de l'armée de Thrace, Basiliscus, devait diriger les opérations ainsi qu'Héraclius d'Edesse, comte d'Egypte. Marcellinus devait commander le front occidental des troupes en attaquant la Sardaigne et la Sicile, pour marcher sur Carthage. Ricimer se voit offrir le commandement d'une partie de ses troupes. L'occasion est trop belle pour lui de profiter de l'occasion pour saboter l'opération. Marcellinus échoue à la Bataille du Cap Bon contre Genséric, décidément grand combattant, et le malheureux est tué par ses hommes en Sicile. Ricimer est certes le seul chef militaire d'Occident mais l'échec de la guerre contre les Vandales ruina les deux Empires Romains pour longtemps. Les Vandales reprirent leurs raids contre l'Italie et les Wisigoths profitèrent de l'occasion pour retourner en guerre contre Rome. Surtout, Anthémius et Ricimer commencèrent à se haïr. Ricimer avait installé son palais à Milan pour faire concurrence à Rome. Anthémius fit exécuter Romanus pour trahison, un fidèle allié de Ricimer, et celui-ci décida de lever une armée contre l'Empereur. La guerre civile qui se profilait devait être terrifiante. Ricimer reçut l'appui de son neveu, Gondebaud, roi des Burgondes, et recruta les Ostrogoths comme mercenaires. Surtout, Ricimer choisit d'accepter les prétentions d'Olybrius et permit donc aux Vandales de montrer sur le trône. Face à cette gigantesque coalition, Anthémius ne put résister longtemps, et tandis qu'il tenta de fuir la capitale déguisé en mendiant, il fut reconnu et décapité. Olybrius devint enfin Empereur. Néanmoins, Ricimer, le dernier homme fort de Rome, décéda de maladie. Ce fut également le cas d'Olybrius treize jours plus tard. Gondebaud, Burgonde, resta le seul maître à bord. Léon Ier le refusa comme Empereur et Gondebaud nomma son proche conseiller, Glycérius, à la couronne impériale. Le nouvel Empereur d'Orient, Zénon, refusa également cette nomination et fit nommer en Italie Julius Nepos qui, on l'a vu, mourra assassiné à Ravenne en 480. Le patricien ostrogoth Oreste fit nommer son fils, Romulus Augustule, comme Empereur concurrent. Mais il se disputa avec le chef de sa milice, Odoacre, qui fit tuer Oreste et déposer Romulus Augustule. C'est alors 476 : les insignes impériaux sont renvoyés à Zénon et Odoacre est chef d'Italie. On voit bien que la date de 476 n'est qu'une parmi tant d'autres de renversements successifs.
En 476, les différents groupes barbares se sont taillés le bout de gras sur l'Empire. Les futurs Etats Nations semblent s'y préfigurer mais cela serait un peu rapide que de se laisser convaincre par cette impression. Les Barbares, on l'a vu, sont peu nombreux. Ils ne sont pas spécialement attachés à une terre : les Wisigoths, par exemple, étaient d'abord fixés en Pannonie avant de se diriger vers l'Italie puis l'Espagne. Génétiquement, ils ne représentent rien par rapport aux populations locales romanisées. Mais leur organisation politique permet l'émerge de proto-états très archaïques dont les délimitations géographiques sont les suivantes :
- L'Italie et la basse Autriche, avec en son centre Ravenne, sont dirigées par le Royaume d'Odoacre qui se bat d'ailleurs contre les Ruges en Europe Centrale.
- La Pannonie est possédée par les Ostrogoths, d'où provient Odoacre.
- A l'ouest de l'arc alpin, entre la Lorraine, le Lac Léman et la Provence, les Burgondes sont solidement établis et occupent Lyon et Vienne.
- En Rhénanie, le peuple des Alamans s'est installé après y avoir refoulé autour du Rhin.
- De la Loire au sud de l'Espagne, le Royaume Wisigoth est le plus gigantesque avec à sa tête le Roi Euric.
- Au nord ouest de l'Espagne, le Royaume des Suèves.
- En Afrique du Nord, dans les îles de la Méditerranée et dans les Baléares, le Royaume des Vandales.
- En Bretagne occidentale, le royaume des Bretons.
- En Bretagne orientale et en Normandie, le Royaume des Saxons.
- Dans la Basse Rhénanie, de Mayence à la Mer du Nord, les Francs Ripuaires, avec leur capitale Cologne.
- En Belgique actuelle, le Royaume des Francs Saliens de Childéric.
- Entre Somme et Loire, du Cotentin à la Meuse, le Royaume du Romain Syagrius.
Et pendant ce temps, à Constantinople ?
Dans ce contexte, l'Empire Romain d'Orient n'est pas épargné par les bouleversements. Néanmoins, les orientaux sont avantagés, sauvés peut-on dire, par la géographie. Les peuples barbares entrent plus facilement à l'Ouest, notamment au niveau du Rhin et du Danube, parce qu'il existe une logique de plaine depuis l'Asie Centrale. Les peuples débouchent naturellement à l'ouest, et notamment en Gaule. Sur ce long chemin migratoire, l'Empire Romain d'Orient est protégé par le Caucase, la Mer Noire et la Mer Caspienne. Les peuples barbares devraient ainsi contourner les chaines de montagne pour accéder au territoire oriental, ce qui ne serait pas logique. Les déserts d'Afrique et du Proche Orient rendent également difficile le passage de la Perse vers Constantinople. Quant au reste des frontières naturelles, elles sont maritimes : le détroit des Dardanelles, particulièrement, joue le rôle de goulot d'étranglement pour toute flotte hostile. De ce fait, outre les Wisigoths au début du Vème siècle, et les agressions vandales au large de l'Illyrie par la Mer Adriatique, l'Empire Romain d'Orient fut protégé des assauts étrangers. Son ensemble géopolitique sera, à la fin du Vème siècle, globalement intact. D'ailleurs, les officiels ne manquèrent pas d'inciter les peuples barbares à s'occuper de leurs rivaux occidentaux. Toutefois, là où les deux Empires se ressemblent, c'est sur l'instabilité politique terrible due à l'absence totale de règles de succession précises. Entre 395 et 1453, Georges Minois relève que, sur 112 Empereurs, 65 ont été détrônés, dont 41 ont été assassinés. 8 sont morts à la guerre et seuls 39 ont régné jusqu'à leur mort naturelle. La durée moyenne d'un règne à Byzance est de neuf ans et trois mois. Constantinople n'a donc absolument aucune leçon de stabilité politique à donner à son rival occidental ainsi qu'aux royaumes barbares. En revanche, son problème semble être particulièrement le sujet de la religion. En Occident, le christianisme "officiel", celui issu du Concile de Nicée, n'est pas contesté. Paradoxalement, son emprise est plus superficielle sur la population de l'Occident qui reste très païenne dans ses pratiques quotidiennes. Les chefs barbares, eux, se sont convertis mais jamais à la doctrine nicéenne. Souvent, les Barbares sont ariens : ils ne reconnaissent pas la Trinité, c'est-à-dire l'existence d'un Dieu unique à trois hypostases, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Pour les Barbares ariens, Jésus n'est pas divin mais un prophète. Cela fait beaucoup mais il n'y a pas de guerre civile à proprement parler entre officiels et ariens : l'instabilité politique est largement suffisante pour en ajouter une religieuse. Les ariens ne cherchent pas à contrarier les pouvoirs politiques et spirituels. L'Empereur est systématiquement un nicéen. Les évêques, eux, n'ont pas spécialement envie de provoquer les Barbares et préfèrent entretenir des contacts d'alliance avec eux. Rien de tel à Constantinople, comme on le verra : la question religieuse est plus que sensible. Elle va mener à des guerres civiles terrifiantes, et souvent, pour des motifs bien moins graves que l'arianisme.
Théodose II le Calligraphe a régné 42 ans. D'abord, il fut placé sous l'emprise de sa mère, la princesse franque Eudoxie, qui avait éliminé Eutrope, Ghaïnas et l'ensemble de ses opposants politiques. Néanmoins, à sa mort, Théodose II semble influencé par une autre femme : sa soeur, la très catholique Pulchérie, aujourd'hui une sainte. Cette femme est là encore extraordinaire : d'ailleurs, il faut noter le pouvoir extraordinaire des femmes dans les Empires Romains. Qu'on y pense : Eudoxie, Galla Placidia et Pulchérie vont être des actrices majeures de l'histoire de cette époque, et leur sexe ne constituera jamais vraiment un problème. Pulchérie est une catholique nicéenne de renom, a fait vœu de virginité et fait régner à Constantinople une ferveur monacale. Elle impose à son frère le mariage avec une autre Eudoxie mais, quand la jeune impératrice tente d'éloigner Pulchérie du pouvoir, cette dernière la fait accuser d'adultère et éloigner de la Cour. Pulchérie est également une des actrices majeures de la haine religieuse comme il sera expliqué tout à l'heure. Quand Théodose II meurt en 450 après une chute à cheval, Pulchérie monte sur le trône et épouse un soldat, Marcien, qui se révèle l'un des meilleurs gestionnaires et diplomates que l'Empire Romain a connu à l'est comme à l'ouest. Marcien révoque les avantages faits aux Huns ce qui les dirige naturellement vers l'Ouest. Surtout, il rétablit avec force les finances de l'Etat. Théodose II avait en outre nommé comme maître de la milice un Barbare arien du nom d'Aspar. Ce dernier est détesté par les Orientaux en tant qu'arien mais son appui militaire est apprécié. Les Alains sont particulièrement présents dans les rues de la capitale et donnent un appui depuis longtemps au pouvoir impérial. Ils bénéficient en outre d'un soutien des Ostrogoths, puissance montante en Pannonie. Cinq ans après Pulchérie, Marcien décède et Aspar réussit à faire nommer comme Empereur un vieux thrace, Léon Ier. Comme on l'a vu, ce dernier est un très bon politique qui parviendra à reprendre de l'influence, via Ricimer, en Occident. Il planifie notamment une grande expédition contre les Vandales en Afrique du Nord. Sur le plan interne, Léon Ier veut éliminer Aspar du pouvoir et en profite donc pour créer un corps militaire spécial, composé de montagnards isauriens dont leur chef est Zénon, les excubitores. Il marie sa propre fille, Ariadne, à ce Zénon. L'influence des isauriens dans l'Empire Romain d'Orient a toujours été très diversement apprécié : ces derniers viennent du centre de l'Asie Mineure et avaient toujours été confrontés à l'hostilité grecque. Mais leur compétence militaire, surtout vis-à-vis des Perses et de leur soutien aux confins de l'Empire, ont fait d'eux un atout. En 471, à la demande de Léon Ier, Zénon massacre les Goths présents sur le territoire. Aspar et ses fils sont massacrés. Une guerre civile s'ensuit entre les partisans des Goths menés par Théodoric le Louche et les partisans des isauriens, menés par Zénon. Le fils d'Ariadne et de Zénon, Léon II, est l'héritier légitime. A la mort de Léon Ier, en 474, le petit garçon de sept ans doit avoir un régent. Ariadne et Vérine, la veuve de Léon Ier, très influente à la Cour, acceptent de nommer Zénon comme co-empereur. Néanmoins, en novembre, le petit garçon meurt naturellement. Zénon est donc devenu Empereur. La vieille impératrice Vérine ne supporte pas cette idée et il est vrai que les préjugés hostiles aux isauriens participent à cette idée. Vérine ne supporte pas non plus que Zénon ne l'ait pas laissé épouser son amant, Patricius. Elle décide donc de supporter Basiliscus, son frère, comme usurpateur, celui-là même qui avait été commandant en chef de l'opération menée en Afrique du Nord, et qui s'était soldée par un échec en raison de la duplicité de Ricimer. Basiliscus avait fuit le champ de bataille et Zénon avait du signer une paix perpétuelle avec le Roi Genséric. L'usurpation conduit à une brève guerre civile que Vérine lâche entre temps en raison de l'hostilité de son frère à son amant. En 476, Zénon retrouve son trône et reçoit les insignes impériaux d'Odoacre. Zénon est donc le seul Empereur Romain. Son règne va prendre un tournant compliqué, pour des raisons religieuses.
Pour comprendre le problème, il faut revenir en arrière. Les ariens ont toujours posé un problème aux chrétiens nicéens, c'est-à-dire obéissant à la doctrine classique telle que posée par Constantin Ier en 325 lors du Concile de Nicée. Les Goths avaient été évangélisés dans le même temps par un prêtre, Arius, qui n'avait pas reconnu la pleine Trinité. Si Jésus avait été engendré par son père, Dieu, alors il a un début et un commencement : il ne peut donc pas être tout à fait Dieu. Théodose Ier avait interdit l'arianisme en 391 mais les Barbares goths n'avaient jamais vraiment pris compte de cette dernière. Peu à peu, l'arianisme disparaitra, par l'âpreté du Patriarche de Constantinople, beaucoup moins celle du Pape à Rome. Néanmoins, une autre question vient travailler les théologiens de Constantinople. Qu'est ce que Jésus ? Il est évident que Jésus est l'émanation de Dieu, mais il a aussi une mère, Marie. Chez lui, il existe donc une nature humaine. Quelle est la définition de cette nature ? Deux théories se sont alors affrontées : pour les uns, Jésus a une seule nature dans laquelle se mêlent divinité et humanité, dans une seule hypostase, indissociablement liées. Pour les autres, la nature humaine et la nature divine du Christ sont dissociés strictement au sein de la même personne. La question peut faire sourire mais elle ne fait absolument pas rire les dignitaires de l'époque. Les chrétiens nicéens ne supportent pas l'idée que nature humaine et divine puissent être mélangés. Sous Théodose II, le Patriarche de Constantinople, Nestorius, avait plus ou moins tenu des propos qui commençaient à déranger, surtout Pulchérie. Cyrille d'Alexandrie rentra en conflit avec lui et Théodose II tenta de réconcilier les deux hommes. Néanmoins, Pulchérie participa à chasser Nestorius du Patriarcat. A Ephèse, en 431, Cyrille d'Alexandrie est clair : il n'existe qu'une seule nature christique, et non deux, au grand dam de Pulchérie qui s'en scandalise. Marcien fait donc convoquer le concile de Chalcédoine en 451 et la position de l'Eglise catholique est définitivement fixée : il y a deux natures du Christ. Or, cela ne passe pas pour beaucoup de théologistes de l'époque. On a appelé les opposants au Concile de Chalcédoine les monophysites. Les tenants de la doctrine officielle sont, eux, chalcédoniens. Très vite, l'Empire est divisé en deux. La Syrie et l'Egypte sont gagnés au monophysisme. En revanche, le reste de l'Empire est totalement chalcédonien, particulièrement le clergé soumis à l'autorité du Patriarcat de Constantinople, et surtout, les moines, violemment opposés au monophysisme selon leur intégrisme légendaire. Les moines n'hésitent pas à tuer les monophysites passant entre leurs mains. Tant que la distinction resta géographique, la guerre ne fut pas déclarée, jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Zénon, l'isaurien, complètement monophysite. Le Patriarche de Constantinople, Akakios, est chalcédonien. Les deux hommes, de bon caractère, tentent de s'entendre. En 482, ils proposent tout deux une solution intermédiaire, la "formule unitaire", qu'on appelle aussi l'henotikon. La position de Nestorius et d'Eutychès sont condamnées, Cyrille d'Alexandrie est en partie confirmé dans certaines thèses, mais le concile de Chalcédoine reste la vérité. Cela déchaîne les deux camps. Le Pape condamne l'henotikon en 484. La même année, des hérétiques juifs, les Samaritains, se rebellent en Palestine. Ils avaient massacrés en 456 des moines monophysites, manipulés par le Patriarche de Jérusalem, lui fortement chalcédonien. Le Patriarche d'Alexandrie, soutenu par des moines monophysites surexcités, rompt ses relations avec Constantinople en 490. La tension religieuse est donc à son comble. Zénon meurt en 491, laissant la situation au bord du chaos.
A la mort de Zénon, l'Empire est en danger. Les isauriens souhaitent que le frère de Zénon, Longin, monte sur le trône. Le Sénat n'est pas de cet avis. En outre, les Goths, qui viennent de renverser l'Empire Romain d'Occident, lorgnent également sur le siège. Il faut trouver un candidat de compromis qui pourrait alors sauver l'Empire du camp goth et du camp isaurien. La veuve de Zénon, Ariadne, est la clef de la situation : elle choisit d'épouser Anastase, un vieux fonctionnaire de soixante ans, sans grand caractère dangereux, illyrien et donc profondément romanisé. Le Sénat saute sur l'occasion. Toutefois, Anastase est monophysite et cela coince avec les autorités religieuses. Anastase surprend et promet de ne revenir ni sur le Concile de Chalcédoine, ni sur la solution trouvée par son prédécesseur, l'henotikon. Anastase est d'ailleurs le premier Empereur à être couronné par le Patriarche de Constantinople en personne, Euphémios. Bientôt, Anastase exile Longin en Egypte et arrête les subventions aux Isauriens qui sont sommés de quitter Constantinople. Très vite, les Isauriens relèvent une grande armée. En 497, les forces impériales continentales écrasent les Isauriens sur le champ de bataille en raison de la mort de Longin dès le début des hostilités. Les Isauriens frôlent l'exctinction complète. Anastase obtient également des succès pour sécuriser les frontières à l'est. En effet, depuis longtemps, l'Empire Perse, dirigé par les Sassanides, est en paix avec l'Empire Romain d'Occident. Anastase est cependant obligé de constater qu'ils semblent de plus en plus agressifs et qu'une guerre est à craindre dans le futur. Il confirme donc des alliances avec les arabes Ghassanides et Kindites, chrétiens, qui s'en prennent à d'autres arabes nestoriens alliés des Perses, les Lakhmides. Il noue également des alliances via l'Egypte avec des royaumes yéménites, notamment d'un point de vue commercial. Les tribus arabes, majoritairement païennes et parfois chrétiennes, jouent le rôle de tampon avec les Perses. Néanmoins, le nouvel Empereur Perse, Khavad Ier, qui avait dû retrouver son trône après en avoir été chassé et qui était soutenu par les Huns Shvetahûna indiens, sollicite le versement par Constantinople d'un tribut dû depuis un traité signé en 442. Khavad Ier ne goute pas non plus la rébellion des Arméniens contre lui. Anastase n'y est pas opposé mais veut que ce tribut soit un prêt. Khavad refuse et une guerre courte a lieu. Elle ne fut pas un franc succès bien que le tribut en fut diminué. La puissance perse se confirme dans son danger. C'est surtout sur la question religieuse que le règne d'Anastase présente des faibles. S'il réussit à rester neutre au début de son règne, sa foi monophysite se renforce, surtout en raison de la résistance de l'Egypte qui est fortement imprégnée de la pensée de Cyrille d'Alexandrie. En Syrie et en Palestine, le monophysisme gagne du terrain. Anastase tente donc de lutter à Constantinople et démet deux de ses Patriarches mais les populations locales se révoltent, les tensions avec la Papauté s'intensifient et surtout, une révolte éclate avec Vitalien, un général romain, à sa tête. L'Empire est donc au bord d'une guerre civile monumentale et les derniers temps d'Anastase Ier n'ont pas permis de concilier les deux parties, bien loin de là. A la mort d'Anastase, en 518, que tous voient comme une sanction divine de son hérésie, se pose la question de sa succession. Les neveux d'Anastase sont écartés et le comte des excubitores, Justin, monte sur le trône. Une autre page de l'Histoire se tourne pour Constantinople, qui s'arrête ici pour nous. Il semble que la menace perse, la menace ostrogoth, la guerre religieuse, l'insécurité des règles de succession vont abattre l'Empire. C'est sans compter l'arrivée prochaine d'un Empereur, le neveu de Justin, Justinien, qui réussira à tout endiguer.
La troublante réussite du royaume des Ostrogoths.
En 476, Odoacre a donc déposé Romulus Augustule et a renvoyé les insignes impériaux à l'Empereur Zénon. Néanmoins, à Ravenne, un autre Empereur légitime, Julius Nepos, continue d'exercer pendant quatre ans. Quand Zénon reçoit à Constantinople les insignes impériaux et des sénateurs venant lui annoncer qu'il n'y a plus nécessité d'avoir deux Empereurs, il reçoit également une demande d'aide de la part de Julius Nepos, notamment en terme de bateaux et des troupes. Zénon prend mal l'initiative d'Odoacre mais l'assassinat de Julius Nepos, en 480, pose problème. Odoacre semble très bien établi en Italie où il se fait nommer Roi. Néanmoins, il se fait détester en Italie par la violence extrême qu'il pratique et son non-respect total des traditions romaines. Il confisque en outre un tiers des terres appartenant aux Romains pour les offrir à ses soldats, qui ne savent même pas cultiver. Odoacre dispose néanmoins de l'appui de l'ancien Sénat Romain. Surtout, Odoacre réussit à établir des bases militaires en Dalmatie ce qui inquiète Zénon. Ce dernier offre alors au Roi des Ostrogoths, Théodoric, l'Italie entière s'il déloge Odoacre de son trône. Il le nomme patrice et maître des milices, ainsi que représentant de l'Empereur. Au printemps 489, Théodoric et ses nombreuses troupes débouchent en Vénétie et bousculent Odoacre sur l'Isonzo puis devant Vérone. Odoacre se réfugie à Varenne et l'affrontement décisif se déroule à Pavie, le 11 août 490. Odoacre finira assassiné par Théodoric en 493 pendant des négociations. Anastase confirmera à Théodoric son titre de Gouverneur de l'Italie. Contrairement à Odoacre, Théodoric instaura une monarchie très respectueuse de la romanité, un exemple de raffinement dans l'Europe de l'époque. Son titre est Theodoricus Rex et il se dote du prénom Flavius. Il ordonne la construction de palais et de basiliques, conserve la hiérarchie des fonctionnaires romains, frappe des trémisses, rétablit "le pain et les jeux" et instaure un tribunal pour trancher les litiges entre Romains et Ostrogoths concernant les terres expropriées. Les Romains sont bien indemnisés. Théodoric promulgue le Code Théodosien, parfaite compilation d'un droit romain subtil. Bien qu'arien, il donne toute latitude aux chrétiens et permet aux philosophes de l'époque, comme Boèce et Cassiodore, de s'exprimer librement. Comme gage de sa bonne foi, il interdit les mariages entre Romains et Goths, et ne recrute ses soldats que dans la population romaine. D'un point de vue objectif, le royaume ostrogoth est le royaume barbare le plus épanouis.
D'un point de vue extérieur, Théodoric réussit à se construire un royaume puissant. Néanmoins, le terme de "royaume" est trompeur car il laisserait entendre que le royaume ostrogoth est souverain. Techniquement, c'est tout à fait faux : Théodoric exerce sa fonction de gouverneur de l'Italie pour le compte de l'Empereur. Néanmoins, en même temps, il est Roi. Tout cela pourrait paraitre fort confus si ce n'était parfaitement logique dans la tête d'un Romain de l'époque. Depuis longtemps, Rome a nommé des patrices parmi les Barbares pour exercer le pouvoir en son nom. Les différents barbares disposaient de chefs avec leurs propres règles de succession. En 491, Théodoric pense sans doute sincèrement qu'il est un chef romain. Au nom de Rome, il rétablit une présence militaire en Dalmatie, en Pannonie dès 504 et en Mésie dès 505. Surtout, il parvient à vaincre les Alamans et à les chasser de Rhétie qu'ils occupaient depuis leur guerre avec Majorien. Néanmoins, Théodoric ne peut pas s'en prendre aux autres puissances barbares, et notamment les deux principales : les Vandales monophysites et les Wisigoths ariens. Il marie sa fille à Alaric II, son autre fille au Roi des Burgondes, une de ses sœurs au Roi Vandale Thrasamund, une nièce au Roi des Thuringiens. Surtout, il prend pour épouse la soeur du Roi des Francs, Clovis, dont on parlera. Cette fine politique guerrière et matrimoniale garantit la paix pour longtemps en Italie. Néanmoins, la guerre religieuse de Constantinople s'invite en Italie. Théodoric est arien et a toujours eu une grande tolérance. Néanmoins, l'inverse n'est pas vrai. Petit à petit, Théodoric va franchir des limites. Lors de l'élection du Pape qui devra succéder à Anastase II en 498, deux candidats s'affrontent : un chalcédonien pur jus, Symmaque, et un partisan d'un rapprochement avec Constantinople, Laurent. Théodoric avait du, en tant que Roi, arbitrer leur différend et confirma Symmaque. Néanmoins, Laurent n'accepta pas la défaite et couvrit de calomnies le pauvre Symmaque. Très vite, Théodoric est convaincu par les rumeurs de mauvaise vie concernant le Pape et tente de le renverser, sans succès. Tout cela a un peu échaudé le clergé occidental qui accepte de moins en moins l'arianisme de Théodoric. Les choses dégénèrent encore quand Théodoric envoie son Pape, Jean Ier, négocier auprès de Justin la réouverture des Eglises ariennes. Le refus de Justin rend furieux Théodoric qui jette Jean Ier en prison et le laisse mourir de faim. Il fait exécuter Boèce et Albinus, ainsi que d'autres penseurs qu'il avait pourtant protégé auparavant, les accusant de vouloir le renverser avec le soutien de Constantinople. A sa mort, sa fille, Amalasonthe, doit affronter des voisins remuants et une population qui se révolte, ainsi qu'une armée qui se mutine. Son cousin, Théodahat, avec qui elle partageait le pouvoir, la fit étrangler en 535. Globalement, le Royaume Ostrogoth, pourtant miraculeux, commença a péricliter. Les Wisigoths, les Burgondes et les Vandales lui ponctionnent des territoires. Bientôt, l'Empire Romain d'Orient reprendra pied en Italie.
La montée en puissance des Francs.
En 476, c'est un autre peuple qui va devenir un acteur géopolitique majeur dans l'ancien Empire Romain d'Occident : les Francs. Ces derniers sont présents depuis longtemps dans la région de la Gaule du Nord comme fédérés. Les Francs Ripuaires sont présents en Allemagne et les Francs Saliens en Belgique. Ils ont toujours été de puissants militaires et Aetius les avait confirmés comme fédérés par crainte de les voir rejoindre le camp ennemi. Néanmoins, leur emprise restait modeste. Les Wisigoths, par exemple, détenaient une immense partie de la Gaule, jusqu'à la Loire. Leur immense territoire s'étendait également en Espagne. Les Francs n'étaient pas grand chose face à eux. De la même façon, le Royaume des Burgondes était également très puissant et bien plus dangereux pour les Romains. A l'est, les Alamans occupaient la Franche-Comté et la Suisse alémanique. Petit à petit, de nouveaux envahisseurs Barbares firent leur apparition à l'est : en 488, les Bavarois attaquent sur la rive droite du Haut Danube, et au nord, les Thuringiens. Petit à petit, le Royaume Vandale semble péricliter en raison de la guerre religieuse entre païens et chrétiens. Le Royaume Wisigoth connait également des faiblesses. En réalité, au sud de la Loire, la faible démographie barbare et la forte tradition romaine conduisent à une sorte de disparition naturelle de l'efficacité militaire, à une "domestication". Ce n'est clairement pas le cas pour les Francs qui sont indéniablement extrêmement violents et qui entretiennent largement leur savoir-faire germanique. Les études historiques actuelles démontrent encore que la réputation de Clovis, ou Clodweg, fils de Childéric et son héritier en 482, n'est pas usurpée : sa cruauté n'eut pas de limites. Clovis a ainsi éliminé, et c'est peu connu, avec un sadisme rarement vu même chez les autres Barbares, toute sa famille. Les Francs Ripuaires sont tous éliminés. Clovis invite ainsi Chararic à tuer son père, Sigebert, Roi de Cologne. Clovis l'exécute ensuite lui et tous ses fils. Il fait de même à Cambrai avec le Franc Ragnacaire en lui plantant une hache en plein crâne. Après avoir pris le contrôle de l'ensemble du monde franc, Clovis s'en prend à Syagrius, dernier Romain, et à son Royaume entre le territoire franc et la Loire. En 486, après la Bataille de Soissons, le gallo-romain Syagrius prend acte de sa défaite et voit son immense territoire annexée au Royaume des Francs. Il fuit chez Euric, le Roi des Wisigoths, qui le renvoie à Clovis. Le pauvre Syagrius sera égorgé. En 493, Clovis a l'intelligence d'épouser Clothilde, nièce de Gondebaud, le Roi des Burgondes. En 496, lors de la Bataille de Tolbiac, Clovis écrase les Alamans et les refoule vers l'est. La légende raconte que tel Constantin, lors de la Bataille du Pont Milvius, il se convertit alors au christianisme après un rêve de victoire. La réalité est tristement moins mystique : les proches de Clovis sont des évêques, qui ont bien compris qu'il fallait se concilier le puissant franc depuis la chute de Rome. Autour de Clovis transitent Rémi, archevêque de Reims, mais aussi Vaast, Fridolin, Melsine, Godard, Séverin, Avit, Quintien, Principe, Aventin, Euspice, Dié, Mélaine, et tant d'autres. Ce sont eux qui poussent Clovis à épouser une princesse catholique en 493 et à se convertir en 496.
Eux ont compris l'importance capitale d'une telle conversion. Clovis deviendrait plus aimable que les Wisigoths et Ostrogoths ariens, les Vandales monophysites et les Alamans païens. Surtout, cela permettra de se concilier les populations gallo-romaines, nombreuses et l'entièreté du clergé qui se mit au service du Franc. Clovis renforce en plus son alliance avec les Burgondes. Cette conversion permet également à Clovis de nouer une relation privilégiée, mal connue, avec Constantinople. C'est bien la principale raison d'une telle conversion dont Clovis se fout comme de sa première chemise. Théodoric inquiétait l'Empereur mais pas ces Francs, très éloignés, qui ont en plus le bon goût de ne pas être hérétiques et de protéger ses évêques. Une alliance fructueuse entre l'Empereur catholique et le Roi catholique commença donc à se développer. En 500, Clovis capture le Roi Gondebaud et le charge de tuer son rival, par manipulation, son frère, Godegisilde. La tutelle des Francs sur les Burgondes est actée. De manière plus impressionnante encore, Clovis détruit les Wisigoths à la Bataille de Vouillé en 507 et les refoule derrière les Pyrénées. Toulouse et Carcassonne sont prises. Néanmoins, la Provence reste très solidement attachée à Théodoric. Les Francs sont alors à la tête d'un immense territoire extrêmement inquiétant pour leurs voisins barbares. L'Empereur Anastase nomme Clovis consul et la capitale du Royaume Franc devient Lutèce, la future Paris. Clovis codifie la loi salique et pousse même le bouchon jusqu'à convoquer un concile lui-même, en 511, pour fixer la discipline ecclésiastique. A la mort de Clovis, il n'y a plus que deux véritables Royaumes puissants barbares : le Royaume ostrogoth de Théodoric et le Royaume Franc de Clovis. Néanmoins, la mort de Clovis en 511 va mettre en lumière la principale faiblesse de ces trop germaniques Francs : les quatre héritiers se partagent le Royaume comme un butin ordinaire et prennent chacun, de manière égalitaire, une partie du Royaume. Thierry, le plus âgé, hérite de la partie orientale aux abords de la Thuringe et de la Frise, au nord de la Bourgogne, plus l'Auvergne. Clodomir, 16 ans, s'empare de la partie centrale, autour de la Loire, jusqu'à Poitiers. Childebert, 15 ans, hérite de la Normandie, du Maine et de Lutèce. Quant à Clotaire, 14 ans, il a la partie la plus au nord, du Soissonnais jusqu'aux bouches de l'Escaut. Comme leurs pères, les quatre garçons n'ont aucun sens moral, sont cupides, impulsifs et sournois. Ils seront aussi terribles avec leurs ennemis qu'entre eux. Le contexte historique ne peut pas tout expliquer : de loin, de très loin, les Francs sont les plus sans foi ni loi. S'ils sont de bons catholiques, et qu'ils ont une loi, la loi salique, rien ne les empêche d'agir, certainement pas l'empathie. Thierry réussit à vaincre les Thuringiens et les Bavarois. Son fils, Théodebert, sera même adopté par Justin Ier pour ses exploits, et ce dernier lui enverra, par gratitude, une lettre d'insultes. Clodomir, Childebert et Clotaire s'occupent d'éliminer les Burgondes sans aucun état d'âme. Sigismond, leur Roi, avait ainsi étranglé sa première femme, la fille de Théodoric, arienne. Les trois frères réussirent à le vaincre en 523 et le noient dans un puit. Les Burgondes sont définitivement vaincus. Mais bientôt, les frères se déchirèrent. A la mort de Clodomir en 524, Childebert et Clotaire assassinent, avec le soutien de Clothilde, les héritiers enfants de leur frère. Clothilde aurait d'ailleurs dit à leur propos : "Plutôt morts que tondus". Clotaire les a alors égorgés de ses propres mains. Bientôt, Thierry, Childebert et Clotaire commenceront à s'entretuer. On voit bien à quel point l'Europe semble mal au point face à un Empire Romain d'Orient qui, en 530, garde la suprématie et arbitre de loin ces Barbares occidentaux remuants. Néanmoins, lui-même va affronter une terrible crise. En 530, l'Occident s'est bel et bien transformé pour longtemps : le Moyen-Âge a débuté mais personne n'en a conscience. Rome vit encore dans toutes les têtes.
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